Archives par mot-clé : poésie satirique

savants et nantis, un quatrain caustique de Melin de saint-gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, quatrain, moyen français, humour, science, pouvoir, argent.
Période :   XVIe s, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage : Œuvres poétiques de Mellin de S. Gelais (1719)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partageons un nouveau quatrain de Melin de Saint-Gelais pour mettre un peu d’esprit et de réflexion dans votre journée. À cheval sur le Moyen Âge et la renaissance, ce poète de cour de la génération de Clément Marot et qui a même reçu quelques éloges poétiques de ce dernier, a brillé par son esprit, son style et son sens de la chute. On le retrouve, ici, dans une pièce courte et mâtinée d’ironie sur les savants et leur relation aux puissants et aux nantis.


« Dy moy, ami, que vaut-il mieux avoir,
Beaucoup de biens, ou beaucoup de savoir ?
Je n’en say rien, mais les savans je voy
Faire la cour à ceux qui ont dequoy. »

Melin de Saint-Gelais – Quatrain


Difficile de reconstruire le contexte historique de ce quatrain. Les lieux de pouvoir et d’argent sont toujours le théâtre de bien des doléances et sollicitudes. Au vue du contexte, c’est d’ailleurs plutôt la résonnance actuelle de ces quatre vers qui aurait tendance à nous interpeller. Ceux qui ont suivi, depuis plus d’un an, les développements autour de ce qu’est devenue une partie de la science médicale ne manqueront peut-être pas, à leur tour, de juger d’une certaine ironie de leur actualité. Disant cela, on ne pense pas, bien sûr, aux personnels soignants, à leur courage et leurs grandes difficultés de moyens, ni aux médecins qui font encore, en leur âme et conscience, leur travail de prescription, mais plutôt à une certaine science « de couloir », mêlée d’intérêts privés, un peu plus haute, un peu plus distante, un peu plus proche du pouvoir et des deniers aussi, quand ce n’est pas des deux.

Dans la même veine, on pense aussi (comment s’en empêcher ?) aux enjeux touchant aux conflits d’intérêt et aux innombrables défilés médiatiques des « experts médicaux » arrosés ou sponsorisés qui, et c’est bien le problème, avancent à couvert avec la complicité, passive ou non, de leurs hôtes. Viennent encore à l’esprit, certaines opérations boursières de 2020 rondement menées, les sommes gigantesques engagées, cette course lucrative aux nouvelles molécules, revendues à prix d’or, et qui sème, dans son sillage, l’opprobre sur toute autre solution expérimentée ici ou là. Enfin, pour compléter le tableau, ajoutons l’achat massif (et inconsidéré ?) par la commission européenne d’un traitement déclaré inefficace le jour d’après, si ce n’est l’avant-veille, ou encore les révélations entendues lors de certaines commissions d’assemblées… Le tout dans un contexte, saupoudré de tacles et d’obstruction à la prescription médicale, de tri sélectif dans les études, et encore d’arbitraire et de répression dont nous sommes nombreux, aujourd’hui, à ne plus lire clairement les soubassements.

Bref c’est à sortir du cadre médiéval et on est tenté de lire, non sans grincer, dans ce quatrain de Melin de Saint-Gelais, un peu plus qu’une note d’humour d’époque, une réalité bien actuelle.

Pour découvrir d’autres quatrains du Moyen Âge, c’est par là.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âgee  sous toutes ses formes.

NB : la miniature ayant servi à l’image d’en-tête est tirée du très beau Psautier latin dit de Saint Louis et de Blanche de Castille. Ce manuscrit médiéval, daté des débuts du XIIIe siècle et référencé Ms-1186, est conservé à la  Bibliothèque de l’Arsenal et consultable sur Gallica.

Un texte médiéval sans concession sur Les devoirs politiques & la corruption des puissants

Sujet : poésie satirique, morale, poésie médiévale, poète breton, devoirs des princes, miroirs des princes, poésie politique, auteur médiéval.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit ancien : MS français 24314 BnF
Ouvrage : Les lunettes des Princes par Olivier de Gourcuff, Société des Bibliophiles bretons (1891).

Bonjour à tous,

ous avons déjà partagé ici quelques extraits des Lunettes des Princes de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, cet ouvrage versifié du poète breton se présente comme un véritable miroir des princes, soit un manuel sur les devoirs politiques des puissants et à leur usage.

Aujourd’hui, nous avons décidé de vous faire découvrir un nouvel extrait de ce texte médiéval. Il est un peu plus long que le précédent mais il est si riche que nous ne nous sommes pas résolus à le couper. Loin de la vision d’un pouvoir inconditionnel et arbitraire souvent mise en avant au sujet de l’exercice politique au Moyen Âge, on découvrira, sous la plume de l’auteur médiéval, une conception bien plus exigeante et équilibrée .

Principe d’égalité et obligations politiques

Dans cet extrait, qu’on pourrait juger d’une grande modernité, on verra à quel point Meschinot adresse, sans ménagement, les obligations du pouvoir central envers son peuple et la nécessité impérieuse de les respecter. Sans concession, ni condescendance, il se dressera aussi à la hauteur des princes et des rois, en jetant clairement les bases d’une égalité entre gens du simple et puissants.

Cette revendication prendra appui sur plusieurs constats : égalité dans la matière dont nous sommes tous faits, égalité devant la nature temporelle et évanescente de nos existences, égalité encore devant la vacuité du superflu et de l’avoir. La quantité de biens et de possessions ne modifient pas la donne ; la prévalence du spirituel et la nécessité d’un certain détachement du monde matériel sont en filigrane. Dans la même continuité, la voie moyenne ou la « médiocrité dorée » chère à Eustache Deschamps, ne sont pas très loin. Elles résonnent entre les vers de l’auteur breton : « Ung cheval suffist à la fois au roy, une robe, ung hostel ».

Mauvais conseillers, princes abusifs,
une condamnation sans appel des corrompus

Sans surprise, chez Meschinot, le fond de cette égalité entre les hommes (que nous crions encore si fort aujourd’hui et qui est inscrite dans nos Droits fondamentaux) est, bien sûr, résolument chrétien. C’est dans ces valeurs qu’elle s’enracine. Plus loin, il l’énoncera d’ailleurs clairement : si Dieu a voulu séparer les petits des grands ce n’est pas pour conférer quelque supériorité à ces derniers et encore moins pour leurs profits, mais plutôt pour leur confier l’immense responsabilité de maintenir justice et raison. On trouvera encore cette idée que ce sont l’action, la morale et la capacité à faire le bien qui définissent la « valeur » humaine, pas le statut.

Hélas, contre la volonté divine et par la nature des hommes : « Bien souvent tout ne va pas droit ». Conseillers abusifs, princes complaisants ou complices, aux dérives du pouvoir trop fréquemment constatées, notre poète opposera la condamnation sans appel de toutes formes de corruption. Point de salut pour les contrevenants, ils seront voués à la honte et la damnation. On le voit, l’attente d’un pouvoir politique probe, juste et qui soit un véritable modèle d’exemplarité, si souvent désespérément ressassée, elle aussi, dans notre modernité, ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’exprimera pleinement ici, chez l’auteur médiéval.

« Aymer sa nation » pour gouverner

Au passage, nous sommes au Moyen Âge mais on retrouvera également, dans ces vers, l’idée de « nation » qui n’est pas née, elle non plus, au XIXe siècle (voir à ce sujet la conférence sur la France et les Français de Philippe Contamine). Le poète médiéval nous expliquera même que pour exercer correctement son devoir politique et ne pas se laisser aller aux vents de toutes les corruptions : « On doyt aymer sa nation ». Là encore, c’est une idée qu’on a vu souvent remise au centre des débats dans les commentaires d’actualité récents sur l’action politique et, dans un contexte croissant d’opposition entre souverainistes d’un côté, et européistes, progressistes ou mondialistes de l’autre.

Pour conclure cette courte analyse, on ne manquera pas de noter la grande richesse stylistique de Meschinot. On retrouve chez lui cette façon de jouer savamment avec les mots et les rimes, propre aux rhétoriciens dont il était particulièrement virtuose.


Les lunettes de Princes (extrait)
Dans le moyen-français de Jehan Meschinot

Or visons l’entrée et la fin
De l’empereur et d’ung porchier.
L’ung n’est pas composé d’or fin,
L’autre de ce qu’a le porc chier.
Tous deux sont, pour au vray toucher,
D’une mes me matiere faictz.

On congnoist les bons aux biens faitz.
Se j’ay maison pour ma demeure,
Bon lict, cheval, vivre, vesture,
Le roy n’a vaillant une mure
Enplus que moy selon nature.
On luy faict honneur, c’est droicture ;
Mais il meurt sans emporter rien.
Peu vault le tresor terrien.

Ung cheval suffist à la fois
Au roy, une robe, ung hostel;
S’il menge et s’il boyt, je le fais
Aussi bien que luy, j’ay los tel.
La mort me prent, il est mortel.
Je vais devant, il vient aprés.
Nous sommes egaulx à peu près.

A cent ans d’icy je m’attens
Estre aussi riche que le roy.
J’attendray, ce n’est pas long temps :
Lors serons de pareil arroy.
Se je seuffre quelque desroy,
Entre deulx il fault endurer.
Malheur ne peut tousjours durer.

Quant au corps, gueres d’avantage
Ne voy d’ung prince aux plus petis.
Des aulcuns s’en vont devant aage
A la mort, povres et chetifz;
Aultres suyvent leurs apetis
Pour aucun temps, et puis se meurent.
Nos oeuvres sans plus nous demeurent.

Au milieu gist la difference,
Car ès deux boutz n’y en a point.
Le gran du petit differe en ce,
Car Dieu l’a voulu en ce point
Ordonner, pour tenir en point
Justice, paix, equité, droit.
Bien souvent tout ne va pas droit.

S’ung prince a conseil qui l’abuse,
Et ne scet ou veult y pourveoir,
C’est ung poulcin prins à la buse
Qu’on ne peut secourir, pourveoir.
L’entendement est faict pour veoir
Et discerner vertus de vice.
Profès ne doit sembler novisse.

Conseiller qu’on nomme preudhome
Se trop à soy enrichir tend,
Tost est corrompu, car prou done,
Et peu au bien publicque entend.
Mais sçavez vous qu’il en attend
Enfin honte et dampnation?
On doyt aymer sa nation.

Le prince est gouverneur et chief
Des membres de corps pollitique;
Ce seroit bien dolent meschief
S’il devenoit paraliticque,
Ou voulsist tenir voye oblicque
A l’estat pourquoy il est faict.
Tout se pert, fors que le bien faict.

Seigneurs, pas n’estes d’autre aloy
Que le povre peuple commun.
Faictes vous subjectz à la loy,
Car certes vous mourrez comme ung
Des plus petis, ne bien aulcun
Pour vray ne vous en gardera.
Chascun son ame à garder a.

Mais quant ung prince fait devoir
D’ouvrer en sa vacauation,
Selon sa puissance et sçavoir,
Laissant toute vacauation
Et mauvaise appliccation,
On ne le peult trop konnorer.
Le prince est fait pour labourer

Nompas du labour corporel,
Ainsi que les gens de villaige,
Mais gouvernant son temporel
Loyaulment, sans aulcun pillaige.
Avoir ne doibt le cueur vollaige,
Soit attrempé, nect, chaste et sobre.
La fin des pecheurs est opprobre.

Se pape, empereur, roys et ducz
Aymoient bonté en tous endroitz,
Telz ont esté et sont perdus
Par non tenir les chemins drois
Qui congnoistroient vertus et drois
En prenant à eulx exemplaire.
Plus doit que folie sens plaire.


NB : sur l’image d’en-tête, vous trouverez à gauche le feuillet du manuscrit 24314 où commence cet extrait (datation de l’ouvrage, courant XVe siècle). Sur la droite, il s’agit de la même page, sur une édition de 1527 des Lunettes des Princes par Nicole Vostre. Les deux manuscrits sont en ligne sur Gallica.fr

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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De la corneille et la brebis, une fable de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poétesse médiévale, poésie satirique, poésie morale
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’une corneille et d’une Oeille
Auteur  : Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un retour dans l’univers des fables médiévales et plus précisément des ysopets de Marie de France. Dans ce récit très court, emprunté à Esope donc, la poétesse médiévale nous mettra en présence d’une funeste corneille venue abuser, sans vergogne, de la faiblesse d’une pauvre brebis.

D’Esope à Marie de France

Si 1600 ans la séparent de son inspirateur, Marie de France a opté ici pour une version assez similaire à celle d’Esope. Bien sûr, au verbe du fabuliste grec, elle oppose sa langue d’oïl mâtinée de tournures franco-normandes mais, hormis cela, le récit est le même à peu de chose prés. A l’habitude, il est aussi plus court chez le poète antique. Voici une traduction de cette fable originale d’Esope par Jean Beaudouin :

La Corneille se débattoit sur le dos d’une Brebis, qui ne pouvant se deffendre ; « Asseurément », luy dit-elle, « si tu en faisois autant à quelque chien, il t’en arriveroit du malheur ». « Cela seroit bon », luy respondit la Corneille, « si je ne sçavois bien à qui je me joue ; car je suis mauvaise aux débonnaires, et bonne aux meschants ».
Baudoin, Jean. Les Fables d’Esope Phrygien – Fable LXII, De la Brebis et de la Corneille. (1660)

On trouve encore la morale de cette fable formulée ainsi chez certains traducteurs latins : Mali insultant innocenti et miti : sed nemo irritat feroces et malignos. Autrement dit, l’homme mauvais insulte et abuse de l’innocent et du faible, mais se garde bien de s’en prendre aux féroces et aux malicieux, qui auraient suffisamment de répondant pour le lui faire payer.

Le thème de l’abus des faibles sous toutes ses formes, traverse de nombreuses fables antiques. On le trouve repris, plus qu’à son tour, chez Marie de France (voir, par exemple, le voleurs et les brebis). Plus tard, il ressurgira encore, largement, sous la belle plume de Jean de La Fontaine. La nature humaine ayant ses invariants, on notera que, sorti de leur contexte historique, ce type de récits moraux a tendance à plutôt bien résister à l’emprise du temps.


D’une Corneille et d’une Oeille

D’une Cornaille qui s’asist seur une Berbix
en franco-normand médiéval

Ensi avint k’une Cornaille
S’asist seur le dos d’une Oaille ;
Dou bec l’ad féri durement,
Sa leine li oste asprement.
La Berbiz li a dist pur-coi
Chevausche-tu einsi sor moi,
Or te remuet si feras bien ;
Siete une pièce seur ce Chien ,
Si fai à lui si cum à mei.
Dist la Cornelle, par ma fei
Ne t’estuest pas traveillier
De mei apanre n’enseignier,
Jeo suis piéça tute enssengniée,
Tant fu-jeo sage et bien vesiée ;
Bien sai seur cui jeo dois séoir
E à séur puiz remenoir.

Moralité

Pur ce nus munstre par respit
Ke ce est voirs que li Sages Hum dit,
Par grant essample et par reproiche
Bien seit Chaz cui barbes il loiche
Bien s’aparçoit li véziiez
Lesquiex il puet aveir souz piez.

Adaptation en français moderne

Ainsi advint qu’une corneille
S’assit sur le dos d’une agnelle (ouaille) ;
Et, du bec, la frappa durement,
Tirant sur sa laine âprement.
La brebis demanda « pourquoi
Chevauches-tu ainsi sur moi ?
Ote-toi de là, tu ferais bien ;
Va t’asseoir, un temps, sur ce chien
Et fais-lui donc tout comme à moi. »
La corneille dit : « par ma foi,
Inutile de te soucier
De rien m’apprendre ou m’enseigner
Je suis de long temps éduquée,

Et je suis sage et avisée ;
Je sais bien, sur qui je m’assieds
Et, en sûreté, où demeurer. »

Moralité

Ainsi, nous montre bien l’adage
Comme est vrai ce qu’a dit le sage,
en grand reproche et grande prêche :
La chat sait bien quelle barbe il lèche,
Le fourbe sait bien discerner
Qui il peut tenir sous son pied.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : les enluminures de cet article sont tirées d’un très beau bestiaire médiéval : The Aberdeen Bestiary (Université d’Aberdeen MS 24). Daté des XIIe-XIIIe siècles, ce codex est conservé à la Bibliothèque de l’université d’Aberdeen au Royaume Uni (à consulter en ligne ici). Pour être précis, l’ovin qui a servi aux illustrations est plutôt un agneau ou une agnelle qu’une brebis.

une Ballade satirique sur la vie curiale

Sujet :  poésies,  ballade médiévale, poésie satirique, moyen français, vie curiale, dépravation, immoralité, flatterie, satire.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Anonyme
Ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons de rester au XVe siècle, avec une nouvelle ballade satirique sur la vie de cour. Le monde médiéval, et, peut-être plus particulièrement encore, le tardif, n’a pas été avare de poésies et de textes sur ce sujet : au Moyen Âge central et au XIIIe siècle, il y eut Jean de Meung, Rutebeuf et d’autres. Plus tard encore, au XIVe et XVe siècle, on se souvient d’auteurs comme Philippe de Vitry, Eustache Deschamps, Alain Chartier, Jean Meschinot, etc… De fait, la liste pourrait être longue des satires médiévales qui dénoncent l’hypocrisie, l’immoralité, le dévoiement, ou encore les flatteries et les manœuvres calculées qui entourent les couloirs du pouvoir et les couronnes.

Les travers de cette vie curiale sont souvent présentés de manière détachée de la personnalité du prince ou du seigneur qui y règne. C’est alors comme une sorte d’univers « parasite » autonome qui se met en place, un peu comme une fatalité induite par les jeux de pouvoir et l’éternelle comédie humaine (voir, par exemple, deux ballades d’Eustache Deschamps ou encore cet extrait des Lunettes des Princes de Jean Meschinot ). Dans d’autres cas, on adresse le pouvoir, ou on le rend plus directement responsable de laisser vivre et perdurer ce poison. Eustache Deschamps et d’autres mettront même, en avant, l’ingratitude des princes vis à vis de leurs serviteurs de cour (« Je muir de froit, l’en m’a payé du vent« ).

Une ballade des « maximes de court »

On peut trouver la pièce du jour, à la fin d’un ouvrage daté du milieu du XVIIIe siècle : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne ». Cette compilation de poésies du Moyen Âge tardif présente en exergue « La Danse aux aveugles » de Pierre Michault ainsi que quelques autres œuvres de cet auteur médiéval, prêtre et poète à la cour de Bourgogne. On notera, au passage des erreurs d’attribution comme par exemple la  » Complainte de tres haulte et vertueuse dame ma dame Ysabel de Bourbon, contesse de Charrolois« , souvent attribuée à Pierre Michault et qu’on a fini par restituer à son auteur original : Amé (ou Aimé) de Montgesoie.

Sources et attributions

Lambert Douxfils, le compilateur du XVIIIe siècle a décidé de faire suivre ces pièces d’une sélection d’autres textes empruntés au même manuscrit (ou d’autres ?) de la bibliothèque des ducs de Bourgogne. Certains sont signés, d’autres, dans la dernière partie de l’ouvrage sont anonymes. Le compilateur ne donne pas la référence précise du ou des ouvrages anciens sur lequel il s’est appuyé. Pour remonter aux sources, nous serons donc quittes de plonger dans les nombreux manuscrits répertoriés faisant mention de la dance aux aveugles ou d’autres textes cité par l’éditeur, sans être tout à fait certain que les ouvrages en question, à près de 300 ans de là, soient présents à la BnF, sur Gallica ou sur une autre Bibliothèque numérique. Recherche en cours… A moi Arlima(.net) !

Du point de vue de son contenu et au moins sur le fond, cette ballade des « Maximes de court » aurait pu être signée de la plume d’un Eustache Deschamps, voire même d’un Chartier. Toutefois, dans le manuscrit dont l’a extraite son éditeur, elle est supposée être demeurée anonyme. Pour l’instant et après des premières recherches, elle ne semble pas avoir été attribuée plus tardivement à un auteur reconnu. On notera que le premier vers n’est pas sans évoquer un rondeau de Blosseville que nous avions déjà présenté par ailleurs (voir pour contrefaire l’amoureux, Trois rondeaux de Blosseville à la cour d’Orléans), mais cela ne préjuge en rien de son attribution.


Maximes de Court

Qui ne contrefait l’amoureux ,
Qui ne scet faindre son penser.
Qui ne rit sans estre joyeux.
Qui ne scet souvent rigouler,
Qui ne scet braire ou hault chanter ,
Qui n’a dequoy estre jolys .
Qui n’a le bec au vent toudys .
Qui n’a ung peu du poil du lourt ;
En verité c’est ung chetifs,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Qui n’est un petit envieux.
Qui ne scet son maistre flater.
Qui ne devient gloux ou precieux ,
Qui n’aprent a dissimuler,
Qui n’est maistre du bas vouler.
Qui ne scet acquerir amys ,
Qui n’est du bas mestier apris,
Qui n’aprent a faire le sourt ;
Je vous dis bien qu’en ce pays
Il n’a que faire d’estre a Court,

Qui veut estre religieux,
Qui ne scet boire & banqueter,
Qui ne veult estre convoiteux ,
Qui ne scet prendre sans donner ,
Qui veut de conscience user ,
Qui de pratique n’est garnis ,
Qui de demander n’est hardis
Selon le temps qui ores court;
Par le corps Dieu de paradis ,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Princes, es haultes Cours jadis ,
N’estois recullis ne ouys
Nul qui fust vicieux ne lourt ;
Ains a present il m’est advis ,
Que qui de vices n’est remplis
Il n’a que faire d’estre a Court.


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
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NP : l’enluminure de l’image d’en-tête (banquet à la cour) est tiré du manuscrit médiéval Français 12574. Cet ouvrage ayant pour titre « Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe » est daté du XVe siècle. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur Gallica au lien suivant).