Archives par mot-clé : moyen age

Rose des Roses, la Cantiga de Santa Maria 10 par Marina Lys, trobairitz passionnée

cantigas_santa_maria_10_rose_des_roses_culte_mariale_vierge_marie_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien.
Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 10 rosas das rosas
Interprète : Marina Lys  (2015)


Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.

cantigas_santa_maria_10_chant_culte_marial_medieval_litterature_galaico-portugaise_alphonse_X_moyen-age_cental_XIIIe
Cantiga de Santa Maria et sa partition ancienne

Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco-  portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au cœur du culte marial si prégnant au Moyen Âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects  tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).

Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.

La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys

Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie  sur la route des fêtes médiévales

Formée au conservatoire de musique d’Orly, Marina  Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.

A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique,  son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.

marina_lys_musique_anciennes_compagnies_artiste_musicienne_fetes_animations_medievales_moyen-age
Marina Lys, une artiste passionnée de musiques anciennes et médiévales

Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du Moyen Âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.

A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à  les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur  et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre jadys_marinas_lys_compagnies_animations_musiques_danses_inspirtations_medievalesde fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.

Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe  musicale  « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses  et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.

Voici de liens utiles pour plus d’informations sur son art et son actualité  : Facebook officiel Site web – FB de la compagnie Jàdys

deco_frise

Rosa das rosas, les  paroles de la Cantiga 10  et leur traduction en français moderne

Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.

Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.

Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Rosa de beldad’ e de parecer
e Fror d’alegria e de prazer,
Dona en mui piadosa ser
Sennor en toller coitas e doores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose de beauté et belle apparence
Et fleur de joie et de plaisir.
Dame de grande piété (miséricorde)
Reine pour ôter peines et douleurs
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Atal Sennor dev’ ome muit’ amar,
que de todo mal o pode guardar;
e pode-ll’ os peccados perdõar,
que faz no mundo per maos sabores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer
Qui de tout le mal nous peut préserver
Et peut pardonner pour tous les péchés
Qu’on fait dans le monde  par mauvais goût ( à mauvais escient)
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Devemo-la muit’ amar e servir,
ca punna de nos guardar de falir;
des i dos erros nos faz repentir,
que nos fazemos come pecadores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir
Car elle peut nous garder des fautes
Et  nous faire repentir des erreurs
Que nous commettons, nous, pécheurs,
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Esta dona que tenno por Sennore
de que quero seer trobador,
se eu per ren poss’ aver seu amor,
dou ao demo os outros amores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Cette dame là que je tiens pour reine
et dont je veux être le troubadour
Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour
Je laisserai au démon tous les autres amours
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

deco_frise

Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse

Avec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable »  toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.

cantiga_de_santa_maria_10_rosa_das_rosas_culte_mariale_partition_musique_chanson_medievale_XIIIe_siecle
La Partition moderne de la CSM 10 Rose des rose

A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse « politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église.  Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles  de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs  (1).

Retrouvez plus de Cantigas de Santa Maria traduites en français actuel, avec leurs partitions anciennes et leur interprétations par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


(1) Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’œuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010  par Jean-Louis Benoit  dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »

Les monnaies médiévales de Rome au XIIIe siècle, avec l’historien Georges Depeyrot

lombards_numismatique_histoire_de_la_monnaie_moyen-age_antiquite_documentaire_video_monde_medievalSujet : monnaies médiévales, économie, histoire médiévale, numismatique, histoire de la monnaie, vidéo-documentaire
Période : Antiquité jusqu’au Moyen-âge central (XIIIe siècle)
Auteur :  Depeyrot Georges
Production : CNRS, l’Histoire en Pièces
Réalisateur : Fontenoy Philippe . 1999

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite à notre article d’hier sur les Lombards, ces Marchands banquiers italiens si décriés au Moyen-âge, voici un documentaire produit en 1999 par le CNRS et permettant de mieux approcher l’histoire de la monnaie de l’Empire Romain au XIIIe siècle.

Les monnaies médiévales de Georges Depeyrot et Philippe Fontenoy

Georges Depeyrot, Historien versé dans l’histoire de la monnaie et la numismatique

Georges Depeyrot  est un historien spécialisé dans l’Histoire de la monnaie et la numismatique. Il a rejoint le CNRS dés 1982 et il y occupe, aujourd’hui, les fonctions de directeur de recherches. Chercheur affilié à l‘Institut Louis Bachelier, il a georges_depeyrot_historien_chercheur_auteur_histoire_medievale_antique_numismatique_monnaie_moyen-ageencore enseigné et pris une part active aux recherches, dans la cadre de l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales et de l’Ecole Normale supérieure.

Son souci de privilégier une approche historique globale et sa participation à de nombreux programmes de recherche au niveau européen et méditerranéen en font aujourd’hui un grand expert de ses sujets de prédilection.

Membre de nombreux comités scientifiques et comités de gestion et pilotage dans le domaine de la recherche, il est  membre honorifique de nombreux instituts archéologiques ou numismatiques en France et à l’étranger, et on lui doit encore la fondation de la Maison d’édition  Moneta, dédiée à la publication autour de la numismatique et de l’économie monétaire. Pour plus de détails, vous pourrez trouverez son parcours détaillé ici.

Contributions, publications et ouvrages

Georges Depeyrot est auteur et co-auteur d’une foultitude d’ouvrages très pointus sur l’économie antique et médiévale et sur l’histoire des monnaies, du monde romain au moyen-âge mérovingien et carolingien et central. jusqu’à des périodes plus récentes.

Vous pourrez retrouver sur sa chaîne Youtube d’autres documentaires et vidéos sur le sujet. Voici également quelques liens vers certains de ses ouvrages  qui pourraient vous intéresser.

Crises et inflation
entre Antiquité et Moyen âge

Numismatique antique
et médiévale en Occident

Richesse et société chez les
Mérovingiens et Carolingiens

Apothéose
de la monnaie gauloise

En vous souhaitant une belle journée et un excellent visionnage.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

histoire et littérature médiévale satirique autour des lombards

lombards_usurier_banquiers_moyen_age_central_litterature_poesie_histoire_medievaleSujet : proverbe, citation, lombard, usurier, banquier, monde médiéval, littérature, poésie, histoire médiévale
Période : moyen-âge central, du XIIe  au XVIe
Auteur  : Gabriel Meurier, Rutebeuf, François Villon, Don Juan Manuel.
Art, Peinture : Quentin Metsys

“Dieu me garde des quatre maisons
De la taverne, du Lombard,
De l’hospital et de la prison.”

Gabriel Meurier  Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique (1568).

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour être tiré d’un ouvrage qui nous porte sur les rives du XVIe siècle, le proverbe que nous publions aujourd’hui pourrait bien, sans anachronisme, trouver sa place dans les deux ou trois siècles qui en précèdent la publication. On le doit à Gabriel Meurier, un marchand qui, dans le courant du XVe siècle, peut-être poussé d’abord par des nécessités professionnelles, finit par se pencher sur les langues et devenir grammairien et lexicographe. Versé en moyen français, comme en flamand et en espagnol, il rédigea quelques traités de conjugaison et de grammaire, ouvrit même, semble-t-il, une école de langues et on lui doit encore quelques recueils de dicts et « sentences » dont ce Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique dont nous avons tiré le proverbe du jour.

usurier_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissanceDans l’ensemble des dictons rapportés dans son ouvrage, il en a, sans doute, écrit quelques uns de sa plume mais comme il dit lui-même les avoir aussi glanés et répertoriés à longueur de temps et en bon lexicographe, pour la plupart d’entre eux, il est bien difficile, au bout du compte, de les dater ou d’en connaître l’origine précise. L’affaire se complique d’autant qu’il a aussi traduit des proverbes en provenance d’autres berceaux linguistiques. Quoiqu’il en soit, cet auteur a eu au moins le mérite de les répertorier, tout en en passant un certain nombre de l’oral à l’écrit pour la postérité. En dehors de sa valeur historique, l’ouvrage reste, par ailleurs, plutôt divertissant et agréable à feuilleter.

Comme nous le disions plus haut et pour en revenir au proverbe du jour, même si l’on n’en trouve apparemment pas trace avant cet ouvrage, il pourrait fort bien lui être antérieur  avec sa défiance affichée envers ces quatre maisons que sont  la prison, la taverne, l’hôpital et l’officine du « lombard ». Et si l’on comprend bien pourquoi on devrait se garder des trois premières, nous voulons parler plus précisément ici de la dernière, puisque ces « lombards »  reviennent en effet souvent dans la littérature médiévale où ils font l’objet de satires et de critiques directes de la part de bien des auteurs. Mais avant de passer à quelques exemples pris dans ce champ, revenons un peu sur leur origine et leur histoire médiévale, guidé par un article exhaustif du professeur d’histoire et médiéviste Pierre Racine de l’Université des sciences humaines de Strasbourg sur ces questions (1)

Les Lombards, marchands banquiers
du moyen-âge central

M_lettrine_moyen_age_passionalgré les interdictions religieuses et politiques de l’usure depuis Charlemagne, sous la pression des besoins en numéraire et de la croissance économique, la société commerciale et civile du moyen-âge central inventera bientôt des formes de prêts à intérêts contournant les interdits. Les juifs, bien sûr, non soumis aux contraintes que font peser les institutions chrétiennes sur leurs ouailles, les pratiqueront, mais ils ne seront, comme nous allons le voir, pas les seuls.

citations_moyen-age_tardif_proverbe_renaissance_gabriel_meurier_tresor_sentences

Dans les débuts du XIIe siècle, période de forte expansion commerciale, les marchands génois mettront en place un système de contrat de change qui masquera les notions d’intérêt par un habile jeu de chiffres et d’arrondis. Les marchands itinérants italiens en provenance de la région utiliseront ces contrats à leur avantage pour investir et s’enrichir sur les grandes foires de Champagne et sur le pourtour oriental de la méditerranée. Leurs affaires florissantes leur permettront bientôt de devenir, à leur tour, marchands-banquiers et ils commenceront bientôt à s’organiser en véritables compagnies bancaires et commerciales.  Dans le courant du XIIe siècle, le modèle gagnera d’autres régions italiennes et, loin d’être confinée à la Lombardi actuelle, l’appellation de « lombards » commencera à désigner, au sens large, ces marchands et préteurs venus d’Italie du Nord.

Un peu plus d’un siècle plus tard, dans le milieu du XIIIe, toujours bien implantés dans les foires de champagne, ces pourvoyeurs de marchandises luxueuses et d’argent trébuchant gagneront Paris et la cour royale. Par la suite, leur activité se répandra rapidement sur d’autres provinces. A la faveur du marché, ils auront alors délaissé les marchandises pour se spécialiser sur le « commerce » de l’argent et les prêts aux nobles, mais aussi en direction de toute personne, en milieu urbain ou rural, en mal de liquidités. Sous la pression de la usurier_banquiers_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissancedemande, les taux d’intérêt deviendront vite prohibitifs et des premières réglementations seront mises en place. Inutile de dire que l’église, de son côté, n’aura de cesse de lutter contre ces pratiques, même si à quelques reprises on prendra quelques uns de ses dignitaires la main dans la sac.

« Leurs tables de prêt ou casane s’établissaient jusqu’au milieu des campagnes et dès lors ces financiers « lombards » devaient acquérir une mauvaise réputation  à leur tour près des populations ayant recours à leur service. »
Les Lombards et le commerce de l’argent au Moyen Âge – Pierre Racine

En l’absence de choix et outre la condamnation morale que le moyen-âge chrétien fait de l’usure, cette « mauvaise réputation » dont les lombards hériteront, semble aussi s’être fondée sur de sérieux écarts:

« Une enquête, provoquée par des habitants de Nîmes qui se sont plaints en 1275 près du sénéchal révèle que certains d’entre eux avaient été victimes d’une telle pratique (prêts de courte durée avec un système d’intérêts composés), aboutissant pour l’un d’entre eux à un intérêt s’élevant à 256 %. » Opus Cité

A l’évidence, même les tentatives officielles de réglementation ne parviendront pas totalement à encadrer ce trafic et ses abus.  Au sortir, de marchand préteur, le terme de lombard deviendra bientôt synonyme d’usurier, honni du côté du peuple et attaché de toute une ribambelle de « qualités » assorties dans les satires. Bien sûr, de leur côté les puissants et même la couronne y auront largement recours, sachant les utiliser et usant même quelquefois d’un brin d’arbitraire pour confisquer leurs biens.

Pour conclure sur ses aspects historiques, on suivra avec intérêt dans l’article cité, les suspicions ou accusations auxquelles  certaines de ces compagnies bancaires furent sujettes durant la guerre de cent ans, notamment pour leur rôle dans le financement des efforts de guerre des ennemis d’alors. Comme s’il était déjà devenu difficile, dès le courant du XIVe siècle, de mener efficacement des guerres sans l’intervention des banquiers.  Quelle drôle d’idée…

peinture_XVIe_primitif_flamands_preteur_usurier_quentin_metsys_lombards_monde_medieval_renaissance
Le préteur et sa femme, Quentin Metsys (1466-1530) peintre primitif flamand des XVe, XVIe

L’image du lombard
dans la satire et la littérature médiévale

D_lettrine_moyen_age_passionans un monde chrétien qui ne goûte pas l’usure et même si l’on a recours à leurs services, cette mauvaise réputation collera longtemps à la peau des « lombards » et leur vaudra bien des satires  par les auteurs médiévaux du fin fond du  XIIIe  jusqu’au coeur du XVIe siècle. Pour enfoncer le clou, donnons-en quelques exemples, pris dans la littérature médiévale et dans les siècles antérieurs, en commençant par quelques vers de Rutebeuf datant du XIIIe siècle :

« …Là Loi chevaucha richement
Et decret orguilleusement
Sor trestoutes les autres ars,
Moult i ot chevalier lombars
Que rectorique ot amenez 
Dars ont de langues empanez
Por percier de cuers des gens nices
Qui vienent jouster à lor lices,
Quar il tolent mains héritages
Par les lances de lor langages »

Rutebeuf – Oeuvres Complètes. A Jubinal.

Dans la continuité de cet exemple, dans lequel Rutebeuf nous parle de don pour la parole et pour embobiner les personnes naïves (nices) et « voler » « ôter »(toler) maintes héritages, on peut encore valablement citer un ouvrage castillan du XIVe siècle, qui se présente comme un petit traité de moral avec des exemples à valeur pratique : le comte Lucanor, apologues et fabliaux du XIVe de Don Juan Manuel, traduit par Jean Manuel Puybusque (1854). On y trouvera notamment une parabole assez édifiante sur ce même thème de « mauvaise presse » du Lombard, jusqu’au sort (peu chrétien) que lui réserve ici son insatiable soif de possession.

banquier_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissanceL’histoire a pour titre Du miracle que fit Saint-Dominique sur le corps d’un Usurier. Elle conte l’aventure d’un lombard qui n’avait de cesse que d’accumuler les richesses. Tombé brutalement malade et sur son lit de mort, un ami lui conseilla de faire mander Saint-Dominique. L’homme s’exécuta mais le Saint étant occupé fit envoyer un moine à son chevet. Craignant que le religieux ne persuade le mourant de faire donation de toutes ses richesses au monastère, ses enfants lui firent dire que l’homme était en proie à une crise et n’était pas visible. Suite à cela, le malade perdit totalement l’usage de la parole – la faute à la rapacité de sa progéniture (dont le conte semble nous dire qu’elle serait héréditaire au moins chez le lombard) – et mourut sans confession et donc privé de Salut. Un de ses fils convainquit alors Saint-Dominique de dire, tout de même, l’oraison funèbre pour le mort. Le Saint accepta et dit dans son oraison « où est ton trésor, là est ton coeur ». Et pour montrer à l’assistance la véracité de ces paroles de l’évangile (Ubi est thesaurus tuus, ibi est cor tuum) il commanda qu’on chercha le coeur du défunt là où il devait, en principe, se trouver. Pourtant, en ouvrant la poitrine de ce dernier pour y chercher l’organe, on ne le trouva pas à sa place. Il se trouvait pourrissant et grouillant de vers dans le coffre, là-même où l’homme avait gardé ses richesses. « Si corrompu , si pourri, qu’il exhalait une odeur infecte » nous dit le conte et le narrateur de conclure sur les dangers de vouloir amasser un trésor à n’importe quel prix, au détriment de ses devoirs et des bonnes oeuvres.

Enfin, donnons un dernier exemple si c’était encore nécessaire. On se souvient d’avoir encore trouvé cette figure du Lombard, prêteur et acheteur d’à peu près tout même le plus amoral, sous la plume de François Villon et de sa gracieuse ballade faite à Monseigneur de Bourbon pour lui soutirer quelques écus.

Si je peusse vendre de ma santé
A ung Lombard, usurier par nature,
Faulte d’argent m’a si fort enchanté
Qu’en prendroie, ce croy je, l’adventure.
Argent ne pend à gippon ne ceincture ;

Requête à monseigneur de Bourbon, Oeuvres de Maistre François Villon. JHR Prompsault (1835)

Finalement, près de trois siècles après Rutebeuf et comme l’atteste le proverbe que Gabriel Meurier couchait sur le papier en 1568, les lombards ne semblaient guère avoir redoré leur blason, ni récupéré leur déficit d’image.


Pour ce qui est des toiles qui nous ont servi d’illustrations tout au long de cet article, elles sont toutes tirées de l’oeuvre totalement originale et incroyablement expressive du peintre primitif flamand des XVe, XVIe siècles Quentin Metsys (1466 -1530). Quelques années avant l’ouvrage de Gabriel Meurier, il faut avouer que le traitement artistique caricatural qu’il faisait du sujet de l’argent et de l’usure, allait tout à fait dans le même sens que la satire littéraire et sociale qui l’accompagnait et y renvoyait de manière très claire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-â sous toutes ses formes


(1)L’article de Pierre Racine date de 2002 et se trouve disponible sur le site Clio.fr et sous ce lien : Les Lombards et le commerce de l’argent au Moyen Âge.

Oeuvres complètes de RutebeufTrouvère du XIIIe siècle,
Achille Jubinal Tome Deuxième (1874)

Requête à monseigneur de Bourbon, Oeuvres de Maistre François VillonJHR Prompsault (1835)

Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique, Gabriel Meurier    (1568).

Le Comte Lucanor, apologues et fabliaux du XIVe siècle
de Don Juan Manuel, traduit par Jean Manuel Puybusque (1854).

Moyen-âge à tous les étages : ouverture du compte Twitter officiel

Bonjour à tous,

Pour ceux qui utilisent Twitter, nous venons (enfin) d’ouvrir le compte officiel du site, :  @moyenagepassion.  Tout nouveau, tout beau ! Tout se passe ici :  https://twitter.com/moyenagepassion

twitter_moyen_age_passion_poesie_histoire_litterature_musique_monde_medieval

Si vous voulez nous y rejoindre, nous aurons toujours grand plaisir à vous y retrouver !