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Comment qu’à moy lonteinne, un virelai d’amour courtois de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson ancienne, médiévale, virelai, amour courtois.
Titre : Comment qu’à moy lonteinne
Auteur Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Album : Mon Chant Vous Envoy (2013)
Interpréte  :  Marc Mauillon   Direction : Pierre Hamon. Label : Eloquentia

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un retour vers le Moyen Âge tardif et le XIVe siècle avec le grand maître de musique Guillaume de Machaut. La pièce est un virelai profane, tout entier dédié à l’amour courtois puisqu’il y est question d’un éloignement qui n’ôte pas pour autant de l’esprit ni du coeur du compositeur sa dame, auquel il dédie ses vers.

Manuscrit Français 1584

On peut retrouver cette pièce musicale notamment dans le Manuscrit ancien référencé  MS fr. 1584 de la BnF ou Français 1584 et ayant pour titre:  Guillaume de Machaut, Poésies. C’est un des rares manuscrits du XIVe siècle autour du compositeur médiéval qui n’ait pas été entièrement réalisé dans un atelier parisien, mais vraisemblablement autour de Reims, ville où Machaut a fini ses jours. 

Dans l’ouvrage, la chanson Comment qu’à moy lonteinne fait suite à la chanson bien connue : « Douce Dame Jolie »  dont nous avons parlé ici (photo  du feuillet en question ci dessus).

Interprètes et album

Cette chanson est tirée de l’album  Mon Chant Vous Envoy sorti en 2013 sous le label Eloquentia.  Sous la direction de Pierre Hamon, les compositions y sont interprétées vocalement par Marc Mauillon. Comme nous l’avions déjà mentionné par ailleurs, le chanteur lyrique a une prédilection toute particulière pour le répertoire médiéval de Guillaume de Machaut. Il est accompagné ici, entre autres artistes, par sa musique_medievale_guillaume_machaut_marc_mauillon_moyen-age_central_XIVesœur  Angélique   Mauillon,

Tout entier dédié à des virelais, ballades et rondeaux de Guillaume de Machaut, cet album est disponible à la vente en ligne sous le lien suivant : Mon chant vous envoy.

Les paroles de la chanson
de Guillaume de Machaut

Comme mentionné plus haut, il est question, dans ce virelai courtois, d’éloignement et le compositeur médiéval conte à sa dame que, bien qu’elle soit distante de lui physiquement (Comment qu’à moy lonteinne) elle reste bien présente dans ses pensées.

Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour,
Si m’estes vous procheinne
Par penser nuit et jour.

Car Souvenir me meinne,
Si qu’adès sans sejour
Vo biauté souvereinne,
Vo gracieus atour,
Vo maniere certainne
Et vo fresche coulour
Qui n’est pale ne veinne,
Vou toudis sans sejour.
Comment qu’à moy.

Dame, de grace pleinne,
Mais vo haute valour,
Vo bonté souvereinne
Et vo fine douçour
En vostre dous demeinne
M’ont si mis que m’amour,
Sans pensée vilainne,
Meint en vous que j’aour,
Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour.

Mais Desirs qui se peinne
D’acroistre mon labour
Tenra mon cuer en peinne
Et de mort en paour,
Se Diex l’eure m’ameinne
Qu’à vous, qui estes flour
De toute flour mondeinne,
Face tost mon retour.
Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour,
Si m’estes vous procheinne
Par penser nuit et jour.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Quan vei la lauzeta mover: Bernart de Ventadorn, grand troubadour du XIIe siècle

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fin’amor, langue d’oc.
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : Bernart de Ventadorn, Bernard de Ventadour. (1125-1195)
Interprète : Gérard Zuchetto
Titre : Quan vei la lauzeta mover (quand je vois l’alouette)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous nous rendons aujourd’hui en terres d’Oc, pour découvrir ou redécouvrir la poésie chantée d’un des plus  grands représentants de l’Art des troubadours occitans du moyen-âge central et  du XIIe : Bernart de Ventadorn (francisé Bernard de Ventadour).

Sa vie nous est connue principalement au travers de ses propres oeuvres et notamment de manière posthume par les « vidas », ces biographies de troubadours attribuées (au moins pour celle de Bernard de Bernard de Ventadour, enluminure, Manuscrit 12473 , BnF (XIIIe siècle)Ventadorn) au troubadour et  poète Uc de Saint-Circ    (1213 -1257).

Bernard de Ventadour,
Manuscrit 12473 , BnF (XIIIe)

Ces vidas  apparaissent au XIIIe et près d’un demi-siècle après la mort du célèbre poète. Elles se destinaient à  témoigner de l’art des trouveurs occitans et à introduire leurs œuvres poétiques et leurs chansons.

La vida de Bernart de Ventadorn

La vida de Bernart de Ventadorn nous conte ainsi que le poète était d’origine limousine. On le dit d’humble lignage. Il aurait fréquenté la cour d’Alienor d’Aquitaine dont il serait tombé amoureux et qu’il aurait suivi après que cette dernière se fut mariée au duc de Normandie et roi d’Angleterre Henri II Plantagenet.  Plus tard, notre poète et « trouveur » aurait servi à la cour de Raymond V de alienor_aquitaine_bernard_ventadour_ventadorn_lauzeta_poesie_musique_medievale_troubadoursToulouse, pour, plus tard, renoncer à son art poétique en se faisant moine à l’Abbaye de Dalon, en Dordogne où il finira sa vie.

Les « vidas »  sont aujourd’hui étudiées plus, ou au moins autant, pour leur valeur littéraire que pour l’authenticité historique de leurs affirmations. Il est donc difficile de savoir si Bernart de Ventadorn fut vraiment amoureux d’Alienor d’Aquitaine comme l’affirme Uc de Saint Circ  ou s’il s’agit là d’une façon romancée de présenter la vie du grand troubadour occitan.

« Et el s’en parti e si s’en anet a la duchessa de Normandia, qu’era joves e de gran valor e s’entendia en pretz et en honor et en bendig de lausor. E plasion li fort las chansos e·l vers d’En Bernart, et ella lo receup e l’acuilli mout fort. Lonc temps estet en sa cort, et enamoret se d’ella et ella de lui, e fetz mantas bonas chansos d’ella. Et estan ab ella, lo reis Enrics d’Engleterra si la tolc per moiller e si la trais de Normandia e si la menet en Angleterra. En Bernart si remas de sai tristz e dolentz, e venc s’en al bon comte Raimon de Tolosa, et ab el estet tro que·l coms mori. Et En Bernart, per aquella dolor, si s’en rendet a l’ordre de Dalon, e lai el definet. »

« (…) Et il s’en sépara (l’épouse du vicomte de Ventadour) et s’en alla à la duchesse de Normandie qui était jeune et de grande valeur et qui comprenait le prix et l’honneur et les belles paroles de louange et elle le reçut et l’accueillit très bien. Longtemps il fut en sa cour et fut amoureux d’elle et elle de lui et fit beaucoup de bonnes chansons d’elle. Et étant près d’elle le roi Henri d’Angleterre la prit pour femme et l’emmena de Normandie et l’emmena en Angleterre. En Bernart resta de ce côté triste et douloureux et s’en alla au bon comte de Toulouse et fut près de lui jusqu’à ce que le comte mourût. »

Vida de Bernart De Ventadorn – Extrait

L’auteur médiéval légua quarante-cinq chansons considérées comme de véritables fleurons de la langue occitane dans sa forme la plus aboutie. Il y chante le fin’amor, cet amour courtois que les troubadours porteront haut et fort durant le XIIe siècle et qui influencera les formes littéraires du sentiment amoureux durant de nombreux siècles après eux.

Gérard Zuchetto, un troubadour moderne
à la recherche des trésors occitans

Musicien, interprète  et chercheur, Gérard Zuchetto a consacré son temps, ses recherches et son talent à l’art  des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Nous sommes avec cet artiste, passionné de musiques médiévales au point d’en être devenu expert, autant dans la performance artistique que dans l’ethnomusicologie, c’est à dire dans le parti-pris de restitution au plus près de l’esprit de l’art des trobadors. Créatif, il propose également des compositions plus libres d’inspiration autour de ce même thème.

musique_poesie_chanson_medievale_ancienne_troubadours_bernard_de_vendatour_ventadorn_gerard_zuchetto_moyen-age_centralSes recherches se déclinent en productions musicales, mais aussi en films et encore en ouvrages sur la question. Au fil du temps, une troupe s’est d’ailleurs formée autour de Gérard Zuchetto qui produit spectacles, concerts et autres événements en relation avec l’art des troubadours et la culture occitane, sous les labels et appellations Trob’Art production et Troubadours Art Ensemble. Vous trouverez le détail  de leurs activités et productions, ainsi que leur agenda sur leur site web:  art-troubadours.com.

La primavera d’amore, Trovatori XII-XIIIe

Dans cet album enregistré en 1997 et sorti l’année suivante chez Foné, Gérard Zuchetto était accompagné des musiciens et instrumentistes  Patrice Brient et Jacques Khoudir  pour mettre à l’honneur son sujet de prédilection et nous proposer entre autre, cette très belle version de la célèbre Lauzeta de Bernart de Ventadorn.

troubadours_bernard_ventadorn_ventadour_gerard_zuchetto_musique_poesie_chanson_medievale_amour_courtois_lauzeta


Quan vei la lauzeta mover : les paroles en occitan & adaptation en français moderne

Can vei la lauzeta mover
De joi sas alas contra’l rai,
Que s’oblid’ e’s laissa chazer
Per la doussor c’al cor li vai,
Ai! Tan grans enveya m’en ve
De cui qu’eu veya jauzion!
Meravilhas ai, car desse
Lo cor de dezirer no’m fon

Quand je vois l’alouette
agiter de joie ses ailes
face aux rayons [du soleil],
s’oublier et se laisser choir
dans la douceur qui au cœur lui vient,
hélas ! une si grande envie me pénètre
de ce bonheur que je vois,
que je tiens à miracle
si mon coeur ne se consume pas de désir.

Ailas! Tan cuidava saber
D’amor, e tan petit en sai,
Car eu d’amar no’m posc tener
Celeis don ja pro non aurai.
Tout m’a mon cor, e tout m’a me,
E se mezeis e tot lo mon;
E can se’m tolc, no’m laisset re
Mas dezirer e cor volon.

Hélas ! Je croyais tant savoir
sur l’amour et j’en sais si peu !
Car je ne peux me retenir d’aimer
celle que je ne peux atteindre.
Elle a tout mon coeur, elle m’a tout entier,
elle-même et tout l’univers.
Elle ne m’a rien laissé,
sauf le désir et un coeur fou.

Anc non agui de me poder
Ni no fui meus de l’or’ en sai
Que’m laisset en sos olhs vezer
En un miralh que mout me plai.
Miralhs, pus me mirei en te,
M’an mort li sospir de preon,
C’aissi’m perdei com perdet se
Lo bels Narcisus en la fon.

Je n’eus sur moi plus de pouvoir
et je ne m’appartins plus,
du jour où elle me laissa mirer en ses yeux,
miroir qui beaucoup me plaît.
Miroir, depuis que je me suis miré en toi,
les soupirs profonds m’ont fait mourir.
Je suis perdu comme se perdit
en la fontaine le beau Narcisse.

De las domnas me dezesper;
Ja mais en lor no’m fiarai;
C’aissi com las solh chaptener,
Enaissi las deschaptenrai.
Pois vei c’una pro no m’en te
Vas leis que’m destrui e’m cofon,
Totas las dopt’ e las mescre,
Car be sai c’atretals se son.

Je désespère des femmes ,
jamais je ne me fierai à leurs paroles;
de même que j’avais coutume de les louer,
de même je les déprécierai.
Pas une pour me défendre
auprès de celle qui me détruit et me confond !
Je les hais toutes et les renie,
car je sais bien qu’elles sont toutes ainsi.

D’aisso’s fa be femna parer
Ma domna, per qu’eu’lh’ o retrai,
Car no vol so c’om voler,
E so c’om li deveda, fai.
Chazutz sui en mala merce,
Et ai be faih co’l fols en pon;
E no sai per que m’esdeve,
Mas car trop puyei contra mon.

Bien femme aussi apparaît ma dame,
et c’est pourquoi j’enrage,
car elle ne veut pas ce qu’on doit vouloir,
elle fait ce qu’on lui défend.
Je suis tombé en pitoyable fortune.
J’ai bien fait le fou sur le pont,
et je ne sais pourquoi je m’égare,
voulant monter contre mont.

Merces es perduda, per ver,
Et eu non o saubi anc mai,
Car cilh qui plus en degr’aver,
Non a ges, et on la querrai ?
A ! Can mal sembla, qui la ve,
Qued aquest chaitiu deziron
Que ja ses leis non aura be,
Laisse morrir, que no l’aon.

Perdue la pitié vraiment
(et de cela je ne me doutai jamais),
car celle qui devait en avoir le plus
n’en a pas; et où la chercherai-je ?
Ah ! Quelle apparence trompeuse ! En la voyant,
l’imaginerait-on capable de laisser mourir
un passion malheureuse
qui jamais ne s’épanouira sous ses lois ?

Pus ab midons no’m pot valer
Precs ni merces ni’l dreihz qu’eu ai,
Ni a leis no ven a plazer
Qu’eu l’am, ja mais no’lh o dirai.
Aissi’m part de leis e’m recre;
Mort m’a, e per mort li respon,
E vau m’en, pus ilh no’m rete,
Chaitius, en issilh, no sai on.

Puisque plus rien ne peut valoir,
ni prière, ni pitié, ni un droit qui fut le mien,
puisque nullement ne lui plaît
le fait que je l’aime, jamais plus je ne lui parlerai,
je me sépare d’elle et je renonce.
Elle me tue, et c’est un mort qui parle.
Et je m’en vais, puisqu’elle ne me retient,
malheureux, en exil, je ne sais où.

Tristans, ges non auretz de me,
Qu’eu m’en vau, chaitius, no sai on.
De chantar me gic e’m recre,
E de joi e d’amor m’escon.

Tristan, vous n’aurez rien de moi,
car je m’en vais, malheureux, je ne sais où.
Je mets un terme à mes chants et y renonce.
Loin de la joie et de l’amour je me cache.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« Belle qui tiens ma vie », quand une chanson de la renaissance s’invite dans les légendes arthuriennes

musique_danses_medievales_manuscrit_ancien_moyen-age_tardif_renaissanceSujet : danse ancienne, pavane, basse danse, danse royale, chant polyphonique, chanson ancienne, kaamelott, chanson, musique ancienne, amour courtois.
Période : renaissance, XVIe siècle (1588)
Auteur : Thoinot Arbeau, (1520-1595) Jehan Tabourot.
Titre : « Belle qui tiens ma vie »
Ouvrage : Orchésographie
Interprète : Ensemble DEUM,  Chorale Thomas Tallis de Arduino Pertile.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour tout ceux qui aiment et ont aimé la série culte Kaamelott, la chanson « Belle qui tiens ma vie » est entrée définitivement dans le corpus des légendes arthuriennes. Ce chant est, en effet, repris de la bouche même du roi Arthur (Alexandre Astier à l’écran) dans quelques épisodes.

Alors provient-il du moyen-âge, le haut ou le « Dark age » comme l’appellent les anglais, cette période supposée contemporaine des légendes arthuriennes ou nous vient-il plutôt du moyen-âge central et des siècles qui ont vu naître la littérature et le roman arthurien ? Et bien, en réalité, la chanson ne se rattache à aucun de ces deux moyen-âge(s) et leur est postérieure de plusieurs siècles.

(désolé pour la qualité vidéo, l’audio est très bon  en revanche)

Une pavane du XVIe siècle
qui s’invite dans les légendes arthuriennes

Composée et créée par  Thoinot Arbeau, pseudonyme de Jehan Tabourot, chanoine de Langres, ce beau chant polyphonique à quatre voix date en réalité du XVIe siècle et est une pavane, soit une basse danse royale et seigneuriale de la Renaissance.

danse_ancienne_renaissance_jehan_tabourot_belle_qui_tiens_ma_vie_serie_kaamelott_legendes_arthuriennesComme nous l’avons vu ici à plusieurs reprises, ce n’est pas la première fois qu’un air ou une chanson de la renaissance ou même des siècles ultérieurs au moyen-âge s’y invite. Paradoxe ou message voilé, dans Kaamelott, le roi Arthur entonne même cette jolie pièce d’Amour courtois avec la reine Guenièvre (la très drôle Anne Girouard) qui, dans la série, est loin d’incarner celle qui tient véritablement son coeur, loin s’en faut. Dans les libertés que l’auteur prend avec son oeuvre, en voici donc une de plus, mais, encore une fois, nous l’avons mentionné ici, les légendes arthuriennes revues et corrigées par Alexandre Astier, n’ont pas l’ambition du réalisme historique. Elles se situent dans un espace imaginaire totalement assumé entre moyen-âge et modernité.

Quand la belle qui tient la vie du roi Arthur n'est pas celle qui pourrait le mieux y prétendre
Quand la belle qui tient la vie du roi Arthur n’est pas celle qui pourrait le mieux y prétendre

Du reste, peut-être même est-ce là le propre des légendes de savoir ménager, en leur sein, des espaces de liberté « contemporains » qui permettent à chacun de pouvoir mieux s’identifier.  Au fond, lors de leurs premières écritures déjà, les aventures du bon roi de Bretagne et de ses chevaliers étaient en décalage de 600 ans avec leur propos et ne se privaient pas d’y inviter des valeurs, mais aussi de beaux châteaux de pierre et des chevaliers qui étaient bien plus de leur temps que du VIe siècle auquel elles se référaient.

chanson_renaissance_kaamelott_belle_qui_tient_ma_vie_jehan_tabourot_Thoinot_Arbeau

danse_ancienne_renaissance_jehan_tabourot_belle_qui_tiens_ma_vie_kaameloot« Le gentil-homme la peult dancer ayant la cappe & l’efpée: Et vous aultres, veftuz de voz longues robes, marchant honneftement avec une gravité posée. Et les damoifelles avec une contenance humble, les yeulx baiffez, regardant quelquefois les affiftans avec une pudeur virginale. Et quand à la Pavane, elle fert aux Roys, Princes et Seigneurs graues, pour fe monftrer en quelque jour de feftin folemnel avec leurs grands manteaux & robes de parades. »
Thoinot Arbeau – Orchésographie (basse danses et pavanes)

Comme la citation ci-dessus, la chanson « belle qui tiens ma vie » fait donc partie d’un ouvrage paru en 1588 et intitulé Orchésographie. On en trouve encore quelques exemplaires originaux, même s’il a été réédité depuis. C’est un traité de danse qui fournit des éléments de méthode, autant que des illustrations et des compositions musicales pour en faciliter l’apprentissage.

Si cela vous intéresse, vous pouvez retrouver ce petit précis de danse ancienne sur le site de la Bnf et en version numérisée ici : Orchésographie en ligne.

Ensemble DEUM et la Chorale Thomas Tallis

L’ensemble D.E.U.M. auquel nous devons la belle interprétation de cette chanson que nous vous proposons aujourd’hui est un quartet vocal italien, issu de la chorale  Thomas Tallis de Arduino Pertile. Vous pouvez retrouver de nombreuses interprétations de cette formation sur leur chaîne youtube. Elle existe en réalité depuis 1975 et a changé de nom entre temps, mais elle continue de se produire régulièrement en concert, en Italie.

chorale_musique_ancienne_pavanne_danse_musique_renaissance_medieval_belle_qui_tiens_ma_vie

chorale_formation_musique_ancienne_chaine_youtubeAu passage même si le site web de la formation vocale dont sont issus ces quatre artistes est totalement en italien et même si vous n’êtes pas italophone, je vous conseille vivement de consulter la page où ils présentent leurs membres et les portraits tordants dont ils se sont fendus (nous vous en donnons un avant-goût ci-dessus). Classicisme et sérieux dans l’interprétation ou dans le choix de répertoire ne sont, à l’évidence, pas incompatibles avec humour et bonne humeur et c’est très agréable de se le voir rappeler.

Les paroles originales de la chanson
« belle qui tiens ma vie »

« Belle qui tiens ma vie
Captive dans tes yeux,
Qui m’as l’âme ravie
D’un sourire gracieux,
Viens tôt me secourir
Ou me faudra mourir.(bis)

Pourquoi fuis-tu mignarde
Si je suis près de toi,
Quand tes yeux je regarde
Je me perds dedans moi,
Car tes perfections
Changent mes actions.(bis)

Tes beautés et ta grâce
Et tes divins propos
Ont échauffé la glace
Qui me gelait les os,
Et ont rempli mon cœur
D’une amoureuse ardeur.(bis)

Mon âme voulait être
Libre de passions,
Mais Amour s’est fait maître
De mes affections,
Et a mis sous sa loi
Et mon cœur et ma foi.(bis)

Approche donc ma belle
Approche, toi mon bien,
Ne me sois plus rebelle
Puisque mon cœur est tien.
Pour mon mal apaiser,
Donne-moi un baiser.(bis)

Je meurs mon angelette,
Je meurs en te baisant.
Ta bouche tant doucette
Va mon bien ravissant.
À ce coup mes esprits
Sont tous d’amour épris.(bis)

Plutôt on verra l’onde
Contre mont reculer,
Et plutôt l’œil du monde
Cessera de brûler,
Que l’amour qui m’époint
Décroisse d’un seul point.(bis) « 

Thoinot Arbeau (1520-1595)


Notes :  suite à une question sur la dernière strophe de la chanson, je poste ici, à toutes fins utiles, quelques éléments de réponse.

« Plutôt on verra l’onde
Contre mont reculer »

Contremont : vers le haut. En l’occurrence, en parlant d’un cours d’eau « vers l’amont » : on aura plus de chances de voir (ou on verra avant) l’eau remonter vers l’amont ou à contre-courant… »

« Et plutôt l’œil du monde
Cessera de brûler »

L’oeil du monde est le soleil. Dans l’univers platonicien, les analogies existent entre l’astre et l’oeil. On retrouve aussi cet « Oeil du monde » dans la remonstrance au peuple de France de Ronsard, poésie qui date du même siècle que la chanson :

« La nuit j’adorerais les rayons de la Lune,
Au matin le Soleil, la lumière commune,
L’oeil du monde ; et si Dieu au chef porte des yeux,
Les rayons du Soleil sont les siens radieux,
Qui donnent vie à tous, nous maintiennent et gardent,
Et les faits des humains en ce monde regardent.

Dans la même poésie de Ronsard, il est également fait allusion à l’épisode biblique de Moïse et de la mer rouge et des ondes repoussées par lui. Jehan Tabourot y fait-il une référence lointaine dans son allégorie sur l’onde ? Difficile de l’affirmer. Peut-être ne faut-il pas aller chercher si loin.

« Pour guider ses enfants par monts et par vallées,
Qui noya Pharaon sous les ondes salées
Et fit passer son peuple ainsi que par bateaux
Sans danger, à pied sec par le profond des eaux. »

Quoiqu’il en soit donc, dans l’esprit de l’auteur, ces deux choses ne peuvent survenir et si elles le devaient, elles se produiraient avant que l’amour « qui l’étreint » ait baissé en intensité (ne décroisse d’un seul point).


En vous souhaitant une excellent journée et une belle fin de semaine!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Jeu video et musique médiévale : quand Sid Meyer rencontre Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson ancienne, médiévale, musicien, maître de  musique, virelai, amour courtois, fine amour
Titre : « Quant(d) je suis mis au retour »
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprétes, orchestration  : Roland Rizzo,  Geoff Knorr
Jeu vidéo : Civilization  6

Bonjour  à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuand le compositeur Guillaume de Machaut et ses mélodies uniques se réinvitent dans notre modernité, cela peut quelquefois prendre des dehors surprenants.   Cette fois-ci, nous retrouvons deux pièces du maître de musique du XIVe siècle dans un des titres  les plus mythiques de l’histoire  des jeux vidéo : Civilization VI  de Sid Meyer.

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Ces chansons ont, bien entendu, été réarrangées pour l’occasion et ne sont proposées que dans leur version instrumentale. Elles ne forment qu’une infime partie de l’ambiance sonore du jeu qui, par ailleurs, propose plus de quatre heures trente de musique contextuelle, cette dernière variant en fonction de la civilisation choisie, autant que de la période historique traversée par le joueur.  Nous sommes bien loin  du temps où les jeux vidéos ne proposaient que de petits jingles  ou  des bandes son midi  en boucle.

Concernant les pièces issues du répertoire de Guillaume de Machaut, Civilization 6  propose  une reprise de Douce Dame Jolie  et une autre chanson de lui dont cet article nous donne l’occasion de parler et qui s’intitule : Quant je sui mis au retour.

Cette dernière chanson se situe encore dans le registre de la « fine amor » et nous conte le transport et l’émoi de l’amoureux qui s’en revient de voir sa belle et n’en finit plus de conter les louanges de cette dernière. Nous aurons sans nul doute l’occasion d’en partager d’autres versions dans le futur, et nous publions dors et déjà les paroles ici. Cette interprétation du jour nous fournit  l’occasion  de l’anecdote et nous permet aussi de mesurer à quel point la musique et les mélodies du compositeur du Moyen Âge tardif continuent à travers les siècles de servir sa renommée.

Les paroles de la chanson de Guillaume de Machaut

Quant je sui mis au retour
De veoir ma dame,
Il n’est peinne ne dolour
Que j’aie, par m’ame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blame,
De loial amour.

Sa biauté, sa grant douçour
D’amoureuse flame,
Par souvenir, nuit et jour
M’esprent et enflame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blasme,
De loial amour.

Et quant sa haute valour
Mon fin cuer entame,
Servir la vueil sans folour
Penser ne diffame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blame,
De loial amour.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. Publilius Syrus   Ier s. av. J-C.