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La Cantiga de Santa Maria 282, culte marial et miracle médiéval par le groupe néo-folk Triskilian

musique_medievale_cantigas_santa_maria_166_enluminures_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 282
Interprètes : Triskilian  
Album : Bell’amata (2015)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons, aujourd’hui, notre exploration du culte marial au Moyen Âge central, à la lumière des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, roi érudit qu’on surnomme encore  Alphonse le sage.

Comme toutes les autres Cantigas de Santa Maria de la cour d’Espagne du XIIIe siècle, celle du jour est en galaïco-portugais.  Il s’agit de la Cantiga 282 connue sous le titre de « Par Déus, muit’ á gran vertude » ou même encore  comme « Ai, Santa María, val!« .

Popularité des Cantigas de Santa Maria
sur la scène musicale médiévale

cantigas_santa_maria_culte_marial_alphonse_X_Castille_XIIIe_moyen-ageDe l’Allemagne à la Norvège, de la France à l’Italie, l’Angleterre, la Suisse, la Suède, le Portugal ou l’Espagne, le Moyen Âge est encore bien présent dans les esprits. Sous une forme historique ou plus onirique, l’Europe médiévale continue d’exister et de séduire de nombreux artistes et un large public.

Par la richesse  de son corpus mais également par les manuscrits médiévaux détaillés qui en nous sont parvenus, le répertoire des Cantigas de Santa Maria inspire tout particulièrement des ensembles musicaux venus d’horizons divers. Ce legs d’Alphonse X favorise ainsi des  incursions hors-frontières à la découverte d’interprétations ou de croisements culturels hauts en couleur.

Pour l’interprétation de la Cantiga de Santa Maria 282, nous partons donc en direction de l’Allemagne avec un jeune ensemble musical  passionné de musique et de Moyen Âge. Il a pour nom Triskilian et il nous propose une version très enlevée  de cette Cantiga avec deux superbes voix et un bel arrangement musical plus néo-folk que « classique ».

La Cantiga de Santa Maria 282 par le groupe néo-folk médiéval Triskilian

Triskilian, musiques médiévales et néo-folk

Fondé dans le courant de l’année 2000 par l’artiste  polyvalent – mime, trapéziste, conteur, musicien – Dirk Kilian et la chanteuse Julia Bauer, le groupe allemand Triskilian s’est donné comme champ d’exploration le Moyen Âge. Bientôt rejoint par  Christine Hübner (chant percussions, harpe) et  Philipp Greb (cistre, Bouzouki, guimbarde), la formation invite également d’autres artistes sur ses productions.

A l’image d’un certain nombre de groupes de « minnesingers » (ménestrels) allemands modernes,   les artistes de Triskilian ont Triskilian_neo-folk_medieval_musiques_inspiration_moyen-agedécidé d’ajouter à leur inspiration musicale médiéval, une bonne touche de néo-folk & de tradition celtique. C’est une caractéristique  commune  à un nombre important de groupes musicaux de la scène médiévale venus d’Europe du Nord (Faün, anwn, Omnia, Corvus Corax, etc…)

Nous sommes donc moins ici dans l’ethnomusicologie que dans le domaine du rock-folk d’inspiration médiévale. Triskilian nous propose un Moyen Âge reconstruit, qui tutoie même la World music de manière assumée. Voici des liens utiles pour suivre leur actualité et découvrir quelques uns de leurs autres titres : Site web (allemand) –  Chaîne Youtube

L’album Bell’amata de Triskilian

Depuis sa création, Triskilian a produit six albums. Bell’amata est le dernier en date. Sorti en 2015, le groupe se proposait d’y revisiter, de manière large, le répertoire des trouvères, troubadours mais aussi des pèlerins du Moyen Âge central. L’album proposait une sélection de quinze pièces en provenance des XIIe et XIIIe siècles et l’un de ses fils conducteurs était aussi de rendre hommage à la féminité et aux muses du Moyen Âge.

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On y trouve ainsi une sélection de pièces en provenance de l’Europe médiévale  au sens large puisque les Cantigas de Santa Maria y côtoient les Cantigas de amigo de Martin Codax, mais encore des pièces de la trobairitz Beatriz de Dia, du trouvère Adam de la Halle, et d’autres titres encore signés ou anonymes en provenance de l’Italie,  de l’Angleterre et de l’Allemagne médiévales.

La  Cantiga de Santa Maria 282,
histoire d’un miracle et culte marial

Il est question à nouveau, dans cette Cantiga de Santa Maria, du récit d’un miracle accompli par la Vierge. L’ouvrage en contient de nombreux (voir notamment Cantiga 139, Cantiga 23, Cantiga 49, Cantiga 166).

L’histoire provient, cette fois, de la ville de  Ségovie dans la province de  Castille et León, au nord de Madrid. Elle conte la chute d’un enfant (fils chéri d’un dénommé Diego Sánchez), du toit d’une haute musiques_medievales_partitions_alphonse_X_cantigas_santa_maria_282_culte-marial_moyen-agemaison. Paniqués, ses parents et sa nurse accoururent en s’attendant au pire, mais ils le trouvèrent fort heureusement sain et sauf, jouant et riant même. Il leur expliqua qu’il avait, pendant sa chute, demandé à la Vierge de le sauver et que cette dernière l’avait, à l’évidence, exaucé.  

Quand ils entendirent le récit, les parents heureux et soulagés, s’empressèrent de porter l’enfant jusqu’à la cathédrale et y firent offrande de nombreux cierges à la Sainte pour la remercier du miracle.


Les paroles de la Cantiga de Santa Maria 282

Como Santa María acorreu a un moço de Segóbia que caeu dun sobrado mui alto, e non se feriu porque disse: “Santa María, val-me.”

Comment Sainte-Marie secourut un jeune homme de Ségovie qui était tombé du toit d’une maison très haute, et qui ne fut pas blessé  parce qu’il avait dit : « Sainte-Marie, sauve-moi. »

Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal
u dizen todos nas coitas: “ai, Santa María, val!”

Par Dieu, elle a de grandes vertus la prière commune* (*populaire)
que tous disent, dans la peine (disgrâce) : ah! Sainte Marie, sauvez-moi! »

Ca muito é gran vertude e pïadad’ e mercee
d’acorrer sól por un vérvo a quen en ela ben cree;
ca estando con séu Fillo, todo sab’ e todo vee,
pero quena aquí chama sa mercee non lle fal.
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

E daquest’ un séu miragre mui fremoso contarei
que mostrou grand’ en Segóvi’ a, com’ éu en verdad’ achei,
un fillo de Dïag’ Sánchez, un cavaleiro que sei
que na cidade morava e éra ên natural.
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

Est’ avía un séu fillo que amava mais ca si;
e un día trebellando andava, com’ aprendí,
encima dũu sobrado muit’ alt’, e caeu dalí
de cóstas, cabeça juso, e foi caer ena cal.
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

A ama que o crïava foi corrend’ a aquel son
do meninno que caera, e o padre lógu’ entôn;
e outrossí fez a madre, que o mui de coraçôn
amava mais d’ outra cousa como séu fillo carnal,
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

Coidando que mórto éra, e foron polo fillar.
E quando pararon mentes, vírono en pé estar
trebellando e riíndo, e fôrono preguntar
se éra ja que ferido ou se se sentía mal.
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

Diss’ el: “Non, ca en saendo chamei a Madre de Déus,
que me fillou atán tóste lógo enos braços séus;
ca se aquesto non fosse, juro-vos, par San Matéus,
que todo fora desfeito quando caí, come sal.”
Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal…

Quand’ est’ oiü o padre e a madre, gran loor
déron a Santa María, Madre de Nóstro Sennor;
e lóg’ o moço levaron aa eigreja maior
con muitas candeas outras e con un séu estadal.

Par Déus, muit’ á gran vertude na paravla comũal.
u dizen todos nas coitas: “ai, Santa María, val!”


Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites en français actuel et commentées, avec version en musique,

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Rose des Roses, la Cantiga de Santa Maria 10 par Marina Lys, trobairitz passionnée

cantigas_santa_maria_10_rose_des_roses_culte_mariale_vierge_marie_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien.
Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 10 rosas das rosas
Interprète : Marina Lys  (2015)


Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.

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Cantiga de Santa Maria et sa partition ancienne

Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco-  portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au cœur du culte marial si prégnant au Moyen Âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects  tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).

Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.

La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys

Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie  sur la route des fêtes médiévales

Formée au conservatoire de musique d’Orly, Marina  Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.

A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique,  son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.

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Marina Lys, une artiste passionnée de musiques anciennes et médiévales

Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du Moyen Âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.

A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à  les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur  et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre jadys_marinas_lys_compagnies_animations_musiques_danses_inspirtations_medievalesde fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.

Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe  musicale  « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses  et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.

Voici de liens utiles pour plus d’informations sur son art et son actualité  : Facebook officiel Site web – FB de la compagnie Jàdys

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Rosa das rosas, les  paroles de la Cantiga 10  et leur traduction en français moderne

Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.

Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.

Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Rosa de beldad’ e de parecer
e Fror d’alegria e de prazer,
Dona en mui piadosa ser
Sennor en toller coitas e doores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose de beauté et belle apparence
Et fleur de joie et de plaisir.
Dame de grande piété (miséricorde)
Reine pour ôter peines et douleurs
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Atal Sennor dev’ ome muit’ amar,
que de todo mal o pode guardar;
e pode-ll’ os peccados perdõar,
que faz no mundo per maos sabores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer
Qui de tout le mal nous peut préserver
Et peut pardonner pour tous les péchés
Qu’on fait dans le monde  par mauvais goût ( à mauvais escient)
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Devemo-la muit’ amar e servir,
ca punna de nos guardar de falir;
des i dos erros nos faz repentir,
que nos fazemos come pecadores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir
Car elle peut nous garder des fautes
Et  nous faire repentir des erreurs
Que nous commettons, nous, pécheurs,
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Esta dona que tenno por Sennore
de que quero seer trobador,
se eu per ren poss’ aver seu amor,
dou ao demo os outros amores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Cette dame là que je tiens pour reine
et dont je veux être le troubadour
Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour
Je laisserai au démon tous les autres amours
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

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Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse

Avec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable »  toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.

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La Partition moderne de la CSM 10 Rose des rose

A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse « politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église.  Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles  de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs  (1).

Retrouvez plus de Cantigas de Santa Maria traduites en français actuel, avec leurs partitions anciennes et leur interprétations par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


(1) Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’œuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010  par Jean-Louis Benoit  dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »

La Cantiga de Santa Maria 23 et le miracle du Vin, avec Eduardo Paniagua

musique_medievale_cantigas_santa_maria_166_enluminures_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles. Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur :  Alphonse X  (1221-1284) Titre :  Cantiga 23 Direction : Eduardo Paniagua  (2006)  Album : Merlín y otras Cantigas Celtas  Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est toujours un vrai plaisir de découvrir ou redécouvrir des pièces d’anthologie en provenance du monde médiéval, tout en faisant tribut aux musiciens et artistes contemporains qui les font revivre pour nous.  Aujourd’hui, comme nous l’avons engagé il y a quelque temps déjà, nous continuons notre exploration des Cantigas de Santa Maria en essayant, sinon de toutes les traduire littéralement en français au moins d’en approcher clairement le sens.

C’est donc,  cette fois, sur la Cantiga 23 que nous nous penchons, en vous proposant son interprétation par une formation dirigée par l’artiste et musicien madrilène  Eduardo Paniagua,  qui s’est fait une chanson_poesie_miracle_medievale_culte_marial_cantigas_santa_maria_23_alphonse_X_castille_moyen-age_centralvéritable spécialité des musiques de l’Espagne médiévale.

Nous le rappelons ici, mais si vous nous suivez, vous vous souvenez que ces Cantigas nous viennent du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X de Castille. Connu encore sous le nom d’Alphonse le sage ou le savant, le souverain, grand passionné de Culture (au sens large et pluriel) tout autant que de Littérature, en est d’ailleurs réputé l’auteur et il demeure certain qu’un grand nombre de ces chansons sont de sa plume. Elles restent un témoignage incontournable du culte marial et des pèlerinages du moyen-âge central, mais elles sont aussi des pièces uniques de galaïco-portugais, cette belle langue romane qui servit à merveille la lyrique médiévale.

La cantiga 23 sous la direction d’Eduardo Paniagua.

Eduardo Paniagua, insatiable explorateur des musiques de l’Espagne médiévale

Né en 1952 à Madrid, architecte de formation, la passion de Eduardo Paniagua pour le moyen-âge l’a conduit, avec le temps, à devenir un des plus grand grand expert dans le champ de la musique médiévale espagnole.

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Eduardo Paniagua, grand explorateur des musiques médiévales

Ayant débuté à l’âge de 16 ans et de manière très précoce son exploration du domaine des musiques anciennes (notamment dans  le cadre du groupe espagnol Atrium Musicae), il a, depuis, fondé de nombreuses formations et a aussi crée, en 1994, sa propre maison d’édition, baptisée PNEUMA, afin de distribuer ses propres productions ainsi que celles d’autres artistes. A ce jour, la maison a édité plus de 135 albums dont 80 dirigés par son créateur.

Le répertoire de cet artiste est loin de se limiter aux Cantigas de Santa Maria même si ce champ est déjà immense en soi. Il a d’ailleurs dirigé et enregistré plus de 400 d’entre elles  à travers de nombreux albums et dans le cadre de l’ensemble Musica Antigua qu’il fonda en 1994. Durant cette même année, il cofonda également avec l’artiste marocain Omar Metioui, le groupe IBN BÁYA afin  d’explorer  les musiques de l’Andalousie médiévale.

En insatiable explorateur, Eduardo Paniagua a eu encore à coeur de faire découvrir ou redécouvrir au public de nombreux autres codex ou chansonniers, et des musiques allant des troubadours et jongleurs du moyen-âge central jusqu’à la période renaissante et pré baroque, en passant par le répertoire incontournable des musiques séphardiques (ou sépharades) de l’Espagne médiévale. Pour ses derniers travaux, il a d’ailleurs été récompensé en 2004 et conjointement par les quatre synagogues séfarades de Jérusalem.

Ajoutons encore que tout au long de sa carrière, ce grand artiste, directeur et musicien s’est vu primer à de nombreuses reprises dans ses répertoires de prédilection, au niveau national comme international.

Merlin y otras cantigas celtas Alfonso X el Sabio, s. XIII 

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Merlin et les cantigas de Santa Maria

Dans cet album de 2006 sorti chez Pneuma, Eduardo Paniagua,  accompagné du musicien multi-instrumentiste  Jaime Muñoz et de quelques autres artistes, se proposait de revisiter une partie du répertoire des Cantigas, sous l’angle particulier de la matière de Bretagne et des chants en relation avec les terres celtiques. L’album contient donc neuf pièces de cette veine, toutes tirées de Cantigas de Santa Maria, dont cinq chantées et quatre instrumentales.

A cette occasion, on notera avec intérêt qu’Alphonse de Castille se piqua lui aussi de légendes arthuriennes puisque dans sa Cantiga 108, il nous parle même d’un Miracle pour le moins étonnant dans lequel Merlin fera appel à la Sainte Vierge pour prouver à un juif dubitatif la véracité de la résurrection.

Concernant cette production, elle peut encore être trouvée à la vente au format CD chez certains disquaires. A défaut, voici un lien utile pour vous la procurer en ligne: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua

Une origine dans les écrit de Saint Dunstan ?

D’après le livret de l’album d’Eduardo Paniagua, l’histoire de la Cantiga 23 proviendrait, à l’origine, des récits de Saint Dunstan, prélat anglo-saxon et archevêque de Cantorbéry, contemporain du Xe siècle. Le roi dont il est ici question serait donc Aethelstam (Athelsan) de Glastonbury qui fut, nous dit encore le  même livret « le souverain anglais qui ordonna la traduction de la bible en anglosaxon ».

Pour être très honnête, nous n’avons pas creusé plus loin ces assertions. En revanche on trouve bien la mention d’un Saint Ethelwold du même siècle, qui a effectivement visité la cour du roi Athelsan, et fut ordonné prêtre en même temps que Saint Dunstan. Il semble qu’on ait prêté à ce bénédictin la traduction de la règle de Saint-Benoit en anglosaxon (et pas la bible) et également un miracle du vin, multiplié à partir d’une simple jarre. Si vous avez à cœur d’aller plus loin sur ce point, vous aurez au moins cette piste.

La cantiga de Santa Maria 23 en galaïco-portugais & sa traduction en français actuel

Le poète nous conte ici un miracle, survenu en Bretagne qui fait écho et même référence directe au miracle biblique des noces de Cana. A l’image de son fils qui changea l’eau en vin, la Sainte fera, en effet, de même dans cette cantiga, en sauvant ainsi une dame très pieuse d’une situation délicate. En voici donc les paroles, ainsi que leur traduction/adaptation par nos soins :

Como Deus fez vo d’agua ant’ Archetecro, Ben assi depois sa Madr’ acrecentou o vinno.

Comme Dieu changea l’eau en vin devant le maître d’hôtel (1) De la même façon, par la suite sa mère multiplia* le vin (*augmenta la quantité)

Desto direi un miragre que fez en Bretanna Santa Maria por ha dona mui sen sanna, En que muito bon costum’ e muita bõa manna Deus posera, que quis dela seer seu vinno.

A ce propos, je conterai un miracle que fit en Bretagne, Sante-Marie pour une dame très saine d’esprit (de très bon sens) En laquelle  de bonnes coutumes et de bonnes manières Dieu avait déposé, pour en faire une des siennes (2)

Como Deus…

Sobre toda-las bondades que ela avia, Era que muito fiava en Santa Maria; E porende a tirou de vergonna un dia Del Rei, que a ssa casa vera de camino.

D’entre toutes les bontés qu’elle avait Il se trouvait qu’elle avait beaucoup foi en Sainte-Marie Et cela la tira d’embarras, un jour Face au roi,  qui s’arrêta chez elle, en chemin

Como Deus…

A dona polo servir foi muit’ afazendada, E deu-lle carn’ e pescado e pan e cevada; Mas de bon vo pera el era mui menguada, Ca non tia senon pouco en un tonelcino.

La femme pour le servir, s’affaira beaucoup, Lui donnant viande et poisson, et pain et bière Mais de bon vin pour lui, elle se trouvait à court Car elle n’en avait pas, sinon un peu, dans un tonnelet.

Como Deus…

E dobrava-xe-ll’ a coita, ca pero quisesse Ave-lo, non era end’ en terra que podesse Por deiros nen por outr’ aver que por el désse, Se non fosse pola Madre do Vell’ e Meno.

Elle était acculé car même si elle avait voulu en trouver Il n’y avait pas sur cette terre là un endroit pour s’en procurer avec de l’argent ou par tout autre moyen Si ce ne fut par le recours à la mère de Dieu et de l’enfant.

Como Deus…

E con aquest’ asperança foi aa eigreja E diss’ Ai, Santa Maria, ta mercee seja Que me saques daquesta vergonna tan sobeja; Se non, nunca vestirei ja mais lãa nen lo.

Et avec cet espoir elle se rendit à l’église Et dit « Ha, Sainte-Marie, j’implore votre pitié pour que vous me tiriez de cette grande honte sans quoi je ne me pourrai plus me vêtir ni de laine, ni de lin (3) 

Como Deus….

Mantenent’ a oraçon da dona foi oyda, E el Rei e ssa companna toda foi conprida De bon vinn’, e a adega non en foi falida Que non achass’ y avond’ o riqu’ e o mesqo.

La prière de la femme fut entendue sur le champ Et le roi, avec toute sa compagnie Fut servi en bon vin, et la cave n’en manqua pas, Et le riche et le pauvre en trouva en abondance. 

Como Deus fez vo d’agua ant’ Archetecro, Ben assi depois sa Madr’ acrecentou o vinno.


Notes (1) L’officiant responsable de l’organisation des noces de Cana donc. Bible Latine : Architriclino. Le triclinium était la salle à manger romaine et le lieu où l’on pouvait trouver les lits de banquets et les tables.

(2) litt : « pour faire d’elle son vin » pour qu’elle soit proche de lui, pour en faire une des siennes

(3) Sans quoi je serais à visage découvert et n’aurais d’autre recours que boire toute ma honte.

Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées en français actuel, avec version musicale et partitions.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Miracle médiéval : traduction de la Cantiga Santa Maria 166 et une version en musique

Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, Espagne médiévale, miracle, culte marial.
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre : Cantiga  Santa Maria 166
Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) 
Interprète : Oni Wytars,
concert de musique médiévale, Ravenne  (2010)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons  aujourd’hui à l’Espagne médiévale  du XIIIe siècle et avec elle, aux célèbres Cantigas Santa Maria, chansons monophoniques attribuées, pour le parrainage sinon pour l’écriture, à Alphonse X de Castille, connu encore sous le nom d’Alphonse le Sage, roi, érudit et poète, curieux de toutes les cultures et qui marqua également de son empreinte la langue espagnole (voir portrait).

Guérison miracle d’un paralytique,
pèlerinage et grâce rendue à la vierge

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Enluminure des Cantigas et du pèlerin alité

La Cantiga 166 est un chant ayant pour titre « Como poden per sas culpas os omes seer contreitos ». Elle conte l’histoire d’une guérison miracle, celle d’un homme estropié qui, pour ses pêchers et ses fautes, s’était retrouvé, durant de longues années, paralysé des membres et perclus de douleurs. Ayant fait la promesse de se rendre en Pèlerinage à Salas, ville asturienne sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, et d’y faire don d’une livre entière de cire si sa maladie disparaissait, il vit son voeu exaucé. Il s’en fut donc, sans plus attendre à Salas, comme nous l’explique la chanson qui rend encore grâce à la vierge pour le miracle accompli.

Nous avions déjà présenté, il y a quelque temps, une version instrumentale très « Free Jazz » de cette Cantiga par le groupe suédois Vox Vulgaris et c’est maintenant la version vocale (sans doute plus conventionnelle) de la formation italo-allemande Oni Wytars que nous partageons ici.  L’extrait provient d’un concert que l’ensemble médiéval donna au Théâtre Rasi de la ville italienne de Ravenne en 2010.

Como poden per sas culpas os omes seer contreitos
la Cantiga de Santa Maria 166 & sa traduction

Comme pour les autres chants des Cantigas Santa Maria, les paroles de la cantiga 166 sont en galaïco-portugais, langue de prédilection du genre littéraire des Cantigas, affectionnée à la cour d’Alphonse de Castille et, bien au delà, sur la péninsule ibérique et portugaise du Moyen Âge central .

C’est au XIIIe et XIVe siècle que le galaïco-portugais connut ses plus belles heures. Ecrite, chantée et prisée par les troubadours et poètes de l’Espagne chrétienne d’alors, elle fut la langue par excellence du lyrisme poétique et rayonna hors de la péninsule jusqu’en Provence et au nord de l’Italie. Elle donnera plus tard naissance au Galicien et au Portugais moderne.

Como poden per sas culpas os omes seer contreitos,
assi poden pela Virgen depois seer sãos feitos.

De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes,
De même par la vierge il peuvent retrouver la santé.

Ond’ avo a un ome, por pecados que fezera,
que foi tolleito dos nenbros da door que ouvera,
e durou assi cinc’ anos que mover-se non podera,
assi avia os nenbros todos do corpo maltreitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Cela survint à un homme, à cause des péchés qu’il commettait,
Et dont les membres furent paralysés par une douleur qu’il avait.
Et ainsi durant cinq ans, il ne pouvait se mouvoir
Tellement il avait tous les membres de son corps paralysé.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …


Con esta enfermidade atan grande que avia
prometeu que, se guarisse, a Salas logo irya
e ha livra de cera cad’ ano ll’ ofereria;
e atan toste foi são, que non ouv’ y outros preitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Avec cette infirmité si grande qu’il avait,
Il promit qu’il se se guérissait, il irait ensuite à Salas
Et que chaque année, il y déposerait en offrande une livre de cire ;
Et ainsi, il fut vite guéri et ne connut plus d’autres soucis.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

E foi-sse logo a Salas, que sol non tardou niente,
e levou sigo a livra da cera de bõa mente;
e ya muy ledo, como quen sse sen niun mal sente,
pero tan gran tenp’ ouvera os pes d’ andar desafeitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Et après cela il s’en fut,  sans tarder, à Salas en pèlerinage,
Et y emporta, bonne grâce, la livre de cire.
Et il allait plein de joie, comme celui qui ne ressent plus aucune douleur;
Bien que ses pieds n’avaient plus marché depuis si longtemps.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

Daquest’ a Santa Maria deron graças e loores,
porque livra os doentes de maes e de doores
e demais está rogando senpre por nos pecadores;
e poren devemos todos sempre seer seus sogeitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Pour cela, ils rendirent grâce à Sainte Marie et lui firent louanges
Pour qu’elle délivrent ceux qui souffrent de leurs maux et leurs douleurs,
Et parce qu’elle prie toujours pour nous, (pauvres) pécheurs,
Nous devons toujours être ses bons sujets (serviteurs).
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

Retrouvez ici toute les Cantigas de Santa Maria traduites en français, avec partitions et versions en musique.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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