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Une ballade « fleurie » de Jean Froissart et un court portrait du poète, historien, chroniqueur du moyen-âge

histoire_poesie_medievale_jean_froissart_chroniqueur_du_moyen-age_centralSujet : histoire médiévale, troubadour, poète, historien, chroniqueur du moyen-âge, poésie médiévale,
Période : XIVe siècle, moyen-âge central
Auteur : Jean Froissart (1337-1410)
Titre : Ballade
(Ci contre portrait de Jean Froissart, anonyme, XIXe siècle, © National Portrait Gallery, Londres)

Bonjour à tous,

Aujourd’hui, nous dédions un premier article à Jean Froissart, Chroniqueur, écrivain et poète du XIVe, reconnu comme comptant parmi les premiers historiens médiévaux par nombre de nos  contemporains.

Eléments de Biographie

N_lettrine_moyen_age_passioné à Valenciennes et ayant reçu une éducation de clerc qui le destinait à l’Eglise, Jean Froissart ne s’y incline pourtant pas et lui préfère, très tôt, le monde de l’Art, de la musique et de la poésie, autant que celui de la chevalerie. De fait, il commence, âgé à peine de vingt ans, à rédiger l’histoire des guerres de son siècle, et notamment bien sûr la guerre de cent ans, à la demande de son protecteur d’alors Robert de Namur, un noble proche du roi Edouard III d’Angleterre. C’est ce dernier qui amènera Froissart en Angleterre et l’introduira à la cour en lui présentant notamment la reine Philippe, épouse d’Edouard III. Il y reviendra plus tard, quand inconsolable et n’ayant pu séduire la dame de son coeur qui, non contente de s’être mariée, n’avait de cesse de se refuser à lui. (Vous voyez où ça mène l’amour reine_philippe_angleterre_jean_froissart_historien_troubadour_chroniqueur_poete_medievalcourtois? Je plaisante, pardon, restons concentré). Quoiqu’il en soit, la reine Philippe le prendra longtemps sous son aile et grâce à elle, il pourra approcher nombre de nobles et les interroger pour continuer son entreprise d’historien et de témoin de son temps.

Curieux de tout et aimant les voyages, l’âme d’un troubadour tout autant que celle d’un chevalier (même si l’on est pas certain qu’il fut véritablement adoubé), Jean Froissart voyagera dans de nombreux pays d’Europe, pour satisfaire son insatiable appétit de découvertes; Angleterre, Pays de Galles, Pays Bas, Ecosse, Espagne, Italie, etc. Avec méthode, il interrogera ses différents protecteurs et les chevaliers qu’il croisera au hasard de sa grande destinée afin de parfaire l’oeuvre de sa vie: ses chroniques historiques.  Vers la fin de son existence, il sera aussi ordonné prêtre, rattrapant en quelque sorte, la voie qu’on avait voulu lui faire suivre.

Jean Froissart, gravure du XIXe siècle,colorisée moyenagepassion;com
Jean Froissart, gravure du XIXe siècle,colorisée moyenagepassion;com

« Les Croniques de France, d’Engleterre et des païs voisins »

« Partout où je venais, je faisais enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avaient été dans les faits d’armes, et qui proprement en savaient parler ; et aussi aux anciens hérauts d’armes, pour vérifier et justifier les matières. Ainsi ai-je rassemblé la noble et haute histoire, et tant que je vivrai par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car plus j’y suis et plus y labeur, plus me plaît. »
Jean Froissart, Citation, Extrait. 

E_lettrine_moyen_age_passionn plus d’être considéré comme un des chroniqueurs de référence du quatorzième siècle dont il est contemporain, on doit encore à Jean Froissart des pièces lyriques, mais aussi un certain nombre d’écrits ou de poèmes qui s’inscrivent dans l’amour courtois, et également un roman « Meliador » qui se déroule dans le monde des légendes Arthuriennes qui semble loin de faire l’unanimité au niveau littéraire dans le genre et qui n’a connu qu’un petit succès.

En dehors de ses productions littéraires, et même si on y a, longtemps, peu prêté d’attention, l’Histoire retiendra bien plus ses Croniques de France, d’Engleterre et des païs voisins, fortement inspirées d’une chronique du chanoine liégeois Jean le Bel mais qu’il aura eu à coeur de compléter et d’étoffer de sa plume talentueuse, autant que du large travail de terrain qu’il aura pu effectuer tout au long de sa vie. Froissart n’est pas le premier, bien sûr, à s’essayer au genre des chroniques historiques et elles sont assez prisées des rois et des nobles durant cette partie du moyen-âge central. On les illustre et on les enlumine, en général, et elles servent tout autant à histoire_medieval_crecy_jean_froissard_chroniqueur_poete_ecrivain_moyen-age_centralapprendre l’histoire qu’à s’y retrouver soi-même sous un jour avantageux. De fait, les chroniques de Jean Froissart ont donné lieu à un nombre impressionnant de manuscrits illustrés. (Ci-contre, Manuscrit 2643, Chroniques de Jean Froissart, BnF, XVe, Bruges)

Concernant cet ouvrage, haut en faits et en couleurs, on se doit encore ajouter que, comme pour bien des chroniques de cette période, il ne faut pas nécessairement y rechercher l’objectivité. Cela a-t’il vraiment changé de nos jours pour ce même genre, peut-être finalement plus proche d’un certain journalisme que de l’Histoire? Rien n’est moins certain. Dés l’instant où quelqu’un paye, il finit bien toujours par en demander pour son argent.

Quoiqu’il en soit, concernant les chroniques de Froissart, les dates n’ont pas la précision qu’un Historien moderne exigerait, les faits relatés ne le sont pas toujours à l’aide d’une méthodologie sans faille, les témoignages ne sont pas systématiquement recoupés, etc.., et Froissart n’échappe pas non plus à sa propre condition qui l’incline quelquefois à encenser ses protecteurs ou la chevalerie, au détriment du reste. Ce n’est, donc, bien entendu, qu’en les recoupant avec d’autres documents d’époque que l’on peut faire le tri des talents littéraires de Froissart et de ses propres implications, avec la justesse de ses vues sur les faits qu’il décrit. Il reste que son legs demeure une référence et, son approche opiniâtre pour témoigner de son époque autant que ses efforts pour la relater au plus près, lui ont gagné, pour beaucoup, une place de choix parmi les premiers historiens du monde médiéval. Ses chroniques restent aussi une oeuvre de référence majeure sur la guerre de cent ans.

Pour ce premier article le concernant, nous prenons un peu le contre-pied de l’habituel et plutôt qu’un extrait de ses chroniques, nous vous présentons, ici, une de ses ballades, ma foi, assez légère et très fleurie.

Ballade de Jean Froissart

SUS toutes flours tient on la rose à belle,
Et, en après, je croi, la violette.
La flour de lys est belle, et la perselle;
La flour de glay est plaisans et parfette;
Et li pluisour aiment moult l’anquelie;
Le pyonier, le muget, la soussie,
Cascune flour a par li sa merite.
Mès je vous di, tant que pour ma partie:
Sus toutes flours j’aimme la Margherite.

Car en tous temps, plueve, gresille ou gelle,
Soit la saisons ou fresce, ou laide, ou nette,
Ceste flour est gracieuse et nouvelle,
Douce et plaisans, blancete et vermillette;
Close est à point, ouverte et espanie;
Jà n’i sera morte ne apalie. 
Toute bonté est dedens li escripte,
Et pour un tant, quant bien g’i estudie:
Sus toutes flours j’aimme la Margherite.

Mès trop grant duel me croist et renouvelle
Quant me souvient de la douce flourette;
Car enclose est dedens une tourelle,
S’a une haie au devant de li fette,
Qui nuit et jour m’empeche et contrarie;
Mès s’Amours voelt estre de mon aye
Jà pour creniel, pour tour ne pour garite
Je ne lairai qu’à occoision ne die:
Sus toutes flours j’aimme la Margherite.

Une belle journée à tous et longue Vie!

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes« 

Une citation faussement attribuée à Roger Bacon et un mot d’Alchimie

« Maintenant nous allons travailler à rendre pure et parfaite la matière imparfaite »
Petit Traité d’Alchimie,  intitulé « Miroir de l’Alchimie ».
Citation médiévale prêtée au « Doctor Mirabilis » Roger Bacon, savant, philosophe et alchimiste du XIIIe siècle, (1214-1292) mais qui à l’évidence ne lui appartient pas.

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Gravure Portrait du savant, médécin, alchimiste et astronome Roger Bacon, XVe siècle (recolorisé et retraité par nos soins)

Quand les auteurs se changent en corpus

N_lettrine_moyen_age_passionous avons déjà évoqué, ici, dans un article, du phénomène qui s’est souvent produit consistant à attribuer à un auteur ancien tout un ensemble de textes qui ne lui appartenait, en définitive, pas du tout. (voir article sur les Goliards et l’Archipoète). Outre les possibles erreurs d’archivage qui peuvent expliquer cela, il faut y voir encore les erreurs des lecteurs de textes non signés, convaincus de bonne foi de leur paternité quand les ouvrages ou les productions ne sont pas eux-même signés faussement de la main des auteurs originaux. L’affaire n’est donc pas simple mais de fait, les auteurs célèbres du monde médiéval, savants, poètes comme alchimistes (Albert le Grand, Arnaud de Villeneuve, etc, …), ont eu souvent tendance à se voir changer, malgré eux, en « corpus ».

Concernant cette citation que nous vous livrons ici et le fait qu’elle aurait été écrite par Roger Bacon, les mêmes flottements ont existé même si l’hypothèse semble en être, aujourd’hui, définitivement écartée. L’ouvrage, pas d’avantage que la citation présente en tête de cet article, ne sont de lui. Cette dernière est, en revanche, réellement tirée de l’ouvrage que l’on appelle le Miroir de l’Alchimie (Speculum alchimiae) qui aurait été écrit, en réalité, au XVe siècle et ne peut donc être contemporain du vrai Roger Bacon décédé, quant à lui, près de 300 ans avant, sauf à croire qu’il ait, en secret, découvert la pierre philosophale et l’immortalité. Mais ce sont des légendes qui courent pour l’instant plus sur Nicolas Flamel que sur le célèbre « Doctor admirable » du XIIIe siècle.

Alchimie & mystique de la transformation

Quoiqu’il en soit, cette citation résume, en une ligne, l’objet autant ambitieux que fascinant de l’Alchimie. Pour en avoir une vision plus juste et plus complète de cette science médiévale,  il faudrait encore ajouter que la perfection recherchée était, bien sûr, une perfection divine. Je dis que cet objet est fascinant parce que, même si l’Alchimie a souvent pris, sous des odeurs de souffre, les dehors de la recherche obscure et quelquefois obsessionnelle de l’or ou de l’immortalité, et même si elle a été, il est vrai, noyauté par une ribambelle d’imposteurs  qui lui ont fait du tord, dans sa Maestria, son ambition réelle était bien plus profonde et spirituelle. A la faveur des incompréhensions qu’elle a suscité, il faut encore ajouter l’hermétisme de son langage autant que de ses alchimie_monde_medieval_alambic_roger_bacon_alchimisteprocessus de transmission comme autant de facteurs aggravants pour la faire méjuger. Science et discipline ancienne incomprise ne faisant, dans sa forme, pas l’effort de se mettre à portée du commun et même, tout au contraire, cultivant l’hermétisme, l’Alchimie était, d’abord et avant tout une mystique de la transformation, une quête du divin et du sacré jusque dans le coeur de la matière. A travers ses actes de transmutation et ses opérations tant symboliques que matérielles, c’était la quête d’un chercheur solitaire,  en recherche pour devenir un agent du divin, pour se bonifier, se purifier et finalement transcender sa propre nature dans une quête initiatique dont on disait qu’une vie entière ne suffisait souvent pas à l’épuiser ou à l’atteindre. Y-a-t’il quête plus fascinante ou plus merveilleuse que celle d’un homme qui cherche à dépasser les imperfections de sa propre nature pour s’élever? Le débat est, bien sûr,  ouvert pour qui pense que l’univers manque de sacré ou pour qui , au contraire, soutient que nous lui en prêtons encore trop.

Une chose demeure certaine, que le but soit ou non atteint et que l’on tende l’oreille aux mystérieuses légendes de ses grands ayant trouvé la pierre philosophale, devenu riche et peut-être immortel comme on le dit d’Hermès Trismégiste (encore un corpus!) à Nicolas Flamel, cette science médiévale aura favorisé de nombreuses découvertes qui sont venues, au fil des manipulations de la matière, comme les conséquences accessoires ou les accidents d’une recherche bien plus vaste et ambitieuse : découverte de quantité de solutions acides, citrique, sulfurique, chlorhydrique, acétique, …, et encore, gaz carbonique, potasse, phosphore, eau de vie, sans parler des applications cosmétiques et médicinales, etc, La liste est longue. 

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Une définition parmi d’autres du mot Alchimie, dictionnaire des inventions et découvertes, XIXe siècle.

L’alchimie, ancêtre de la Chimie ?

« L’alchimie, aussi bien que l’astrologie et la magie, doit être considérée comme une science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s’est développée. Il faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à nos systèmes. »
René Alleau, historien des sciences, (voir article ici sur universalis)


L’Alchimie était-elle « simplement » l’ancêtre de la chimie ? Peut-on simplement la réduire à cela ? C’est ue définition commode et souvent entendue. Je ne le crois pas. Factuellement, elle a, certes, donné naissance à la chimie mais les sciences modernes sont nées dans une rupture matérialiste et rationaliste d’avec leurs aïeules. L’Alchimie n’est pas simplement la Chimie, une fois Dieu « ôté » ou quelques croyances soustraites. Bien sûr, à l’évidence, cette science médiévale, pour peu qu’on veuille avec René Alleau, encore lui prêter ce caractère de science,
date d’un temps où l’objet de la science n’était pas dissocié de la recherche du divin et où, dans les mystères de l’univers, c’est toujours, au bout du compte, le divin que l’on cherchait, que l’on voyait à l’oeuvre et que l’on finissait, invariablement, par trouver, dedans les découvertes comme  face aux mystères. Mais quand je dis que la Chimie n’est pas simplement « l’Alchimie moins Dieu », en dehors de la complexité des opérations auxquelles elle se livrait et de l’intentionnalité qui les sous-tendait et qui en font bien plus qu’une Chimie balbutiante, il demeure aussi évident que la pratique de la science moderne n’a pas évacué, tout à fait, certains  questionnements chez l’ensemble de ses chercheurs.

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Gravure de Michael Maier, médecine et alchimiste allemand, XVIIIe siècle,

Il aura fallu sans doute quelques siècles pour que la jeune science matérialiste et rationaliste, né d’un « schisme » et ayant commencé à faire le deuil de ses vieilles luttes au corps à corps avec les institutions religieuses, s’ouvre à nouveau et admette que la question du divin n’est toujours pas tranchée de manière irrévocable par son exercice. Cette question continue d’appartenir, au fond, à chacun de ses chercheurs et depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les sciences de la nature ne peuvent plus tout à fait se contenter de l’hégémonie du seul matérialisme. Albert Einstein, repensant la matière dans l’espace quantique et les mystères de la lumière et du temps, nous parlait de Divin, mais il n’est pas le seul de tout ceux qui cherchent à prêter à la marche de l’univers quelques mystères ou quelques lois à l’oeuvre, qui relève d’autre chose que de
la simple mécanique hasardeuse. De la même façon, une certaine biologie née récemment tente de repenser les lois de la vie en alchimiste_science_monde_medieval_moyen-age_roger_bacons’affranchissant de la physique matérialiste des origines.

(ci-contre gravure du XIXe, (colorisée par nos soins) qui représente le Faust de Goethe créant un  Homunculus)

Au fond, on pourrait dire que Dieu reste dans la chimie, s’il est dans le chercheur, à quoi un croyant me répondrait sans nul doute: « Mon jeune ami, que le chercheur y prête foi ou non , Dieu est dans chaque chose et n’attend pas que l’homme croit en lui pour être », mais ceci est un autre débat.  En tout cas, pour toutes ces raisons, on ne peut plus simplement réduire à la fois la Chimie et l’Alchimie à des définitions matérialistes et rationalistes: la chimie n’est pas l’Alchimie moins Dieu, pas d’avantage que la vieille science médiévale n’est simplement la Chimie enrobée d’une couche de foi.

Pour en revenir à cette citation du Miroir de l’Alchimie et concernant le grand Roger Bacon, il a également comme de nombreux savants et érudits du monde médiéval pratiqué l’Alchimie. On ne prête toujours qu’aux riches.

En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com

« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publilius Syrus   Ier s. av. J.-C

La lettre de Kubilai Khan à Saint Louis ou méfions-nous des citations!

kubalai_khan_roi_tartare_lettre_roi_saint_louis_moyen-age_passion«C’est une bonne chose que la paix ; car en terre de paix ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paisiblement ; et ceux qui vont à deux, labourent la terre [dont les biens viennent] paisiblement.»
Kubilai Khan (1215-1294), roi des Tartares, Grand Khan des Mongols, Lettre à Louis IX (vers 1260)

Attention citation médiévale piégée!

Bonjour à tous!

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà encore un petit article léger pour se détendre et appeler au sens critique; une autre façon de dire, finalement, méfions-nous des citations et de l’information toute mâchée.

Il y a quelque temps, au hasard de mes errances sur le web, je trouvais, en effet, cette citation que je reprends volontairement, en tête d’article. Je me disais: quel beau témoignage de paix fait par ce roi tartare et mongol, petit-fils de Ghengis Khan, dans cette missive à Saint Louis, en plein coeur du moyen-âge. La phrase était tirée de l’ouvrage « Œuvre de Jean, sire de Joinville » de 1867 de Natalis dejehan_de_joinville_chroniqueur_poete_ecrivain_historien_moyen-age_passion Wailly, traduction de textes du XIIIe siècle du célèbre chroniqueur, historien, poète, écrivain et Sénéchal de Champagne, Jehan de Joinville (1225-1317). Le journaliste ou l’historien qui la mentionnait ajoutait: « Les deux rois s’entendent pour manifester le même amour de la paix. Et c’est chose rare, à l’époque. » Bref, tout cela valait bien une recherche un peu plus poussée, en vue, peut-être, d’un article. (peinture ci-contre, Jehan de Joinville par  Blondel  Merry Joseph, XIXe siècle, salle des croisades, château de Versailles).

Insatiable curieux de nature, je décidais, avant toute chose, d’en savoir un peu plus et me mettais donc en quête d’information sur la question. Qui était ce roi mongol si pacifique? Quelle était donc cette lettre? La lecture de Joinville pouvait certainement m’en apprendre plus. Je finis ainsi par trouver le texte original de l’ouvrage cité et, pour être honnête, à l’heure où j’écris ces lignes, je suis encore en train d’en rire.

En effet, en fait de missive de paix, la belle citation de Kubilai Khan ressemble plutôt à une belle introduction avant racket, façon Soprano ou Corleone. Je vous laisse en juger par vous-même en découvrant ce que nous apprend la lecture complète de cette missive du roi tartare (mongol) au roi de France, Saint Louis, en réponse aux présents et messages que ce dernier lui avaient adressés. L’ombre du Attila de Kaamelott n’est pas très loin.

Traduction de Jean de Joinville par Natalis de Wailly (1867)

natalis_de_Wailly_jean_de_joinville_historien_medieval_moyen-age_passion« Avec les meffagers vinrent les leurs; & ils apportèrent au roi de France des lettres de leur grand roi* (*le roi tartare donc) qui étaient ainfi conçues : « 
C’eft une bonne chofe que la paix ; car en terre de paix, ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paifiblement; et ceux qui vont à deux labourent la terre (dont les biens viennent) paifiblement. Et nous te mandons cette chofe pour t’avertir : car tu ne peux avoir la paix fi tu ne l’as avec nous. Ca prêtre Jean fe leva contre nous, & tel roi & tel (& ils en nommaient beaucoup), & tous nous les avons paffés au fil de l’épée. Ainsi, nous te mandons que chaque année tu nous envoies affez de ton or & de ton argent pour que tu nous retiennes comme ami. & fi tu ne le fais, nous te détruirons toi & tes gens, ainfi que nous avons fait de ceux que nous avons ci-devant nommé. »
Et fachez que le faint roi fe repentirt fort d’y avoir envoyé. »

Source historique de la lettre de Saint Louis

jean_joinville_chronique_lettres_roi_saint_louis_kubilai_khan_moyen-age_passion

L’original de Jean de Joinville pour le plaisir de la langue

jehan_de_joinville_chroniqueur_poete_ecrivain_historien_medievale« Avec les meffages, le roy vindrent li leur & aportèrent lettres de leur grant roy* (*le roi tartare donc) au roy de France qui difoient ainfi : « Bonne chofe eft de pez, quar en terre de pez manguent cil vont à quatre piez, l’erbe pefiblement. Cil qui vont à deus labourent la terre dont les biens viennent paifiblement. Et cefte chofe te mandons-nous pour toy avifer; car tu ne peus avoir pez fe tu ne l’as à nous. Car preftre Jehan fe leva encontre nous, & tel roy & tel (& moult en nommoient), & tous les avons mis à l’efpée. Si te mandons que tu nous envoies tant de ton or et de ton argent chafcun an, que tu nous retieignes à amis. & fe tu ne le fais, nous deftruirons toy & ta gens auffi comme nous avons fait ceulz que nous avons devant nommez. » Et fachiez qu’il fe repenti fort quand yl y envoia. »

Toute la Vérité Historique en Images

Du coup, rétablir l’Histoire véritable de la lettre du grand roi tartare Kubilai Khan à Saint Louis valait bien une illustration et nous nous en sommes fendus sans plus attendre.

moyen-age_passion_histoire_medievale_lettres_saint_louis_de_joinville_kubilai_khanCliquez sur l’image pour l’ouvrir

Aller du coeur des textes vers les citations

En quelques lignes pour conclure, il semble bien que le monde lise de moins en moins et cite de plus en plus. De mon côté, je me méfie toujours des citations, même si je m’y adonne, parce qu’on peut faire dire tout et n’importe quoi, à n’importe qui, quand on saucissonne un texte.

En général, en sciences humaines, qu’il s’agisse d’Histoire, d’Anthropologie ou de Sociologie, comme on devrait le faire aussi en journalisme, on lit d’abord l’ouvrage entier avant de lui faire référence et, quand on le cite, on extrait des passages significatifs de la pensée de l’auteur et qui abondent dans son sens. Il y a, bien sûr, toujours des historiens porteurs d’idéologies fortes qui vous feraient entrer n’importe quel auteur dans n’importe quel concept à coup de copier-coller douteux, mais c’est un procédé réputé malhonnête et qui ne tient jamais la distance. Je parle donc ici du chercheur honnête ou même de l’amateur éclairé qui conduit sa recherche de la vérité avec une certaine honnêteté.

Dans le cas présent et pour la source que nous aurons l’élégance de ne pas citer, je pense qu’il s’agissait surement plus d’une petite négligence à creuser, mais il faut avouer que le commentaire n’en est que plus désopilant, une fois qu’on connait l’ensemble de cette lettre à Saint Louis. A l’ère d’une certaine superficialité, on trouve aussi dans le genre, de nombreux repiquages faciles de contenus non vérifiés sur le web par des webmasters en mal de contenus ou d’imagination et qui ne cherchent que l’audience. Dans un autre registre, enfin, depuis que les réseaux sociaux existent, on n’a jamais autant prêté à des personnages célèbres comme Albert Einstein ou Bouddha des tas de choses qu’ils n’ont, en réalité, jamais dites ou écrites. 

D’une certaine manière, tombé, par hasard, sur cette citation, il y a quelques temps, aura été une illustration éclatante de ce propos. Il n’y a pas à en douter, c’est toujours un saint réflexe que d’aller chercher l’information au coeur des textes avant d’en utiliser des parties extraites sans les connaître.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com

A la découverte du moyen-âge et du monde médiéval sous toutes ses formes, et toujours avec passion.

Vérités historiques et conduite de l’Histoire

humilite_citation_medievale_saint_augustin_moyen_age_passion«L’humilité est le fondement de toutes les autres vertus. Ainsi, dans l’âme dans laquelle il n’existe pas cette vertu, il ne peut y avoir d’autres vertus que la simple apparence. »

Saint Augustin d’Hippone, (an 354-430), Théologien, philosophe, mystique chrétien (enluminure ci-contre Saint Augustin, livre de prière de Clément VII, XIVe siècle, Avignon)

Bonjour à tous!

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons aujourd’hui un petit article sur l’Histoire en tant que science et sur les réserves à garder en tête quand nous parlons de « vérités historiques ». Il n’est, bien sûr, pas question de nier l’état des recherches actuelles, ni de faire table rase de nos visions sur le monde médiéval mais juste d’apporter un petit « bémol » de principe sur ce sujet. Ce sont des choses importantes à garder en tête quand nous parlons de Science en général, et, dans notre cas, d’Histoire médiévale et quand nous tentons d’avoir une vision claire du moyen-âge.

histoire_monde_medievale_epistemologie_moyen-age_passionIl est question donc, ici, de s’interroger sur la manière dont l’Histoire est conduite et se construit comme discipline scientifique, et en deux mots d’effleurer ce que l’on appelle « l’épistémologie ». C’est un mot qui fait un peu peur pour qui ne l’a jamais entendu et qui se destine souvent plus aux chercheurs et aux philosophes qu’aux profanes mais, encore une fois, comme nous parlons beaucoup d’Histoire médiévale sur ce site, il paraît intéressant d’y réserver une petite place pour ce genre de réflexions. Au fond, un peu de distance ne fait jamais de mal pour qui se passionne d’Histoire et de moyen-âge, autant que pour le chercheur qui s’interroge sur sa manière de chercher et qui aspire à la découverte d’une certaine « vérité ».

Aussi agréable que puisse être le refuge des certitudes, je vous propose donc, aujourd’hui, de céder un peu à l’inconfort qu’il y a à penser la complexité; et le fait est que l’Histoire des hommes, de leurs sociétés et des facteurs qui les influencent est un sujet d’étude particulièrement complexe, au présent comme au passé.

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L’Histoire, une science de la reconstruction

A_lettrine_moyen_age_passion l’image de la paléontologie ou de la science préhistorique,  l’Histoire est autant une science de la reconstruction, qu’une science en construction. A tout le moins, c’est ainsi qu’elle devrait être conduite. C’est le lot d’ailleurs de toutes les sciences et la tentation d’arrogance des premiers siècles de ces disciplines, au fond extrêmement jeunes dans l’histoire de l’humanité, doit désormais laisser la place à une saine humilité avec leur arrivée dans l’âge de leur puberté, à défaut d’être encore celui de leur maturité. En d’autres termes, si le physicien quantique face à une particule l’a déjà compris et sait, aujourd’hui, replacer ses recherches, au sein d’un grand mystère qu’il lui faut tenter de percer – en comprenant bien à quel point sa neutralité d’observateur et la limite de ses propres perceptions peuvent être problématiques pour appréhender la complexité à laquelle il fait face- ,  le même devoir s’applique, a fortiori, à l’historien ou au chercheur en sciencesmoyen-age_passion_histoire_monde_medieval humaines face à la complexité des phénomènes qu’il a la prétention d’approcher ou de décrypter.

Concernant la période du moyen-âge, l’historien a, certes, plus de documents et d’éléments à se mettre sous la dent que quelques squelettes d’hominidés ou de bipèdes pris dans l’argile, mais l’exercice reste le même. Par ailleurs, même si les sources demeurent plus nombreuses qu’en paléontologie, les moines et l’église ayant notamment consigné de nombreuses choses par écrit, il reste  tout de même frappant de voir combien le temps a pu emporter de traces dans son cours impétueux. Entre les pointillés de ses découvertes archéologiques, entre les pierres des châteaux ou des églises, entre les sépultures, les documents ou les parchemins retrouvés, l’Histoire doit pourtant bien s’écrire avec les éléments qu’elle a en sa possession et c’est avec les sources fiables et datées en présence qu’il lui faut tenter de moyen-age_passion_histoire_medievale_archeologieretracer des lignes continues entre les faits et les points connus pour refabriquer du sens et tenter de mettre à jour un vision « juste » du monde médiéval. Se faisant, elle doit, bien sûr, rester consciente du fait qu’il lui faut éviter de rechercher, à tout crin, des raccourcis faciles. L’historien sait bien, en effet, que la réalité s’inscrit toujours dans les nuances et que les vérités tranchées sont rares. L’Histoire quelquefois se répète ou, à tout le moins, balbutie et il a aussi appris d’expérience que les visions « simplistes » des premiers découvreurs doivent être souvent revisitées à la lumière d’une complexité qui grandit au fil des nouvelles découvertes.

A_lettrine_moyen_age_passiontoutes ces difficultés, s’ajoute encore le fait que l’affaire se complexifie au fil des avancées des autres sciences qui, inévitablement, viennent mettre leur grain de sel dans l’Histoire et l’oblige à se revisiter : climatologie, datation, analyse ADN et biologie, etc… La reconstruction devient alors multiforme et complexe et il peut s’avérer bien difficile de pondérer les effets des sciences connexes sur cette réalité « passée » que l’on a la prétention d’observer ou de reconstruire. Quel est l’incidence d’un micro-réchauffement climatique de deux degrés sur l’expansion économique d’une période particulière du moyen-âge? Si la question n’était pas encore trop générique, nous serions presque déjà en plein sujet de thèse!

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Histoire du moyen-âge et vérités historiques sur le monde médiéval (Gravure : Sébastien Mamerot, XVe siècle Paris, BNF)

E_lettrine_moyen_age_passiont comme l’Histoire est une science humaine conduite par les hommes à travers des institutions et des académies, dans ce difficile exercice d’hypothèse, de projection et de reconstruction qui lui échoie, il lui faut encore résister à ses propres corporatismes et aux préjugés qu’elle se forge et auxquels parfois elle s’attache. Passer ce genre de cap lui prend quelquefois du temps et il n’est pas rare que dans le débattement, les nouvelles découvertes soient rangées dans les exceptions ou dans les confirmations suivant qu’elles viennent infirmer ou confirmer la vision que l’on s’est déjà faite ou la construction que l’on a échafaudémonde_medieval_fan_moyen_age_passion_histoire d’un certain moment N de l’Histoire. Au fond, dans toutes ces réflexions. Michel Foucault n’est jamais bien loin, avec son archéologie du savoir.

Mais alors, au vue de tout cela, que reste-t’il à découvrir de l’Histoire du moyen-âge pour l’éclairer ou la ré-éclairer d’un jour nouveau? Bien sûr, il est difficile de le savoir mais plus on avance dans les investigations, plus nous affinons notre conception du passé (même si cela reste encore dans les limites et à la lumière de nos idéologies actuelles), et plus il semble qu’il faille nous défier des reconstructions faciles et des vérités à l’emporte-pièce. Au final, il ne nous reste qu’une certitude; ce que l’on tient pour vérité historique est toujours posé sur un socle susceptible de se mouvoir avec le temps. C’est donc toujours dans la perspective de ces possibles remises en cause et dans une nécessaire ouverture d’esprit que se tient aussi la passion pour l’Histoire et pour son incontournable alliée de terrain, l’archéologie.

Humilité et distance, c’est là que se tient la vérité historique, sage et placide, mais toujours consciente de la complexité de l’objet de ses recherches.

Un très belle journée à tous!

Frédéric EFFE
pour moyenagepassion.com

« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C