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Un rondeau satirique de Meschinot dans la Bretagne agitée de la fin du XVe

Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, rondeau satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage : “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).

Bonjour à tous,

ans la Bretagne du Moyen Âge tardif, Jean Meschinot pratique, avec style, une poésie incisive et engagée. On connaît ses Lunettes des Princes, ses ballades à l’encontre de Louis XI avec leurs envois inspirés du Prince de Georges Chastellain. Aujourd’hui, nous retrouvons notre poète breton dans un rondeau satirique qui dépeint bien le contexte agité de cette la fin de XVe siècle en terre bretonne.

Source et contexte historiques

On peut trouver cette pièce de Meschinot à la toute fin du MS français 24314. Ce manuscrit de 146 feuillets, daté du siècle de l’auteur, est actuellement conservé à la BnF. Son contenu est entièrement consacré à l’œuvre du poète breton.

Dans Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI (1865). Arthur de la Borderie situera cette poésie courte et caustique durant la crise qui opposa Pierre Landais à Guillaume Chauvin. Pour dire un mot du contexte, Chauvin fut un noble et haut fonctionnaire marquant de son temps. Chancelier de Bretagne, il fut notamment celui qui représenta, en 1468, le duc de Bretagne François II, à la signature du Traité d’Ancenis. Suite aux soulèvements de La Ligue du Bien public, ce pacte devait entériner l’allégeance de la Bretagne face à Louis XI et la cessation de ses alliances d’avec la couronne d’Angleterre et Charles le Téméraire. Ce traité ne fut que temporaire et n’empêcha pas le duc de Bretagne de se soulever, à nouveau, quelques années plus tard.

Landais contre la France et les barons

Pierre landais, fut, quant à lui, un personnage tout puissant de la fin du XVe siècle. Conseiller du duc de Bretagne dont il semblait avoir toute la confiance, il finit même par hériter, pendant un temps, des pleins pouvoirs sur le duché. À l’aube des années 1480, Landais eut à manœuvrer dans un contexte tendu ; il fut pris entre les actions de la couronne de France pour s’assurer du ralliement de la Bretagne (ce dont il entendait bien préserver le duché) et, de l’autre côté, les luttes intestines et les pressions de certains nobles locaux acquis à la cause de Louis XI et qui voyaient ce rattachement d’un bon œil. Ce différent opposa notamment Landais à Chauvin qu’il fit jeter en prison en 1481. Trois ans plus tard, ce dernier mourut dans son cachot. Ce fut la goutte de trop. Les nobles se soulevèrent contre Landais qui fut lâché de toute part, condamné et pendu. Si le duc fut, lui-même, impuissant à sauver son protégé, il semble que la mort de ce dernier apaisa les querelles qui opposaient les nobles bretons entre eux.

Landais, symbole pour certains, intrigant ambitieux pour d’autres. La lutte des deux hommes continua d’évoquer les tiraillements entre une Bretagne, de la fin du XVe siècle, prompte à se rallier et une autre continuant de se rêver plus indépendante. Quant à notre poète du jour, s’il a été un ardent défenseur du duché quand les assauts venaient de la couronne de France, Borderie ajoute qu’en dehors de ce rondeau, Meschinot se montrait, en général, plutôt distant à l’encontre des jeux de cour bretons, et même assez défiant au moment de prendre parti dans ce genre de luttes internes.


« Ceux qui dussent parler sont muts« 
un rondeau satirique de Jean Meschinot

Ceux qui dussent parler sont muts ;
Les loyaux sont pour sots tenus…
Vertus vont jus
(*), péché hault monte,
Ce vous est honte,
Seigneurs grans, moyens et menus,
Flatteurs sont grans gens devenus
Et à hault estais parvenus,
Entretenus,
Tant que rien n’est qui les surmonte…
Tout se mécompte,
Quant les bons ne sont soustenus.
Ceux qui dussent parler sont muts.

(*) Les vertus touchent terre, disparaissent


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : pour l’image d’en-tête nous avons assemblé le rondeau de Meschinot issu du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF avec une gravure du XIXe siècle. Cette dernière représente Pierre Landais conduit à sa pendaison, à Nantes, sur la carrée de Blesse,  gibet qu’il avait lui même fait édifier quelque temps avant. Elle est tirée de La Bretagne (1864) de Jules Janin ; illustrée par MM. Hte Bellangé, Gigoux, Gudin, Isabey, Morel-Fatio, J. Noel, A. Rouargue, Saint-Germain, Fortin et Daubigny (consulter sur Gallica).

DeS fêtes johanniques 2021 hors normes, à orléans

Sujet : fêtes, festivités médiévales, fête de Jeanne d’Arc,  guerre de cent ans, commémoration, histoire vivante, patrimoine culturel, chevauchée johannique
Personnage historique : Jeanne d’Arc (1412 – 1431)
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Lieu : Orléans,  Loiret, Centre-Val de Loire
Evénement : 591e fêtes Johanniques d’Orleans
Dates : 8 mai 2021

Bonjour à tous,

lors que les rues d’Orleans sont restées désespérément désertes en raison des mesures prises par l’exécutif face à la Covid, nous souhaitons, à tous ceux qui célèbrent Jeanne d’Arc, d’heureuses fêtes autour de l’héroïne médiévale qui défit les anglais et permit au dauphin de reprendre espoir et foi, et de devenir roi. Elle est, depuis, entrée dans l’Histoire et le roman national par la grande porte.

Célébrations johanniques inhabituelles
mais célébrations tout de même

« Les vies des femmes célèbres » A Dufour
MS 17 Musée Dobrée, Nantes, (1505)

Pour rappel, depuis près de six siècles, on commémore, à Orléans, les fêtes de Jeanne d’Arc. Ces grandes réjouissances johanniques se tiennent, en principe, de la première semaine de mai jusqu’au second week-end de ce même mois. Elles incluent, notamment, la date du 8 mai, en relation avec la libération d’Orléans par la jeune guerrière, à la tête des armées françaises, le 8 mai 1429. Depuis 1920, cette commémoration est aussi devenue officielle sur l’ensemble du territoire français, sous le nom de Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme. Elle est célébrée le deuxième dimanche du mois, en souvenir de cette même libération.

Dans le dernier tiers du XXe siècle et jusqu’à présent, les célébrations johanniques, notamment à Orléans, ont fourni l’occasion constante à de nombreux politiques de s’écharper et de se prendre à partie : « Qu’est-ce que la nation ? » « Qu’est-ce que le patriotisme ? » « Qui a le monopole du cœur en politique ? » etc… (Vous avez 3 heures). L’évidence est là : avec le Général Charles de Gaulle, Jeanne d’Arc, jeune bergère « appelée », nimbée de son aura miraculeuse et prophétique, personnage éclatant de l’Histoire de France, est sans doute celle qui fédère le plus autour d’elle sur les plans à la fois civil, politique, militaire, et spirituel. Aujourd’hui encore, elle se pose comme le symbole d’une France forte et unie, quand ce n’est pas celui d’une France à retrouver et à reconquérir.

Jeanne d’Arc au temps de la Covid

On connait le faste habituel des fêtes johanniques à Orleans. Nous les avons souvent couvertes dans nos articles. 2020 les avaient vu tristement annulées mais deux années de suite c’était, décidemment, une de trop. En 2021, la municipalité a donc tenu à célébrer, à sa façon, la jeune pucelle médiévale, en s’adaptant au contexte. Ainsi, en date du 1er mai, après un office religieux loin des médias, un petit rassemblement dans le respect des mesures imposées avait été suivi d’une chevauchée un peu hors du commun. Sans grande foule, ni cortège, ni chevaux, elle s’était clôturée par la restitution de l’étendard et on avait pu y voir une Jeanne et un public masqués, à l’heure, notons-le, où l’obligation du port du masque en extérieur suscite des polémiques scientifiques de plus en plus vives.

Un reportage commémoratif qui fait polémique

En matière de polémique mais dans un autre registre, on a également vu, récemment, le maire d’Orléans, Serge Grouard, se manifester sur les réseaux et diverses chaînes youtube à propos d’un reportage réalisé, par la cité, à l’occasion de ses fêtes johanniques 2021. Selon lui, la diffusion du documentaire avait été convenue au préalable avec et sur France 3. Pourtant, contre toute attente, 24 heures avant le début du tournage, la décision de diffusion aurait été finalement mise en suspens par la chaîne, au motif qu’une des commentatrice-journalistes en charge de la voix off du documentaire aurait eu, par le passé, certaines accointances du côté d’une droite jugée un peu trop à droite (RN ?).

D’après Serge Grouard toujours, lui même républicain (LR) et qui se dit assez loin de ce type de considérations : « l’amour pour Jeanne d’Arc est chevillé au corps de la cité depuis près de 600 ans, indépendamment de l’obédience politique de ses élus« . Il en fallait donc bien plus pour empêcher que le reportage ne soit réalisé et proposé au public. Il est donc disponible depuis le 7 mai, sur les réseaux. N’ayant nous-même, par nature, que très peu d’affinités pour les chasses aux sorcières (quel qu’en soit le bord) et refusant d’entrer dans la polémique, nous vous proposons de découvrir ce documentaire ci-dessous. Au passage, vous aurez le plaisir d’y entendre et d’y reconnaître le chanteur et musicien Luc Arbogast.

Voir également nos articles sur les éditions précédentes des fêtes d’Orléans : Edition 2017 – Edition 2018  – Edition 2019Voir toutes les fêtes Johanniques

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (2) : Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII.
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Isabelle de Bavière (1370-1435)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2020)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la seconde : Isabelle de Bavière.


u tribunal de l’histoire, la reine de France Isabelle de Bavière apparaît coupable d’une double trahison : trahison à son époux Charles VI, qu’elle aurait allègrement trompé, mais aussi trahison à son royaume, de par la signature du « honteux » traité de Troyes livrant la France aux Anglais. Pour autant, cette reine allemande mérite-t-elle vraiment sa légende noire ?

L’entrée de la reine Isabelle de Bavière à Paris, en 1389, entourée des princes du sang, Miniature du MS Harley 4379, British Library (Chroniques de Froissart, Bruges, vers 1470)

Une reine cupide et adultère ?

Isabelle de Bavière n’aurait sûrement jamais atteint une telle renommée si Charles VI n’était tombé fou. Car lorsqu’il devient clair à tous que le roi de France, qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la démence, ne reviendra jamais à son état normal, Isabelle de Bavière se voit attribuer la régence du royaume. Seulement voilà, cette souveraine se désintéresse de la politique. Raison pour laquelle elle s’empresse de confier à son beau-frère, le beau et séduisant Louis d’Orléans, les rênes du gouvernement. Dès lors, ces deux-là ne se quitteront plus. Selon toute vraisemblance, ils deviendront même amants. C’est en tout cas ce qu’en pensaient leurs contemporains, qui s’étonnaient de les voir longuement deviser ensemble au château de Saint-Germain-en-Laye, dans le logis royal, ou au couvent des Célestins. Mais ce n’est pas là le seul reproche fait à la reine.

Son infidélité au roi se doublerait d’un goût du luxe et de l’argent. Au point qu’on écrira sur elle dans Le Songe véritable, pamphlet politique de l’époque, que « tout ce qu’elle veut est d’en prendre tant qu’elle peut mais non pas tant comme elle veut ». Au point qu’à compter de cette époque, ses détracteurs ne la désigneront plus que sous le sobriquet d’« Isabeau ». Le cas de la reine s’aggrave encore lorsqu’elle consent à ce qu’une jeune concubine soit donnée au roi pour combler son absence dans le lit conjugal. Odette de Champdivers, cette maîtresse officielle dénommée la « petite reine », donnera même un enfant au roi. Et un moine augustin invité à prêcher à l’occasion des fêtes de la Pentecôte d’oser lancer à Charles VI que « la déesse Venus règne toute seule à votre cour… ».

Mais très vite, les choses vont se gâter. C’est d’abord le duc d’Orléans qui se fait assassiner en plein Paris sous les ordres de son cousin Jean Sans Peur, le duc de Bourgogne. C’est ensuite un royaume divisé entre Armagnacs et Bourguignons qui plonge dans la guerre civile, puis les chevaliers français qui se feront exterminés à la bataille d’Azincourt. C’est enfin Jean Sans Peur qui se fera tuer à son tour sur le pont de Montereau, privant ainsi la France du seul prince capable de s’opposer à l’appétit de conquête d’Henri V, le roi d’Angleterre.

Après la disparition de Louis d’Orléans

La reine se consolera de la disparition de Louis d’Orléans dans les bras d’autres amants, parmi lesquels un certain chevalier de Boisrédon. S’inspirant probablement des écrits du marquis de Sade, l’historien Philippe Erlanger dépeindra lsabelle de Bavière, à l’automne de sa vie, envahie de graisse, submergée, déformée au point que ne pouvant marcher, elle se faisait traîner dans une chaise roulante. « Jamais cependant, écrit-il encore, la colossale matrone, soufflante et gouteuse, n’avait tant aimé le faste et les plaisirs. Elle se soignait en absorbant de l’or potable… Immobile dans sa cathèdre, le chef écrasé sous le poids du hennin, le corps surchargé d’étoffes orfévrées, l’étrange dame présidait inlassablement aux ébats de la cour ».

Détail Français 2646, Chroniques Froissart, BnF, Arrivée et bon accueil de la Royne dans Paris (Bourgogne, vers 1475)

Mais il ne s’agit pas seulement de sa vie personnelle. Pour les historiens, Isabelle de Bavière est surtout coupable d’avoir négocié le traité de Troyes. L’accord qui livre le royaume aux Anglais, celui par lequel Charles VI déshérite le Dauphin, son fils unique, et donne sa fille en mariage au roi d’Angleterre Henri V, faisant de celui-ci l’héritier de la couronne et le régent du royaume. Animée, selon l’histoire Edouard Perroy, d’une « haine atroce » envers le futur Charles VII, Isabelle de Bavière se serait laissée acheter par l’Anglais pour renier son fils et lui livrer sa fille. De tous les désastres connus par la France au cours de son histoire, celui-là est sans doute l’un des plus graves : l’instauration d’une double monarchie sous égide anglaise, une capitulation en bonne et due forme. Or rien n’aurait pu se faire sans qu’Isabelle de Bavière l’étrangère, Isabelle l’allemande, ne renie préalablement son fils et avoue par là-même qu’il n’était qu’un bâtard.

Nous avons donc là le portrait d’une femme infidèle et cupide, voire débauchée, mauvaise mère, traître à son pays. Avouez qu’à ce prix-là, Isabelle de Bavière aurait plus encore que Marie-Antoinette mérité de voir sa tête rouler sur le billot. Seulement voilà, il s’agit là d’un portrait au vitriol. Car à y regarder de plus près, la reine de France bénéficie de circonstances atténuantes.

Une vie d’épreuves

Détail Harley 4380, Chroniques Froissart, BnF, Signature du traité de Troyes avec Charles VI ( (Bruges – vers 1475)

On ne saurait comprendre la conduite d’Isabelle de Bavière sans rendre compte de ce que son mari, à son corps défendant, lui a fait subir. A compter de 1392 et de sa première crise dans la forêt du Mans, le roi de France est schizophrène. Il s’agit donc d’une folie intermittente, qui le voit alterner les périodes de rémission avec les périodes de démence. Il devient alors incontrôlable, voire violent. Pris d’accès maniaques, il refuse de se laver, de se raser et se prend pour un chevalier vengeur, un certain « Georges ». Charles VI crie et hurle « comme s’il était piqué de mille pointes de fer ».

Le Religieux de Saint-Denis raconte ainsi que lorsque la reine Isabelle s’approchait de lui, «  le roi la repoussait en disant à ses gens : « Quelle est cette femme dont la vue m’obsède ? Sachez si elle a besoin de quelque chose et délivrez-moi comme vous pourrez de ses persécutions et des importunités afin qu’elle ne s’attache pas ainsi à mes pas. » Il prétendait n’être pas marié et n’avoir jamais eu d’enfants…  Lorsqu’il apercevait ses armes ou celles de la reine gravée sur sa vaisselle d’or ou ailleurs, il les effaçait avec fureur ». Parfois même, le roi de France menaçait de s’en prendre à son épouse. Ce qui ne pouvait qu’inquiéter, attendu que lors de sa première crise dans la forêt du Mans, Charles VI avait tué quatre de ses gardes coup sur coup… Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Isabelle de Bavière aura décidé de quitter le logis royal pour emménager dans l’hôtel Barbette, emportant avec elle tous ses enfants. Ce qui n’empêchera pas le sort de s’acharner sur la reine de France, qui perdra successivement ses deux fils aînés, les Dauphins Louis et Jean, morts tous deux de maladie dans les dix-huit mois suivant le désastre d’Azincourt.

Une amoureuse des arts

Le-cheval-d-or-Altötting commandé par la reine Isabelle, grand chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale

Il est toutefois remarquable qu’au milieu de ces désastres, la reine Isabelle de Bavière ait conservé un intérêt marqué pour les choses de l’esprit. Ainsi la voit-on mécène de l’écrivaine Christine de Pizan, première femme de lettres française, féministe avant l’heure, qui lui dédiera ses « Epîtres du Débat sur le Roman de la Rose » et composera même une « Epître à Isabelle de Bavière ».

Les comptes de la reine montrent d’ailleurs qu’elle faisait partie des plus importants mécènes de son temps et aimait beaucoup plus les livres que son royal époux. Ainsi la voit-on offrir à Charles VI « Le Petit Cheval d’or », sculpture en or émaillé et argent doré, ornée de saphirs, de rubis et de perles représentant la Vierge à l’enfant, véritable chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale qui figure aujourd’hui parmi le trésor de la collégiale d’Altötting, en Bavière. Ainsi découvre-t-on une reine bien plus intelligente et cultivée que ne le laisserait suggérer sa légende noire. Si elle a beaucoup dépensé, c’est aussi en proportion de son amour du Beau.

Une reine objet de tous les désirs

Isabelle de Bavière aura été, sa vie durant, une reine sous influence. Qu’il s’agisse de son amant le duc Louis d’Orléans, de son « beau cousin » de Bourgogne, Jean Sans Peur, ou du roi d’Angleterre Henri V, chacun aura cherché à se servir de son statut de reine pour accéder au pouvoir. Aussi par comparaison avec la « reine de fer » Yolande d’Aragon et la sainte de Domrémy, la Bavaroise fait-elle pâle figure. Elle aura même contribué, par sa parfaite incarnation de la pécheresse, à faire de Jeanne d’Arc cette nouvelle Eve, cette Marie lavant le royaume de France de ses péchés sans nombre.

Mais il faut admettre que la vie n’aura pas épargné cette princesse arrivée en France à l’âge de 14 ans sans parler un mot de français. Et que le désespoir l’aura sans doute étreint plus d’une fois, comme en cette nuit du 23 novembre 1407 où Louis d’Orléans, son amant passionnément aimé, périra sous les coups de haches quelques minutes seulement après l’avoir quittée.

De par ses multiples fragilités, Isabelle de Bavière n’en est que plus humaine et je dirais même, plus touchante. C’est pourquoi si elle ne mérite pas les lauriers de la gloire, il serait sans doute injuste de la jeter au bûché de l’histoire.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.


Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur :Yolande d’Aragon, la reine de fer – Christine de Pizanchampionne des damesLes illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Atlas de Paris au Moyen Âge, Philippe Lorentz et Dany Sandron, Parigrame.
Charles VII et son mystère, Philippe Erlanger, Gallimard.
Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Chronique du Religieux de Saint-Denys contenant le règne de Charles VI, de 1380 à 1422, publiée en latin et traduite par M.L Bellaguet, imprimerie de Crapelet.
1328-1453, Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

Note Moyenagepassion : la miniature ayant servi de fond à l’image d’en-tête représente Christine de Pisan tendant un de ses ouvrages à la reine Isabelle de Bavière. Cette illustration est issue du manuscrit médiéval Harley ms 4431, intitulé The book of the Queen. Daté des débuts du XVe siècle, cet ouvrage est conservé à la British Library et consultable en ligne à l’adresse suivante. Au premier plan, le buste de la reine est, quant à lui, issu de la photo d’une œuvre de Guy de Dammartin (1365-1404). Cette sculpture est encore exposée au Palais de Justice de Poitiers. En 2001, elle a également servi à la couverture d’un ouvrage de Jean Verdon au sujet de Isabeau de Bavière.

Un joyeux premier mai en poésie avec Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, moyen-français, manuscrit ancien, ballade médiévale, mois de mai, chant royal
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur  :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Ballade – Au mois de mai»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, Tome III,  Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

Nous sous souhaitons un joyeux premier mai. En ce mois, symbole de renaissance, de douceur climatique et de fécondité, nous vous souhaitons ainsi qu’à vos proches, une vraie bouffée d’air frais et un souffle de renouveau. Egalement, nous souhaitons une joyeuse fête du travail à tous ceux que le calendrier aura permis de la chômer.

Un mois de fêtes et de renouveau

Au Moyen Âge, le mois de mai est le mois symbole de l’arrivée de la belle saison et du « renouvel » qui a inspiré tant de poètes et auteurs d’alors. C’est aussi un mois privilégié de grandes fêtes et de célébrations avec encore ce « mai » que les paysans plantent par tradition et que, en d’autres circonstances, on présente aussi en manière de défi. Ce sont aussi ces rameaux ou ses branches que l’on pose devant les maisons des jeunes filles à marier pour les courtiser, ou quelquefois, pire, pour les dénigrer ou les moquer.

« L’essence de l’arbre est importante. « Esmayer » une jeune fille avec une branche de sureau, par exemple, c’est une insulte, car cet arbre est un symbole de vertu douteuse et de dégoût. Le coudrier constitue également une injure, à certains endroits. Parfois, l’essence est acceptable, mais on insulte la jeune fille en y attachant des objets dérisoires : coquilles d’œufs, ordures, inscriptions grotesques. »
Martin Blais – Sacré Moyen Âge (1990)

Un mot sur cette poésie d’Eustache

Comme on le verra dans cette poésie médiévale, Eustache Deschamps s’est, à son tour, joint à la fête en l’honneur de ce mois de mai, pour lui faire de grandes louanges. Il y célèbrera le retour des floraisons, de l’abondance et, du même coup, de la joie pour les hommes de toute condition ; une liesse qui gagne jusqu’à toutes les créatures et animaux. Si notre auteur médiéval appellera de ses vœux la « douce amour » dont mai serait l’avocat, la pièce n’a pourtant rien de courtoise. Elle n’en a ni l’intention, ni la grâce, et la célébration se fait plutôt en grandes pompes. (s’il s’est essayé en d’autres endroits à l’expression des sentiments amoureux, ce n’est pas le registre dans lequel Eustache brille le mieux).

Un chant royal

Cette pièce se classe dans les chançons royaulx de l’auteur du Moyen Âge tardif. Cette forme, plus longue que la ballade et très codifiée, lui confère une nature peut-être un peu ampoulée, par endroits, en particulier au regard de la légèreté du sujet mais Eustache s’en acquitte finalement plutôt bien.

Si le chant royal a évolué dans ses formes comme dans ses thèmes (amoureux, religieux, satiriques,… ) du milieu du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle, il se présente comme une composition voisine de la ballade mais avec avec cinq strophes principales. Elle est aussi composée de vers de dix pieds et d’un dernier ver dans chaque strophe faisant office de refrain. Comme la ballade médiévale, le chant royal est, normalement, suivi d’un envoi. Dans cet exercice, Eustache s’est, généralement, plutôt porté vers des thèmes satiriques ou même religieux ( voir The Chant Royal, a Study of the Evolution of a Genre, Stewart Lorna. Romania, T 96, 1975 Persée).

“Chans royaux … sont de cinq couples et le Prince, qui est appellez l’Envoy. Et est de onze lignes, chascune ligne de dix silabes ou masculin et de onze ou féminin … En ceste maniere doit estre chant royal… pour ce que chant royal est mesure de tous serventoys et de toutes chansons amoureuses et aussi de sotes chansons … Mais non obstant que le chant royal soit meneuré ou mesuré de toutes haultes tailles, nyent moins les choses ne sont pas d’un sens, car les unes[s] sont d’amours et les aultres de sotie …« 
Recueil d’Arts de Seconde Rhétorique, ed. E. Langlois, Paris, 1902

Joie, renouveau et santé

En louant ce mois de mai que « toute nature » devrait aimer, messire Deschamps nous dit encore de lui qu’il va jusqu’à balayer tous les maux de l’hiver et même en guérir certains. Renouveau, espoir d’amourette, vœu de meilleur santé, tout y est. Pour l’anecdote, dans le registre de la médecine médiévale, l’Ecole de Salerne nous expliquera dans sa Fleur de médecine (Flos medicinae) qu’en mai, on ne doit pas hésiter à privilégier une bonne saignée. Mais ce n’est pas tout, selon ces éminents médecins du Moyen Âge central, on peut aussi se purger à loisir et prendre des bains parfumés aux « aromes sauvages », le tout sans hésiter à utiliser l’absinthe comme lotion de visage (voir l’hygiène selon les mois dans le Regimen Sanitatis Salernitatum). Nous ne prendrons pas la responsabilité de confirmer le bien fondé de toutes ses prescriptions mais elles valaient d’être citées. De cette façon, la boucle de mai est bouclée.


Ballade médiévale : « Au mois de mai »
de Eustache Deschamps

NB : pour ce qui est du langage employé dans ce chant royal, nous sommes entre la deuxième moitié et la fin du XIVe siècle mais le moyen français d’Eustache peut quelquefois s’avérer délicat à percer. Pour vous y aider, nous vous fournissons, à l’habitude, quelques clefs utiles de vocabulaire.

O nobles mois, pères de Zephirus,
Oncles
(de) Juno et frère de Pallas,
Cousins germains la dieuesse Venus,
Qui tant de filz et tant de filles as,
Tu es premiers qui par amours amas
Et qui au bois donnas toute verdure,
Fueilles et flours, et la terre honouras :
Amer te doit pour ce toute nature.

O tresdoulz may, a genoiz te salus,
Mon cuer te doing et tout mon corps aras,
Car en toy sont trestoutes les vertus
Amoureuses; en toy n’a que soûlas
(réconfort, plaisir, divertissement);
Es autres moys disent aucuns : helas !
Par leur durté; mais toute créature
Prant reconfort ou temps que tu donnas :
Amer te doit pour ce toute nature.

Tu faiz aler sanz froidure les nus,
Les malhetiez de l’iver respassas,
(1)
Et les gouteus as tu remis dessus,
Les mehaingniez
(estropieds) de jambes et de bras :
Tuit sont gari, et par tout ou tu vas
Bestes et gens pais
(de paistre) de douce pasture
Et a
(pour) tousjours leesce (liesse, joie) leur donnas :
Amer te doit pour ce toute nature.

Tu resjouis vieulz, jeunes et chanus
(têtes blanches);
A ton venir t’encline
(te salue) chascuns bas ;
Tu faiz amer granz, riches et menus,
Bestes, oiseauls sont tuit prins en tes las
(laz : filets) ;
D’eulx conjoir
(fêter, se réjouir), de nigier (nicher) ne sont las,
De faire fruit chascun a sa droiture.
De hault chanter : tel pouoir leur baillas
(donna):
Amer te doit pour ce toute nature.

Par ton fait est li mondes soustenus,
Tout naist par toy, qui ainsi l’ordonnas,
Et de toy sont maint grant peuple venus;
Chascun te suit et te quiert pas pour
(à) pas .
A toy me rens, ne me refuse pas;
A ton saint jour me donne nourreture
De douce amour, dont tu es advocas :
Amer te doit pour ce toute nature.

L’Envoy

Princes des moys, li plus gais, li plus drus
(amical, aimant),
Li plus jolis et li plus chiers tenus,
A qui tous roys font honeur sanz mesure.
Je te suppli que soie retenus;
Pouoir en as, de touz es vrais escus :
Amer te doit pour ce toute nature.

(1) Les malhetiez de l’iver respassas : tu fais guérir les malades de l’hiver, ceux que l’hiver indispose.


Au sujet du mois de mai, du renouveau et de son inspiration sur les auteurs et poètes médiévaux, voici quelques liens qui pourraient vous intéresser :

En musardant dans la catégorie « Musiques et poésies médiévales », vous pourrez également trouver de nombreuses pièces courtoises qui font allusion au mois de mai.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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NB : la miniature ayant servi à l’illustration, ainsi qu’à l’image d’en-tête est tirée du manuscrit médiéval Lat1173 Horae ad usum Parisiensem, dites Heures de Charles d’Angoulême daté de la fin du XVe siècle et conservé à la Bnf. Ces deux cavaliers, couverts de végétation et qui joutent à des branches d’arbres se trouve au pied du feuillet de ce calendrier franciscain représentant le mois de mai.