Sujet : roman arthurien, légendes arthuriennes, Monty Python, Kaamelott. monde médiéval, médiévalisme, podcast Période : Moyen Âge central, modernité Média : vidéo-conférence, livres. Titre : le roi Arthur, un mythe contemporain Conférencier : Justine Breton, William Blanc Lieu : Mediathèque BnF (mars 2020)
Bonjour à tous,
n mars dernier, dans le cadre de son cycle/exposition sur la Fantasy, la BnF recevait Justine Breton et William Blanc pour une conférence sur le thème du mythe arthurien pris sous l’angle de ses versions modernes. Après être rapidement passé sur les sources anciennes de la célèbre légende (des premières traces de Nennius à Geoffroy de Monmouth, Wace et Chrétien de Troyes en allant jusqu’à Thomas Malory et Le Morte d’Arthur), les deux historiens allaient se concentrer sur des déclinaisons plus récentes du roman arthurien et aussi plus connues du grand public : écrits et romans contemporains, films de cinéma ou d’animation américains de la deuxième moitié du XXe siècle, pour aller jusqu’au Sacré Graal des Monty Python , à l‘Excalibur de John Boorman ou à la série TV Kaamelottsignée Alexandre Astier.
L’histoire au secours de la modernité
et de son interprétation
Pour ceux qui ne les connaissent pas encore William Blanc et Justine Breton, font partie d’un courant d’historiens qui se sont fait une spécialité de l’étude des manifestions de l’Histoire au sein de notre modernité : revisites modernes des mythes ou récits médiévaux ou historiques, racines historiques cachées sous certains mythes modernes, instrumentalisation des mythes anciens par le monde moderne, médiévalisme, Moyen Âge reconstruit et médiéval-fantasy, etc… Autant de questions qui, vous le savez, sont aussi au cœur de notre questionnement.
Références et lectures pour prolonger la conférence
Les deux conférenciers l’affirmeront plusieurs fois eux-mêmes dans cette intervention : qui veut étudier le roman arthurien dans ses grandes longueurs trouvera largement matière à s’y noyer. Pour les suivre dans leurs raisonnements, ils nous ont toutefois laissé, tous deux, des ouvrages permettant de faire un peu mieux le tri entre toutes ces notions : fantasy et histoire, mythes modernes et mythes anciens, instrumentalisation des thèmes historiques par l’idéologie moderne, échafaudages conceptuels entremêlées, reconstructions complexes,… Voici donc quelques livres pour creuser tous ces passionnants sujets en leur compagnie.
On se souvient de l’ouvrage collectif Kaamelott un livre d’Histoire (avril 2018) sous la direction de Florian Besson et Justine Breton dont nous vous avions déjà parlé ici. Il reste tout à fait d’actualité pour prolonger le plaisir de cette conférence. De son côté, sur les légendes arthuriennes, William blanc a également publié en 2016 l’ouvrage Le roi Arthur, un mythe contemporain : de Chrétien de Troyes à Kaamelott en passant par les Monty Python. Plus récemment, il s’est aussi distingué par ses analyses sur les origines du mythe moderne des super héros américains (Super-héros, une histoire politique, 2018) ou encore sur son approche originale de l’histoire de la fantasy (Winter is coming : une brève histoire politique de la fantasy, 2019). Vous trouverez ci-dessous des liens directs vers toutes ces publications.
Sujet : poésie médiévale, littérature, auteur médiéval, moyen-français, poésie , rondeau, vin, plaisirs de table. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Jamais a table ne serrai.» Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, par G .A Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous prenons la direction du Moyen Âge tardif pour un rondeau « de table » d’Eustache Deschamps. Si le petit employé de cour du XIVe siècle, qui fut aussi bailli de Senlis, nous a gratifié d’un grand nombre de poésies moralistes, il en a aussi laissé d’autres largement plus légères. Il faut dire que notre auteur est prolifique ; il a versifié à peu prés sur tout et, dans son legs de plus de mille ballades, on en trouve un certain nombre sur le thème du jour : plaisirs de la table, mets variés et bonne chère, qui, pour lui, ne vont jamais sans le vin, comme il l’affirmera encore dans ce rondeau.
Source historique de ce « rondeau de table »
On peut trouver ces vers d’Eustache Deschamps aux côtés de quantités d’autres dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF. Vous trouverez de nombreuses références à cet ouvrage en consultant nos pages sur cet auteur médiéval. Daté du XVe siècle, le MSFrançais 840 est accessible en ligne dans son entier. Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale a eu, en effet, la bonne idée de le numériser ( à consulter ici sur Gallica ).
Pour ce qui est de la transcription en graphie moderne de ce rondeau, on pourra la retrouver dans un grand nombre d’éditions consacrées à Eustache, depuis le XIXe siècle. Nous avons choisi de citer, ici, l’une des premières d’entre elles : celle de Georges Adrien Crapelet (Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps ). Dans le premier tiers du XIXe siècle, cette imprimeur et auteur parisien fit beaucoup pour faire connaître et diffuser le legs du poète du Moyen Âge.
Concernant son langage et son vocabulaire, cette poésie courte en moyen-français ne présente pas de difficultés particulières. Pour l’éclairer, nous ne donnons donc que quelques clés.
« Jamais a table ne serray » dans le moyen français d’Eustache Deschamps
Jamais a table ne serray Si je ne voy le vin tout prest Pour boire et verser sanz arrest.
Au premier morsel (morceau, bouchée) tel soif ay Que mort suy se boire n’y est ; Jamais a table ne serray, Si je ne voy le vin tout prest.
Comment il m’en va, bien le scay ; Rolant en mourut (1); si me plest Boire tost puisque vin me pest (de pestre : paître, nourrir, réconforter);
Jamais a table ne serray Si je ne voy le vin tout prest Pour boire et verser sanz arrest.
(1) Certaines versions de la chanson de Roland font allusion à une grande chaleur et au fait que la soif avait contribué à emporter ce dernier. De fait, l’expression « mourir de la mort Roland », encore en usage au XVe siècle, signifie « mourir de soif » (à ce sujet voir « La voix du cor: la relique de Roncevaux et l’origine d’un motif dans la littérature du Moyen Age, XIIe-XIVe siècles » , Ásdís R. Magnúsdóttir 1998).
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, virelai, maître de musique, chanson, amour courtois. Titre : Loyauté vueil tous jours maintenir Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge Interprète : René Zosso Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la Pléiade (2005)
Bonjour à tous,
ous partons, aujourd’hui, du côté des « trouvères » ou même plutôt d’un maître de musique et compositeur du XIVe siècle. Tribut sera fait au talent musical de Guillaume de Machaut et à sa maîtrise parfaite de la lyrique courtoise.
Loyauté vueil tous jours maintenir : une chanson baladée courtoise
Cette pièce se classe comme une chanson baladée monodique. Le poète y confirme sa loyauté et son amour envers sa dame. Las ! Rien n’est jamais simple en courtoisie. Elle se dérobe à lui, et privé de la voir, le poète souffre et se languit. Qu’importe. Dut-il en pâtir ou en mourir, il lui demeurera fidèle et patient, en se pliant ainsi, rigoureusement, à l’exercice de la fin’amor et ses codes. On n’en attendait pas moins de lui.
Côte interprétation, c’est René Zosso qui nous la donnera a cappella. Loin des versions lyriques habituelles autour du répertoire médiéval, la voix enlevée et rugueuse du grand vielliste et chanteur suisse revisitera cette pièce avec une force et une énergie unique. C’est une de ses signatures, celle qui a fait son succès et qui nous le fait autant apprécier.
Sources modernes & manuscrits anciens
Vous pourrez retrouver cette pièce retranscrite dans un grand nombre d’éditions des œuvres de Machaut. Depuis le XIXe siècle, les médiévistes et les spécialistes de littérature du Moyen Âge, comme certains musicologues en ont produit des quantités. Pour l’occasion, nous avons opté pour celle de Vladimir Chichmaref : Guillaume de Machaut Poésies Lyriques – Edition complète en deux parties avec Introduction, Glossaire et Fac-similés ( 1909).
L’oeuvre de Guillaume de Machaut dans le manuscrit Français 1586 de la BnF
Du point de vue des sources anciennes, on trouvera cette pièce annotée musicalement dans l’ouvrage Français 1586(photo ci-dessus), actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter ici sur gallica). Daté du milieu du XIVe, ce manuscrit médiéval qui contient l’œuvre de Guillaume de Machaut, est, à ce jour, un des plus ancien manuscrit illustré, connu, de l’auteur. On suppose même que le compositeur médiéval a pu participer ou suivre de près sa réalisation. C’est dire toute la valeur historique de ce document.
Loyauté vueil tous jours maintenir interprétée par René Zosso
Anthologie de la chanson française : naissance de la chanson française
Dans le courant du XXe siècle, on doit à la maison EPM de s’être attaquée au vaste sujet de la chanson française avec l’idée d’en produire une anthologie. Au sortir, la période couverte part du Moyen Âge pour aller jusqu’aux années 80, pour une anthologie qui se décline en un nombre important d’albums. Rangés par période, ces derniers peuvent même, à l’occasion, être catégorisés par thème : chansons de métiers, chansons sur la condition féminine, etc…
L’objet déborde donc largement de notre strict propos (médiéval) et nous laisserons le soin aux éventuels intéressés par les divers coffrets d’effectuer des recherches adéquates. Nous nous arrêterons, quant à nous, à l’album du jour qui porte sur la naissance de la chanson française et qui a pour titre : Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade.
« Des trouvères à la Pléiade », l’album
En accord avec son titre, cet album prend l’histoire de la chanson à partir des trouvères. Il se situe même plus vers le Moyen Âge tardif et la renaissance qu’au Moyen Âge central.
Du point de vue contenu, il est assez généreux avec 24 chansons présentées pour plus d’une heure dix d’écoute. En plus de certaines pièces anonymes du XIIIe siècle, on y trouvera quelques compositions de Thibaut de Champagne, et côté XIVe siècle, la pièce de Machaut du jour. Pour le reste, le XVe siècle et le XVIe y trouvent une place de choix avec du Clément Marot, du Ronsard, ou encore un nombre important de chansons issues du Manuscrit de Bayeux. Du point de vue de l’interprétation, René Zosso y est clairement à l’honneur avec pas moins de 5 pièces. On y croise aussi, avec plaisir, de nombreux autres chanteurs talentueux dont Gabriel Yacoub, Mélane Favennec et même, de manière plus inattendue, Pierre Perret.
Enregistré dans le courant de l’année 1996, cet album a fait l’objet d’une réédition (repackaging) courant 2005. A ce titre, on le trouve toujours disponible à la distribution en ligne au format CD ou même dématérialisé : Anthologie de la chanson française – des trouvères à la Pléiade.
« Loyauté vueil tous jours maintenir » Chanson baladée de Guillaume de Machaut
Loyauté vueil tous jours maintenir (1) Et de cuer servir Ma dame debonnaire (douce, bonne, aimable).
Mon cuer y vueil et mon desir Mettre sans retraire (renoncer, reculer, faire retraite) Ne ja ne m’en quier departir (veux séparer), Ains vueil toudis faire Son tres dous voloir sans repentir Et li obeir Comme amis, sans meffaire. Loyauté.
Mais Amour fait mon cuer languir Et si m’est contraire (contrarier, incommoder) N’elle ne me daingne garir, Ne je ne puis plaire A la bele que j’aim et desir, Qui à son plaisir Me puet faire et deffaire. Loyauté vueil tous jours maintenir.
Las! si ne sçay que devenir Ne quelle part traire, (ni de quel côté tirer, aller) Quant aler ne puis ne venir Au tres dous repaire, Où celle maint qui me fait morir, Quant veoir n’oïr Ne puis son dous viaire. Loyauté vueil tous jours maintenir Et de cuer servir Ma dame debonnaire.
(1) Pour faire le parallèle entre valeurs chevaleresque et courtoisie, il est intéressant de noter qu’une devise portant « C’est pour loiauté maintenir » fut remarquée par Machaut à l’occasion d’un de ses voyages en Orient. Selon ses vers, il la trouva utilisée par une corporation de chevaliers chrétiens stationnés en Nicosie (Chypre) : l’Ordre de l’épée. Peut-être l’a-t-il en partie reprise ici au compte de la fin’amor et en référence à cela.
De toutes couleurs espuré, Et s’avoit en lettres d’or entour, Qui estoient faites à tour, Disans, bien m’en doit souvenir : « C’est pour loiauté maintenir » Car je l’ay mille fois veu Sur les chevaliers et leu. »
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, biographie, troubadours, portrait, vidas, naissance de l’art des troubadours Auteur médiéval : Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1126) Période : Moyen Âge central, XIIe siècle Ouvrage :La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s. Gérard Zuchetto, éd Tròba Vox, 2020 (2e édition)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous nous étions promis de tirer le portrait de Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine, seigneur et poète que l’histoire nous désigne encore comme le tout premier troubadour du Moyen Âge. « A tout seigneur, tout honneur », notre plaisir est, aujourd’hui, doublé puisque c’est avec Gérard Zuchetto que nous allons le faire. Ce talentueux musicologue, chanteur et musicien chercheur, spécialiste de ces questions nous fait, en effet, la grande faveur de nous autoriser à partager, ici, un extrait de son ouvrage La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours des XIIe-XIIIe siècles : celui qui concerne, justement, la présentation du comte Guilhem de Peiteus, ainsi que des éléments de sa biographie .
Quelques notes sur le débat des origines
Où et comment naissent les idées et les formes culturelles ? C’est un thème cher aux ethnologues ou aux anthropologues culturels, comme on les nomme quelquefois. Concernant l’origine de l’art des troubadours, ce vaste sujet a été balayé plus qu’à son tour par les médiévistes et les folkloristes, depuis le XIXe siècle. On pourrait même se divertir à la lecture de certaines envolées ou oppositions entre certains débats nord/sud (de France) ou encore entre orientalistes et occidentalistes. Il suffit, pour cela, de marcher dans les traces de l’historiographie et, par exemple, de relire quelques passages de l’Histoire des trouvères du très normand et, sans doute, un peu partisan, Abbé Delarue pour mesurer la taille de certains grands écarts entre hypothèse d’un art provençal ex-nihilo et revendications d’origines nordiques et celtiques.
Un poète de langue d’oc peut en cacher un autre ?
Avant notre comte Guillaume, n’y-a-t-il eu « quelques épaules de géants pour lui permettre de voir plus loin » ? Sans même s’éloigner du pays d’Oc et concernant la reconnaissance d’une paternité entière de l’art des troubadours à notre cher coens de Poetieus, on pourrait, avec Maria Dimistrescu, se poser la question de la possible influence, sur la poésie de notre noble seigneur, de certains de ses contemporains, et notamment de Eble II de Ventadour.
Selon la médiéviste, l’homme, lui-même vicomte de Ventadorn et vassal de Guilhem, aurait pu être, pour ce dernier et pour d’autres, une sorte de mentor en poésie. C’est en tout cas la thèse qu’elle défendit à la fin des années 60. Elle alla même au delà de la simple idée d’inspiration en formant l’hypothèse que certaines chansons attribuées à notre troubadour du jour auraient bien pu avoir été reprises par lui, mais écrites de première main, par cet autre poète et seigneur languedocien (voir Èble II de Ventadorn et Guillaume IX d’Aquitaine – Cahiers de civilisation médiévale n°43 (1968), Maria Dimistrescu). Il faut dire que le double registre de notre troubadour « bifronte », capable de manier, avec virtuosité, grivoiserie et courtoisie, pouvait avoir de quoi dérouter. Quoiqu’il en soit, l’hypothèse soulevée par la médiéviste ne put jamais véritablement être tranchée. En l’absence de sources écrites d’époque permettant de l’établir, elle a donc rejoint le rang des spéculations invérifiables (infalsifiables dirait Popper) et à ce jour, Guillaume IX d’Aquitaine n’a pas été officiellement détrôné de son statut légitime de premier des troubadours.
Mais alors quoi ? Pour le reste, cet art des troubadours, est-ce une forme culturelle totalement ex-nihilo ? Est-ce encore une variation, une adaptation, un « contrepied », un art qui naît à la faveur de la féodalité et de ses nouvelles normes politiques et relationnelles, ou encore une réponse, qui pourrait prendre, par endroits, des allures de contre feu à la réforme grégorienne (voir Amour courtois : le point avec 3 experts ou encore réflexions sur la naissance de l’amour courtois) ? Tout cela est possible mais, au delà de toute hypothèse et avec 800 à 900 ans de recul, il résulte que l’art des troubadours fait encore figure de nouveauté culturelle aux formes originales : nouvel exercice littéraire, nouvelle façon de versifier, nouveaux codes qui vont promouvoir, au moins dans le verbe, de nouveaux modèles relationnels, de nouvelles formes du sentiment amoureux, etc…
La Tròba de Gerard Zuchetto
ou l’invention lyrique occitane des troubadours
Laissons là le grand débat des origines sur l’art des troubadours. Il est nécessairement complexe comme le sont tous les objets culturels et leur circulation. Il est temps de s’engager sur les pas du comte, pour lever un coin du voile sur sa personnalité, son art et quelques uns de ses vers, accompagné de notre érudit du jour, Gerard Zuchetto, en le remerciant encore chaleureusement de cette contribution.
Avant même de lui laisser la parole, précisons que son ouvrage dont est tiré ce portrait de Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitiers, est toujours disponible à la vente en librairie ou en ligne. Il a même fait l’objet d’une toute nouvelle édition en 2020.
Au format broché, vous y découvrirez plus de 800 pages sur le sujet des troubadours. En dehors de votre librairie habituelle, vous pourrez le trouver en ligne au lien suivant : La troba : L’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe siècles. Inutile d’ajouter que nous vous le recommandons vivement.
Sur ce, nous vous laissons en bonne compagnie, en vous souhaitant une excellente lecture.
Une biographie de Guilhem de Peiteus – Guilhem de Poitiers par G Zuchetto.
Farai un vers de dreg nien Je ferai un vers sur le droit néant
Qu’eu port d’aicel mestier la flor Car moi je porte de ce métier la fleur
L’inventeur !
L’un des premiers troubadours connus fut un des plus grands seigneurs de l’Europe médiévale : lo coms de Peiteus, Guilhem, septième comte de Poitou et neuvième duc d’Aquitaine, né en 1071.
Lorsqu’il hérite de son père, en 1086, le Poitou, la Gascogne, l’Angoumois et le Limousin, des territoires immenses entre Nord et Sud, de l’Anjou aux Pyrénées, et d’Est en Ouest du Massif central à l’Atlantique, ses domaines sont bien plus importants que ceux du roi de France, Philippe Ier, qui ne contrôle réellement à la même époque qu’un petit fief autour de Paris, Etampes et Orléans, la “little France”, pour les Anglais, une île.
Bon chevalier d’armes, jovial et vantard, le fier vicomte du Limousin est poète. Il chante pour réjouir ses companhos, compagnons de batailles et de distractions.
Companho farai un vers [pauc] convinen et aura·i mais de foudatz no·i a de sen et er totz mesclatz d’amor e de joi e de joven.
Compagnons, je ferai un vers peu convenable et il y aura plus de folie que de bon sens et il sera tout mêlé d’amour, de joie et de jeunesse !
Pour chanter amor, joi e joven, le seigneur de Poitiers l’exprime en romans, terme qui désigne la langue occitane en opposition au latin :
Merce quier a mon companho s’anc li fi tort qu’il m’o perdo et eu prec en Jesus del tron et en romans et en lati.
Je demande merci à mon compagnon si jamais je lui fis tort qu’il me pardonne et je prie Jésus sur son trône en romans et en latin.
A l’exemple des joglars, ces jongleurs-musiciens aux multiples talents qui allaient par les chemins vendre leurs services, mais avec la finesse du lettré, ce grand trichador de domnas se joue des mots et les versifie adroitement pour plaire aux dames et les tromper : Si·m vol midons… Ma dame veut me donner son amour, je suis prêt à le prendre, à l’en remercier, à le cacher, et à la flatter et à dire et faire ce qu’il lui plaît, et à honorer son mérite et à élever ses louanges…Guilhem annonce ainsi l’aube du trobar :
Mout jauzens me prenc en amar un joi don plus mi volh aizir…
Très joyeux je me prends à aimer une joie dont je veux jouir davantage…
A l’amour légitime, Guilhem, qui s’était marié avec Ermengarda d’Anjou, puis avec Filipa, veuve du roi d’Aragon, préfère l’amour hors du contrat social et politique, l’amour hors du mariage-arrangement organisé par la classe seigneuriale et béni par l’Église. Au légat pontifical Girart, évêque d’Angoulême, entièrement chauve, qui lui fit reproche de ses “liaisons dangereuses” avec la vicomtesse de Chatellerault, surnommée la dangeroza, il rétorqua : “Tu pourras peigner tes cheveux sur le front avant que je répudie la vicomtesse !”
Le comte est “Ennemi de toute pudeur et de toute sainteté”, écrit Geoffroy Le Gros, un chroniqueur de l’époque. Ce libertin joyeux et fanfaron, n’est pourtant pas un rustre, il recommande à ses auditeurs et surtout au fin aman, l’amant pur :
Obediensa deu portar a manhtas gens qui vol amar e conve li que sapcha far faitz avinens e que gart en cort de parlar vilanamens.
Il doit montrer obédience / obéissance à maintes gens celui qui veut aimer et il lui convient de savoir accomplir des faits avenants et de se garder, à la cour, de parler comme un vilain.
Guilhem invente les mots-clefs et les règles du trobar, et il se vante d’être le premier, l’inventeur. Et, sûr de sa valeur de trobador e d’amador, il tient à exposer son métier : “J’ai nom Maître infaillible et jamais ma maîtresse ne m’aura une nuit sans vouloir m’avoir le lendemain car je suis si bien instruit en ce métier, et je m’en vante, que je puis gagner mon pain sur tous les marchés.” Il se donne lui-même le titre de maistre certa, maître infaillible, en amour comme en poésie.
Guilhem de Peiteus, l’homme politique et chef d’Etat, ne fut ni un grand batailleur, ni un conquérant zélé. Au retour d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, sentant sa fin proche, le poète écrivit son adieu au monde, Pois de chantar…, en tant que troubadour, comte de Poitiers et chrétien. Guilhem mourut à Poitiers le 10 février 1126 après quarante ans de règne, et l’on suppose qu’il fut enterré en l’abbaye de Saint-Jean-l’Évangéliste à Montierneuf.
La biographie tardive résume sa vie en quelques lignes laconiques : Lo coms de Peiteus si fo uns dels maiors cortes del mon e dels maiors trichadors de domnas, e bon cavalier d’armas e larcs de domneiar ; e saup ben trobar e cantar. Le comte de Poitiers fut l’un des plus grands courtois du monde et le plus grand trompeur de dames, et bon chevalier d’armes et généreux en amour; et il sut bien trouver et chanter.
Sur les onze vers connus de Guilhem de Peiteus, seuls deux poèmes nous ont été transmis avec les mélodies en notation carrée : Companhos farai un vers pauc convinen et Pois de chantar m’es pres talens.
Le début de la mélodie Pois de chantar m’es pres talens… se retrouve dans le jeu de Sainte Agnès, un mystère du XIVe siècle écrit en langue d’oc, dont le planctus, Bel senher Deus tu sias grasitz…, comporte cette indication : Et faciunt omnes simul planctum in sonu comitis pictavensis. La chanson de Guilhem, ou bien sa façon de chanter, devait avoir marqué les mémoires, pour être imitée plus de deux cents ans après ! Dès les premiers chants courtois nous sont posées les questions d’interprétation des troubadours : comment chanter, dire ou réciter les poèmes lyriques ? Quelquefois les auteurs eux-mêmes ou les chroniqueurs de l’époque nous donnent des éléments de réflexion : Orderic Vital, historiographe, contemporain de Guilhem rapporte que ce dernier “en homme joyeux et plein d’esprit récita souvent ses misères de captivité en compagnie de rois et de personnages importants en déclamant des vers rythmés avec des modulations subtiles.” [Historia Ecclesiastica X 21] Ces “modulations” faisaient-elles référence à un jeu de voix exagéré de comédien ou bien à une imitation virtuose des ornementations mélodiques de la liturgie ?
Guilhem, qui avait délaissé le latin de l’Église, s’était-il amusé à détourner la musique liturgique en composant des poèmes sur des airs existant déjà dans les tropes et les versus, par défi et pour réjouir ses compagnons ?
Les Maîtres du troubar : Guilhem de Peiteus – Guilhem de Poitiers (1071-1126) – La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s. (Tròba Vox, 2020)
Gérard Zuchetto
Sources : Manuscrit (s) à notation musicale : STMart. fol. 51v ; F : Chigi fol 81 Principale (s) édition (s) : Jeanroy Alfred, Les Chansons de Guillaume IX duc d’Aquitaine, Paris, 1913 et 1927 (Ed. Champion) ; Durrson Werner, Wilhelm von Aquitanien. Gesammelte Lieder, Zurich, 1969 ; Pasero Nicolo, Gugliemo IX, poesie, Modena, 1973 (Società tipografica editrice Modenese) ; Bezzola Reto Guillaume IX et les origines de l’amour courtois, Paris, 1940 (Romania vol. LXVI) ; Payen Jean- Charles, Le Prince d’Aquitaine. Essai sur Guillaume IX et son oeuvre, Paris, 1980 (Champion) Miniature : BNF Ms. fr.12473, fol.128