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« Puis qu’en oubli », un chant polyphonique et un rondeau de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, poésie médiévale, chanson,  chants polyphoniques, maître de  musique,  rondeau, loyal amour, amour courtois.
Titre : Puis qu’en oubli
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprétes : Ensemble  Oxford Camerata

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’un chant polyphonique composé par Guillaume de Machaut, et interprété par l’ensemble anglais  Oxford Camerata.

Nous sommes encore  ici dans le registre du loyal  et « fine » amour que Guillaume de Machaut a su si bien mettre en paroles et en musique. Dans ce rondeau, le maître de musique du Moyen Âge central nous conte ses déboires amoureux. Le voici  donc oublié de son amie, lui promettant pourtant de rester fidèle à l’amour dont il a été confisqué.  Le sujet de l’oubli qui l’aborde ici, comme celui de la crainte d’être oublié  dans l’éloignement sont des  thèmes qu’on recroise  à plusieurs  reprises dans ses poésies et chansons. Voici d’ailleurs l’extrait d’une autre ballade sur le même thème :

« Loing de vous souvent souspir,
Douce dame débonnaire,
Pour ce que trop fort désir
A veoir vo dous viaire.
Mais se vers vous ne puis traire
A mon voloir, je vous pri,
Ne me mettes en oubli. »

Malgré ses exhortations et ses appels du poète,  il semble que  ce  que l’on redoute le plus finisse quelquefois par survenir et  c’est le sujet du chant médiéval que nous vous proposons ici.

L’ensemble Oxford Camerata

Fondé en 1984, en Angleterre, par le chef d’orchestre  Jeremy Summerly, l’ensemble Oxford Camerata était à l’origine un groupe de douze choristes.  Au  fil  des concerts et en fonction des projets,  l’ensemble s’est produit dans des formations plus réduites ou même plus grandes  (jusqu’à  vingt choristes), a capela ou accompagné de formation orchestrale.

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Dans les six premières années suivant leur création, la formation  a proposé principalement un répertoire autour de la période médiévale et renaissance mais depuis les années 90  les artistes ont élargi leur champ  à des pièces qui vont  des chants grégoriens  et polyphoniques du Moyen Âge à un  répertoire  plus moderne.  Entre sa  naissance et l’année 2008, l’Oxford Camerata a légué à la postérité près de trente albums et s’est produit activement en concert au niveau européen, jusqu’à l’année 2015.

Puis qu’en oubli :
paroles et adaptation en français moderne

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Puis qu’en oubli sui de vous, dous amis,
Vie amoureuse et joie à Dieu commant.
Mar vi le jour que m’amour en vous mis,
Puis qu’en obli sui de vous, dous amis.
Mais ce tenray que je vous ay promis,
C’est que ja mais n’aray nul autre amant.
Puis qu’en oubli sui de vous, dous amis,
Vie amoureuse et joie à Dieu commant.

Puisque je suis oublié de vous, douce amie
Je remets à Dieu ma vie amoureuse et ma joie
Malheureux* fut le jour où je mis mon amour en vous,
Puisque je suis oublié de vous, douce amie
Mais je tiendrai ce que je vous ai promis
Jamais je n’aurai d’autre amante
Puisque je suis oublié de vous, douce amie
Je remets à Dieu ma vie amoureuse et ma joie

* Malencontreux, Mal à propos, vain.


En vous souhaitant  une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« Joie, plaisance et douce nourriture », un chant royal du XIVe siècle de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, chant royal, maître de musique, chanson, amour courtois.
Titre : Joie, plaisance et douce nourriture
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge central
Interprète : Ensemble Gilles de Binchois
Album : Guillaume de Machaut,  le jugement du roi de Navarre  (1999)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un peu de la belle musique et de la poésie de  Guillaume de Machaut, grand compositeur de musiques du moyen-âge central, et une pièce interprétée ici pour nous par le très talentueux ensemble Gilles de Binchois.

Ce chant royal puise dans les œuvres profanes du grand compositeur du XIVe et  est extrait d’un  album que la formation Gilles de Binchois  dirigée par  Dominique Vellard  lui dédiait alors entièrement, en 1999.

Le remède de la fortune : pièce d’amour courtois

 La nature monophonique de ce chant le situe encore dans l’héritage des trouvères et des troubadours.  Il est tiré de  la longue poésie  « Le remède de Fortune » que l’auteur écrivit et mit en musique, autour de  l’année 1341. Cette longue pièce d’amour courtois qui contient sept poésies est considérée  comme ayant notablement influencé  son temps, au niveau musical comme au niveau poétique. L’œuvre conte les déboires d’un poète amoureux de sa dame et qui tardera à lui confesser, mais finira tout de même par oser s’en ouvrir à elle.  Elle  lui fournit l’occasion d’une initiation à l’amour courtois autant qu’à l’art poétique.

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Manuscrit ancien et sources médiévales

On retrouve le remède de fortune ainsi que huit autres pièces et poèmes de  Guillaume de Machaut dans le manuscrit ancien référencé Manuscrit Fr 1586  datant de 1356-1360 et donc contemporain de l’auteur.  Le titre en est :  Œuvres poétiques de Guillaume de Machaut. Et Si le cœur vous dit de le consulter, vous pourrez le trouver à l’adresse suivante sur l’excellent site Gallica de la BnF : Manuscrit FR 1586, manuscrit ancien fr1586 musique poesie medievale guillaume de machautGuillaume de Machaut.

Il y a décidément autour de ce compositeur de l’excellence autant  dans sa musique et  sa plume que dans les manuscrits dont le monde médiéval nous a gratifiés à son sujet. Outre qu’il est parfaitement conservé, l’ouvrage en question  contient, en effet, des enluminures d’exception et est même, à ce jour,  considéré par des historiens et experts de ces questions comme  une des œuvres majeures du XIVe siècle en matière d’enluminures. Son commanditaire autant que son destinataire nous sont restés inconnus autant que le nom de  l’artiste principal qui  l’a illustré.

Le remède de fortune, référence musicale et poétique du XIVe siècle, enluminure Manuscrit FR1586 Gilles de Machaut (1356-1360)
Le remède de fortune, référence musicale et poétique du XIVe siècle, enluminure Manuscrit Gilles de Machaut (1356)

Les paroles de Joie, plaisance et douce norriture  de Guillaume de Machaut

Joie, plaisance, et douce norriture
Vie d’onnour prennent maint en amer;
Et pluseurs sont qui n’i ont fors pointure,
Ardour, doulour, plour, tristece, et amer,
Se dient, mais acorder
Ne me puis, qu’en la souffrence
D’amours ait nulle grevance,
Car tout ce qui vient de li
Plaist a cuer d’ami;

Car vraie Amour en cuer d’amant figure
Trés dous Espoir et gracieus Penser:
Espoirs attrait Joie et bonne Aventure;
Dous Pensers fait Plaisence en cuer entrer.
Si ne doit plus demander
Cils qui a bonne Esperance,
Dous Penser, Joie et Plaisance,
Car qui plus requiert, je di
Qu’Amours l’a guerpi.

Dont cils qui vit de si douce pasture
Vie d’onneur puet bien et doit mener,
Car de tous biens a comble mesure,
Plus qu’autres cuers ne saroit desirer,
Ne d’autre merci rouver
N’a desir, cuer, ne bëance,
Pour ce qu’il a souffissance;
Et je ne say nommer ci
Nulle autre merci.

Mais ceaus qui sont en tristesse, en ardure,
En plours, en plains, en dolour sans cesser,
Et qui dient qu’Amours luer est si dure
Qu’il ne peulent sans morir plus durer,
Je ne puis ymaginer
Qu’il aimment sans decevance
Et qu’en eaus trop ne s’avance
Desirs. Pour ce sont einsi,
Qu’il l’ont desservi.

Qu’Amours, qui est de si noble nature
Qu’elle scet bien qui aimme sans fausser,
Scet bien paier aus amans leur droiture:
C’est les loiaus de joie säouler
Et d’eaus faire savourer
Ses douceurs en habundance;
Et les mauvais par sentence
Sont com traïtre failli
De sa court bani.

Amours, je say sans doubtance
Qu’a cent doubles as meri
Ceaus qui t’ont servi.


En vous souhaitant une  merveilleuse journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Estampie et danse médiévale du XIVe et un mot sur Tristan et Yseult

musique_danse_medieval_tristan_iseut_yseut_yseult_estampie_litterature_moyen-ageSujet : musique, danse médiévale, estampie, Tristan et Yseut, littérature médiévale, amour courtois.
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Auteur : anonyme
Manuscrit ancien :  Add MS 29987
Interprète : Jordi Savall, Hespèrion XXI
Titre:  Lamento di Tristano e rotta
Album : « Orient – Occident »
Editeur : Alia Vox (2006)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons un peu de musique en provenance des XIIIe, XIVe et de l’Italie aujourd’hui, en compagnie de l’excellente formation Hespèrion XXI et son talentueux directeur Jordi SAVALL.

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Tirée de l’album Orient-Occident dont nous avons déjà parlé ici, cette « complainte » de Tristan, ayant pour titre original italien « Lamento di Tristano e rotta » est une Estampie (Istampitta) anonyme provenant du manuscrit ancien de Londres, référencé Add musique_danse_medievale_tristan_Yseut_Iseut_complainte_estampie_manuscrit_ancien_Add_MS_29987MS 29987 et dont nous avons déjà parlé ici. Si vous vous en souvenez l’ouvrage date du XVe et contient principalement des pièces et des danses médiévales en provenance de Toscane et de l’Italie du XIIe et XIVe siècles.

Si vous souhaitez consulter ce manuscrit ancien, il est disponible en ligne au lien suivant : Add MS 29987 – Manuscrit de Londres

La complainte de Tristan par Hespèrion XXI

Jordi Savall et Hespèrion XXI

Pour y revenir souvent ici, nous ne présentons plus Hespérion XXI et Jordi Savall, ces « musiciens-chercheurs » passionnés en quête  de la restitution la plus fidèle qui soit de l’univers musical du moyen-âge, de la renaissance, et même encore plus largement du répertoire des musiques anciennes ou classiques.
La patience d’orfèvres, le talent de virtuoses, de longues recherches immergées dans les partitions d’époques, chansonniers, manuscrits du roy et autres précieux codex, nous leur devons de nombreux concerts dans toute l’Europe et, à ce jour, ils ont déjà produits plus de cents albums de haute qualité. Tous sont disponibles sur leur site Alia Vox et vous pouvez également vous abonner à leur chaîne youtube officielle pour les suivre de plus près.

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Le roman de Tristan & Yseut :
oeuvre médiévale  majeure

« Belle amie, si est de nous : ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
Tristan – Le roman de Tristan et Yseut

Pièce littéraire majeure de l’amour Courtois, l’histoire de Tristan et Yseut (Iseut ou encore Iseult) dont les premiers écrits remontent au XIIe siècle a fortement marqué le moyen-âge et sa littérature de son empreinte, autant qu’il a encensé les premières formes d’un amour qui allait connaître de longues heures de gloire et de noblesse: l’amour courtois. Concernant cet aspect, et même si les déboires des deux amants seront citée souvent par les poètes chantant l’amour courtois, leur passion dans le récit, à l’image de celle de Héloïse et Abelard finira pourtant par sortir du modèle de l’amour impossible et jamais consommé pour devenir transgressif, et partant transgresser aussi les valeurs de l’amour courtois, autant d’ailleurs que les valeurs chevaleresques. Tout n’est donc pas aussi simple.

Même si l’on a quelquefois glosé sur de plus lointaines origines de cette histoire, les historiens s’entendent, dans l’ensemble sur le fait, que les premières versions connues et datées de ce récit proviennent d’un poème narratif français du XIIe siècle dont la source se serait perdue, mais qui aurait inspirée l’auteur normand Béroul. (voir Le premier roman de Tristan – article persée).

"Le philtre d’amour”. Enluminure (1470) Manuscrit de Gautier de Map, Tiré du “Livre de Messire Lancelot du Lac” de Gautier de Map, Ms. français 112, fol. 239, BnF
« Le philtre d’amour”. Enluminure (1470) Manuscrit de Gautier de Map, Tiré du “Livre de Messire Lancelot du Lac” de Gautier de Map, Ms. français 112, fol. 239, BnF

A l’image du corpus des légendes arthuriennes, maintes fois reprises et ré-écrites par de nombreux auteurs (le normand Béroul, Eilhart Von Oberg, Thomas d’Angleterre, Marie de France, etc…) l’histoire du  chevalier héroïque condamné à un amour impossible avec celle qui deviendra la reine a fasciné bien des esprits dans le courant du moyen-âge central, et au delà, depuis huit siècles. Certains auteurs lui feront d’ailleurs croiser le mythe arthurien en faisant de Tristan un chevalier du roi Arthur et de la table ronde, ce litterature_poesie_medievale_tristan_yseut_amour_courtois_aventure_moyen-age_centralqu’il n’est pas dans la première version.

( Ci-contre enluminure du début du XVe siècle. Le roi Marc épie les deux amants),  Manuscrit français 97, BnF )

Magie et philtres d’amour, dragons et géants belliqueux, actes héroïques, intrigues et rebondissements, tous les ingrédients d’une grande aventure s’y trouvent, mais c’est aussi et surtout le récit d’un l’amour impossible qui, devenu charnel et passionné, conduira les deux amants à braver tous les interdits, jusqu’à défier l’autorité du Roi et toutes les règles sociales, pour finir par les dévorer dans les flammes de la passion et ne les unir que dans la mort. On fera de l’histoire de Tristan et Yseut pas moins que le premier roman d’amour français et certains auteurs le décriront même comme l’archétype de tous les romans d’amour qui lui succéderont par la suite dans la littérature.

Comme toute oeuvre devenue mythique, avec le temps, cette pièce médiévale a inspiré de nombreuses artistes et sous bien des formes: peinture, littérature, danse, théâtre et musique, et ce, dès les premiers temps de sa rédaction et pour longtemps encore après lui. La pièce d’aujourd’hui en témoigne.

En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Un songe de Clément Marot en forme de dizain.

poesie_medievale_clement_marotSujet : poésie médiévale, auteur, poète, dizain, amour, romantisme, passion amoureuse
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur : Clément Marot (1496-1544)
Titre : « D’un songe »
Tiré de : Récréation et passe temps des tristes, (1595)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passione talent de Clément Marot pour les pièces de poésies courtes n’est plus à démontrer tant il excelle dans ce genre, qu’il s’agisse d’épigrammes, de dizains ou même encore d’épitaphes. Le dizain que nous vous proposons aujourd’hui est dédié à sa belle dont les charmes irrésistibles ont, dans le verbe du poète, conquis  jusqu’à Apollon, Dieu de poète des Arts, de la musique et de la connaissance.

poesie_medievale_dizain_auteur_clement_marot_amour_songe_moyen-age_tardif_debut_renaissance

Même s’il reste chaste, Marot ose ici la nudité et s’avance sur le terrain d’une sensualité qu’on retrouve peu dans les traits de l’amour courtois des siècles précédents; la plupart du temps, ce dernier ne s’approche, en effet, pas aussi près. Dans les formes poétiques de ce dizain et dans cet objet convoité que même un Dieu veut dérober à l’emprise de son auteur, on lit , sans doute plus, le désir intarissable de l’amant, que celui inassouvi du prétendant.

Et à travers cette pièce, Marot nous montre encore que son don pour les mots et leur musique ne s’arrête pas aux traits d’esprit, à la satire ou aux grivoiseries légères, mais a aussi le pouvoir de donner au sentiment amoureux ses plus belles lettres.

D’un songe

La nuict passée en mon lict je songeoye
Qu’entre mes bras vous tenoy nue à nu,
Mais au resveil, se rabaissa ma joye
De mon désir en dormant advenu,
Àdonc je suis vers Apollo venu, 
Luy demander qu’aviendroit de mon songe,
Lors luy jaloux de toy, longuement songe,
Puis me respond : tel bien ne peulx avoir.
Helas! m’amour fais luy dire mensonge,
Si confondras d’Apollo le scavoir.
Clément Marot (1496-1544)

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes