Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, amour courtois, troubadours, fine amor, lyrique courtoise, langue d’oc Période : moyen-âge central Auteur : Michel Zink Ouvrage : Les troubadours, une histoire poétique (éditions Perrin, 2013) Programme : Ça Rime à Quoi
Sophie Nauleau, France Culture
Bonjour à tous,
n 2014, l’auteur(e), productrice et animatrice de Radio Sophie Nauleau recevait Michel Zink, sur France Culture, dans le cadre de son programme Ça Rime à Quoi. L’académicien et grand spécialiste de littérature médiévale venait lui présenter son ouvrage, daté de 2013 et ayant pour titre « les troubadours une histoire poétique« .
« C’est le Moyen-âge qui a mis l’amour au centre de la poésie (…) mais il y a quelque de particulier dans la poésie des troubadours, qui est tout à fait délibéré et qui est extrêmement fascinant, c’est que les troubadours considèrent que l’amour est un sentiment essentiellement contradictoire. C’est, à la fois, une exaltation et une dépression, c’est une joie et une souffrance. L’amour c’est le désir, le désir va vers son assouvissement, mais redoute d’être assouvi, parce qu’assouvi, il disparaîtra comme désir. Donc l’amour est en lui-même quelque chose de contradictoire. » Michel Zink extraits entretien France Culture (2014)
Après nous avoir touché un mot de son parcours et sa prédilection pour la poésie médiévale. Michel Zink en profitait pour faire ici, avec sa générosité et sa passion habituelles, une belle incursion dans l’art poétique et l’esprit des troubadours occitans du moyen-âge central, ce « moment où l’amour est devenu la grande affaire de la poésie ». On abordera ainsi, à ses côtés, les particularités de l’Amour Courtois, les liens entre exercice poétique et Fine Amor (fin’amor), entre savoir-faire littéraire et « compétence amoureuse », le rapport au langage et aux sentiments, le tout ponctué de quelques lectures et extraits.
Au passage,le médiéviste philologue nous gratifiera encore de quelques « anecdotes » issues des Vidas et Razos, On sait que leur étude lui a toujours été cher, pour peu qu’on les approche pour ce qu’ils sont : des « objets » littéraires. Si ces récits postérieurs à la vie des troubadours sont, dans bien des cas, demeurés les seules traces « biographiques’ que nous ayons conservées d’un certain nombre d’entre eux, on sait, en effet, qu’ils mêlent sans complexe, détails factuels et extrapolations, pour nous présenter une véritable romance de la vie des troubadours des XIIe, XIIIe siècles.
Ça rime à quoi : Les Troubadours : Une histoire poétique. Michel Zink
Depuis 2017, ce livre de Michel Zink est disponible au format poche chez Tempus Perrin. Voici un lien utile pour vous le procurer : Les troubadours. Une histoire poétique
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : complainte, poésie médiévale, poésie satirique, guerre de cent ans, extraits, moyen-Français, misère, laboureurs Période : Moyen-âge tardif, XVe siècle. Titre : Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France Auteur : anonyme Ouvrage : Les chroniques d’Enguerrand de Monstrelet, (milieu du XVe)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un large extrait d’une poésie satirique du moyen-âge tardif, ayant pour titre la Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France. Du point de vue des sources, cette complainte est tirée des Chroniques deEnguerrand de Monstrelet (1400-1453),
Avec cet ouvrage portant sur l’histoire de la première moitié du XVe siècle (1400-1444). le noble chroniqueur d’origine picarde qui servit entre autres seigneurs, les ducs de Bourgogne, entendait poursuivre le travail engagé par Jean Froissard. S’il influença par ses écrits certains auteurs de son temps, on lui prêta, toutefois, moins de rigueur et de talent que ce dernier. Rabelais écrivit même de lui qu’il était « baveux comme un pot de moutarde » ( Molinier Auguste – L’Histoire de France 1904, T4 ). Quant à son impartialité, notre auteur n’échappa pas à la règle, maintes fois vérifiée, mais encore bien plus manifeste dans le courant du moyen-âge, qui veut que l’Histoire ait toujours un point de vue.
Cela étant dit, ce qui nous intéresse aujourd’hui, n’est pas tant le récit du chroniqueur que cette complainte du pauvre commun qu’il ne fait que retranscrire, sans l’attribuer, et qui n’est pas de sa plume. Dans son ouvrage La Satire en France au Moyen-Âge (1893) Charles Felix Lenient rapproche ce texte, son ton satirique et une part de son inspiration du Quadrilogue Invectif d’Alain Chartier, mais il hésite tout de même à lui en attribuer, de manière certaine, la paternité. Elle demeure, en tout cas, non signée, dans les Chroniques d’Enguerrand.
Misères des laboureurs & temps troublés
Datée du début du XVe siècle, cette poésie réaliste nous conte le triste sort de nombre de paysans saignés par la guerre de cent ans, les pillages, les disettes et les taxes. Sous la pression des événements, certains en furent même réduits à fuir les campagnes, tristes hordes de familles en guenilles, mendiant dans les villes, pour subsister. Cette complainte en est restée le témoin. Ces « pauvres communs et laboureurs » en appelaient alors à la charité de tous, dans l’indifférence générale, s’il faut en croire ces vers. Sous la complainte, la menace planait aussi clairement puisqu’ils y mettaient en garde les seigneurs et le roi des conséquences fâcheuses où cette indifférence pourrait les conduire: effondrement du royaume par sa base, d’abord, mais plus loin menace ouverte de révolte incendiaire ou même encore désertion du pays. Quant à l’Eglise, nos pauvres laboureurs l’appelait aussi à leur rescousse afin qu’elle intercède auprès des nobles pour leur rappeler leur devoir de chrétiens.
Ci-contre les Chroniques deEnguerrand de Monstrelet, ManuscritCod 37 (A,) Bibliothèque bourgeoise de Bern. voir en ligne)
Il faut, avec Charles Felix Lenient, constater que cette clameur du peuple et des pauvres gens demeure une des plus poignantes à nous être parvenue de cette période. Ses accents vibrants de sincérité lui confère une place très particulière dans la poésie satirique et réaliste du moyen-âge.
La complainte du pauvre commun
et des pauvres laboureurs de France
Hélas ! hélas ! hélas ! hélas ! Prélats , princes , et bons seigneurs , Bourgeois, marchans, et advocats, Gens de mestiers grans et mineurs, Gens d’armes , et les trois estats , Qui vivez sur nous laboureurs , Confortez nous d’aucun bon ayde ; Vivre nous fault, c’est le remède.
Vivre ne povons plus ensemble Longuement, se Dieu n’y pourvoye : Mal fait qui l’autruy tolt* (enlève, ôte) ou emble* (dérobe, vole) Par barat* (ruse, tromperie), ou par faulse voye. Perdu avons soulas et joye L’en nous a presque mis à fin , Car plus n’avons ne blé ne vin.
Vin ne froment ne autre blé. Pas seullement du pain d’avoyne , N’avons nostre saoul la moité Une seulle fois la sepmaine : Les jours nous passons à grand’ peine , Et ne sçavons que devenir ; Chacun s’en veult de nous fuyr,
Fuyr de nous ne devez mie, Pensez-y, nous vous en prions. Et nous soustenez nostre vie ! Car, pour certain , nous languissons. Allangouris nous nous mourons, Et ne gravons reméde en nous , Seigneurs , pour Dieu , confortez-nous.
Confortez-nous, vous ferez bien, Et certes vous ferez que saiges : Qui n’a charité, il n’a rien. Pour Dieu , regardez noz visaiges , Qui sont si piteux et si pâlies , Et noz membres riens devenir, Pou nous povons plus soustenir.
Soustenir ne nous povons plus En nulle maniére qni soit : Car, quand nous allons d’huys en huys, Chacun nous dit : Dieu vous pourvoye ! Pain, viandes, ne de rien qui soit, Ne nous tendez nen plus qu’aux chiens , Hélas! nous sommes chrestiens.
Chrestiens sommes-nous voirement* (véritablement) , Et en Dieu sommes tous vos frères , Si vous avez l’or et l’argent Ne sçavez si durera guères : Le temps vous aprestent les biens , Et si mourrez certainement , Et ne savez quand , ne comment.
Comment dictes-vous et pensez Plusieurs choses que de nous dictes , Que ce nous vient par noz péchez , Et vous en voulez clamer quittes. Pour Dieu jà plus ne le dictes , Et autrement nous confortez Pour ce en pitié nous regardez.
Regardez-nous, et si pensez , Que sans labour ne povez vivre , Et que tous sur nous vous courez : ( Long- temps a que chacun nous pille) Ne nous laissez ne croix ne pille, Ne rien vaillant que vous puissiez , De quelque estat que vous soyez.
Soyez, si vous plaist, advisez , Et que de cecy vous souvienne , Que nous ne trouvons que gaigner , Ne nul qui nous mette en besongne. Chacun de vous de nous s’eslongne , Mais s’ainsi nous laissez aller , A tard vous en repentirez.
Repentirez vous si acertes, Que si ainsi nous en allons , Vous cherrez les jambes retraictes , Et au plus prés de voz talons ; Sur vous tumberont les maisons , Vos chasteaulx et vos tenemens* (propriétés) : Car nous sommes voz fondemens.
Voz fondemens sont enfondus, N’y a mais rien qui les soustienne ; Les murs en sont tous pourfondus, N’y a pilier qui les retiengne, N’y estat qui en rien se faingne De nous mener jusque au plus bas : Pource nous fault crier , hélas !
Hélas! prélats et gens d’église, Sur quoy nostre foy est assise, Chiefs estes de chrestienté , Vous nous voyez nuds sans chemise Et nostre face si eslize , Et tous languis de povreté. Pour t’amour Dieu , en charité , Aux riches gens ce remonstrez Et que vous les admonestez. Qu’ils ayent pitié d’entre nous autres , Qui pour eux avons labouré Tant que tout leur est demouré : De noz povretez ils sont causes , Comme leur dirons cy en bas : Pour ce nous fault crier , hélas !
Hélas ! trés puissant roy françois , Nous pensons si bien ravisois , Et tu feusses bien conseillé, Qu’aucun pou nous espargnerois : Tu es le roy de tous les roys , Qui sont en la chrestienté, Dieu t’a ceste grand’ dignité Raillée , pour raison deffendre, Et diligentement entendre Aux complainctes qui vont vers toy ; Et par ce garder nous pourras , De ainsi fort crier , hélas !
Hélas ! trés noble roy de France , Le pays de vostre obéissance Espargnez-le : pour Dieu mercy , Des laboureurs ayez souv’nance, Tout avons prins en patience Et le prenons jusques à icy; Mais tenez-vous asseur, que si Vous n’y mettez aucun reméde, Que vous n’aurez chasteau ne ville, Que tous seront mis à exille , Dont jà sommes plus de cent mille Qui tous voulons tourner la bride , Et vous lairions tout esgaré, Et pourrez cheoir en tel trespas , Qu’il vous faudra crier , hélas !
Hélas ! ce serait grand douleur Et grand’ pitié à regarder, Qu’un si très excellent seigneur Criast , hélas ! Or y pensez , Pas ne serez le premier , Qui par deffaut de raison faire , D’estre piteux et débonnaire Aurait esté mis en exil. Tenu estes de bon affaire , Mais que n’ayez point de contraire Dieu vous garde de ce péril ! Et nous mettez si au délivre, Qu’en paix puissions dessoubs vous vivre Dés le plus haut jusques au bas, Tant que plus ne crions , hélas !
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, chanson médiévale, galaïco-portugais, culte marial, louanges, Sainte-Marie, Vierge. Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Santa Maria, Strela do dia, Interprètes : Ensemble Sequentia
Album : Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León (1992)
Bonjour à tous,
ous repartons, toutes voiles dehors, pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et l’étude des Cantigas de Santa Maria du souverain Alphonse X de Castille. Celle qui nous intéresse, aujourd’hui, est la Cantiga 100.
Pour varier un peu des Miracles que nous avons étudiés jusque là, il s’agit d’un chant de louanges. Dans le corpus des Cantigas de Santa Maria, les louanges se répètent à intervalle réguliers comme pour mieux renforcer les nombreux miracles qu’elles encadrent.
Comme le poète s’adresse ici à la Sainte sous le nom de « Strela do dia« , « étoile du jour », il faut sans doute y voir une allusion à un ordre que Alphonse X avait lui-même fonde : l’Ordre de Sainte-Marie d’Espagne. Connu également sous le nom de El Orden de la Estrella, cet ordre militaire et religieux avait vocation à défendre la couronne contre les attaques navales.
Pour la version musicale de ce chant de louanges, nous vous proposons ici la belle interprétation de l’Ensemble Sequentia, sous la direction de Barbara Thornton et Benjamin Bagby.
La Cantiga de Santa-Maria 100 par Sequentia
Chants pour le roi Alphonse X de Castille et León
En 1991-92, L’ensemble médiéval Sequentia décidait de faire une incursion dans le très riche répertoire des Cantigas d’Alphonse X. Sous le titre « Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León. » ou « Chansons pour le roi Alphonse X de Castille et León(1221-1284) », la formation proposait ainsi une sélection de dix-huit pièces dont 14 Cantigas, accompagnées de quatre autres compositions d’époques.
Il constitue le troisième volet d’un triptyque nommé Vox Iberica (I, II et III) autour des musiques religieuses de l’Espagne médiévale. Le premier était consacré au Codex Calixtinus, musique du XIIe siècle en l’honneur de Saint-Jacques l’apôtre. ; le second au Codex de Las Huelgas de Burgos et le troisième, celui du jour, aux Cantigas de Santa-Maria.
La Cantiga de Santa Maria 100
et sa traduction en français moderne
Esta é de loor.
Celle-ci est un chant de louanges
Santa Maria, Strela do dia, mostra-nos via pera Deus e nos guia.
Sainte-Marie Etoile du jour Montre nous la voie vers Dieu et guide-nous
Ca veer faze-los errados que perder foran per pecados entender de que mui culpados son; mais per ti son perdõados da ousadia que lles fazia fazer folia mais que non deveria.
Santa Maria…
Car tu fais voir aux égarés Qui se sont perdus par leur péchés Et comprendre qu’ils sont très coupables, Mais par toi, ils sont pardonnés De l’audace Qui leur faisait Commettre des folies Qu’ils ne devaient pas.
Sainte-Marie…
Amostrar-nos deves carreira por gãar en toda maneira a sen par luz e verdadeira que tu dar-nos podes senlleira; ca Deus a ti a outorgaria e a querria por ti dar e daria.
Santa Maria…
Tu dois nous montrer la voie Pour gagner, en toute chose, La lumière véritable et sans égale Que tu es seule à pouvoir nous désigner Car Dieu; à toi seule L’a accordé Et il a voulu te la donner pour toi et pour que tu la donnes.
Sainte-Marie…
Guiar ben nos pod’ o teu siso mais ca ren pera Parayso u Deus ten senpre goy’ e riso pora quen en el creer quiso; e prazer-m-ia se te prazia que foss’ a mia alm’ en tal compannia.
Santa Maria…
Ton jugement peut nous guider parfaitement plus que tout, vers le paradis, où dieu a toujours joie et sourires pour celui qui a voulu croire en lui; Et il me plairait, S’il te plait à toi, Que mon âme se tienne En telle compagnie.
Sujet : poésie médiévale, chanson médiévale, sirvantois, servantois, sirventès, poésie satirique, trouvère, vieux-français, langue d’oïl, Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Titre: Li nouviaus tens que je voi repairier Auteur : Jacques (Jaque) de Cysoing (vers 1250)
Bonjour à tous,
uite au portrait que nous avions fait de Jacques de Cysoing et de son legs (voir article), nous vous proposons, aujourd’hui, de découvrir l’une de ses rares poésies satiriques. Ce trouvère du XIIIe siècle ayant, en effet, chanté principalement l’amour courtois, ce serventois, calqué sur le modèle des Sirventès provençaux, fait donc exception à la règle.
Datations, sources anciennes et manuscrits
Au vu de son contenu, cette chanson a été écrite un peu après la Bataille du Caire (1249-1250) qui, durant la 7e croisade, assista à la défaite des armées de Louis IX. Comme nous l’avions déjà mentionné, ce repère donné par le trouvère, permet encore de supposer raisonnablement que le comte de Flandres auquel il adresse ici est certainement Guy de Dampierre, contemporain lui aussi de l’événement.
On peut trouver cette chanson dans le très précieux Chansonnier du Roy (MS Français 844) (photo ci-dessus), dans lequel elle est incomplète, mais aussi dans le Manuscrit du Vatican 1490 (début du XIVe). Connu encore sous le nom de Chansonnier français A, ce dernier manuscrit a également copié par JB de La Curne de Sainte-Palaye, dans le courant du XVIIIe siècle, pour donner lieu au Manuscrit 3101 de la Bibliothèque de l’Arsenal (Anciennes chansons françoises avant 1300).
Quand les pingres Seigneurs
ne savaient s’entourer
Jacques de Cysoing nous conte ici les misères politiques de son temps sous l’angle des cours et des nobles. Il y critique le manque de largesse, tout autant que la cupidité des seigneurs et barons. Selon le trouvère, ces derniers n’ont d’oreilles que pour les chevaliers de peu de valeur et les moins dignes de confiance ; l’ombre des mauvais conseillers et des alliances passées pour de mauvaises raisons planent ainsi sur l’ensemble de cette chanson satirique. C’est même pour lui une des raisons de l’issue défavorable de la Bataille du Caire. C’est un hypothèse mais entre ses lignes, on peut se demander s’il n’exprime pas également quelques difficultés personnelles à trouver un Seigneur qui le prenne à son service.
Ajoutons enfin que dans sa dernière strophe, il prend soin d’abstraire de sa diatribe, le comte de Flandres, en signifiant bien à ce dernier qu’il n’est pas visé par ses vers.
NB : dans un premier temps et pour varier un peu l’exercice, nous avons fait le choix, ici, de l’annotation et des clefs de vocabulaire du vieux-français vers le français moderne, plutôt que de l’adaptation littérale.
Li nouveaus tans que je voi repairier
Li nouviaus tans que je voi repairier* (revenir) M’eust douné voloir de cançon faire, Mais jou voi si tout le mont enpirier Qu’a chascun doit anuier* (chagriner) et desplaire; Car courtois cuer joli et deboinaire Ne veut nus ber* (baron) a li servir huchier* (mander), Par les mauvais ki des bons n’ont mestier* (n’ont d’utilité) ; Car a son per*(semblable, égal) chascun oisiaus s’aaire* (faire son nid).
Nus n’est sages, se il ne set plaidier Ou s’il ne set barons le lor fortraire (leur soustraire leurs biens). Celui tienent li fol bon conseillier Qui son segneur dist ce qui li puet plaire Las! au besoing nes priseroit on gaire. Mais preudome ne doit nus blastengier* (blâmer, calomnier). Non fais je, voir!* (vrai!) ja mot soner n’en quier, Ne de mauvais ne puet nus bien retraire* (en dire, en raconter).
Une merveille oï dire l’autrier Dont tuit li preu doivent crier et braire, Que no jöene baron font espiier les chevaliers mainz coustans* (honéreux), maiz qu’il paire* (être égal, semblable, s’associer): Teus les vuelent a lor service atraire. Maiz ce lor font li malvaiz fauconnier Qui si durs ges lor metent au loirrier* (dressé au leurre) Qu’il lor en font ongles es piés retraire.
Il n’i a roi ne prince si gruier* (expert), S’il veut parler d’aucun bien grant afaire Ançoiz n’en croie un vilain pautonier* (scélérat), Por tant qu’il ait tresor en son aumaire* (coffre), Que le meillor qu’il soit trusqu’a Cesaire* (Césarée), Tant la sache preu et bon chevalier. Mais en la fin s’en set Deus bien vengier: Encor parut l’autre foiz au Cahaire*(la bataille du Caire).
Princes avers* (avares) ne se puet avancier, Car bien doners toute valor esclaire. Ne lor valt rienz samblanz de tornoier* (de tournoi), S’il n’a en eus de largece essamplaire*(le modèle de la libéralité). Mais qant amors en loial cuer repaire* (habite), Tel l’atire qu’il n’i a qu’enseignier* (qui ait toutes les qualités). Por ce la fait bon servir sanz trichier, Car on puet de toz biens a chief traire.
Quens* (Comte) de Flandres, por qu’il vos doive plaire, Mon serventois vueill a vous envoier, Maiz n’en tenez nul mot en reprovier* (reproche), Car vos feriez a vostre honor contraire.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
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