Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras, chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre : Bonne amourete me tient gai Interprète : Ensemble Sequentia Album: Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)
Bonjour à tous,
ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.
Un rondeau courtois plein de légèreté
La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.
Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.
Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles par l’ensemble Sequentia
Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia
Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères,Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.
Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.
Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.
Musiciens & artistes ayant participé à cet album
Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).
Bonne amourete me tient gai dans le vieux français d’Adam de la Halle
Bonne amourete Me tient gai ; Ma compaignete* ; Bonne amourete, Ma cançonnete Vous dirai. Bonne amourete Me tient gai.
*compaignete : petite compagne
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, vierge de Montserrat, résurrection, Moyen Âge chrétien, Catalogne. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre : Cantiga Santa Maria 311, O que diz que servir hóme aa Virgen… Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Interprète : Música Antigua Album : Cantigas de Catalunya (2007)
Bonjour à tous,
u cœur de l’Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, on réunit les chants, les miracles et les louanges qui circulent alors sur les routes de pèlerinages des lieux dédiés à la vierge.
Demeurée célèbre, la compilation du XIIIe siècle présente plus de 420 chants mariaux notés musicalement, qui ont traversé 700 ans d’histoire pour nous parvenir.
Les Cantigas de Santa Maria traduites en Français actuel
Sur Moyenagepassion, nous avons entrepris, leur étude, depuis quelques années déjà. Chaque Cantiga de Santa Maria approchée est ainsi présentée et commentée, avec ses sources et sa version en musique par les plus grands ensembles du moment. Nous nous efforçons également de traduire en français actuel ces cantigas originellement écrites en galaïco-portugaises.
Aujourd’hui, nous reprenons le flambeau pour partir à la découverte de la Cantiga Santa Maria 311 et de son étonnant miracle : l’histoire d’un pélerin foudroyé et ramené à la vie. Mais avant cela, disons un mot du culte marial au Moyen Âge.
A propos des Cantigas et du culte marial
Bien au delà des frontières de la péninsule ibérique, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ont ceci de précieux qu’elles témoignent d’un culte marial qui fut d’une très grande importance pour le monde chrétien occidental, à partir du Moyen Âge central.
Mère du « Dieu mort en croix« , on prête alors à la vierge le pouvoir d’intercéder auprès de lui pour le compte des hommes. Grande faiseuse de miracles pour qui la loue et la prie, Marie a aussi la douceur et la compréhension d’une mère.
De fait, parmi tous les auteurs médiévaux que nous avons pu étudier jusque là : De Rutebeuf à François Villon, en passant par différents trouvères et troubadours mais encore des poètes du Moyen Âge plus tardif, peu sont ceux qui n’aient pas écrit leur propre oraison à la vierge ou, au moins, quelques louanges à son endroit.
L’amour qu’on voue à la vierge Marie empruntera même dans la littérature médiévale des XIIe et XIIIe siècles et chez certains auteurs religieux ou laïques, les voies de la lyrique courtoisie et de la fine Amor. La fusion des deux genres donnera ainsi naissance à une poésie, faite tout à la fois, de spiritualité, de retenue et d’émotion amoureuse.
Le miracle de la Cantiga 311 : le pèlerin foudroyé et son ami mécréant
Enluminure de la Cantiga de Santa Maria 311 dans le chansonnier BNCF BR20 de la Bibliothèque de Florence (XIIIe-XIVe siècle).
A l’image de nombreuses Cantigas de Santa Maria, la CSM 311 conte donc l’histoire d’un miracle. Celui-ci porte plus particulièrement sur la vierge catalane de Montserrat et nous rapporte les infortunes d’un dévot habitué à la visiter, chaque année, en pèlerinage.
La vierge et son pouvoir de résurrection
Ce corpus médiéval ne cesse de l’affirmer, la foi placée en la Sainte Marie peut tout et de bien des manières ; le miracle de la Cantiga 311 s’efforcera, une fois de plus, de l’établir. Il prendra même la forme du miracle ultime puisqu’il sera question ici de résurrection. Notons que ce n’est pas le seul de ce type dans le corpus des Cantigas d’Alphonse X ; nous avons eu l’occasion d’en étudier plusieurs de ce type (voir index des Cantigas de Santa Maria déjà traduites et commentées).
Ici, l’exemplarité de la dévotion sera pour les auditeurs, autant pour l’un des témoins directs de toute l’affaire. Bourgeois nanti, de peu de foi, ce dernier recevra, au passage, une double-leçon. La première portera sur le mal fondé de ses doutes en les pouvoirs de la sainte. L’autre concernera son avarice et son manque de largesse envers elle. A l’occasion de ce retour entre les lignes « de l’homme fortuné, du chameau et du trou de l’aiguille », la boucle biblique sera donc bouclée (1).
Música Antigua et les cantigas d’Alphonse X
Pour nous accompagner en musique dans la découverte de ce chant marial, nous avons choisi de rester sur les routes d’Espagne. Nous y profiterons à nouveau du talent et de l’œuvre majeure d’Eduardo Paniagua.
Avec son ensemble Música Antigua fondé en 94, ce musicien espagnol est, en effet, l’un des seuls à avoir couvert l’ensemble du répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Il en a tiré de nombreux albums thématiques.
Loin de grandes envolées lyriques, la version qu’il nous propose ici reste plutôt ancrée. Pour le dire autrement, on n’est plus proche d’une version à la René Zosso que de volutes soprano. Peut-être d’ailleurs, reste-t-on, de cette façon, plus proche des origines de ces chants (orchestration mise à part) si on les imagine chantés sur des routes de pèlerinages.
Cantigas de Catatunya, Abadía de Montserrat
Sorti dans le courant de l’année 2007, l’album dont est tiré le chant marial du jour est intitulé : Cantigas De Catalunya, Abadía de Montserrat (Chants de Catalogne, abbaye de Montserrat). Sur 1h15 d’écoute, on s’y engouffre dans la logique thématique privilégiée par Edouardo Paniagua, au moment d’aborder ce vaste corpus de plus de 400 pièces.
Cette production musicale vous permettra donc, à travers huit pièces issues du répertoire d’Alphonse X, de découvrir uniquement des Cantigas qui portent sur le nord de l’Espagne et la Catalogne.
La vierge de Montserrat chère aux Barcelonais, y tient une place de choix. Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de visiter l’endroit, l’abbaye de Montserrat est entourée d’impressionnantes concrétions rocheuses, à quelques encablures de Barcelone. L’édifice religieux et sa vierge noire continuent d’attirer de nombreux pèlerins et visiteurs, chaque année.
Membres ayant participé à cet album
César Carazo (chant, alto), Luis Antonio Muñoz (chant, fidule), Felipe Sánchez (luth, citole, vièle), Jaime Muñoz (cornemuse, flaviol, tarota, axabeba, tambour), David Mayoral (darbouka, dumbek, tambourin), Eduardo Paniagua (psaltérion, flûte à bec, cloche, darbouka, gong, rochet, hochets, hochet, goudron) et direction.
En chinant un peu, vous pourrez, sans doute, trouver cet album chez votre disquaire préféré. A défaut, sachez qu’il est toujours disponible à la vente en ligne sous forme dématérialisée. Voici un lien utile pour l’obtenir au format MP3.
La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition dans le codex des musiciens ( Códice de los Músicos, códice J.b.2) de la Bibliothèque de l’Escorial de Madrid
La cantiga de Santa Maria 311 et sa traduction en français actuel
Como Santa María de Monsarrat resuscitou un hóme que ía alá en romaría e morreu na carreira.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é, aquest’ é de mal recado e hóme de maa fé.
Ca se en fazer serviço a un bon hóme pról ten, quanto mais na Virgen santa ond’ havemos todo ben; e quen aquesto non cree, sa creença non val ren, ca descre’ en Déus, séu Fillo, e en ela que Madr’ é. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Comment Sainte-Marie de Montserrat ressuscita un homme qui se rendait là-bas en pèlerinage et mourut en chemin.
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine Celui là est un mauvais messager et un homme de mauvaise foi.
Car si rendre service à un homme bon a de la valeur Combien plus encore l’est de servir la vierge sainte dont nous recevons tous les bienfaits. Et celui qui ne croit pas en cela, sa foi ne vaut rien, Car il ne croit ni en Dieu, ni en son fils, ni en elle qui est sa mère Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…
E de tal razôn miragre vos quéro óra mostrar, que d’ entender é mui bõo a quen i mentes parar, que a Virgen grorïosa de Monssarraz quis mostrar por un hóme que a sempre servía con mui gran fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Et à ce propos, je veux vous exposer un miracle, Qui est fort édifiant pour qui y prête attention, Et que la vierge glorieuse de Montserrat voulut faire Pour un homme qui la servait toujours avec une grande foi. Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…
El alí en romaría ía dous vezes ou tres no ano, e amizade havía con un borgês; e rogou-lli que na fésta qu’ é en meógo do mes d’ Agosto de sũu fossen, dizendo: “Logar sant’ é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Il allait là-bas (à Montserrat) en pèlerinage deux ou trois fois l’an Et avait des amitiés avec un bourgeois ; Et il pria ce dernier de se rendre avec lui à la fête qui s’y donne En août, en lui disant : « C’est un lieu très saint. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
Entôn ambos s’ acordaron por en romaría ir a Monssarraz. Mas primeiro, per quant’ end’ éu puid’ oír, passaron per Barçalona; e u quiséron saír da vila, começou lógo mal tempo, per bõa fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Ainsi, ils s’accordèrent tous deux pour aller en pèlerinage A Montserrat. Mais avant cela, d’après ce que j’ai pu entendre, Ils passèrent par Barcelone ; et quand ils voulurent sortir De la ville, le temps commença à se gâter, de bonne foi (2) Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
E fezo ventos mui grandes e começou de chover e alampos con torvões des i coriscos caer, assí que feriu un deles aquel hóme, que morrer o fez lógo mantenente; ca do corisc’ assí é
Et il souffla de très grands vents et il commença à pleuvoir Avec du tonnerre, de grandes turbulences et des éclairs qui tombaient De sorte qu’un de ses hommes fut blessé et mourut Peu de temps après, car il en va ainsi avec les éclairs
Que en quen fér lóg’ afoga ou talla ou queimar faz. Mais aquel hóm’ afogado foi, que pera Monssarraz ía sempre, com’ oístes; e séu compannôn assaz chorou por el e ar disse paravlas contra a fé,
Qui à l’un peuvent frapper, ou blesser ou faire se brûler. Cet homme qui se rendait toujours à Montserrat, Fut foudroyé, comme vous l’avez entendu ; et son compagnon Pleura beaucoup pour lui et prononça des paroles contre la foi,
dizendo: “Par Déus, amigo, muito empregásti mal quanto a Santa María servist’, e pois te non val nen te guardou desta mórte, per que o dém’ infernal levou ja de ti a alma; e, mal pecad’, assí é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
En disant : « Par Dieu, mon ami, tu t’employas bien mal En servant Sainte-Marie, et cela ne t’a rien valu, Ni ne t’a protégé de cette mort, car le démon de l’enfer a déjà emporté ton âme ; c’est bien triste pour toi, mais il en est ainsi. Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
E outro día por ele ũa missa dizer fez, des i que o soterrassen, ca tal éra come pez tornado daquel corisco; e ar disse dessa vez paravras contra a Virgen onde naceu nóssa fé,
Le jour suivant, il fit dire un messe pour lui Et pour qu’on l’enterre, car ce dernier était noir Comme la poix par la faute de cet éclair, et il dit à nouveau Des mots contre la vierge en laquelle réside notre foi.
indo con el aa cóva chorand’ e dizend’ assí: “Mal empregásti téu tempo na Virgen, com’ aprendí, demais perdísti grand’ algo que lle désti; mais a mi nunca averrá aquesto, ca o méu na arca é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Et se rendant avec le défunt en son caveau, il pleurait et disait : « Tu as bien mal employé ton temps dans la vierge, comme j’ai pu le voir, Et, plus encore, tu as perdu tout ce qui tu lui donnas en offrande ; Mais jamais cela ne m’arrivera, car ce qui est m’appartient reste bien à l’abri. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
El aquest’ assí dizendo, resorgiu o mórt’ entôn e assentou-se no leito e diss’ aquesta razôn: “Mentes a guisa de mao, ca mia alm’ a perdiçôn fora, se non foss’ a Virgen, que chav’ é de nóssa fé,
Tandis qu’il parlait ainsi, le défunt ressuscita Et s’asseyant sur son lit funéraire, il parla de cette manière : « Tu mens comme un mauvais homme car mon âme aurait été en perdition, si cela ne fut grâce à la Vierge, qui est la clé de notre foi.
que me livrou de sas mãos u éra en poder séu; e porend’, enquant’ éu viva, sempre no coraçôn méu a terrei pera serví-la, e nunca me será gréu de ren que por ela faça, ca mui ben empregad’ é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
C’est elle qui me libéra des mains du démon quand j’étais en son pouvoir ; Et pour cela, tant quand je vivrai, je mettrai toujours mon cœur En quatre pour la servir, et jamais cela ne me sera pesant En rien, car tout ce que je fais pour elle, est fort bien employé. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
Quand’ esto viron as gentes, déron todos gran loor aa Virgen grorïosa, Madre de Nóstro Sennor, que sempre seja loada enquanto o mundo for, ca é nóssa avogada, des i padrõa da fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Quand les gens virent cela, ils firent de grandes louanges A la vierge glorieuse, Mère de notre Seigneur, Qu’elle soit toujours louée tant que je suis en ce monde Car elle est notre avocate et la mère patronne de notre foi, Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes
(1) Matthieu 19.24. « Il est plus facile pour un chameau entre par un trou d’aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (2)…, per bõa fé : petit doute sur cette formule placée à la fin de cette phrase et dont le sens, dans le contexte, serait à revérifier. Le temps se gâta pour la foi de nos pèlerins ? Le troubadour nous dit cela en toute bonne foi ?
NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la vierge noire de Montserrat, vous retrouverez la page du BNCF BR 20 et l’illustration de cette cantiga.
Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras, chant monodique, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre : Qui à droit veut amours servir Interprète :Ensemble Sequentia Album: Trouvères,Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) (1987)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons au XIIIe siècle en musique, en compagnie du trouvère Adam de la Halle. En plus de ses célèbres jeux théâtraux, ses rondeaux, balades et motets et ses jeux-partis, on doit à celui qu’on appelait encore le Bossu d’Arras, un peu plus d’une trentaine de chansons. C’est l’une d’elle qui fait l’objet de cet article.
Un mode d’emploi de l’amour courtois à l’usage des loyaux amants
La pièce du jour est une chanson monodique sur le thème de l’amour courtois. Plus qu’une déclaration à une dame, le trouvère s’adressera directement, ici, aux loyaux amants et son texte se présente même comme un court mode d’emploi à l’attention de ceux qui prétendent aimer courtoisement.
La chanson courtoise d’Adam de la Halle dans le Ms 25566 de la BnF
Qui à droit veut amours servir, autrement dit, celui qui veut servir l’Amour droétement (avec justesse, avec raison) devra ne pas céder à ses propres tourments ni se focaliser sur les maux que lui causent sa condition de fin’amant : se concentrer sur les mérites et les fruits qu’il retirera de sa pratique courtoise (raison, sagesse,…), ne point montrer trop d’empressement, ne pas dévoiler ses sentiments trop ouvertement de crainte de se faire repousser, voilà les conseils que le trouvère prodiguera au prétendant. En reprenant les codes des troubadours occitans qui l’ont précédé sur les voies de la lyrique courtoise, Adam de la Halle les transpose dans cette chanson, pour proposer, en langue d’oïl, un court ABC de la fin’ amor à l’attention de ses contemporains.
Aux sources manuscrites de cette chanson
La chanson dans le MS 1109 de la BnF
Pour ce qui est des sources médiévales de cette pièce, les manuscrits anciens nous laissent relativement le choix. En suivant la Bibliographie des Chansonniers français de Gaston Raynaud (1884), on pourra au moins citer trois ouvrages médiévaux dans lesquels on trouve cette chanson notée musicalement. Ils sont tous conservés à la BnF et consultables en ligne sur Gallica : le Ms Français 1109 daté des débuts du XIVe, encore connu sous le nom de Chansonnier français Q. Le Chansonnier français R, référencé Ms Français 1591. Cet ouvrage du XIVe contient des chansons notées et jeux partis variés. Enfin, on citera le très riche Ms Français 25566 dont nous avons déjà parlé ici. Connu encore sous le nom de Chansonnier français W, ce manuscrit copié à Arras date, lui aussi du XIVe siècle et comprend un nombre impressionnant de pièces musicales et littéraires de trouvères et d’auteurs du Moyen Âge central.
Concernant la transcription en graphie moderne de cette chanson médiévale, nous nous sommes appuyé sur la véritable bible que constitue l’ouvrage de l’ethnomusicologue Edmond de Coussemaker : Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle: poésies et musique (1872). Quant à son interprétation, nous l’avons confié à l’excellent ensemble médiéval Sequentia sous la direction de Benjamin Bagby (en photo sur l’image entête d’article, en premier plan du ms Français 1109).
Sequentia au temps des trouvères
L’ensemble Sequentia s’est formé en 1975 à l’initiative de la chanteuse et musicologue Barbara Thornton et du chanteur, compositeur et harpiste Benjamin Bagby. Les deux américains se trouvaient alors à la Schola Cantorum Basiliensis, célèbre école suisse qui a fait de l’étude des musiques et des instruments anciens son terrain d’élection et dont sont sortis nombre de musiciens et formations médiévales illustres.
Près de cinquante ans après sa formation, Sequentia est toujours actif. Vous pourrez retrouver leur actualité sur leur site web officiel. Après la disparition prématurée de Barbara Thornton en 1998, il est resté sous la direction de Benjamin Bagby. Riche d’une discographie de plus de 40 albums, cet ensemble de musiques anciennes est devenu une véritable référence sur la scène des musiques du Moyen Âge (retrouvez son portrait détaillé ici).
L’amour courtois des XIIe et XIIIe s en pays d’Oïl
Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, de vous toucher un mot de l’album Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (Trouvères :Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich). A dire vrai, cette production est assez incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale et, notamment, aux musiques profanes et courtoises produites au XIIIe siècle, dans le nord de France. En terme de répertoire, la période couverte, ici, va de la fin du XIIe siècle à la toute fin du XIIIe siècle (1175-1300).
Enregistré en 1982 et réédité depuis, ce double-album propose pas moins de 43 pièces de trouvères du Moyen-Âge central et, ce, si l’on se fit au nombre de morceaux répertoriés. En réalité, il en propose bien plus si l’on prend en compte les variations et enchaînements proposés au sein de certains morceaux.
Pour leurs qualités autant que pour la sélection proposée par Sequentia, ces chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil n’ont pas pris une ride ; à ce jour, ce bel album salué par la presse spécialisée depuis sa sortie, continue même de faire autorité sur la scène médiévale. Si vous êtes amateur de musiques et de chansons monodiques et polyphoniques courtoises, cette production devrait trouver parfaitement sa place dans votre cédéthèque (si elle ne s’y trouve pas déjà).
Une anthologie musicale sur deux albums
Pour dire un mot des auteurs que vous retrouverez dans cette production, Adam de la Halle y tient une belle place avec 14 pièces (rondeaux, motets et chansons). Il s’y trouve très largement accompagné par Jehannot de Lescurel avec 16 pièces de ce dernier, entre balades et rondeaux. On croisera encore des noms de trouvères qui vous seront familiers si vous nous suivez depuis quelque temps : Conon de Béthune, Gace Brulé, Blondel de Nesle ou encore Petrus de Cruce. Le reste des morceaux musicaux se distribue agréablement entre pièces anonymes (motets, chansons de toile, etc…) et encore pièces instrumentales et danses médiévales.
Ce double-album de Sequentia a été réédité chez Sony en 2009. Cela commence un peu à dater mais, avec un peu de chance, vous pourrez le trouver au format CD chez votre meilleur disquaire ou même à la vente en ligne. (Attention aux occasions qui, quelquefois, font l’objet de spéculations folles sur certaines places de marché). L’autre option est de l’acquérir au format dématérialisé. Voici un lien utile pour ce faire : Trouvères de Sequentia au format MP3.
Musiciens & artistes ayant participé à cet album
Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).
Qui à droit veut amours servir en vieux français & sa traduction
NB : notre traduction en français moderne de cette chanson d’Adam de la Halle n’a pas la prétention d’être parfaite mais elle a le mérite d’aider à la compréhension de l’oïl souvent assez ardu du trouvère picard.
Qui à droit veut amours servir Et chanter de joieus talent Penser ne doit as maus qui sent, Mais au bien qui en puet venir. Che fait cueillir Sens et bonté et hardement, Et le mauvais bon devenir ; Car chascun bée au déservir, Puis qu’il y tent.
Celui qui veut servir justement en amour Et chanter avec un esprit joyeux (envie, volonté) Ne doit penser aux maux qu’il ressent Mais au bien qui peut en venir. Cela fait récolter Sagesse et bonté et hardiesse Et change le mal en bien : Car chacun aspire à bien servir (au mérite) Puisqu’il y tend.
Qui s’esmaie pour mal souffrir Ne qui prend garde à son tourment , Il ne puet amer longuement. Mais com plus pense par loisir A son désir , Et plus li semble anientir Lui et amours et dessevir Tout son jouvent.
Celui qui s’émeut de souffrir Ni ne se défie de son tourment Il ne peut aimer longuement. Mais comme il pense plus à loisir A son désir Et plus il lui semble anéantir Lui et Amour et payer en retour Toute sa gaité.
Par rire et par biaus dis oïr Et par joli contènement, . Vient amours au commenchement, Et ensi se veut poursievir Et esbaudir, Et espérer merchi briement, Encor n’i puist on avenir, Ensi veut amours maintenir Se douche gent.
Par rire et entendre de belles paroles Et par une conduite agréable Vient l’amour au commencement Et ainsi se veut poursuivre Et encourager Et espérer (attendre) que la grâce arrive brièvement Bien qu’on ne puisse encore y parvenir Car ainsi veut amour maintenir Ses douces gens.
Trop font chil amant à haïr Qui requièrent hardiement , Ch’est de désir folement Quil ne se puéent astenir ; Et s’au partir Sont escondit vilainement. Or ont il deus tans à souffrir, Car chou c’on ne vaurroit oïr Quiert’on souvent.
Certains amants se font trop haïr Qui exigent avec trop de hardiesse, C’est par faute de trop désirer (désirer follement) Qu’ils ne peuvent s’abstenir Et au moment de la séparation, Ils sont éconduits de manière méprisable. Mais s’ils ont du tant souffrir C’est que ce qu’on ne voudrait entendre Recherche-t-on souvent.
Pour chou fait bon mains envaïr, Car puis c’amans a hardement De proier Dame qui s’entent Moustre il qu’il le doive fuir; Car descouvrir N’oseroit son cuer nulement Fins amis, ains laist convenir Pité qui nient ne laist périr Qui tout li rent.
Pour cela il est préférable de se montrer moins envahissant Car l’amant trop empressé (hardi) D’obtenir les faveurs d’une dame qui s’y entend (dans les choses de l’amour) Lui montre qu’elle doit le fuir. Aussi n’osera-t-il Découvrir son cœur en aucune façon. Fins amants ainsi faut-il laisser faire les choses Pitié qui, jamais, ne laisse rien perdre Lui rendra tout.
Robert Nasart, d’un chant furnir Mis envers vous un plège gent. Par amours, Sire, quitiés l’ent , Car je vous veul ce chant offrir Pour remplir Che que vous avoie en couvent . Pour riens n’en vausisse mentir Qui seur tel plège acroit tenir Doit bien couvent.
Robert Nasart, je vous ai fait la douce promesse de vous fournir une chanson. De grâce, sire, tenez m’en quitte Car je vous viens offrir ce chant Pour accomplir Ce que je vous avais promis. Pour cela rien ne vaut de mentir Celui qui donne sa parole sur un tel engagement Doit bien l’accomplir.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : sagesse persane, conte moral, charité, bienfaisance, vanité, citations médiévales, citations, sagesse. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : Le Verger de Saadi traduit pour la première fois en français, par A. C. barbier de Meynard, (1880)
Bonjour à tous,
u XIIIe siècle, à des lieues de l’Europe médiévale, le conteur persan Saadi dispense ses contes moraux à qui veut les entendre, mais le plus souvent, tout de même, aux princes, aux puissants et aux lettrés. 800 ans après son œuvre, les perles de poésie et de sagesse qu’il a semées nous sont parvenues, notamment à travers deux de ses ouvrages : le Gulistan (jardin de roses) et le Boustan (ou Bustan, le verger).
Une citation médiévale de Saadi contre la vanité et pour la charité dans l’action politique
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un nouveau conte tiré du Boustan. Il provient du premier chapitre de l’ouvrage intitulé : « Des devoirs des rois ; de la justice et du bon gouvernement ; règles de politique et de stratégie. » et il nous entraînera dans une parabole morale destinée à l’homme le plus modeste comme aux gouvernants.
A la lecture de cette courte histoire, il sera difficile de ne pas avoir à l’esprit les « miroirs aux princes« . Ces traités politiques et moraux, qui portent des visées éducatives à l’attention des puissants, forment, en effet, un genre littéraire que l’on retrouve aussi, du côté de l’Occident médiéval, dès les débuts du Moyen-Âge central.
Le lutteur et le squelette, de Saadi Shirazi
Un lutteur disgracié par la fortune et dénué de toutes ressources ne trouvait jamais ni à dîner ni à souper. Pressé par la faim impérieuse, il s’employait à porter de la terre sur son dos ; le métier d’athlète ne fait guère vivre son homme. Dans cette condition misérable, son cœur s’épuisait dans la douleur et son corps dans la fatigue. Tantôt il déclarait la guerre à ce monde égoïste, tantôt il maudissait la fortune ennemie ; un jour, à l’aspect du bonheur d’autrui, il refoulait dans sa gorge des larmes amères ; un autre jour, éperdu de chagrin, il s’écriait :
— Vit-on jamais une existence plus misérable que la mienne ! D’autres réunissent sur leur table miel, volaille et agneau ; moi je ne puis même mettre un légume sur mon pain. A dire vrai, c’est chose injuste que je sois à demi-nu quand le chat lui-même a sa fourrure. Que je serais heureux si, tandis que je pétris l’argile, quelque trésor me tombait sous la main ; je pourrais alors vivre à ma guise et secouer la poussière de la pauvreté !
Un jour qu’il creusait le sol, il trouva la mâchoire d’un crâne rongée de vétusté, dont les débris couverts de terre étaient disjoints et les dents disparues ; mais de cette bouche sans langue sortirent de sages conseils :
— Ami, lui dit-elle, supporte patiemment ta misère. Regarde, n’est-ce pas ainsi que finit toute chose, la bouche qui a savouré le miel et celle qui n’a dévoré que ses regrets (litt. le sang de son cœur) ? Ne te plains pas des vicissitudes de la sphère inconstante, longtemps encore elle tournera et nous ne serons plus.
En se présentant à son esprit, ces pensées en éloignèrent le triste cortège du chagrin :
— Être sans raison, ni sagesse, se dit-il à lui-même, supporte courageusement tes maux, au lieu de te consumer dans les regrets. L’homme qui plie sous un lourd fardeau et celui qui, du front, touche les cieux, l’un et l’autre, quand vient la catastrophe suprême, oublient leur condition première. Le chagrin s’évanouit comme la joie et rien ne survit, sauf la rétribution des œuvres et la bonne renommée. La bienfaisance subsiste et non le trône et la couronne.
Grands de la terre, faites le bien si vous voulez laisser un bon souvenir; ne tirez vanité ni de votre cour somptueuse ni de votre puissance, d’autres les ont possédées avant vous et les posséderont quand vous ne serez plus. Voulez-vous préserver votre trône d’une chute prochaine, donnez tous vos soins à la religion et à vos sujets, et puisque il faut quitter la vie, répandez l’or de l’aumône à pleines mains. Quant a Saadi, il n’a pas d’or, mais il prodigue les perles de la poésie.
Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan (op cité)
Des leçons de vie de la bouche d’un mort
Les thèmes moraux traités dans ce conte seront familiers à ceux qui connaissent Saadi ou qui ont lu certains de nos articles à son sujet (voir, par exemple,les regrets du roi d’Egypte ou encore l’Incendie de Bagdad) : la mort (ici personnifiée par la mâchoire) reste toujours bonne conseillère. Saadi lui donnera même la parole. Le moment venu, elle nivellera de sa présence et pour tout un chacun, les joies, comme les regrets et les plaintes. Saadi invoque la Camarde pour donner au déshérité, le courage de résister à l’adversité, mais aussi pour souligner ce que retiendra la postérité de son passage sur terre.
Dans un deuxième temps, il élargit son propos aux puissants en prenant pour cible leurs tentations de vanité. La bonne renommée, les bonnes actions et la bienfaisance, voilà les seules traces que l’homme de pouvoir comme l’homme simple devraient vouloir laisser après lui. Comme des empreintes de pas sur les dunes, le reste sera effacé par le premier vent du désert.
Charité et mansuétude contre vanité, on pourra arguer que le thème est redondant mais c’est le lot du sage que de se répéter. Aussi, comme un vieux professeur, Saadi multiplie les paraboles en variant les angles pour mieux toucher ses cibles.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, on retrouve un détail d’enluminure tiré d’un manuscrit du Boustan conservé actuellement à la bibliothèque du Palais de Niavaran à Téhéran et daté du XIXe siècle.