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Technologie : Le verre et les verriers au Moyen Âge

Sujet : verrerie, métier de verrier, technologie, histoire médiévale, maître verrier, histoire du verre, Moyen Âge central à tardif, proto-histoire à nos jours.

Bonjour à tous,

armi les matériaux qui ont révolutionné nos usages de façon si radicale que nous ne saurions plus comment nous en passer, le verre est, sans conteste, l’un de plus étonnants. Depuis plus de 3000 ans avant notre ère, il a accompagné l’histoire de l’humanité, des premiers enduits aux premiers objets d’art, perles ou parures, confectionnés en Perse et en Mésopotamie à ses usages les plus récents : domestiques (fenêtres, vaisseliers, miroirs,…), artisanaux et artistiques (bijoux, ornements, pièces décoratives) ou, encore, technologiques ( fibre optique, fibre de verre, télescope astronomique, micro-chirurgie, etc…)

Une découverte fortuite

Si nos ancêtres préhistoriques ont pu façonner divers objets fonctionnels ou ornementaux dans des formes de verre naturel (obsidienne, fulgurite,…), la légende nous conte que le moyen de fabriquer ce matériau fut découvert, de manière fortuite, par d’antiques voyageurs. Ayant fait leur feu, sans y prendre garde, sur un lit de sable riche en silice, ils se seraient aperçus, un peu plus tard, que l’opération avait donné naissance à une étrange matière. Un campement, un feu de camp, c’est donc ainsi que, plusieurs milliers d’années avant notre ère, la fabrication du verre serait apparue dans les civilisations humaines. Comme nous n’avons aucun document capable d’attester, ni de contredire cette version, il va falloir nous en contenter.

Verre et verriers dans le monde médiéval

D’abord décoratif, ornemental et utilisé plutôt dans des parures et des objets d’art, il fallut encore attendre quelques milliers d’années pour qu’on découvre comment produire des récipients en verre ou même encore comment souffler ce délicat matériau.

Durant ces périodes reculés, les égyptiens l’utiliseront de manière variée. Les phéniciens en feront aussi usage. Ils en amélioreront même le procédé et contribueront à commercialiser le verre autour du bassin méditerranéen. Tout au long de cette période, le matériau restera précieux à semi-précieux. Plus tard, on le retrouvera chez les romains et, quelques siècles avant notre ère, ses techniques de fabrication se répandront dans tout l’Empire et à travers l’Europe. Les romains y auront apporter entre-temps quelques innovations, notamment l’invention du verre coulé à plat à l’origine des premières vitres (même si ce dernier est alors loin d’être transparent et son usage très sélectif).

D’éternelles idées reçues

Concernant l’histoire médiévale du verre et cédant à l’habituelle facilité, vous trouverez toujours des férus d’obscurantisme pour vous expliquer que, de l’antiquité gallo-romaine à la renaissance, le Moyen Âge n’est qu’une longue période de 1000 ans passée essentiellement à patiner sur place. L’usage du verre au Moyen Âge n’y échappe pas puisqu’on le trouve assez souvent présenté comme une sorte de grand absent au tableau à quelques vitraux près et encore (1). Bien sûr, le monde médiéval n’a pas utilisé le verre autant que nous l’utilisons. Il n’en a pas non plus produit des quantités industrielles. Par contre, aux temps médiévaux, il n’y a pas, dans cette matière comme dans d’autres, une éclipse totale de la marche de l’humanité ou plutôt, pour coller à notre sujet une longue traversée du désert (de sable). La prétendue absence d’usage du verre, comme l’absence d’effervescence autour de sa fabrication, durant le Moyen Âge n’est qu’une caricature de plus à ajouter au tableau des idées reçues à l’encontre du monde médiéval. Dans la veine de notre article sur les préjugés et la révolution technique du Moyen Âge, nous allons nous évertuer à la déconstruire en apportant quelques éléments sur la question.

Usages du verre au Moyen Âge

Contre toute attente, le Moyen Âge a bien connu le verre et a même contribué à faire évoluer ses techniques de fabrication. De 2017 à 2018, le musée de Cluny consacrait d’ailleurs une grande exposition visant à montrer la richesse des objets et des usages du verre durant la période médiévale. On peut encore en trouver le fil conducteur en ligne et quelques belles images issues de cette exposition, comme celles ci-dessus ou le vitrail ayant servi d’en-tête à notre article.

L’art des vitraux

On ne peut parler de période médiévale sans évoquer les cathédrales et il est difficile de le faire sans penser aux incroyables vitraux mis alors en exergue dans ces édifices. Sans aller même jusqu’à ces superbes monuments architecturaux, du haut Moyen Âge au Moyen Âge tardif, des milliers de ces œuvres d’art sont venus peupler les lieux de culte de l’Europe : chapelle, églises, monastères et abbayes. Si l’on connait le vitrail depuis l’Antiquité, le monde médiéval (du haut Moyen Âge au central) lui a apporté des améliorations qui l’ont élevé au rang d’art à part entière et lui ont conféré toutes ses lettres de noblesses : amélioration des cadres et vitraux enchâssés (VIe s), vitraux au plomb (Xe s), puis plus grande richesse graphique, détails, apport de couleurs, rosaces, (XIe siècles et suivant). La renaissance les connaitra aussi et ce n’est que plus tard vers les XVIIe et XVIIIe que l’art du vitrail médiéval commencera à reculer.

Usages sacrés, profanes et scientifiques

Les vitraux sont loin d’avoir été les seuls à consacrer l’usage du précieux matériau. Le verre est présent dans l’architecture sacrée, sous forme décorative mais on le retrouve aussi dans les objets d’ornement. Pour parenthèse et concernant l’aspect religieux, on ne s’étonnera pas de le retrouver sur les autels, comme on lui confiait déjà un rôle dans les vitraux : sa nature hybride entre matière et lumière fascine et lui ont conféré, de tout temps, une dimension spéciale qui ne peut que séduire l’homme médiéval.

Cet attrait fait qu’il est encore à l’œuvre dans les parures et les perles de verre des orfèvres et, pour mieux en apprécier les effets, ses propriétés étonnantes permettent encore de jouer à Narcisse en se contemplant dans ses miroirs. Dans d’autres domaines, on se réjouira encore de découvrir de subtils élixirs ou de nouvelles fragrances grâce à son entrée dans l’univers de la distillerie et les alambics. En matière de science, il fera aussi des apparitions très remarquées dans la médecine et ses ustensiles, ou encore en optique dans les lunettes à montures, mises au point au début du Moyen Âge tardif.

Vaissellerie, récipients luxueux, émaux médiévaux, …

En vaissellerie, on trouvera le verre sur les plus grandes tables mais pas seulement. Les tavernes ou les fêtes populaires l’ont aussi connu. Bien sûr, la quantité, les degrés de qualité et de finition, les provenances y sont différentes de quand il siège dans les classes les plus hautes de la noblesse ou de la bourgeoisie, ou même dans les usages sacrés et consacrés du riche clergé, mais il est tout de même déjà présent là où on ne l’aurait pas attendu.

Pour finir ce petit tour d’horizon des usages du verre au temps médiévaux, on n’oubliera pas de mentionner le grand développement des techniques autour des émaux au Moyen Âge. Ils sont à l’origine de véritables trésors d’art décoratif, sacré ou ornemental qui nous émerveille encore à ce jour.

Verrerie médiévale d’orient et d’occident

Pour dire un mot de la production de verre au Moyen Âge, plusieurs berceaux culturels seront réputés pour la grande qualité de leurs réalisations. Dans les directions vers lesquels on se tourne, les créations en provenance du monde byzantin et du Moyen-Orient sont particulièrement réputées pour leur grande finesse. L’Italie et Venise joueront aussi un rôle de pointe. Les procédés de production n’y sont, bien sûr, pas étrangers. Ainsi par exemple, dans ces zones de production, pour abaisser la température de fusion, on peut utiliser comme fondants, des compositions savantes de végétaux marins et, notamment, la salicorne.

Les secrets de fabrication, comme le contenu et le dosage des matériaux intervenants dans les préparations, y sont bien sûr jalousement gardés. Autour du bassin méditerranéen, la concurrence est rude et l’enjeu de taille pour le matériau convoité. Dans ce contexte, on imagine que nombreux sont ceux désireux d’améliorer leurs recettes et leurs méthodes pour atteindre le « Graal », celui du verre idéal : le plus résistant et le plus durable, le plus pur, le moins opaque.

La Fabrication du verre – Gravure Robert Bénard (XVIIIe s), ‘Encyclopédie Diderot & Le Rond d’Alembert

A partir du XIIIe siècle jusqu’au long du Moyen Âge tardif, et même un peu plus tard, Venise, ou encore certains sites provençaux, commenceront à privilégier des procédés visant à concurrencer la qualité des verres en provenance des plus lointaines destinations. De leur côté, en France, les métiers du verre et l’industrie verrière se sont plutôt organisés, depuis les carolingiens, dans les zones forestières. Hêtres, fougères, on se sert de végétaux trouvées sur place, pour obtenir les fondants. Le verre produit y gagne une teinte plus résolument verdâtre et son aspect a tendance à s’altérer dans le temps, mais la production a le mérite d’être locale et de pouvoir servir une partie du marché.

Des ateliers de tailles et de vocation variables

Autour du Xe, XIe siècles, avant l’avènement de ces fondants composés de cendres végétales, un certain nombre d’ateliers intermédiaires, installés en zones urbaines, ne fabriquaient pas eux-mêmes le verre. Ces officines se servaient alors de lingots déjà constitués et de calcin pour refondre le matériau dans des chaudrons pouvant en supporter la chauffe. Au moyen de cette technologie, il n’était pas alors nécessaire d’atteindre les mêmes températures pour la refonte. Dans le courant du Moyen Âge central à tardif, de tels ateliers ont pu coexister aux côtés de grandes verreries forestières plus complètes dans leur approche de la chaîne de production. Les traces archéologiques sont trop faibles pour en former la certitude mais on touche, ici, la complexité des métiers gravitant autour de la verrerie : entre établissements capables de gérer tout le processus de fabrication, petites officines urbaines travaillant pour une clientèle plus locale et, peut-être, à la commande, et encore, en plus de tout cela, artisans plus spécialisés dans certains secteurs du verre que d’autres. (2).

Des évolutions technologiques sur la durée

« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » : l’adage vaut en général pour toutes les sciences et techniques, mais il est sans doute encore plus vrai pour la fabrication du verre. Au fond, c’est un peu comme pour la forge, le fer, l’acier et ses multiples possibilités d’alliage : fusion, fondant, assemblage chimique, « modelage » à chaud, rigueur et précision dans les gestes, la production du verre est une affaire complexe. Elle fait intervenir des combinaisons subtiles de matériaux, différentes cuissons, différentes techniques d’usinage, de soufflage, de colorisation, … Au sortir de tout cela, si ses possibilités semblent infinies, son équilibre demeure subtil et fragile.

Si la recherche de perfectionnement par les artisans et les maîtres verriers est constante, les choses prennent nécessairement du temps ; ainsi, par exemple, Venise disposait, dès le XIIIe siècle, de grandes verreries et d’une corporation professionnelle déjà bien organisée et puissante. Les créations, ni le verre ne furent d’emblée au niveau des réalisations orientales mais les procédés de fabrication utilisés allaient conférer à Venise une avance certaine sur d’autres productions concurrentes du reste de l’Europe, moins « fines » et moins abouties. À force d’améliorations, il faudra attendre le XVe siècle pour que leur maestria permette aux verriers vénitiens d’atteindre une perfection inégalée. De la même façon, les évolutions ont existé dans la verrerie française médiévale, procédant de longueur de temps pour se peaufiner. Au cours du Moyen Âge, elles ont permis, par exemple, aux verriers du nord de la France de parfaire leur art et de produire leurs propres innovations avec, par exemple, la mise au point de verres à tiges.

Circulation des objets et concurrence culturelle

Inévitablement, en s’exportant et en circulant, les meilleurs produits finissent par susciter des vocations et des recherches en d’autres endroits. C’est vrai aujourd’hui. Ce fut aussi vrai de la circulation de objets, comme des idées et du savoir, aux temps médiévaux. Dans toutes ces évolutions technologiques autour du verre, on ne peut ignorer l’ouverture au monde qui s’opère durant le Moyen Âge central, ni les échanges commerciaux, culturels et inter-civilisationnels auxquels on assiste alors entre orient et occident.

Pour conclure, le monde médiéval occidental ne s’est donc pas contenté de colporter ou de reproduire des technologies qui présidaient à la fabrication du verre dans le monde gallo-romain. Les artisans et professionnels de ces métiers ont aussi fait évoluer ce matériau dans ses procédés de production, ses formes et ses couleurs, autant que dans ses usages. Toutes ces transformations se sont situées dans un contexte global d’échange, de commerce et d’émulation.

Du verre au cristal, l’après Moyen Âge

La renaissance et les siècles suivants connaîtront la même fascination pour le verre que le Moyen Âge. Les découvertes autour de l’incroyable matériau se poursuivront et s’élargiront pour en imposer graduellement un usage plus généralisé. On le verra même se démocratiser pour entrer dans les maisons des classes les plus modestes.

Grand tournant de plus dans l’histoire du verre, le début du XVIIe siècle verra naître le cristal. C’est en Angleterre qu’il sera mis au point mais on en découvrira bientôt les acarnes en France. Des régions comme la Lorraine s’en feront même une spécialité toute particulière, au point qu’un siècle plus tard, cette production fera de la France, le fer de lance d’une cristallerie de luxe qui marquera l’histoire et dépassera nos frontières. Aujourd’hui, à plus de deux-cent ans de là, les grands maîtres verriers français et lorrains continuent d’exercer tous leurs talents. Il y est question tout à la fois d’art, d’artisanat, de tradition et de lignage. Vous pourrez retrouver la liste des plus grands verriers français ici.

Le verre à la conquête de la modernité

Bien sûr, la course du verre vers le progrès ne s’arrêtera pas là. Il aura encore de nombreuses places à conquérir dans notre monde moderne. Au XIXe siècle, nos villes finiront par bénéficier de ses lanternes et, plus tard, de ses réverbères. Il entrera aussi, dans nos maisons en généralisant son usage à nos fenêtres. De la même façon, plus aucun vaisselier domestique ne pourra se passer de sa présence, des verres aux plats en pyrex. Au XXe et au XXIe siècle, il s’imposera, de plus en plus, comme une évidence dans le secteur des transports ou de l’architecture avec l’avènement du verre feuilleté et encore du verre teinté. On le retrouvera encore au cœur de vibrantes compétitions et dans des matériaux de pointe comme la fibre de verre. Enfin, il ne sera pas en reste et s’imposera dans les technologies d’information de plus haute performance avec la fibre optique. Enfin, quand l’humanité se piquera de conquérir l’espace et les mondes inconnus, il sera encore là, tourné vers les profondeurs de l’univers à l’intérieur de nos plus puissants télescopes.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’image d’en-tête est un détail du vitrail les joueurs d’échec. Daté du XVe siècle, il provient de l’Hôtel de la Bessée à Villefranche-sur-Saône, et se trouve Grand Palais (musée de Cluny)


Notes

(1) En matière d’architecture par exemple, nous avons pu lire, par endroits, que les romains possédaient des carreaux à leur fenêtre et que le Moyen Âge, période amoureuse des éternels retours en arrière, n’en avait rien retenu. On oublie deux choses en disant cela. D’abord les romains même les plus nantis sont loin d’avoir tous eu des verres à leurs fenêtres. Ensuite, durant une période qui déborde largement le Moyen Âge, les procédés de fabrication ont fait, longtemps, du verre une matériau précieux à semi-précieux car, relativement fastidieux à produire. Pour poursuivre sur cet exemple des fenêtres, il faudra attendre, bien des siècles après la période médiévale pour qu’on commence à remplacer le papier huilé par des carreaux. On ajoutera encore, que durant le Moyen Âge l’usage des fenêtres et la quantité d’ouvrants dans les habitations reste limitées, pour des raisons pratiques et thermiques.

(2) voir Technologie, géographie, économie : les ateliers de verriers primaires et secondaires en Occident. Esquisse d’une évolution de l’Antiquité au Moyen Âge, Danièle Foy, Colloque organisé en 1989 par l’Association française pour l’Archéologie du Verre (Année 2000)

On pourra également retrouver des éléments sur l’exposition passée sur le site du musée de Cluny et notamment pour les plus jeunes un sympathique livret-jeu.

« Mos cors s’alegr’ e s’esjau », une chanson de Peire Vidal, troubadour itinérant du XIIe siècle

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
TitreMos cors s’alegr’ e s’esjau
Interprètes : Gérard Zuchetto, Patrice Brient, Jacques Khoudir
Album : Gérard Zuchetto chante les   Troubadours des XIIe et XIIIe siècles, Vol. 1    (1988)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, au pays d’oc et en Provence médiévale. Nous sommes à la fin du XIIe siècle pour y  découvrir une nouvelle chanson du troubadour Peire Vidal, au sujet de ses pérégrinations. Cette fois-ci, ce n’est pas en Espagne que nous le retrouverons mais, ayant séjourné à l’ouest de Carcassonne, dans le département de l’Aude actuel et s’apprêtant à rejoindre Barral, son protecteur marseillais.

Récit d’un séjour en Languedoc
sur fond  de valeurs courtoises

Au menu de cette poésie, on retrouve un Peire Vidal  un peu plus « sage », ou en  tout cas, un peu moins grandiloquent qu’à l’habitude, mais tout aussi désireux de défendre les valeurs de la courtoisie.   Pour preuve, elles lui sont si chères que même un ennemi farouche qui en porterait le flambeau pourraient devenir  pour cela   un ami.

Source : le chansonnier occitan H

peire-vidal-chanson-medievale-courtoisie-troubadour-chansonnier-occitan-H-moyen-age-sOn peut retrouver cette pièce du troubadour occitan dans le manuscrit médiéval connu sous le nom de Chansonnier Occitan H et référencé Vatican Cod. 3207, à la bibliothèque apostolique du Vatican où il est conservé.

Avec ses 61 feuillets à l’écriture tassée, cet ouvrage, daté de la fin du XIVe siècle, contient des chansons, sirventès et pièces poétiques de  troubadours du Moyen Âge central. Si vous en avez la curiosité, vous pourrez le consulter en ligne  ici.

Pour la traduction de la pièce du jour, de l’Occitan vers le Français moderne, si nous continuons de nous servir de   l’ouvrage de Joseph Anglade :  Les poésies de Peire Vidal (1913), nous  l’avons toutefois largement reprise et remaniée, en nous servant d’autres sources et dictionnaires.  Pour son interprétation, voici la belle version que Gérard Zuchetto en proposait   à la fin des années 80.

 Mos cors s’alegr’ e s’esjau de Peire Vidal par Gérard Zuchetto


Gérard Zuchetto Chante les
Troubadours des XIIe et XIIIe siècles (vol 1)

C’est en 1988 que Gérard Zuchetto, accompagné de  Patrice Brient  et Jacques Khoudir, allait partir à la conquête des plus célèbres troubadours   du pays d’Oc.

troubadours-musique-medieval-peire-vidale-gerard-zuchetto-album-moyen-ageAvec 9 titres, ce premier volume, sorti chez Vde-Gallo, allait faire une large place à Raimon de Miraval. Cinq pièces  de cet album y sont, en effet, consacrées à cet auteur médiéval. Quant aux autres titres, on en retrouve deux de  Arnaud Daniel, un de Raimbaud d’Orange et enfin, la pièce du jour, tirée du répertoire de  Peire Vidal.  Les deux opus suivants de cette série « Gérard Zuchetto Chante les troubadours… » sortiraient quelques années plus tard, en 1992 et 1993. D’une certaine manière, ils ne feraient qu’ouvrir le bal de l’oeuvre prolifique que le musicien, chercheur et compositeur  allait consacrer, par la suite, à l’art des troubadours et à la   « Tròba »,

Ce volume 1 est encore disponible à la vente. Il a été réédité en 2013 et on peut  en trouver quelques exemplaires CD sur internet. Il est également accessible au format MP3 : Troubadours Des Xiie Et Xiiie Siècles, Vol. 1 (Minstrels Of The 12th And 13th Centuries)


Mos cors s’alegr’ e s’esjau

I
Mos cors s’alegr’ e s’esjau
Per lo gentil temps suau
E pel castel de Fanjau
Que -m ressembla paradis ;
Qu’amors e jois s’i enclau
E tot quant a pretz s’abau
E domneis verais e fis.

Mon cœur    est joyeux et se réjouit
Pour ce temps agréable et doux
Et pour le Château de Fanjeaux,
Qui me semble être le paradis :
Puisque amour et joie s’y enclosent
Et tout ce qui sied à l’honneur (valeur, mérite),
Et courtoisie sincère et parfaite (véritable).

II
Non ai enemic tan brau,
Si las domnas mi mentau
Ni m’en ditz honor e lau,
Qu’eu nol sia bos amis.
Et quar mest lor non estau,
Ni en autra terra vau,
Planh e sospir e languis.

Je n’ai pas d’ennemi si farouche (dur, brave)
Qui, s’il me parle des dames
Et m’en dit honneur et louange,
Ne devienne un ami loyal.
Et comme je ne suis pas parmi elles
Et que je vais sur d’autres terres
Je me plains et soupire et languis.

III
Mos bels arquiers de Laurac,
De cui m’abelis e*m pac,
M’a nafrat de part Galhac
E son cairel el cor mis ;
Et anc mais colps tan no’m plac,
Qu’eu sojorne a Saissac
Ab fraires et ab cozis.

Mon bel archer de Laurac,
Auprès duquel j’éprouve tant de plaisir et de joie  à me tenir
M’a blessé du côté de Gaillac
Et m’a percé le cœur  de son carreau d’arbalète    :
Et jamais coup ne me fut si doux
Puisque j’ai séjourné à Saissac
Avec ses frères et ses cousins.

IV
Per totz temps lais Albeges
E remanh en Carcasses,
Que-l cavalier son cortes
E las domnas del païs.
Mas Na Loba a -m si conques,
Que, si m’ajut Deus ni fes,
Al cor m’estan sei dous ris.

Pour toujours je quitte l’Albigeois,
Et je reste dans le Carcassonnais,
Puisque les chevaliers
Et les dames du pays y sont courtois.
De plus, Dame Louve m’a si bien conquis
Qu’avec l’aide de Dieu et ma foi (si Dieu me prête  soutien et foi)
Je garde, dans mon cœur, ses doux rires.

V
A Deu coman Monrial
E-l palaitz emperial,
Qu’eu m’en torn sai a’N Barral,
A cui bos pretz es aclis ;
E cobrar m’an Proensal,
Quar nulha gens tan no val,
Per que serai lor vezis.

A Dieu, je remets Montréal
Et le palais impérial,
Car je m’en retourne, à présent, vers Barral*
Que la gloire accompagne (auquel   mérites,  grande valeur est acquise) ;
Les provençaux me recouvriront (retrouveront) bientôt,
Car nulle gens n’a tant de valeur
Et pour cela je serai des leurs (littéral : leur voisin).

* Barral : Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, protecteur du troubadour 


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

L’exploration de la vièle médiévale avec Jordi Savall et sa lira d’Espéria

rebec-musique-medievale-jordi-savall-liria-esperiaSujet : musique médiévale, danse,    vièle, rébec,  manuscrit ancien,  manuscrit de Londres,
manuscrit add 29987
Période : Moyen Âge central à tardif,
Titre :   Istampitta In Pro
Auteur : anonyme
Interprète : Jordi Savall
Album :     La lira d’Espéria (1996),  Astree

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1994, Jordi Savall enregistrait un bel album instrumental tout entier consacré à la vièle médiévale. Cette production sortit chez Astrée, en 1996.  Le titre de l’album, « La lira d’Espéria » renvoie, à la fois, à l’antique instrument à cordes et à l’Hespérie. Durant l’antiquité, les grecs nommaient ainsi les provinces les plus proches de l’ouest de leur territoire et cela désignait la péninsule italienne, mais aussi  l’Espagne.

On le sait, le directeur d’orchestre catalan est un grand féru  de musiques médiévales (découvrir son autobiographie intellectuelle). mais aussi   de leurs apports  culturels variées, au sein des territoires de l’Europe du Moyen Âge, comme aux confins du bassin méditerranéen et même au delà.

L’Istampitta « In Pro »   du MS par Jordi Savall

Un voyage musical  médiéval  multiculturel

Premier opus d’une thématique qui connaîtra une suite en 2014, La lira d’Espéria propose ainsi un véritable voyage interculturel  au travers de seize pièces du Moyen Âge central.

On passera par des compositions issues du répertoire  d’Alphonse X de Castille et ses Cantigas de Santa Maria , avec trois d’entre elles. On aura également le plaisir de retrouver de nombreuses pièces de l’Italie médiévale et notamment des danses dont nous avons déjà parlé ici et dont un bon nombre  est  tiré du Manuscrit de Londres  :  trotto, estampitta, ductia, saltarello. A tout cela viendra encore s’ajouter des compositions séfarades de l’Espagne médiévale et même encore des pièces  et danses   en provenance d’Algérie.

Un son unique pour une formation musicale réduite à l’essentiel

musique-danse-medievale-album-jordi-savall-moyen-age-liria-esperiaPour cet album, Jordi Savall a fait  le choix d’une formation réduite, en se faisant accompagner uniquement par les percussions de  Pedro Estavan. De son côté, on retrouve le directeur d’orchestre catalan aux instruments à cordes (vièle ténor,  rebec et  rubab).  Il ressort de  ce parti-pris d’orchestration minimaliste et de ce duo, un son absolument unique. Sous l’archet du maître de musiques anciennes, on redécouvrira même d’un œil nouveau des pièces du répertoire médiéval que l’on connaissait par ailleurs.

L’album La Liria d’Esperia  est encore disponible à la vente en ligne au format CD ou même MP3.  Pour plus d’informations, merci de consulter le lien suivant : La Lira d’Espéria de Jordi Savall.

Pour découvrir un autre article sur cette même composition médiévale :  voir l’Instampitta in pro par Voices of music.

En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes

« En ceste note dirai » une chanson médiévale courtoise du très plaisant Colin Muset

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet  : musique, chanson médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Colin Muset (1210-?)
Titre    « En ceste note dirai »
Ouvrage :   Les chansons de Colin Muset
(2e édition)  éditées par Joseph Bédier (1938)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion  au  Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset.   Entre courtoisie et légèreté,  entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table,   ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces,  mais toujours rafraîchissante.

Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté  

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleLa chanson du jour  se situe  en plein dans la lyrique courtoise.   Colin Muset y campe le parfait  amant  à la merci du désir et de l’acceptation de  la belle que son cœur a élue.  Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour.  Pourtant, le ton ici reste léger,  et, au sortir, cette pièce respire  bien plus la  joie,  le divertissement et l’envie  de  célébrer l’amour.

A la différence  de   nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il  sera aussi pour  les deux  amants,  la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de  plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion,  chez Colin Muset, les  joies   des banquets et leurs libations ne  sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien  un   des traits qui fait tout son charme ; à  huit siècles  de  sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes,   ses clins d’œil  aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes  (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.

Sources  historiques et manuscrits anciens

Pour la transcription de la pièce du jour en graphie moderne, nous avons choisi  Les chansons de Colin Muset   de  Joseph Bédier. Cet ouvrage,   daté de 1938, fait toujours référence quant à l’œuvre du trouvère. On le trouve encore édité de nos jours : Les Chansons. Edite par Joseph Bedier. Deuxieme Edition Corrigee et Completee. (1938).

Pour le reste, cette chanson est présente dans  trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-francais-845-bnf-s  Le Français 845

On citera,  pour commencer le  MS   Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du  XIIIe  siècle,  ce superbe ouvrage  contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale.   La chanson de notre trouvère  y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de  la pièce.  (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-ms-5198-bnf-s

Le MS 5198

On ajoutera à   cela le Manuscrit médiéval désigné  sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On  le retrouve à la BnF sous la cote  Ms  Arsenal   5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre,  contient pas moins de 420 pages.   Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du   XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne.   Vous pourrez  consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.

Le   Français 20050

Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le  manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X.  A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le  Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050  à la BnF. Nous vous avons déjà parlé,  à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de  Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).


  » En ceste note dirai »  du vieux français
de  Colin Muset au français moderne

Traduction en français moderne

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleA l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome.  Si vous parlez italien, vous y découvrirez  une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea,  Università di Roma.

I.

En ceste note dirai
D’une amorete que j’ai,
Et pour li m’envoiserai
Et bauz et joianz serai:
L’en doit bien pour li chanter
Et renvoisier et jouer
Et son cors tenir plus gai
Et de robes acesmer
Et chapiau de flors porter
Ausi comme el mois de mai.

Dans cette chanson je parlerai
D’une amourette (amante) que j’ai,
Et pour elle je me divertirai   (réjouir, divertir)
Et je serai audacieux et joyeux :
On doit bien chanter pour elle
Et se réjouir et se divertir,
Et tenir son corps en joie
Et s’orner de beaux habits
Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne)
Comme durant le moi de mai.

II.

Trés l’eure que l’esgardai,
Onques puis ne l’entroubliai;
Adès i pens et penserai:
Quant la vois, ne puis durer,
Ne dormir, ne reposer.
Biau trés douz Deus, que ferai?
La paine que pour li trai,
Ne sai conment li dirai:
De ce sui en grant esmai
Oncore a dire li ai;
Quant merci n’i puis trouver
Et je muir por bien amer,
Amoreusement morrai.

Dès lors que je la vis
Jamais plus je ne l’oubliais ;
Je pense toujours à elle et toujours y penserai:
Quand je la vois, je ne peux résister,
Ni dormir, ni prendre de repos.
Bon et très doux Dieu, que vais-je faire?
La douleur que j’endure pour elle,
Je ne sais comment je lui dirai :
Cela me cause un grand émoi ( inquiet),
Car il me faut encore lui dire ;
Tant que je ne peux trouver grâce
Et que je meurs pour bien aimer
Je mourrai avec amour.

III.

Je ne cuit pas ensi morir,
S’ele mi voloit retenir
En bien amer, en biau servir;
Et du tout sui a son plesir
Ne je ne m’en qier departir,
Mès toz jorz serai ses amis.

Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais
Si elle voulait me garder auprès    d’elle
Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application):
Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition
Ni ne veux m’en séparer
Mais toujours demeurer son ami.

IV.

Hé! bele et blonde et avenant,
Cortoise et sage et bien parlant,
A vous me doig, a vous me rent
Et tout sui vostres sanz faillir.
Hé! bele, un besier vous demant,
Et, se je l’ai, je vous creant
Nul mal ne m’en porroit venir.

Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?),
Courtoise et sage, au beau parler
A vous je me donne, à vous, je me livre
Et je suis vôtre tout entier, sans faillir.
Eh! Belle, je ne vous demande qu’un  baiser
Et si je l’obtiens,  je vous garantis (créant : de creire, croire)
Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.

V.

Ma bele douce amie,
La rose est espanie;
Desouz l’ente florie
La vostre conpaignie
Mi fet mult grant aïe.
Vos serez bien servie
De crasse oe rostie
Et bevrons vin sus lie,
Si merrons bone vie.

Ma belle douce amie,
La rose s’est épanouie;
Sous la branche fleurie
Votre compagnie
Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours).
Vous serez bien servi
D’oie grillée bien grasse
Et nous boirons le vin sur la lie,
Et ainsi, mènerons  une bonne vie.

VI.

Bele trés douce amie,
Colin Muset vos prie
Por Deu n’obliez mie
Solaz ne compagnie,
Amors ne druerie:
Si ferez cortoisie!

Ceste note est fenie.

Belle et très douce amie,
Colin Muset vous supplie
Par Dieu n’oubliez jamais
l’amusement, ni la compagnie,
L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages)
Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)

Cette chanson est terminée.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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