
Période  : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  : Bernart de Ventadorn, (Bernatz) Bernard de Ventadour. (1125-1195)
Titre : Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par
Interprète : Camerata Mediterranea
Album :  Bernatz de  Ventadorn, le fou sur le pont (1993)
Bonjour à tous,

S’il a compté parmi les nombreux troubadours du XIIe siècle, ce noble limousin est demeuré l’un des plus célèbres et reconnus d’entre eux. On le considère même comme un représentant des formes poétiques les plus abouties de la Langue d’Oc. Pour accompagner cette chanson médiévale, trempée de fine amor (fin’ amor) et de lyrique courtoise, nous nous appuierons sur l’interprétation de la belle formation Camerata Mediterranea.
Bernatz de Ventadorn par la Camerata Mediterranea
Bernatz de Ventadorn : le fou sur le pont
C’est en 1993 que la Camerata Mediterranea de Joel Cohen et de Anne Azéma décida de faire une incursion approfondie dans l’univers de Bernart de Ventadorn. Il faut dire que le legs plutôt prolifique du troubadour offrait l’embarras du choix (de quelques 45 chansons à près de 70, en fonction des biographes et médiévistes). Au sortir, l’ensemble médiéval choisit de présenter 17 pièces. parmi lesquelles on trouvait, bien sûr, des chansons du troubadour, mais également des extraits lus de sa Vita.

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Sur l’art et la musique des troubadours de langue occitane mais aussi de langue galaïco-portugaise, rappelons que la Camerata Mediterranea n’en était pas à son premier galop d’essai. Trois ans avant cette production dédiée à Bernard de Ventadour, elle avait, en effet, régalé son public d’un album consacré à ce large répertoire. Sous le titre Lo Gai Saber : Troubadours et Jongleurs 1100-1300, on y trouvait déjà deux chansons de Bernart.
Au renouveau,
le fine amant courtois entre joie et détresse
Dans la pure tradition médiévale courtoise, notre fine amant et troubadour s’éveille ici, avec le printemps, aux joies de l’amour et la nature se joint au concert pour lui envoyer comme autant de signes de son émoi intérieur (cf l’homme médiéval et la nature avec Michel Zink). Pourtant, comme le veut la tradition, derrière la joie viendra aussi se nicher, invariablement, la souffrance et, encore, ce qu’on pourrait être tenté d’appeler, de nos jours, la frustration.
Comme nombre de ses contemporains troubadours, Bernard de Ventadour nous chante ici, un amour caché, voilé, silencieux qui, pour le coup, ose même à peine se confesser auprès de l’élue. Hors des conventions et de la bienséance, ce sentiment et ce désir, qui flirtent avec les interdits, emportent aussi avec eux leur lot habituel de jalousie et d’inimitié : ces ennemis, médisants ou délateurs qu’on devine dans l’ombre.
Dans cette pièce, Bernard, transporté par son désir ajoutera même une touche d’érotisme et de sensualité avec un baiser volé à sa dame dans son sommeil. L’aimera-t-elle ? Lui cédera-t-elle ? Feindra-t-elle ? Le destin du désir dans l’amour courtois est de ne pouvoir se poser sur son objet, au risque d’y éteindre sa flamme. Sa sublime et son point culminent se situent dans l’attente, l’incertitude, le doute et il faut que le prétendant de la lyrique courtoise demeure voué à l’inconfort ; sa gloire, sa perfection, sa consécration même en tant que fine amant, étant la force qu’il a de l’accepter ou de s’y résigner.
Notes sur la traduction
Une fois n’est pas coutume, pour cette traduction nous suivons, sans en changer une seule virgule, le travail de Léon Billet, grand spécialiste de Bernard de Ventadorn, dans son ouvrage Bernard de Ventadour troubadour du XIIème siècle, Orfeuil (1974). Chanoine de son état, cet auteur et biographe fut primé à plusieurs reprises pour ses ouvrages. De son vivant, il créa aussi une association autour de Bernard de Ventadour et de son legs, ayant pour nom la Société Historique des Amis de Ventadour. Si vous vous intéressez de près à ce grand troubadour, nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir leur site web. Vous y trouverez une information foisonnante sur l’oeuvre du poète limousin, mais aussi sur les duchés et fiefs rattachés à son nom.
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par
Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît
En introduction de cette pièce interprétée par la Camerata Meditteranea et servie par la voix de Jean-Luc Madier, on trouve, comme indiqué plus haut, un extrait de la vida de Bernard de Ventadour:
E·l vescons de Ventadorn si avia moiller bella, joven e gentil e gaia. E si s’abelli d’En Bernart e de soas chansos e s’enamora de lui et el de la dompna, si qu’el fetz sas chansos e sos vers d’ella, de l’amor qu’el avia ad ella e de la valor de leis.
« Le vicomte de Ventadour avait une femme belle, jeune, noble et joyeuse. Et, en effet, elle apprécia Bernart et ses chansons, et s’éprit de lui, et lui de la dame ; aussi fit-il ses chansons et ses « vers » à son sujet, et sur l’amour qu’il avait pour elle et sur ses mérites. »
I
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par
 E la flors boton’ el verjan
 E.l rossignols autet e clar
 Leva sa votz e mou so chan
 Joi ai de lui e joi ai de la flor
 Joi ai de mi e de midons major
 Daus totas partz sui de joi claus e sens
 Mas sel es jois que totz autres jois vens
Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît
 et la fleur bourgeonne sur la branche
 et le rossignol haut et clair
 élève sa voix et entame son chant
 j’ai joie de lui et j’ai joie de la fleur
 et joie de moi-même et joie plus grande de ma dame.
 De toutes parts je suis endos et ceint de joie
 mais celui-ci est joie qui vainc toutes les autres.
II
Ai las com mor de cossirar
 Que maintas vetz en cossir tan
 Lairo m’en poirian portar
 Que re no sabria que.s fan
 Per Deu Amors be.m trobas vensedor
 Ab paucs d’amics e ses autre seignor
 Car una vetz tan midons no destrens
 Abans qu’eu fos del dezirer estens
Hélas comme je meurs d’y penser
 car maintes fois j’y pense tellement
 des voleurs pourraient m’emporter
 que je ne saurais rien de ce qu’ils font
 Par Dieu ! amour tu me trouves bien vulnérable
 avec peu d’amis et sans autre seigneur
 pourquoi une fois ne tourmentes-tu pas autant ma dame
 avant que je ne sois détruit/éteint de désir ?
III
Meraveill me com posc durar
 Que no.ill demostre mo talan
 Can eu vei midons ni l’esgar
 Li seu bel oill tan be l’estan
 Per pauc me teing car eu vas leis no cor
 Si feira eu si no fos per paor
 C’anc no vi cors meills taillatz ni depens
 Ad ops d’amar sia tan greus ni lens
Je m’étonne comment je peux supporter si longtemps
 de ne pas lui révéler mon désir
 quand je vois ma dame et la regarde.
 Ses beaux yeux lui vont si bien
 à peine puis-je m’abstenir de courir vers elle
 et je le ferais ne serait la peur
 car jamais je vis corps mieux taillé et peint
 au besoin de l’amour si lourd et tard.
IV
Tan am midons e la teing char
 E tan la dopt’ e la reblan
 C’anc de me no.ill auzei parlar
 Ni re no.ill quer ni re no.ill man
 Pero ill sap mo mal e ma dolor
 E can li plai mi fai ben et onor
 E can li plai eu m’en sofert ab mens
 Per so c’a leis no.n aveigna blastens
J’aime tant ma dame et je la chéris tant
 et je la crains tant et la courtise tant
 que jamais je n’ai osé lui parler de moi
 et je ne lui demande rien et je ne lui mande rien.
 Pourtant elle connaît mon mal et ma douleur
 et quand cela lui plaît, elle me fait du bien et m’honore
 et quand cela lui plaît, je me contente de moins
 afin qu’elle n’en reçoive aucun blâme.
V
S’eu saubes la gen enchantar
 Mei enemic foran efan
 Que ja us no saubra triar
 Ni dir re que.ns tornes a dan
 Adoncs sai eu que vira la gensor
 E sos bels oills e sa frescha color
 E baizera.ill tan la boch’ en totz sens
 Si que d’un mes i paregra lo sens
Si je savais enchanter les gens
 mes ennemis deviendraient des enfants
 de façon à ce que même pas un seul sache choisir
 ni dire rien qui puisse tourner à notre préjudice.
 Alors je sais que je verrai la plus gracieuse
 et ses beaux yeux et sa fraîche couleur
 et je lui baiserais la bouche dans tous les sens
 si bien que durant un mois y paraîtrait la marque.
VI
Be la volgra sola trobar
 Que dormis o.n fezes semblan
 Per qu’e.ill embles un doutz baizar
 Pus no vaill tan qu’eu lo.ill deman
 Per Deu domna pauc esplecham d’amor
 Vai s’en lo tems e perdem lo meillor
 Parlar degram ab cubertz entresens
 E pus no.ns val arditz valgues nos gens
Je voudrais bien la trouver seule
 qu’elle dorme ou qu’elle fasse semblant
 pour lui voler un doux baiser
 car je n’ai pas le courage de le lui demander.
 Par Dieu dame nous réussissons peu de chose en amour
 le temps s’en va et nous perdons le meilleur
 nous devrions parler à mots couverts
 et puisque la hardiesse nous est d’aucun recours recourons à la ruse.
VII
Be deuri’om domna blasmar
 Can trop vai son amic tarzan
 Que lonja paraula d’amar
 Es grans enois e par d’enjan
 C’amar pot om e far semblan aillor
 E gen mentir lai on non a autor
 Bona domna ab sol c’amar mi dens
 Ja per mentir eu no serai atens
On devrait bien blâmer une dame
 si elle fait trop attendre son ami
 car long discours d’amour
 est d’un grand ennui et paraît tromperie
 car on peut aimer et faire semblant ailleurs
 et gentiment mentir là où il n’y a pas de témoins.
 Excellente dame, si seulement tu daignais m’aimer
 je ne serais jamais pris en flagrant délit de mensonge.
Tornada
Messatger vai e no m’en prezes mens
 S’eu del anar vas midons sui temens
Envoi
Messager va et qu’elle ne m’en estime pas moins
 si je crains d’aller chez ma dame.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
 
		
 ous revenons, aujourd’hui, aux premiers trouvères du moyen-âge, avec une chanson du XIIe siècle. Elle a été diversement attribuée par les manuscrits et sources d’époque au Châtelain de Coucy  ou à Gace Brûlé. Suivant l’avis partagé par un nombre important de médiévistes, c’est cette dernière attribution, par  le Chansonnier C ou Manuscrit de Berne Cod 389 (
ous revenons, aujourd’hui, aux premiers trouvères du moyen-âge, avec une chanson du XIIe siècle. Elle a été diversement attribuée par les manuscrits et sources d’époque au Châtelain de Coucy  ou à Gace Brûlé. Suivant l’avis partagé par un nombre important de médiévistes, c’est cette dernière attribution, par  le Chansonnier C ou Manuscrit de Berne Cod 389 (



 Sujet : chanson médiévale,  musique médiévale,  chant de Croisade, 2e croisade, vieux français. rotruenge, Louis VII, chevaliers
Sujet : chanson médiévale,  musique médiévale,  chant de Croisade, 2e croisade, vieux français. rotruenge, Louis VII, chevaliers






