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Plaisirs de table et du vin, un rondeau léger d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature,  auteur médiéval,  moyen-français, poésie , rondeau,   vin, plaisirs de table.
Période : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle
Auteur :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Jamais a table ne serrai.»
Ouvrage  :    Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, par G .A Crapelet  (1832)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous prenons la direction du Moyen Âge tardif pour un rondeau « de table » d’Eustache Deschamps. Si le petit employé de cour du XIVe siècle, qui fut aussi bailli de Senlis, nous a  gratifié d’un grand nombre de poésies moralistes,  il en a aussi laissé d’autres largement plus légères. Il faut dire que notre auteur est prolifique ; il a versifié à peu prés sur tout et, dans son legs de  plus de mille ballades, on en trouve un certain nombre sur le thème du jour : plaisirs de la table,  mets variés et  bonne chère, qui, pour lui, ne vont jamais sans le vin, comme il l’affirmera encore dans ce rondeau.

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Source historique de ce « rondeau de table »

On peut trouver ces vers d’Eustache Deschamps aux côtés de   quantités d’autres dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF.   Vous  trouverez de nombreuses références à cet ouvrage en consultant nos pages sur cet auteur médiéval.   Daté du XVe siècle, le MS Français 840 est accessible en ligne dans son entier. Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale a eu, en effet, la bonne idée de le numériser (  à consulter ici sur Gallica ).

poesie-medievale-manuscrit-840-Eustache-deschamps-rondeau-vin-boisson-moyen-age-tardif_sPour ce qui est de la transcription en graphie moderne de ce rondeau, on pourra la retrouver dans un grand nombre d’éditions consacrées à Eustache, depuis le XIXe siècle. Nous avons choisi de  citer, ici, l’une des premières d’entre elles : celle de Georges Adrien   Crapelet (Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps  ).      Dans le premier tiers du XIXe siècle, cette imprimeur et auteur parisien    fit beaucoup  pour faire connaître et diffuser le legs du poète du Moyen Âge.

Concernant son langage et son vocabulaire,  cette poésie courte en moyen-français ne présente pas de difficultés particulières. Pour l’éclairer, nous ne donnons donc que quelques clés.


« Jamais a table ne serray » dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Jamais a table ne serray
Si je ne voy le vin tout prest
Pour boire et verser sanz arrest.

Au premier morsel (morceau, bouchée) tel soif ay
Que mort suy se boire n’y est ;
Jamais a table ne serray, 
Si je ne voy le vin tout prest.

Comment il m’en va, bien le scay ;
Rolant en mourut (1); si me plest
Boire tost puisque vin me pest  (de pestre : paître, nourrir, réconforter);

Jamais a table ne serray
Si je ne voy le vin tout prest
Pour boire et verser sanz arrest.

(1) Certaines versions de la chanson de Roland font allusion à une grande chaleur et au fait que la soif avait contribué  à emporter ce dernier.   De fait, l’expression « mourir de la mort Roland », encore en usage au XVe siècle, signifie « mourir de soif » (à ce sujet voir   « La voix du cor: la relique de Roncevaux et l’origine d’un motif dans la littérature du Moyen Age, XIIe-XIVe siècles » ,  Ásdís R. Magnúsdóttir 1998).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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Etre et avoir : une leçon médiévale du sage Saadi sur la vie et les bonnes oeuvres

saadi_mocharrafoddin_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe_siecleSujet    : citations médiévales, sagesse persane,  morale médiévale, miroirs des princes, sagesse politique,   bonté, charité, bonnes œuvres, mort.
Période    : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur  :   Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage   :  Le Boustan  (Bustan) ou Verger,  traduction de  Charles Barbier de Meynard   (1880)


« Que ta main s’emplisse de bonnes œuvres, tandis qu’elle a la vie et la force ; bientôt tu ne pourras plus la tirer hors du linceul. La lune, les pléiades, le soleil continueront à luire dans le ciel, mais ta tête ne soulèvera pas la dalle du sépulcre. » 

Citations Médiévales – Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan ou verger


Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu cœur de la Perse médiévale, le conteur,  érudit et voyageur Saadi dispense sa sagesse sous forme d’histoires courtes et d’anecdotes, à l’attention des hommes, en général, et de ceux de pouvoir en particulier. De son « Jardin des Roses »,   le Gullistan    à « son Verger »,   le Boustan, ses contes philosophiques sont comme autant de petits trésors qui égrainent  les travers humains et passent saadi-le-boustan-verger-conte-sagesse-persanne-medieval-moyen-ageen revue les situations de vie les plus diverses, pour mieux nous distiller l’importance des valeurs morales.

Compassion, mansuétude, charité, justice, amitié, discernement, sagesse, … contre cupidité, orgueil, ignorance, bêtise, aveuglement, mauvaises influences…, les ouvrages de Saadi sont aussi de petits guides éducatifs pour l’action en  politique, à l’image de ceux qui émergent alors, du côté du Moyen Âge occidental, et que que l’on nommera les « Miroirs des princes » .

Bonté & charité pendant qu’il en est temps

Aujourd’hui, c’est sur le terrain  de la charité et des bonnes œuvres que  le conte moral de Saadi nous entraîne. On y croisera un roi d’Egypte qui, aux portes de la mort, réussira tout de même à souffler, à l’oreille des vivants, une dernière leçon sur le sens de la vie.

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Ci-contre la traduction du  Boustan  par  Charles Barbier de Meynard  rééditée par Hachette en collaboration avec la BnF.

Au Moyen Âge, du Proche-Orient à l’Occident, conteurs, poètes comme moralistes nous rappellent souvent que la mort devrait toujours éclairer nos actions,  en éternelle conseillère.  Du côté de la France médiévale, on pourra ainsi trouver quantité de morales assez similaires à celle du jour et qui prônent l’inutilité de s’accrocher aux avoirs de ce monde et la charité contre   l’évanescence de la vie et cette mort qui bat le rappel  :  au fond, semer de bonnes graines avant  son dernier souffle.  Nous ne citerons ici que  deux grands auteurs français, un du XIIe et l’autre du XIVe siècle (on pourra également consulter notre article sur la  mort médiévale).

« Pensons que quant ly homs est au travail de mort,
Ses biens ne ses richesses ne luy valent que mort
Ne luy peuvent oster l’angoisse qui le mort,
De ce dont conscience le reprent et remort »

Jean de Meung (1250-1305)– Le Codicille

«Prince, empereurs, rois, dames et barons,
Religieus, peuples, considérons
Que tuit sommes du monde pèlerin
Et qu’en passant nous y trespasserons;
Faisons donc bien et le mal eschivons :
Il n’est chose qui ne viengne a sa fin.»

Eustache Deschamps (1340 -1404)     –  Ballade médiévale – Tout finit

Sur ce, voici le conte de Saadi, dans sa traduction par   Charles Barbier de Meynard  , en   1880.


Les regrets d’un roi d’Egypte

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« Un grand prince qui régnait sur l’Egypte venait d’être renversé par le choc de la maladie : son noble et beau visage pâlissait comme le soleil au déclin du  jour. Les médecins se désespéraient de ne pas trouver, dans leur art, de remède contre la mort : car toute royauté doit finir et disparaître, excepté celle du Dieu  tout-puissant et éternel. Au moment où sa vie allait s’évanouir dans les ténèbres du trépas, on entendit ses lèvres expirantes murmurer ces paroles :

— L’Egypte n’eut jamais un maître aussi puissant que je l’ai été, mais cette puissance n’était que néant, puisque c’est la qu’elle devait aboutir. J’avais amassé les biens de ce monde, au lieu de les dépenser et voici que je m’en vais comme le plus pauvre des hommes ! 

Les richesses d’ici-bas ne profitent qu’au sage qui sait les dépenser pour lui même et pour les autres. Efforce-toi d’acquérir des biens durables puisque ceux qu’on laisse après soi sont une cause d’inquiétudes et de regrets. Vois ce moribond dont la tête repose sur l’oreiller de l’agonie ; il étend ses bras comme s’il voulait à la fois donner et repousser ; à cette heure suprême où sa langue est paralysée de terreur, il semble te dire par ce geste   :   

—   Étends une main pour faire l’aumône, et repousse de l’autre les passions et l’injustice. Que ta main s’emplisse de bonnes œuvres, tandis qu’elle a la vie et la force ; bientôt tu ne pourras plus la tirer hors du linceul. La lune, les pléiades, le soleil continueront à luire dans le ciel, mais ta tête ne soulèvera pas la dalle du sépulcre. »

SaadiLe Boustan (op cité)


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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Amitié contre mauvais conseillers : une fable médiévale de Don Juan Manuel

Don-juan-manuel-lucanor-contes-moraux-moyen-age-espagne-medievaleSujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale,  devoirs des princes, fable
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348)
Titreex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau
Ouvrage  :   Le comte Lucanor, traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque  (1854)


« Ne laisse pas  les dires de  perfides menteurs,
Briser ton amitié avec  gens  de valeur. »

Don Juan Manuel   –  Le comte Lucanor,

« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos
(1)«  
 Don Juan Manuel  –  El conde Lucanor

(1) provechosos  : bons, serviables, loyaux


Bonjour à tous,

R_lettrine_moyen_age_passionetournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs  semblent, souvent, plus redoutés encore que les   princes  dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a  sans doute contribué, dans certains cas, à   mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux,  quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique  directe envers les plus grands  peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages   du   Surveiller et punir de Michel Foucault   )  .

Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore  le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique,  il est à supposer qu’ils sont  mal conseillés ou, même plus perfidement encore,   manipulés.

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 Un conte  politique sur fond  de vécu

Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel    ne pouvait-il s’empêcher,  en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur  du jeune dauphin  Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.

Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette  histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour comte-lucanor-europe-medievale-don-juan-manuel-contes-moraux-politiques-moyen-agetirer leur épingle du jeu.

Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans le comte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation  imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage  ancien ne contient que les œuvres  de Juan  Manuel (consulter ici).

Une fable sur l’alliance du lion et  du taureau

Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de  l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance  que  le  lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur  les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à  ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.

« Il  n’y  aura de sûreté  pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux  oppresseurs  ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »

taureau-fable-medievale-espagne-moyen-age-conte-morale-politiqueSur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il   reste  vigilant, le lion voulait sa peau.

Devant la puissance des délateurs,   les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori  ;  le renard pour le lion, le  mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant.  Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer  et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :

« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et deco_medieval_espagne_moyen-agedu lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite  est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »

En suivant les pas de A  de Puibusque (opus cité), cette  histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable,   trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses  de  Vishnusharman. Enfin,  pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement  mais de belle manière :

« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître,
Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »


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En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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D’un dragon et d’un vilain : une fable médiévale de Marie de France sur la cupidité

dragon-moyen-age-fable-ysopets-marie-de-franceSujet  : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’oïl, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval,   vilain, dragon, convoitise,   cupidité
Période  : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre :  Dou Dragon è d’un Villain    
Auteur    :   Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage    :    Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui,  pour le XIIe siècle avec une fable de Marie de France. Il y sera question de vilenie, de trahison, mais aussi d’un œuf de dragon renfermant bien des trésors dont la confiance d’un animal mythique et l’utilisation qu’il en fera pour mettre à l’épreuve un faux ami.

Un autre vilain littéraire « archétypal »

On  reconnaîtra, dans cette poésie sur le thème de la défiance et de la cupidité,  ce « vilain archétypal » de la littérature médiévale  du XIIe siècle. Nous voulons parler de celui qui porte,  si souvent, tous les  travers   : rustre,   « convoiteux »,   avare, indigne de confiance,  malicieux ou, selon, un peu crétin sur les bords (cf de Brunain la vache au prêtre de jean Bodel).

deco-dragon-medievale-bestiaireDans ces premiers usages, dans la littérature médiévale, le terme de vilain finira par désigner souvent autant le travailleur de la terre que  celui sur lequel la société des valeurs et de la bienséance n’a aucune prise :  une profession  de tous les défauts et tous les préjugés, qu’elle cristallise sans doute d’autant plus que le monde médiéval tend à s’urbaniser (opposition « campagne/monde civilisé »  ou encore « nature/culture »  ?).

Avec le temps et au cours des XIIIe et XIVe siècles, cette image viendra se nuancer largement pour donner lieu à des archétypes plus variés du vilain : sagesse populaire, bon sens,  espièglerie même (voir le vilain qui conquis le paradis en plaidant). Le terme sera aussi dissocié, par certains auteurs médiévaux, du statut social et de la fonction paysanne pour devenir un trait qui ne réside que dans les actes : « Nus n’est vilains, se de cuer non. Vilains est qui fet vilonie. » (des chevaliers, des clercs et des vilains  le vilain dans les fabliaux et la littérature du moyen-âge).

Quant au dragon,  s’il a représenté  plutôt, dans les premiers temps du moyen-âge central, une créature maléfique, ici et sous la plume de Marie de France, il incarne la raison. Il se fait même le représentant des hommes (éduqués, fortunés, nobles ?) pour les aider à tirer une leçon de sagesse :  à défaut d’avoir le choix,  méfions-nous toujours de ceux à  qui nous confions nos avoirs.

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Dou Dragon è d’un Villain

Or vus cunterai d’un Dragun
K’un Vilains prist à compaignun ;
E cil suvent li prometeit
Qe loiaument le servireit.
Li Dragons volut espruvier 
Si se purreit en lui fier,
Un Oef li cummande à garder ;
Si li dit qu’il voleit errer.

De l’Uef garder mult li pria
E li Vilains li demanda
Pur coi li cummandeit enssi :
E li Draguns li respundi
Que dedenz l’Uef ot enbatu
Tute sa force et sa vertu,
Tut sereit mort s’il fust brisiez.

Qant li Draguns fu eslungiez
Si s’est li Vileins purpenssez
Que li Hués n’iert plus gardez ;
Par l’Oues ocirra le Dragun
S’ara sun or tut-à-bandun.
E qant li Oës fu despéciez
Si est li Dragons repairiez ;
L’eschaille vit gésir par terre,
Si li cummencha à enquerre
Purquoi ot l’Oef si mesgardé.
Lors sot-il bien la vérité
Bien aparçut la tricherie ;
Départie est lur cumpaignie.

MORALITÉ

Pur ce nus dit icest sarmun,
Q’à trichéour ne à félun
Ne deit-l’en cummander sun or,
N’abandunner sun chier thrésor ;
En cunvoitex ne en aver
Ne se deit nus Hums affier.

Traduction   adaptation en français moderne

Or (à prèsent) vous conterai d’un dragon
Qui vilain prit pour compagnon
Et qui, souvent, lui promettait
Que toujours il le servirait.
Le Dragon voulut éprouver
S’il pourrait   vraiment s’y fier.
Et d’un œuf lui confia le soin 
Pendant qu’il  partirait au loin.

De garder l’œuf,   tant le pria
Que le
  vilain lui demanda,
Pourquoi   il insistait autant.
Lors,  le dragon lui répondit
Que  dedans l’œuf il avait mis
Toute sa force et sa vertu
Et qu’il mourrait s’il fut brisé.

Quand le dragon fut éloigné
Le  vilain se mit à penser
Que l’œuf   il n’allait plus garder
Mais qu’avec  il tuerait le Dragon
Pour lui ravir  ses possessions.
Une fois l’œuf   dépecé
Voilà  dragon qui reparaît.
Voyant  les coquilles à terre

Il  interroge  le compère
Sur les raisons  de sa mégarde.
A découvrir  le vrai ne tarde

Et mesurant la tricherie
Il  met fin à leur compagnie.

MORALITÉ

La  morale de notre histoire
Est qu’à tricheur  ni à félon,
On ne doit laisser son or,
Ni   ne  confier  son cher trésor,
Qu’ils soient avares ou convoiteux
Tout homme doit se défier d’eux.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
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