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« Loyauté vueil tous jours maintenir » la courtoisie de Guillaume de Machaut à la façon de René Zosso

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson médiévale, virelai, maître de musique, chanson, amour courtois.
Titre  : Loyauté vueil tous jours maintenir
Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprète  : René Zosso
Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la Pléiade  (2005)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons, aujourd’hui, du côté des « trouvères »   ou même plutôt d’un maître de musique et compositeur   du  XIVe siècle.   Tribut sera fait au talent musical de Guillaume de Machaut et à sa maîtrise parfaite de la lyrique courtoise.

Loyauté vueil tous jours maintenir :
une chanson baladée courtoise

Cette  pièce se classe comme une chanson baladée monodique. Le poète y confirme sa loyauté et son amour envers sa dame. Las ! Rien n’est jamais simple en courtoisie. Elle se dérobe à lui, et privé de la voir, le poète   souffre et  se languit. Qu’importe. Dut-il en pâtir ou en mourir, il lui demeurera fidèle et patient, en se pliant  ainsi, rigoureusement, à l’exercice de la fin’amor et ses codes.  On n’en attendait pas moins de lui.

rene-zosso-musique-medievale-chanson-moyen-ageCôte interprétation, c’est René Zosso  qui nous la donnera a cappella. Loin des  versions  lyriques habituelles autour du répertoire médiéval, la voix enlevée et rugueuse du grand vielliste et chanteur suisse revisitera cette pièce avec une force et une énergie unique. C’est une de ses  signatures, celle qui a fait son succès et qui nous le fait autant apprécier.

Sources modernes  &    manuscrits anciens

Vous pourrez retrouver cette pièce retranscrite dans un grand nombre d’éditions des œuvres de Machaut. Depuis le XIXe  siècle, les  médiévistes et les  spécialistes de littérature du Moyen Âge, comme certains musicologues en ont produit des quantités. Pour l’occasion, nous avons opté pour  celle de Vladimir  Chichmaref  Guillaume de Machaut Poésies Lyriques – Edition complète en deux parties avec Introduction, Glossaire et Fac-similés  ( 1909).

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L’oeuvre de Guillaume de Machaut dans le manuscrit Français 1586 de la BnF

Du point de vue des sources anciennes, on trouvera cette pièce annotée musicalement dans l’ouvrage Français 1586 (photo ci-dessus), actuellement conservé au département  des manuscrits de la BnF (à consulter ici sur gallica). Daté du milieu du XIVe,  ce manuscrit médiéval qui contient l’œuvre de Guillaume de Machaut, est, à ce jour, un des plus ancien manuscrit illustré, connu, de l’auteur. On  suppose même que  le compositeur médiéval a pu participer ou suivre de près sa réalisation. C’est dire toute la valeur historique de ce  document.

Loyauté   vueil tous jours maintenir interprétée    par René Zosso


Anthologie de la chanson française :  naissance de la chanson française

Dans le courant du XXe siècle, on doit à  la maison EPM de s’être attaquée au vaste sujet de la chanson française avec l’idée d’en produire une anthologie.  Au sortir, la période couverte  part du Moyen Âge pour aller jusqu’aux années 80, pour une anthologie qui  se décline en un nombre important d’albums. Rangés par période, ces derniers peuvent même, à l’occasion, être catégorisés par thème :  chansons de métiers, chansons sur la condition féminine, etc…

L’objet déborde donc largement de notre strict propos (médiéval) et nous laisserons le soin aux éventuels intéressés par les divers coffrets d’effectuer des recherches adéquates. Nous nous arrêterons, quant à nous, à l’album du jour qui porte sur la naissance de la chanson française et qui a pour titre :  Anthologie de la chanson française :  des trouvères à la Pléiade. 

« Des trouvères à la Pléiade »,    l’album

musique-medievale-album-trouveres-chansons-francaises-anthologie-moyen-ageEn accord avec son titre, cet album prend l’histoire de la chanson  à partir des trouvères. Il   se  situe même plus vers le Moyen Âge tardif et la renaissance qu’au Moyen Âge central.

Du point de vue contenu, il est assez généreux avec   24  chansons présentées pour plus d’une heure dix d’écoute.   En plus de  certaines pièces anonymes du XIIIe siècle, on y trouvera quelques compositions de Thibaut de Champagne,   et côté XIVe siècle, la pièce de Machaut du jour.  Pour le reste, le XVe siècle et le XVIe y trouvent une place de choix avec du Clément Marot, du Ronsard,  ou encore un nombre important de chansons issues du  Manuscrit de Bayeux. Du point de vue de l’interprétation,  René Zosso  y est clairement à l’honneur avec pas moins de  5 pièces. On y  croise aussi,  avec plaisir, de nombreux autres chanteurs talentueux dont  Gabriel   YacoubMélane Favennec et même, de manière plus inattendue,  Pierre Perret.

Enregistré dans le courant de l’année 1996,  cet album a fait l’objet d’une réédition (repackaging)  courant 2005.   A ce  titre, on le trouve toujours disponible à la distribution en ligne au format CD ou même dématérialisé  : Anthologie de la chanson française – des trouvères à la Pléiade.


« Loyauté vueil tous jours maintenir »
Chanson baladée de Guillaume de Machaut

Loyauté vueil tous jours maintenir (1)
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire (douce, bonne, aimable).

Mon cuer y vueil et mon desir
Mettre sans retraire  (renoncer, reculer, faire retraite)
Ne ja ne m’en quier departir (veux séparer),
Ains vueil toudis faire
Son tres dous voloir sans repentir
Et li obeir
Comme amis, sans meffaire.
Loyauté.

Mais Amour fait mon cuer languir
Et si m’est contraire (contrarier, incommoder)
N’elle ne me daingne garir,
Ne je ne puis plaire
A la bele que j’aim et desir,
Qui à son plaisir
Me puet faire et deffaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir.

Las! si ne sçay que devenir
Ne quelle part traire, (ni de quel côté   tirer, aller)
Quant aler ne puis ne venir
Au tres dous repaire,
Où celle maint qui me fait morir,
Quant veoir n’oïr
Ne puis son dous viaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire.

(1)  Pour faire le parallèle entre valeurs chevaleresque et courtoisie, il est intéressant de noter qu’une devise portant « C’est pour loiauté maintenir »  fut remarquée par Machaut à l’occasion d’un de ses voyages en Orient.  Selon ses vers, il la trouva utilisée  par une corporation de chevaliers chrétiens stationnés  en Nicosie (Chypre) : l’Ordre de l’épée. Peut-être l’a-t-il en partie reprise ici au compte de la fin’amor et en référence à cela.  

De toutes couleurs  espuré,
Et s’avoit en lettres d’or entour, 
Qui estoient faites à tour,
Disans, bien m’en doit souvenir : 
« C’est pour loiauté maintenir »
Car je l’ay mille fois veu
Sur les chevaliers et leu. »


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Le Testament de Villon mis en musique et chanté par Evgen Kirjuhel

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, moyen-français,  poésie morale, folk, musique
Auteur   :   François Villon  (1431-?1463)
Titre :   extrait du testament
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprète  :    Evgen Kirjuhel
Album: 12 poèmes  en langue française

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous nous éloignons un peu des compositions   musicales  purement médiévales pour revenir aux inspirations plus modernes qu’ont pu susciter les auteurs et poètes du Moyen-âge chez nos compositeurs et chanteurs contemporains. C’est avec   François Villon que nous y revenons. On sait  qu’il a  inspiré Georges Brassens,  Léo  Ferré,  Monique Morelli et d’autres encore   et,   pour cet article,   c’est  un   extrait du Testament mis en musique et chanté par   Evgen Kirjuhel  que nous vous présentons.

Un extrait du testament de François Villon chanté par   Evgen Kirjuhel

Evgen Kirjuhel itinéraire et portrait
d’un artiste  insatiable

Né en 1929, Evgen Kirjuhel (nom de scène et d’écriture de Jean Frédéric Brossard) est un auteur-compositeur-chanteur à la longue carrière. Inclassable, il  a, jusque là, œuvré dans un registre qui va de la chanson bretonne et française poétique ou sociale, à des expérimentations textuelles et musicales  aux origines culturelles très diverses   : de la Grèce ancienne à la musique contemporaine, au jazz, au flamenco, en passant par bien d’autres univers  musicaux ou poétiques.

Chanson sociale et militante

D’origine parisienne, l’artiste s’est cherché dans les arts du théâtre  et de la musique   jusqu’aux années 68.  Leur impact a éveillé chez lui une vocation plus engagée et il s’est alors engagé plus clairement vers la chanson militante et sociale. Durant ces années là, il s’est rangé notamment aux côtés des révoltes ouvrières et paysannes. Installé en Bretagne, il a fait, un peu plus tard, evgen-kirjuhel-12-poemes-album-parcours-francois-villonl’apprentissage de la langue et commencé à écrire, ses premières chansons bretonnes. Il allait, bientôt, en devenir une des icônes. La mouvance folk bat alors son plein dans la région. L’artiste la côtoie tout en restant un peu à  part. Son intérêt reste à la colère sociale et, dans les années qui suivent,  il  conservera ce ton à la fois militant et poétique. Il créera même son propre label indépendant pour véhiculer  ses  textes et ses  compositions.

Le temps des voyages

La fin des années 70 sera source pour Evgen Kirjuhel  de  nouveaux horizons. La Bretagne a-t-elle un peu perdu de sa verve et laissé en chemin certains des engagements militants des premières heures des soixante-dix  ? En tout cas, l’artiste  s’en est  éloigné avec, dans ses valises, grand soif d’aventure et de découvertes : Allemagne, Afrique, Grèce, il est de tous les voyages et de toutes les expériences. S’il n’est pas question pour lui de faire le deuil de ses sensibilités premières, sans doute cherche-t-il aussi  autre chose à présent ;    d’autres nourritures. La poésie des grands auteurs l’inspire, celle des celtes, des  français  mais encore  celle des grecs anciens. Ses recherches s’étendent aussi  sur l’expérimentation instrumentale et musicale à partir des berceaux culturels qu’il explore et au delà,  à l’inde, au Tibet, la Turquie, le Japon, et même la musique plus contemporaine. Il inventera même un instrument à la mesure de sa créativité, une harpe baptisée « nucléaire » aux cordes métalliques  et au  son unique.

Cherchant son propre chemin poétique et musicale dans la synthèse et la modernité, Evgen se refuse à être cantonné au registre des musiques folkloriques ou traditionnelles. Il ne l’a, du reste, jamais été, puisque, face aux compositions anciennes, il n’a cessé de vouloir les transcender, recomposer,  adapter, actualiser. En 1996, à l’aube des  années 2000, il fondera   Revoe Productions  une maison d’édition  à sa mesure, pour distribuer ses productions :    quelques simples syllabes pour une triple lecture et une  étymologie qui contient  à la fois tous ses rêves, toute sa révolte et  tout son goût pour l’évolution ; trois clefs essentiels pour comprendre son itinéraire atypique.

12 poèmes en langue française, l’album

villon-folk-le-testament-album-12-poemes-Evgen-KiruhelEn 86, Evgen  Kirjuhel   décida de faire tribut aux poètes de langue française, de Villon à Rimbaud. Il  mis ainsi  en chansons 12 poèmes et donna ce même titre à son album. Il en composa toutes les mélodies et les chanta lui même. Comme vous pourrez l’entendre ici, il  fit le choix de moderniser la langue de Villon et de l’adapter légèrement pour la mettre à portée de tous.

L’album fut salué, dès sa sortie, par Telerama. Il a été réédité en 2004 par Revoe Productions et on peut le trouver en ligne au format CD   ou même  en MP3,  avec la possibilité de l’acquérir  par pièces. Voici un lien utile pour en savoir plus ou pour le pré-écouter : 12 Poèmes de Evgen Kirjuhel.


Sélection faite par Evgen Kirjuhel
dans  les strophes du Testament de Villon

I
En l’an trentiesme de mon aage,
Que toutes mes hontes j’eu beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage.
Nonobstant maintes peines eues, (…)

XXII
Je plaings le temps de ma jeunesse,
Ouquel j’ay plus qu’autre gallé,
Jusque à l’entrée de vieillesse,
Qui son partement m’a celé. (…)

XXVI
Bien sçay se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dedié,
J’eusse maison et couche molle!
Mais quoy? je fuyoye l’escolle,
Comme faict le mauvays enfant…
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend.

XXIX
Où sont les gratieux gallans
Que je suyvoye au temps jadis,
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisans en faictz et en dictz?
Les aucuns sont mortz et roydiz;
D’eulx n’est−il plus rien maintenant.
Respit ils ayent en paradis,
Et Dieu saulve le remenant!

XXX
Et les aucuns sont devenuz,
Dieu mercy! grans seigneurs et maistres,
Les autres mendient tous nudz,
Et pain ne voyent qu’aux fenestres;
Les autres sont entrez en cloistres;
De Celestins et de Chartreux,
Bottez, housez, com pescheurs d’oystres:
Voilà l’estat divers d’entre eulx.

XXXV
Pauvre je suys de ma jeunesse,
De pauvre et de petite extrace.
Mon pere n’eut oncq grand richesse.
Ne son ayeul, nommé Erace.
Pauvreté tous nous suyt et trace.
Sur les tumbeaulx de mes ancestres,
Les ames desquelz Dieu embrasse,
On n’y voyt couronnes ne sceptres.

XXXIX
Je congnoys que pauvres et riches,
Sages et folz, prebstres et laiz,
Noble et vilain, larges et chiches,
Petitz et grans, et beaulx et laidz,
Dames à rebrassez colletz,
De quelconque condicion,
Portant attours et bourreletz,
Mort saisit sans exception.

XL
Et mourut Paris et Hélène.
Quiconques meurt, meurt à douleur.
Celluy qui perd vent et alaine,
Son fiel se crève sur son cueur,
Puys sue Dieu sçait quelle sueur!
Et n’est qui de ses maulx l’allège:
Car enfans n’a, frère ne soeur,
Qui lors voulsist estre son pleige.

XLI
La mort le faict frémir, pallir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, la chair mollir,
Joinctes et nerfs croistre et estendre.
Corps féminin, qui tant est tendre,
Polly, souef, si precieulx,
Te faudra−il ces maulx attendre?
Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.


Une  belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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Marcabru : « L’autrier, a l’issida d’abriu », un départ de pastourelle pour une poésie satirique

troubadour_moyen-age-central_musique_chanson_poesie_medieval_occitan_oc_occitanie_MarcabruSujet  : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale,  chant de croisade. poésie satirique, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :   Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « L’autrier, a l’issida d’abriu»
Interprète : Ensemble Tre Fontane
Album
Le Chant des Troubadours v1 (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le pays d’Oc médiéval et ses premiers troubadours, avec une nouvelle chanson de Marcabru (Marcabrun). Au menu, sa traduction de l’occitan vers le français moderne, quelques réflexions sur son contenu, et sa belle interprétation par l’Ensemble Tre Fontane.

Quelques réflexions
sur la chanson médiévale du jour

« L’autrier, a l’issida d’abriu » est une pièce satirique qui débute de manière « conventionnelle », entendez courtoise, avec même de claires allures de pastourelle. Aux portes du printemps, le poète occitan se tient en pleine nature et un chant d’oiseau va l’inspirer. Il croise ainsi une jeune fille, tente de la séduire, mais bientôt les vers de cette dernière se font satiriques et désabusés. La demoiselle se détourne de lui, son cœur est ailleurs, lui dit-elle : prix, jeunesse et joie déchoient. A qui se fier dans un siècle où les nobles valeurs se perdent ? Même les puissants seigneurs s’y associent aux pires goujats. Croyant éviter les trahisons adultérines en confiant à ces derniers la garde de leurs épouses, ils se fourvoient grandement et sont deux fois trahis.

marcabru_poesie-satirique-chanson-medievale_manuscrit-medieval-ancien-français-12473-s« L’autrier, a l’issida d’abriu » de Marcabru, Chansonnier K, Chansonnier provençal ou Français 12473, de la BnF    (consultez sur Gallica)

Au delà d’une première approche de traduction, peut-être faut -il renoncer à comprendre totalement la poésie de Marcabru pour la goûter pleinement ? Cette question n’en finit pas d’être posée à travers les vers tout en allusion de ce troubadour qui semblent, si souvent, se référer à des réalités connues, seules, de ses contemporains, quand ce n’est pas seulement de lui-même.

Le texte du jour n’échappe pas à la règle. Avec cette image de l’épouse cadenassée et sous bonne garde, Marcabru fait-il référence, sans le nommer, au cas d’un noble en particulier, en prenant soin, au passage, de le noyer dans une catégorie : celles des « hommes puissants et des barons » ? Le phénomène est-il si généralisé qu’il a l’air de le dire ?  N’est-ce là qu’un prétexte fourni au grand maître de cette forme de poésie hermétique qu’est le trobar clus, pour critiquer indirectement la toile de fond courtoise et ses fréquents appels à l’adultère ? On le sait, les valeurs qu’affectionne le poète occitan sont chrétiennes et les amours cachées et interdites mises en exergue par la courtoisie ne sont pas pour lui, ni de son goût « moral ».

« L’autrier, a l’issida d’abriu » Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Chant des Troubadours d’Aquitaine
par l’Ensemble Tre Fontane

Nous avons déjà mentionné ce bel ensemble médiéval qui a dédié une large partie de sa longue carrière à l’interprétation des chansons de troubadours occitans du Moyen-âge central. A cette occasion, nous avions même détaillé la production dont est issue la pièce du jour aussi nous vous invitons à vous y reporter: Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine Amorchanson-musique-medievale-troubadours-occitan-medieval-tre-fontane

L’album en question est toujours édité et disponible à la vente  en ligne. Voici un lien utile pour en savoir plus : Le chant des troubadours volume 1 par l’Ensemble Tre-Fontane.


« L’autrier, a l’issida d’abriu »,
de l’occitan médiéval au français moderne

Pour la traduction nous avons suivi partiellement celle de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Le reste est le fruit de croisements et de recherches personnelles.

I
L’autrier, a l’issida d’abriu,
En uns pasturaus lonc un riu,
Et ab lo comens d’un chantiu
Que fant l’auzeill per alegrar,
Auzi la votz d’un pastoriu
Ab una mancipa chantar.

L’autre jour, au sortir d’avril,
Dans  des pâturages, au long d’un ruisseau,
Et, alors (la chanson) commence un (d’)chant
Que font les oiseaux pour se réjouir,
J’entendis la voix d’un pastoureau
Qui chantait avec une jeune fille.

II
Trobei la sotz un fau ombriu
 « Bella, fich m’ieu, pois Jois reviu
…………………………………………..
Ben nos devem apareillar. »
—  « Non devem, don, que d’als pensiu
Ai mon coratg’ e mon affar. »

Je la trouvais sous un hêtre ombreux.
— « Belle, lui dis-je, puisque Joie revit.
……………………………………………..
Nous devrions bien nous mettre ensemble.»
— « Nous ne le devons pas, Sire, car ailleurs
Sont tournés mon coeur et mes préoccupations.» (« pensées & désirs ». Dejeanne) 

III
— « Digatz, bella, del pens cum vai
On vostre coratges estai? »
—  « A ma fe, don, ieu vos dirai,
S’aisi es vers cum aug comtar,
Pretz e Jovens e Jois dechai
C’om en autre no’is pot fiar.

— « Dites-moi, belle, de ses pensées qui ainsi,
occupent votre cœur? »
— « Par ma foi, sire, je vous dirai,
S’il est vrai comme je t’entends conter,
Prix, Joie et Jeunesse déchoient,
De sorte qu’on ne peut se fier à personne.

IV
D’autra manieira cogossos,
Hi a ries homes e baros
Qui las enserron dinz maios
Qu’estrains non i posca intrar
E tenon guirbautz als tisos
Cui las comandon a gardar.

D’autre façon (dans un autre registre) sont cocufiés les maris.
Et il est des hommes puissants et barons
Qui enferment leurs femmes dans les maisons,
Afin que les étrangers ne puissent y entrer,
Et qui tiennent des goujats aux tisons
Auxquels ils donnent ordre de les garder.

V
E segon que ditz Salamos,
Non podon cill pejors lairos
Acuillir d’aquels compaignos
Qui fant la noirim cogular,
Et aplanon los guirbaudos
E cujon lor fills piadar. »

Et selon ce que dit Salomon,
Ceux-là ne peuvent accueillir de pires larrons
Que ces compagnons
qui abâtardissent les rejetons (1),.
Et ils caressent les  goujats
En s’imaginant ainsi couvrir leurs propres fils d’affection.»  (2)

(1) La traduction que nous avons utilisée ici de « noirim » comme bouture, rejeton, nourrain  provient du Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours: comparée avec les autres langues de l’Europe latine, P Raynouard (1811) De son côté JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909)  traduit : « abâtardissent la race ».  Pour information, on trouve le même terme traduit comme « nourriture » dans le Dictionnaire d’Occitan Médiéval en ligne.

(2) Raynouard : rendre leur fils plus affectueux


En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Quant fine Amor me prie que je chant »: extrait d’une chanson de Thibaut de Champagne ou de Gace Brûlé

amour_medecine_medievale_hygiene_ecole_salerne_regimen_sanitatis_science_moyen-age_centralSujet : citation médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète, lyrisme courtois, fine amor, trouvères, vieux-français, Oïl, chanson, extraits
Période : moyen-âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253),
ou Gace Brûlé  (1160/70 -1215)

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour aujourd’hui, voici un court extrait, en forme de citation, d’une chanson qui a été diversement attribuée dans les manuscrits à Thibaut de Champagne, à Gace Brûlé et qui est même, dans certaines autres sources, demeurée anonyme.

On connait, du reste, la parenté de plume entre les deux trouvères, séparés par une génération. Gace Brûlé compte, indéniablement,  parmi les auteurs  qui ont influé l’œuvre de Thibaut le Chansonnier.  Même si cela demeure invérifiable, on se plait même à imaginer que le comte de Champagne et roi de Navarre, encore enfant, a peut-être même pu croiser Gace, à la cour de Champagne, alors que ce dernier était déjà à l’apogée de sa renommée.

Quoiqu’il en soit, dans le courant du moyen-âge central et des XIIe, XIIIe siècles, ils sont, tous deux, les dignes représentants de ce courant culturel et poétique qui a favorisé le passage de la poésie d’oc et de ses formes, en langue d’Oïl et ils n’ont eu de cesse, l’un comme l’autre, d’élever la tradition de l’Amour courtois, en y apportant leur propre marque et leur style incomparable.

thibaut-de-champagne-_gace-brule_citation-medievale_chanson_amour-courtois_fine-amor_moyen-age_XIIIe-siecle

Quant fine Amor me prie que je chant,
Chanter m’estuet, car je nel puis lessier* (y renoncer, m’en abstenir),
Car je sui si en son conmandement
Qu’en moi n’a mès desfense ne dangier* (résistance, opposition).
Se la bele, qui je n’os mès prïer,
N’en a merci et pitiez ne l’en prent,
Morir m’estuet* (de estovoir : falloir) amoreus en chantant.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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