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Tout un bestiaire médiéval à l’encontre d’un amant courtois

Enluminure médiévale de Guillaume de Machaut

Sujet  : musique médiévale, chanson médiévale, maître de musique, chanson, amour courtois, chant polyphonique, ballade, bestiaire médiéval, moyen-français, manuscrit médiéval.
Titre  : «En cuer ma dame une vipère maint»
Auteur  :  Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprète  :  Ensemble Ferrara
Album  : Machaut, Mercy ou mort. Chansons et motets d’amour (1998)

Bonjour à tous,

ans un précédent article, nous vous parlions d’un concert de musique médiévale qui se donnera, prochainement, à la tour Jean-sans-Peur de Paris. Pour faire suite à ce billet, nous approcherons, aujourd’hui, dans le détail, une des pièces mises à l’honneur dans ce concert. Il s’agit d’une chanson courtoise de Guillaume de Machaut sur le thème du bestiaire médiéval et ayant pour titre : « En cuer ma dame une vipère maint« .

Une vipère au cœur d’une dame indifférente

Ce chant polyphonique du maître de musique du Moyen Âge tardif est une ballade à 3 voix dans le pur style de l’Ars nova. En bon amant courtois, le poète désespère et se meurt devant l’indifférence de sa dame tout en lui restant attaché et loyal. Pour invoquer la dureté de cette dernière envers lui et l’étendue de ses propres souffrances, le compositeur n’hésitera pas à faire appel au bestiaire médiéval et, notamment, aux plus terribles animaux venimeux et à sang froid qui soient : la vipère, le scorpion ou encore le basilic.

Si l’on connait bien les dangers des deux premiers, le basilic peut nous être moins familier. Créature mythique redoutée, ce monstre reptilien possède un corps de serpent avec une tête d’oiseau et on le trouve même représenté avec des pattes. Extraordinairement venimeux, il peut, dit-on, d’un seul regard endormir ses proies, voir les occire à distance. Contre toute attente, le seul animal capable de le vaincre serait la « redoutable » belette (dans les bestiaires médiévaux, le lapin des Monty Python ne semble jamais très loin). Cet atavisme entre la belette et le basilic vous explique l’enluminure en tête de cet article. On y découvre, en effet, un basilic ayant endormi ou empoisonné une victime, troublé dans sa quiétude par une téméraire belette.

Pour revenir au contenu de cette chanson tirée de La Louange des Dames de Guillaume de Machaut, si l’on connait assez bien les souffrances habituelles de l’amant courtois face à l’indifférence ou au manque d’empathie de son élue, il faut avouer que l’auteur médiéval nous met, ici, face à une description sentimentale aussi éloquente que cruelle. Toute proportion gardée, sa soumission affichée face à ses douloureuses déconvenues pourrait presque friser une forme de « masochisme » si on la transposait de manière moderne. On pense notamment à des phrases comme « Et son Regard se rie et éprouve une grande joie de voir mon cœur qui fond et frit et brûle« . Est-ce le regard de « Refus » personnifié ou celui de la dame ? Sans doute appartient-il plus à cette dernière. Dans tous les cas, cela nous emmène, un peu plus loin, que de la simple l’abnégation de la part du loyal amant.

Aux sources manuscrites de cette chanson

Manuscrit médiéval de la chanson "En cuer ma dame une vipère maint" de Guillaume de Machaut

On peut retrouver cette ballade de Guillaume de Machaut dans un certain nombre de manuscrits médiévaux ou renaissants. Pour vous en fournir la partition, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’on la trouve dans le manuscrit médiéval Français 9221 (photo ci-dessus). Daté de la toute fin du XIVe siècle, cet ouvrage contient une grande partie de l’œuvre du compositeur et poète, sur 243 feuillets. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (consulter en ligne).

Pour la transcription de cette chanson médiévale en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Guillaume de Machaut Poésies lyriques de Vladimir Chichmaref, paru chez Honoré Champion au début du XXème siècle (1909). Ci-dessous, nous vous en proposons une interprétation par l’Ensemble médiéval Ferrara.

L’ensemble médiéval Ferrara à la découverte
de l’Europe musicale médiévale

L’ensemble Ferrara s’est formé au début des années 80, dans la ville de Bâle. On le sait, la cité est privilégiée sur la scène médiévale grâce à sa prestigieuse Schola Cantorum Basiliensis, école spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes. Il n’y a guère de coïncidence dans tout cela puisque le directeur et fondateur de l’ensemble Ferrara, Robert Crawford Young y a enseigné le luth et la musicologie, dès l’année 1982, après avoir lui-même suivi, un cursus au conservatoire de Boston. Installés dans ce cadre privilégié, cette formation médiévale et son fondateur ont pu puiser dans une grande réserve de musiciens, issus eux-mêmes de l’école suisse.

Robert Crawford Young - directeur de l'ensemble médiéval Ferrara et du Project Ars Nova

En terme de contribution à la scène des musiques anciennes, on peut encore ajouter au crédit de ce pédagogue doublé d’un talentueux joueur de luth et d’instruments à cordes, la création de l’ensemble Project Ars Nova (PAN) dont nous vous avions déjà dit un mot dans un article précédent. En réalité, les deux formations médiévales PAN et Ferrara ont été formées pratiquement simultanément par Crawford Young et s’intéressent toutes deux à un répertoire à la lisière de la renaissance et du Moyen Âge tardif.

L’ensemble Ferrara a été particulièrement actif de 1988 à 2010, en matière de discographie. Il a laissé, pour l’instant, à la postérité 10 albums et 2 compilations. Sa période de prédilection s’étend du XIVe au XVe siècle et couvre une zone aussi large que la France, l’Angleterre et l’Italie et même l’Allemagne médiévale.

Guillaume de Machaut, Mercy ou mort, l’album

Album de musique médiéval sur Guillaume de Machaut

L’album dont est tiré la chanson du jour date de 1998. Il a pour titre : Guillaume de Machaut, Machaut, Mercy ou mort. Chansons et motets d’amour. Entièrement dédié au célèbre compositeur médiéval, il propose, sur un peu plus de 1 heure 15 de durée, 20 pièces de Guillaume de Machaut entre ballades, motets, rondeaux et virelais. Originellement édité chez Arcana, on peut encore en trouver quelques exemplaires à la vente. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens ayant participé à cet album

Kathleen Dineen (soprano, harpe), Lena Susanne Norin (alto), Eric Mentzel (ténor), Stephen Grant (basse), Karl Heinz Schickhaus (dulcimer), Randall Cook (vielle, chifonie), Crawford Young (guiterne)


En cuer ma dame une vipère maint
en moyen-français avec traduction

En cuer ma dame une vipère maint
Qui estoupe de sa queue s’oreille
Qu’elle n’oie mon doleureus complaint :
Ad ce, sans plus, toudis gaite et oreille.
Et en sa bouche ne dort
L’escorpion qui point mon cuer à mort ;
Un basilique a en son dous regart.
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Dans le cœur de ma dame, une vipère demeure,
Qui, de sa queue, bouche son oreille,
Afin qu’elle ne puisse entendre ma dolente complainte :
Voilà, sans plus, ce qui la tient toujours en alerte.
Et, dans sa bouche, jamais ne dort
Le scorpion qui perce mon cœur à mort ;
Et un basilic repose, encore, dans son doux regard.
Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.

Quant en plourant li depri qu’elle m’aint,
Desdains ne puet souffrir qu’oir me vueille,
Et s’elle en croit mon cuer, quant il se plaint,
En sa bouche Refus pas ne sommeille,
Eins me point au cuer trop fort ;
Et son regart rit et a grant deport,
Quant mon cuer voit qui font et frit et art.
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Quand en pleurs je la supplie de m’aimer,
Dédain ne peut admettre qu’elle veuille m’écouter,
Et si elle prête foi à mon cœur, lorsqu’il se plaint,
Dans sa bouche, Refus ne sommeille jamais,
Ainsi me perce-t-il le cœur avec force ;
Et son Regard se rit et éprouve une grande joie
De voir mon cœur qui fond et frit et brûle.

Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.

Amours, tu scez qu’elle m’a fait mal maint
Et que siens sui toudis, vueille ou ne vueille.
Mais quant tu fuis et Loyautés se feint
Et Pitez n’a talent qu’elle s’esveille,
Je n’y voy autre confort
Com tost morir ; car en grant desconfort
Desdains, Refus, regars qui mon cuer part,
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Amour, tu sais qu’elle m’a fait maintes maux
Et que je lui appartiens pour toujours, que je le veuille ou non,
Mais quand tu fuis et que Loyauté se dissimule
tandis que Pitié n’a aucune envie qu’elle s’éveille,
Je ne trouve d’autre consolation
Que de mourir au plus vite ; car, à mon grand découragement,
Dédain, Refus et Regard me brisent le cœur,
Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure en en-tête représente un basilic. Elle provient du manuscrit Royal MS 12 C XIX Bestiarum uocabulum proprie conuenit Incipit : liber de naturis bestiarum et earum significationibusCe superbe bestiaire médiéval est conservé à la British Library (à consulter en ligne ici). Il est daté du tout début du XIIIe siècle.

Béstiaire médiéval et concert ars nova à la Tour Jean-Sans-Peur

Concert médiéval Tour Jean Sans Peur de Paris

Sujet : musique médiévale, ars nova, bestiaire médiéval, tour médiévale, concert médiéval, moyen-âge tardif.
Période : XIVe siècle, XVe siècle
Evénement : Concert « Une vipère en cuer »,
Interprètes : ensemble Palin-e
Lieu: Tour Jean-sans-Peur, 
20 Rue Étienne Marcel, 75002 Paris
Dates : Samedi 23 avril 2022 (19h-20h15)

Bonjour à tous,

e 23 avril 2022, la Tour Jean-sans-Peur ouvrira sa programmation musicale de saison avec un concert centré sur les chants polyphoniques et l’ars nova du moyen-âge tardif. Donné par l’ensemble médiéval Palin(e) (ou Palin-e), cet événement prometteur affiche une programmation sur le thème du bestiaire médiéval avec un focus particulier sur les reptiles et autres animaux rampants à venin ou écailles.

« Une vipère en cuer« , par l’ensemble Palin(e)

Affiche Concert médiéval à la tour Jean-Sans-Peur de Paris

Du point de vue musical, le concert de Palin(e) explorera un répertoire qui s’étend du XIVe au XVe siècle. L’ars nova de France et d’Italie y sera donc à l’honneur et on pourra retrouver une grande variété de chants polyphoniques, entre madrigaux et ballades à plusieurs voix, mais aussi des contrafacta et quelques estampies.

Les pièces anonymes y côtoieront des compositeurs plus célèbres du moyen-âge tardif et des grands noms comme Guillaume de Machaut, Francesco Landini, Jacopo de Bologna, Donato da Cascia y seront représentés. Du côté des sources manuscrites, on retrouvera des musiques et chansons issues d’ouvrages aussi connus que le Codex Squarcialupi (Mediceo Palatino 87), le Codex Faenza ou encore le manuscrit de Londres (ms. 29987).

Programme musical

Selvaggia fera di Diana serva, Francesco. Landini – L’aspido sordo, Donato da Cascia – Tre fontane, Anonyme – Langue puens envenimée, Anonyme – De tout flors, Anonyme – Une vipère en cuer ma dame maint, Guillaume de Machaut – Phyton le mervilleus serpent, Guillaume de Machaut – Lamento di Tristano, La Rotta, Anonyme – Pianze la bella Iguana, Anonyme – Bel fiore dança, Anonyme – Si come al canto della bella Yguana, Jacopo da Bologna.

Membres du groupe Palin(e)

Enluminure bestiaire médiéval lézard

Maud Haering (chanteuse soprano), Luc Gaugler (musicien, vièle à archet), Olivier Camelin (musicien, organetto, direction)

Pour plus d’informations, voir le site officiel de la Tour Jean-sans-Peur. Pour en dire un mot, cette tour médiévale très dynamique au cœur de la capitale propose de nombreuses événements et expositions toute l’année (dont certaines sont même à louer). A noter que sur le site web de ce monument classé, vous trouverez également des supports pédagogiques et des jeux pour les plus jeunes. Ce concert de la formation Palin(e) s’inscrit dans une série d’événements prévus sur place, d’avril à juin, autour de la jeunesse au moyen-âge (exposition, conférences, spectacles divers, …)

Voir notre article précédent sur la tour Jean Sans Peur

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

NB : les enluminures (vipère dans l’en-tête et lézard dans le corps de l’article) sont toutes tirées du manuscrit Royal MS 12 C XIX Bestiarum uocabulum proprie conuenit Incipit : liber de naturis bestiarum et earum significationibusDaté du début du XIIIe siècle ( 1200-c 1210), ce superbe bestiaire médiéval est conservé à la British Library (à consulter en ligne ici).

Au trecento, L’âme en pleurs de Francesco Landini

Enluminure musicien médiéval à l'organetto

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, ars nova, chanson médiévale, amour courtois.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur :  Francesco Landini ( ? 1325-1397)
Titre :  L’alma mie piang’ e mai non può aver pace
Interprètes :  Chominciamento di Gioia et Camerata Nova
Album : Francesco Landini, Ballate (2000)

Bonjour à tous,

u XIVe siècle, l’organiste, poète et compositeur italien Francesco Landini se pose comme un grand chef de file de l’école Florentine et de l’Ars Nova italien. Il nous a laissé une œuvre renaissante faite de belles et nombreuses pièces polyphoniques. Celles qui nous sont parvenues sont, en majorité, profanes et centrées sur la lyrique courtoise, entre ballate et madrigaux.

Un maître de musique délaissé par sa dame

Partition et texte Musique médiévale du Moyen Âge tardif, Francesco Landini

La chanson du jour est une « ballata » à trois voix. Elle est adressée à une dame. Sur fond courtois, le maître de musique du trecento nous conte combien il souffre les plus grandes des peines depuis qu’elle s’est détournée de lui.

Du point de vue des sources historiques, on peut notamment retrouver l’œuvre de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi (Med. Pal. 87). On l’y trouve même représenté avec son organetto (voir image en-tête d’article). Ce manuscrit ancien, daté du XVe siècle, est un témoignage majeur de l’Ars Nova italien de cette période. Il contient pas moins de 216 feuillets notés et quelques belles enluminures de compositeurs d’époque. Avec près de 150 pièces, Francesco Landini y dépasse de très loin les autres compositeurs présents. Ce codex est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, en Italie.

Ballate un album autour du trecento

L’interprétation que nous avons choisie de vous présenter pour cette pièce du jour est tirée d’un l’album intitulé Francesco Landini Ballate. Il fut enregistré en 1999 sous la houlette du grand directeur et chef d’orchestre Luigi Taglioni, en collaboration avec deux formations italiennes : l’ensemble vocal Camerata Nova et l’ensemble instrumental Chominciamento di Gioia.

Album de musique médiévale sur  Francesco Landini

Centré sur le thème du trecento italien, l’album propose un total de 18 pièces sur un peu moins de 60 minutes de durée. Il alterne les compositions de Francesco Landini avec d’autres pièces anonymes tirés du Codex Faenza. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle, conservé à la Bibliothèque de Faenza en Italie, contient des partitions datées du milieu du XIVe siècle.

L’album Francesco Landini, Ballate s’est fait largement remarquer sur la scène des musiques anciennes et médiévales, au moment de sa sortie. Malgrès cela et pour l’instant au moins, il ne semble avoir été réédité. Pour le trouver en format CD, il vous faudra donc tenter votre chance chez les disquaires de musiques anciennes. Si la forme dématérialisée vous convient, vous pourrez aussi essayer du côté des plateformes de musique web.

Musiciens et artistes ayant participé à cet album

Direction Luigi Taglioni. Voix : Antonella Marotta (contralto), Matelda Viola (soprano), Paola Ronchetti (soprano), Fabrizio Scipioni (tenor), Instruments : Olga Ercoli (harpe), Elisabetta di Franco (psaltérion, percussion), Giovanni Caruso (luth), Gianfranco Russo (vielle), Luigi Polsini (vielle, luth).


L’alma mie piang’ e mai non può aver pace

L’alma mie piang’e mai non può aver pace
da poi che tolto m’hai,
donna, ’l vago mirar di ch’i ’nfiammai.
Fu di tanto piacer la dolce vista
ch’innamorai nel tuo primo guardare,
sperando aver la grazia che s’aquista
ispesse volte per virtù d’amare.
Pur veggio la sperança mia mancare,
ché ’l viso non mi fai
che tu solevi, ond’io sto in pene e in guai.
L’alma mie piang’e mai non può aver pace…

Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix
Depuis que tu m’as privé,
Dame, du doux regard par lequel tu m’avais enflammé.
Ta douce apparition m’avait procuré, alors, tant de plaisir
Que je me suis épris de toi dès ton premier regard,
Espérant recevoir la grâce qui s’acquiert
Souventes fois par la vertu d’aimer.
Mais voilà que mon espérance se dérobe,
Car tu ne tournes plus ton visage vers moi
Comme tu le faisais, d’où je suis en grande peine et en tourments.

Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Che Cosa è questa, Amor…, amour courtois, amour divin chez Landini

Sujet :  musique médiévale, ballata, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Che Cosa è questa, Amor,
Interprètes : l’ensemble Mala Punica
Album : D’Amor Ragionando sous-titré Ballades du neo-Stilnovo en Italie: 1380-1415 (1994).

Bonjour à tous,

ous revenons, aujourd’hui, sur l’œuvre du maître de musique Francesco Landini. Dans l’Italie du Moyen Âge tardif et du trecento, cet organiste et compositeur florentin nous a laissé un riche legs musical polyphonique : 154 pièces à deux et trois voix entre madrigaux et « ballate » italienne. Cette dernière forme poétique et profane est typique du trecento italien et de l’Ars nova.

Amour courtois, amour mystique

La pièce du jour se situe dans la veine du reste de son œuvre. Il s’agit d’une ballata à 3 voix. Le maître organiste aveugle y mêle à la fois les codes de la courtoisie et du sentiment amoureux pour les faire s’animer d’une dimension transcendante et mystique.

Sous l’angle courtois, Landini s’adresse à l’Amour lui-même. Nous parle-t-il des vertus et de la beauté de l’amour en lui même ou, indirectement, de celles de sa bienaimée ? Elles seraient si grandes qu’il y aurait fusion entre cet amour terrestre et la mystique divine. Les deux viennent alors se répondre en miroir de sorte que le sentiment amoureux s’en trouve tout empreint de sacré. Au passage, la femme devient aussi un « intermédiaire », un rappel de l’amour divin.

C’est assez curieux parce que même si les médiévistes semblent s’accorder sur cette interprétation courtoise certains ont même émis l’hypothèse que « cosa » en fait de « chose » pouvait même être un prénom ou son diminutif, celui d’un dame chère au compositeur suivant comme on approche ce texte, Landini pourrait presque sembler être en train de parler de la vierge et de Sainte Marie plutôt que d’un amour terrestre. De fait, il pourrait être intéressant d’étudier à quel point cette chanson médiévale pourrait avoir sa place dans un corpus traitant des points de convergence entre courtoisie et culte marial.

Pour les sources de cette composition, nous vous renvoyons encore au très beau Codex Squarcialupi, le MS Mediceo Palatino 87 conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Ci-dessus, vous trouverez la page du manuscrit correspondant à la chanson du jour avec sa partition d’époque.

L’ensemble médiéval Mala Punica

Formé en 1987 par le flûtiste et directeur d’orchestre argentin Pedro Leonardo Memelsdorff, l’ensemble Mala Punica s’est spécialisé, à l’image de son fondateur, dans la musique ancienne et les chants polyphoniques médiévaux, le tout éclairé par de sérieuses recherches sur les sources historiques (ethnomusicologie).

Pour dire un mot de son directeur, Pedro Leonardo Memelsdorff est arrivé en Europe à la fin des années 70 et s’y est installé. Elève de la célèbre école suisse Schola Cantorum Basiliensis à l’image de nombreux grands de la scène médiévale, son parcours s’est encore enrichi d’un cursus au conservatoire d’Amsterdam et d’un Doctorat en Musicologie, également obtenu en Hollande. En plus de son propre ensemble, il a beaucoup collaboré avec Jordi Saval et Hespèrion XX. Enfin, sa grande carrière s’est aussi étendue du côté de l’enseignement et il a également publié de nombreuses contributions dans le domaine de la musicologie. Non content d’avoir été élève à la Schola Cantorum il en a été également le directeur, durant de nombreuses années.

Le Mala Punica est encore très actif sur la scène internationale et on pourra retrouver son actualité, ses concerts et ses programmes sur le site officiel de l’ensemble médiéval.

D’Amor Ragionando : L’album

C’est en 1994 que sort l’album D’Amor Ragionando sous-titré Ballades du neo-Stilnovo en Italie : 1380-1415. Sur un durée de 66 minutes, il présente neuf pièces en provenance du trecento y quattrocento italien dont quatre de Landini. Les autres compositions sont signées de Matteo de Perugia, Magister Zacharias, Ciconia et Anthonello de Caserta. Dès sa sortie, ce très bel album sera salué par la scène médiévale. On le trouve encore disponible à la vente chez certains distributeurs. Voici un lien utile pour plus d’informations : D’Amor ragionando: Ballate neostilnoviste in Italia 1380-1415

Membres ayant participé à cet album.

Pedro Memelsdorff (flûte), Kees Boeke (vielle, flûte), Svetlana Fomina (vielle), Christophe Deslignes (organetto), Karl-Ernst Schröder (luth), Jill Feldman (voix), Giuseppe Maletto (voix), Alberto Macchini (cloches, percussions)


« Che cosa è questa, Amor… »
une ballata à trois voix de Landini

Che Cosa è questa, Amor, che’l ciel produce
per far più manifesta la tuo luce?
Ell’è tanto vezzosa, onest’e vaga,

legiadr’e graziosa, adorn’e bella,

Ch’a chi la guarda subito’l cor piaga

chon gli ochi bei che lucon più che stella.
Et a cui lice star fixo a vederla tutta gioia e virtù in sé conduce
.

Che Cosa è questa, Amor, che’l ciel produce
per far più manifesta la tuo luce?
Ancor l’alme beate, che in ciel sono,

guardan questa perfecta e gentil cosa, dicendo :
(quando) fia che’n questo trono segga costei ;
dov’ogni ben si posa?

E qual nel sommo Idio ficcar gli occhi osa
vede come Esso ogni virtù in lei induce.
Che cosa è questa, Amor, che’l ciel produce

per far più manifesta la tuo luce?

Quelle est donc cette chose, Amour, que le ciel…
traduction française

Quel est donc cette chose, Amour, que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?
C’est une chose si charmante, honnête et ravissante
élégante et gracieuse et bien parée,
Que celui qui la regarde en a soudainement le cœur chaviré (blessé)
par ses beaux yeux qui brillent plus qu’une étoile.
Et celui à qui il est donné de la contempler intensément
Se voit rempli de toute joie et de vertus.


Quel est donc cette chose, Amour que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?
Mêmes les âmes béates qui sont aux cieux
regardent cette parfaite et noble chose en disant :
– Quand celle en qui toute bonté repose
pourra-t-elle s’asseoir sur ce trône ?


Et qui ose fixer les yeux sur le Dieu suprême
Voit comment celui-ci place toute vertu en elle.
Quel est donc cette chose, Amour, que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?

En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes