Archives de catégorie : Romans et livres

Romans récents ou livres anciens, le moyen-âge s’édite et se réédite : fiches de lecture, extraits, impressions, une balade dans l’univers du livre autour du monde médiéval,

« Des instruments artificiels merveilleux », Roger bacon

Sujet : science médiévale, savant, art mécanique, préjugés, citations médiévales, citations, extraits, médecine, philosophe, alchimiste
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Roger Bacon (1214-1292)
Ouvrage : Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art et la nullité de la magie, Albert Poisson, Ed Chamuel (1893)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une citation médiévale et, même plutôt un extrait, d’un texte du XIIIe siècle. Il nous provient du médecin et savant Roger Bacon. Nous sommes donc au Moyen Âge central et dans un essai assez court où il recensait les merveilles de la nature et de la science pour les opposer à la magie (Epistola de secretis operibus naturae et artis et de nullitate magiae), le Doctor Mirabilis anglais énumèrait quelques prodiges mécaniques de sa connaissance.

Engins volants, sous-marins, chars à feux dotés de systèmes de traction autonomes, embarcations à la vitesse stupéfiante : nous sommes plus de deux siècles avant Léonard de Vinci et en puisant dans l’antiquité et ses observations, Bacon nous donne l’occasion de revenir, une nouvelle fois sur quelques préjugés concernant l’état d’ignorance dans lesquels la science du Moyen Âge et ses savants étaient censés se tenir.

Des instruments merveilleux : citation du Moyen Âge de Roger Bacon

« On peut construire des machines marines telles, que les plus grands esquifs maritimes ou fluviaux en étant munis, et un seul homme les montant et les gouvernant, ils auraient une vitesse bien plus grande que s’ils étaient mus par une grande quantité de rameurs. On peut aussi faire des chars qui, n’étant tirés par aucun animal, se meuvent avec une vitesse considérable ; l’on pense que tels étaient les chars à feux sur lesquels combattaient les anciens. On peut aussi construire des instruments pour voler; un homme est assis au centre de l’appareil et fait tourner quelque roue par laquelle des ailes artificiellement construites frappent l’air à la manière d’un oiseau qui vole. On peut aussi faire un instrument d’un petit volume pour pouvoir élever ou descendre des poids d’une pesanteur infinie, ce qui est fort utile à l’occasion. Car, à l’aide d’un semblable instrument d’une longueur de trois doigts, large comme eux et d’un volume moindre, un homme pourrait s’évader de prison, monter et descendre lui et ses compagnons.

On peut construire des instruments à l’aide desquels un homme tirerait à lui mille personnes avec violence et malgré elles, il en est de même pour les autres espèces de traction. On peut aussi faire des instruments avec lesquels on se promène dans la mer et au fond des fleuves sans aucun danger pour le corps. Alexandre se servit de cette machine pour surprendre les secrets de la mer, d’après ce que raconte Ethicus l’astronome.


Toutes ces choses ont été expérimentées soit dans l’antiquité soit à notre époque, et je les affirme être véridiques, excepté l’appareil à voler, que je n’ai pas vu; je n’ai pas non plus connu d’homme qui l’ait vu, mais je connais intimement le savant qui l’a inventé. On peut faire une infinité d’autres choses du même genre, telles que des ponts traversant les fleuves, sans piles ni autres soutiens; des machines et bien d’autres choses ingénieuses peu connues. »

Extrait de Epistola de secretis operibus naturae et artis et de nullitate magiae – Roger Bacon – Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art
Chap IV Des instruments artificiels merveilleux. Albert Poisson (op cité).


Un mot sur ce livre de Roger Bacon

Livre : Lettre Sur Les Prodiges: de La Nature Et de L'Art, Albert Poisson (1893)

Pour dire un mot de ce précis médiéval de Roger Bacon, on y trouvera encore des réflexions sur la science, la magie, la médecine, dont certaines étonnantes de modernité, sur le prolongement de la vie. Avec un total de 70 pages, un certain nombre de chapitres sont également consacrés à des opérations alchimiques et, notamment, à la composition de l’œuf des philosophes.

Ce livre de Roger Bacon, il a été réédité chez Kessinger Legacy Reprints. Vous le trouverez donc facilement à la commande en librairie ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Lettre Sur Les Prodiges: de La Nature Et de L’Art, Albert Poisson (1893)

Albert Poisson (1869-1894), auteur français du XIXe siècle, s’était lui même piqué d’Alchimie. Cette passion (ou cette quête si l’on préfère), lui donna l’occasion de se pencher sur l’œuvre de Bacon mais pas seulement. Nicolas Flammel, Albert le Grand, Paracelse, Raymond Lulle, Arnaud de Villeneuve font aussi partie des auteurs qu’il a approchés, commentés ou traduits. Adepte et initié, il semble que l’alchimiste gravita dans l’entourage du médecin et occultiste Papus (Gérard Anaclet Vincent Encausse) et fréquenta assidument les milieux martinistes d’alors. On le retrouve également mentionné dans certains cercles de la Rose-Croix. Poisson a légué un nombre de livres assez conséquent autour de l’alchimie en regard de sa courte carrière. Le jeune auteur prometteur a disparu, en effet, prématurément, à l’âge de 25 ans. Son ouvrage le plus connu, écrit à l’âge de 22 ans, « Théories et symboles des alchimistes : le grand œuvre » connaîtra un certain succès au regard du thème pointu et réservé que l’auteur se proposait d’aborder.


Voici également d’autres articles qui pourraient vous intéresser sur quelques idées reçues et préjugés à l’encontre du Moyen Âge :

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric Effe.
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.

PS : l’image d’en tête est tirée d’une gravure de l’édition de 1893 de la Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon, traduite par A poisson.

Faire reculer la mort : vocation médicale et questions liées à l’exercice de la médécine

Bonjour à tous,

ans la foulée de notre article précédent (idées pour tromper le temps en août), la deuxième chose que nous voulions mentionner ici est aussi liée, ç sa manière au contexte actuel en relation au roman « Frères devant dieu et la tentation de l’alchimiste« . C’est une coïncidence assez étrange mais dans cet ouvrage ayant pour toile de fond le Moyen Âge, et paru quelques mois avant l’arrivée de la Covid, nous traitions, entre autres sujets, de médecine médiévale et de questions liées à cette vocation.

« Ceux qu’on désespérait de guérir »

Depuis son origine, la pratique médicale s’est donnée pour objectif de prévenir, soulager, mais aussi de faire reculer la maladie et, autant que faire se peut, la mort. Jusqu’où devait-elle le faire et où le médecin devait-il fixer la limite ? On peut supposer que le peu de moyens des médecines anciennes évitait, bien des fois, de se poser la question. Pourtant, si la nature mettait souvent le pratiquant face à l’inconnu ou devant le fait accompli, cette question de « l’acharnement thérapeutique » semble bien avoir accompagné les tous premiers médecins. En suivant certains vieux textes de l’antiquité et hippocratiques, le médecin prudent pouvait être tenté de s’écarter bien vite de celui qu’il ne pouvait soigner, de crainte qu’on l’accuse, plus tard, de l’avoir conduit à leur perte. Mais d’autres sources l’enjoignaient, au contraire, au dépassement et à l’opposition contre le sort et la nature même (1).

Cette dernière idée était, en tout cas, présente au début du Moyen Âge central et Avicenne l’exprimait déjà de manière un peu abrupte en écrivant : « Certains avaient pensé qu’il fallait tuer ceux qu’on désespérait de guérir. » Le médecin face à sa vocation autant qu’à son impuissance, vaste sujet. Cette citation donne la mesure de cette problématique et d’une pratique médicale qui peut, quelquefois, glisser au point de devenir obsessionnelle.

Toute proportion gardée, les questions de l’acharnement et des limites dans l’exercice médical étaient donc déjà là, dès l’aube de la médecine et, a fortiori, au Moyen Âge. Elles se sont posées, de manière plus aigue encore, au fur et à mesure, de l’avancée de la médecine moderne et bien que transposées sur le plan collectif et politique, on ne peut tout à fait les abstraire de la toile de fond qui préside à la crise sanitaire actuelle.

Dans la fiction « Frères devant Dieu ou la tentation de l’Alchimiste« , vous trouverez justement un médecin médiéval en prise avec un mal mystérieux et face à ce questionnement. Jusqu’où aller pour exercer son don de médecine sans prendre le risque de s’égarer soi-même ? Où doit s’arrêter la science ? Où commence la vanité ? Au Moyen Âge, le médecin et son patient s’inscrivent aussi dans une relation triangulaire puisque la vie comme la mort demeure, en premier et en dernier ressort, dans les mains de Dieu.


Où trouver ce roman d’aventure médiévale ?

Vous pouvez retrouver cette fiction médiévale qui a pour toile de fond le XIVe siècle, aux adresses suivantes.

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 Format papier.  – 18,90 €uros chez Amazon ou chez  Librinova.fr

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Format  Ebook, Epub ou Mobi
Dans toutes les plus grandes librairies en ligne, à partir du 8 août 2021, Opération Spéciale Eté à 2,99 €uros

Cliquez sur les liens pour plus d’informations : Amazon  –   Cultura –  Decitre  –   Kobo –  Bayard –  Paris Librairies – Sciences po –   Forum du Livre –  La Buissonnière 

Quelques retours de lecteurs

Livre, fiction médiévale de Fréderic Effe

« Philosophie , médecine, religion, croyances et vie médiévale font de ce roman un agréable moment de lecture. le narrateur est soit omniscient, soit ce sont les personnages tour à tour et c’est ce qui permet d’impliquer le lecteur encore plus dans l’histoire. J’aime beaucoup les romans historiques et celui ci m’a beaucoup plu. » Isabelle sur Netgalley.

« J’ai adoré ce roman. Très beau voyage dans ces temps reculés. Personnage vraiment attachant ce Geoffroy ! C’est une lecture que je conseille vivement ! » Pascale Lainé  – Maquettes médiévales

« Je viens de terminer la lecture de Frères devant Dieu ou la tentation de l’Alchimiste. Je voudrais vous adresser mes compliments. Votre roman m’a passionnée !!!  » Marianne – Scénariste

« Le Moyen Age reste tout de même toujours dans mon cœur et m’accompagne dans mes quelques temps de loisirs grâce à la lecture d’un livre que j’aime beaucoup et qui aborde des sujets sensibles pour  Conscience Médiévale comme l’Alchimie et la médecine au Moyen Age. Une lecture prenante, facile et très agréable, je vous la recommande !  Merci à l’auteur de Moyen-âge Passion qui est aussi l’auteur de ce livre, pour ce bon moment de lecture ! »
Blog Conscience Médiévale

« Frédéric Effe, l’architecte du site @moyenagepassion, vient de publier un chouette roman racontant l’histoire de deux frères, un médecin et un troubadour, confrontés à une obscure affaire de sorcellerie dans une seigneurie du XIIIe siècle… Avec plein de vrai Moyen Âge dedans! » Florian Besson – Historien-médiéviste, blog Actuel MoyenAge

« J’ai terminé Frères devant Dieu et l’histoire m’a longtemps habitée. Dès le départ et tout au long du livre, j’ai été impressionnée par les descriptions si vivantes des lieux, les ambiances, la psychologie des personnages, les discussions, les idées qui s’opposaient, et la quantité de détails documentés sur le Moyen Âge. Au départ tout cela m’a rappelé — avec plaisir Le Nom de la Rose. Et puis l’intrigue a pris une tournure tout à fait originale. (…) Merci pour ce beau roman. »
Michelle Galles – Réalisatrice – A la Recherche de Vaubeton


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.

(1) voir Le Médecin du Prince: Voyage à travers les cultures, Anne Marie Moulin -Odile Jacob 2010

l’adoubement du chevalier au Moyen Âge, Régine Pernoud

Sujet : citations médiévales, histoire médiévale, historien, médiéviste, Moyen Âge, chevalerie, chevalier, adoubement, cérémonie, citations.
Période : Moyen Âge central
Auteur : Régine Pernoud  (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Age ( Grasset, 1981)


Une citation de Régine Pernoud sur la Chevalerie au Moyen Âge

« Du futur chevalier, on exige des qualités précises, que traduit le symbolisme des cérémonies au cours desquelles on lui décerne son titre. Il doit être pieux, dévoué à l’Église, respectueux de ses lois : son initiation débute par une nuit entière passée en prières, devant l’autel sur lequel est déposée l’épée qu’il ceindra. C’est la veillée d’armes, après laquelle, en signe de pureté, il prend un bain, puis entend la messe et communie. On lui remet alors solennellement l’épée et les éperons, en lui rappelant les devoirs de sa charge : aider le pauvre et le faible, respecter la femme, se montrer preux et généreux; sa devise doit être « Vaillance et largesse ». Viennent ensuite l’adoubement et la rude « colée », le coup de plat d’épée donné sur l’épaule : au nom de saint Michel et de saint Georges, il est fait chevalier. »

Lumière du Moyen Âge, Régine Pernoud.

Une belle journée à tous

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Retrouvez d’autres citations et articles au sujet de Régine Pernoud.

NB : l’enluminure, en arrière plan de Régine Pernoud sur l’image d’en tête, est tirée du Manuscrit médiéval MS Français 112 – 1, conservé au département des manuscrits de la BnF (consultez le ici sur Gallica). Elle représente l’adoubement de Lancelot du Lac par le roi Arthur (« comment Lancelot fut fait Chevalier… ») Le manuscrit, daté de 1470, est une compilation des légendes arthuriennes par Micheau Gonnot.

Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (3) : Christine de Pizan, la championne des dames

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII. auteur médiéval
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Christine de Pizan (1364-1430)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2021)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la troisième : Christine de Pizan.


a guerre de Cent Ans ne fut pas qu’une période sombre. Le XVe siècle voyait aussi l’émergence de la première femme de lettres française : Christine de Pizan. Grâce au soutien des plus hauts personnages du royaume, à commencer par la reine Isabelle de Bavière, cette femme engagée a pu produire une œuvre extraordinairement éclectique ; et qui nous surprend encore par sa modernité.

Une chef de famille

Fille d’un médecin italien appelé auprès de Charles V, Christine de Pizan est une française d’adoption. Mais qui deviendra rapidement très parisienne. Bénéficiant de l’enseignement de son père et de la fréquentation du milieu de la chancellerie royale, elle baigne d’emblée dans un milieu intellectuel très actif et ne quittera quasiment jamais la capitale.

Christine de Pizan, Cent balades et œuvres diverses, miniature du MS Français 835, BnF (début XVe s)

A 23 ans, la mort prématurée de son mari la plonge dans la tourmente : elle doit faire face à de lourdes dettes alors que ses trois filles, une nièce et sa mère dépendent entièrement d’elle. Christine entreprend alors de faire valoir ses droits par la voie judiciaire. Un combat de plusieurs années qui lui vaudra quelques victoires, mais ne réglera pas pour autant tous ses problèmes d’argent. Si bien qu’après les procès, Christine de Pizan prend une nouvelle décision courageuse : celle de gagner sa vie à la pointe de sa plume.

Il s’agira d’abord de poèmes amoureux et de compositions religieuses, puis d’œuvres morales, enfin de traités historiques et politiques. Ainsi se fera-t-elle repérer par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, oncle de Charles VI, qui lui demandera de rédiger une vie de son frère Charles V. Avant que le frère du roi et régent du royaume, Louis d’Orléans, ne la présente à la reine Isabelle de Bavière. Christine de Pizan lui dédiera bientôt une Epître, ce qui lui vaudra de devenir l’une de ses dames de compagnie et de recevoir une pension de « chambrière ».

Dès lors, sa carrière est lancée. Christine de Pizan enchaîne les œuvres pour le compte des Puissants, qui en retour la gratifieront de sommes d’argent, d’objets précieux, d’immeubles, de pensions ou d’offices. Les droits d’auteur n’existant pas encore, ce système de mécénat se révélera essentiel au soutien de sa famille.

Christine de Pizan cité des dames, miniature médiévale
Ms Français 1178, BnF, département des manuscrits. Prudence, Justice et Rectitude apparaissent à Christine de Pizan et lui suggèrent l’écriture de sa “Cité des Dames” qu’elle entreprend d’édifier.

Dès lors, que peut-on retenir de son œuvre ?

D’abord, son éclectisme. Ce qui frappe chez Christine de Pizan, c’est sa curiosité d’esprit. Du règne de Charles V au panégyrique de Jeanne d’Arc à l’art de chevalerie ou encore au récit de sa propre vie, elle semble vouloir s’exprimer sur tous les sujets. Et à chaque fois, avec talent. À tel point que c’est son Livre des faits d’armes et de chevalerie qui servira de modèle à la réorganisation de l’armée de Charles VII. On en retrouvera même un exemplaire, quelques 400 ans plus tard, dans la bibliothèque de l’aide-de-camp de l’empereur Napoléon Ier. Mais ce qui marquera surtout l’histoire, c’est La Cité des Dames. Dans ce qui est devenu un grand classique de la littérature féminine, Christine de Pizan s’engage dans la « querelle des femmes » qui bat alors son plein pour affirmer leur rôle dans la société et critiquer la misogynie. Or, il est frappant de constater à quel point certains passages de cette œuvre n’ont pas pris une ride.

Au nom des femmes

C de Pizan présentant un ouvrage à Isabelle de Bavière, Harley MS 4431, British Library.

Pour Christine, les femmes ne sont pas ces êtres dangereux dont les hommes doivent se méfier. Ce sont au contraire des créatures pleines de vertus inspirées par la Raison, la Droiture et la Justice. Et l’écrivain d’insister sur le rôle moteur que doit jouer pour elles l’éducation. « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et toutes les sciences tout aussi bien qu’eux », soutient-elle. L’auteur encourage ses semblables à toujours apprendre pour, comme elle l’a fait elle-même, s’élever dans la hiérarchie sociale et devenir l’égale des hommes. Elle insiste également pour que les femmes soient très tôt associées aux affaires de leurs maris sous peine, comme elle a pu en faire elle-même la douloureuse expérience, de se retrouver le moment venu fort démunies.

Mais son plaidoyer ne se limite pas à ces questions. Christine de Pizan revendique également le droit des femmes à gouverner et n’hésite pas à aborder la question du viol, et donc de la sexualité. Elle se déclare « navrée et outrée d’entendre que les femmes veulent être violées et qui ne leur déplait point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut. » Christine prend au contraire l’exemple d’Hippo, une femme grecque faite prisonnière par des pirates, qui, « ne pouvant se soustraire au viol, préféra mourir que de subir un outrage si ignominieux », ou encore de, Polyxène, la fille cadette du roi Priam, qui choisit la mort plutôt que d’être réduite à l’esclavage.

Ms Français nouv Acq 25636 Le Livre des III Vertus à l’enseignement des dames – Miniature des 3 vertus apparaissant à l’auteure pour lui suggérer la rédaction de cet ouvrage à l’attention des dames.

Gardons-nous toutefois de tout anachronisme. Christine de Pizan n’est pas une féministe au sens moderne du terme, c’est-à-dire considérant que c’est la liberté sexuelle qui conduira les femmes à l’émancipation. Au contraire, explique l’auteur du Livre des Trois Vertus, « il n’est rien en ce bas monde qu’il faut fuir davantage, pour dire la stricte vérité, que la femme de mauvaise vie, dissolue et perverse. C’est une chose monstrueuse, une contrefaçon, car la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête. » Le mode de vie que recommande Christine aux châtelaines, qui impose de veiller au ravitaillement du château tout en se rendant sur le terrain pour choisir ses fermiers ou superviser la tonte des brebis, est d’ailleurs extrêmement exigeant. Il nécessite de solides qualités d’organisatrice et un travail de tous les instants. Une fois l’avenir de ses filles assurée, notre pamphlétaire s’empressera d’ailleurs de se retirer au monastère de Poissy. Bref, pour les autres comme pour elle-même, Christine de Pizan prône travail et vertu. Une émancipation féminine, donc, mais empreinte de l’idéal chrétien.

À l’ombre des Puissants

Christine de Pizan n’aurait toutefois pu mener une telle carrière sans un sens aigu de la vie de cour. Car si notre « championne des dames » a réussi à vivre de sa plume, c’est aussi en s’efforçant sans cesse d’attirer l’attention des Puissants ; quitte, pour ce faire, à jouer habilement du contenu de ses compositions. Il lui suffisait pour cela d’en adapter le prologue ou d’en modifier quelques passages afin de pouvoir dédicacer une même œuvre à plusieurs personnages. Mais de l’habilité à la versatilité il n’y a qu’un pas que Christine de Pizan a pu parfois franchir.

Christine de Pizan présentant son Livre des III vertus à Marguerite de Bourgogne, duchesse de Guienne, Français 1177, BnF (XVe)

Qu’on en juge plutôt. Durant de longues années, la « demoiselle » se met au service de la Maison de Bourgogne : le duc Philippe Hardi, et après lui son fils Jean Sans Peur, figureront parmi ses plus généreux mécènes. 20 écus en 1403, 100 francs en juin 1408, 50 francs en décembre 1412… la comptabilité du duc de Bourgogne prouve d’ailleurs que non seulement il appréciait ses écrits, mais qu’il n’était pas insensible à la fragilité de sa situation. Pour preuve, son receveur général de finances qui enregistre un paiement fait « à demoiselle Christine de Pizan, veuve de maître Etienne de Castel, pour et en récompense de deux livres qu’elles a présentés… et aussi par compassion et en aumône pour employer au mariage d’une sienne pauvre nièce qu’elle a mariée ». Reste que le moment venu, Christine de Pizan n’hésitera pas à tourner le dos au duc de Bourgogne. Dès lors que Jean Sans Peur perd le pouvoir à Paris, elle passe du côté des Armagnacs, ses ennemis intimes. Ce qui la conduira ainsi à critiquer celui qui aura pourtant été l’un de ses plus généreux mécènes.

Mais sans doute était-ce là le prix à payer pour survivre à une période si agitée. Sa vie durant, guerres, massacres et meurtres politiques se seront succédé… jusqu’à ce que Jeanne d’Arc sonne le début de la reconquête, ce que Christine de Pizan, au travers de son Ditié de Jehanne d’Arc, sa dernière composition, sera l’une des premières à reconnaître. Et puis, ne faisons pas les difficiles. Son formidable instinct de survie nous vaut de pouvoir profiter d’une œuvre abondante, dont plus de 160 manuscrits ont subsisté. Grâce à eux, grâce à elle, nous savons au moins deux choses : que les femmes n’ont pas attendu l’ère moderne pour s’exprimer dans la sphère publique et que les débats relatifs à leur condition n’étaient pas moins virulents à la fin du Moyen Âge qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.

Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur : Yolande d’Aragon, la reine de fer. –  Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente – Les illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Jean Sans Peur, Le prince meurtrier, Bertrand Schnerb, Payot.
Le livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pizan et ses adaptations anglaise et haut-alémanique, Compte rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 2011
La vie des femmes au Moyen Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet, Editions Ouest-France
Le Paris du Moyen Âge, sous la direction de Boris Bove et Claude Gauvard, Belin.
1328-1453 Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

NB ; sur l’image d’en-tête, en premier plan, la photo est tirée du film « Christine, Cristina« , réalisé par Stefania Sandrelli et co-produit par la Rai Cinema, Cinemaundici et Diva. Dans ce biopic italien de 2009, c’est la très belle Amanda Sandrelli (en photo ici) qui incarnait le rôle de la poétesse médiévale. En arrière plan, la miniature est tirée du manuscrit médiéval Français 1177 conservé à la BnF. Elle représente Raison, Droiture et Justice apparaissant à l’auteur(e) médiévale alors qu’elle est assoupie à son pupitre. Cet ouvrage daté du XVe siècle contient Le Livre de la cité des dames de Christine de Pizan, ainsi que son Livre des trois vertus à l’enseignement des dames. Vous pouvez le consulter en ligne ici.