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« Je muir d’amourette », l’amour courtois du trouvère Adam de La Halle par l’Ensemble Fortune’s wheel

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, vieux français, trouvère, rondeau, chansons polyphoniques, amour courtois, fine amor, bibliographie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Je muir d’Amourete(s)
Interprètes : Fortune’s wheel
Album : Pastourelle, the Art of Machaut and the Trouvères (2002)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui à la poésie d’Adam de la Halle avec un de ses célèbres rondeaux. Le thème est celui de l’amour courtois. « Je muir d’amourette », le  fine amant se meurt de n’avoir réussi à séduire la demoiselle ou la dame de son coeur et du manque de miséricorde dont il fait l’objet. Bien moins douce et docile qu’il ne l’avait supposé au premier abord, elle se montre sauvage et cruel, en lui accordant pas ses grâces et le trouvère, rendu seul, se morfond.

Le rayonnement des musiques et de la poésie de l’Europe médiévale n’a pas de frontières. Bien au delà du continent, ces oeuvres appartiennent désormais au patrimoine de l’Humanité et séduisent, en tout cas, de nombreux artistes et un large public à travers le monde. Pour preuve, l’interprétation du jour nous vient d’outre-atlantique et d’un ensemble médiéval américain  ayant pour nom Fortune’s Wheel;  nous aurons ainsi l’occasion de vous les présenter.

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Les Oeuvres complètes d’Adam de la Halle
bibliographie & ouvrages

En 1872, après avoir compulsé plus de quinze manuscrits anciens, le juriste, musicologue et ethnologue Edmond de Coussemaker (1805-1876) faisait paraître une synthèse remarquable des oeuvres d’Adam de la Halle. A côté de la liste exhaustive des créations du trouvère artésien du XIIIe siècle : chansons, jeux-partis, motets, rondeaux mais aussi pièces plus longues de l’auteur ( le congé, le poème du roi de Sicile, le jeu de la feuillée, le jeu de Marion et Robin et le jeu du pèlerin), le musicologue nous gratifiait également des partitions de l’ensemble des compositions de l’artiste médiéval, en juxtaposant même les notations anciennes des manuscrits aux notations modernes.

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievalePour parenthèse, concernant la pièce du jour et sa popularité, on notera sa présence, entre autres manuscrits, dans le roman satirique Renart le Nouvel (1288) de Jacquemart Giélée. Elle y sera même chantée deux fois. 

Pour revenir à l’ouvrage de Edmond de Coussemaker, cette véritable bible sur l’oeuvre de Adam de la Halle à fait longtemps référence pour les artistes désireux de s’essayer à la musique du trouvère d’Arras, comme aux amateurs de poésie et de littérature médiévale. De fait, à quelques 150 ans de sa première parution, l’ouvrage est toujours réédité. On pourra notamment le trouver chez Hachette où il est publié en partenariat avec la BnF et dans le cadre de sa politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature Française En voici le lien : Oeuvres complètes du trouvère Adam de La Halle (Éd.1872)

Les oeuvres traduites

A noter qu’en 1995, l’universitaire et spécialiste de littérature médiévale, Pierre-Yves Badel faisait également paraître ses oeuvres complètes du trouvère, aux côtés, cette fois, de leur traduction en français moderne. Sorti dans la Collection Lettres gothiques et sous la direction de Michel Zink, l’ouvrage est toujours disponible au Livre de Poche. Les mélodies y sont également présentes. Pour information,  en voici également le lien : Oeuvres complètes d’Adam de la Halle, par Pierre-Yves Badel.

« Je muir d’amouretes », d’Adam de la Halle, Ensemble Fortune’s wheel

L’Ensemble médiéval Fortune’s Wheel

Fondé en 1996 par quatre musiciens spécialisés dans les musiques anciennes et renommés outre-Atlantique, l’Ensemble Fortune’s Wheel a fait de très salués premiers pas au Festival of Early Music de Mexico, avant de se produire en concert à travers tous les Etats-Unis, dans le courant des années suivantes.

Après avoir publié deux albums, celui dont est extrait la pièce du jour et un autre sur les musiques de l’Angleterre médiévale, le groupe a, semble-t-il, arrêté de se produire et ne s’est pas reformé depuis quelque temps déjà. Les artistes qui le composaient étant toujours actifs dans le champ des musiques du moyen-âge, on peut les retrouver plus récemment dans d’autres formations, du côté des Etats-Unis.

Dans sa composition, on retrouvait  Robert Mealy, vièle, harpe et voix (voir article Ensemble Tenet), Shira Kammen, vièle, harpe et voix (Ensemble PAN), Paul Cummings, voix (Boston Camerata) et Lydia Heather Knutson, voix (Ensemble Sequentia, Boston Camerata,  Blue Heron).

 Pastourelle, the Art of Machaut & the Trouvères

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Sorti en 2002, l’album Pastourelle, proposait 20 titres empruntés au répertoire médiéval des XIIe au XIVe siècles. On pouvait ainsi y retrouver quatre pièces d’Adam de la Halle, une de Conon de Béthune, huit de Guillaume de Machaut et encore quelques autres compositions anonymes de cette même période.  Pour le moment, l’album ne semble pas avoir été réédité mais il est, en revanche, toujours disponible au format MP3 au lien suivant : Pastourelle by Fortune’s Wheel Ensemble.

Je muir d’amouretes d’Adam de la Halle

Je muir, je muir d’amourete,
Las! ai mi
Par defaute d’amiete
De merchi.(1)

Je meurs, je meurs d’amourete,
Las! Pauvre de moi
Par défaut d’Amie

et de miséricorde (pitié).

A premiers la vi douchete* (douce, tendre);
Je muir, je muir d’amourete,

D’une atraitant* (séduisante) manierete 
A dont (alors) la vi,
Et puis la truis* (de trover) si fierete* (sauvage, cruelle)
Quant li pri* (de preiier, supplier)

Je muir, je muir d’amourete,
Las! ai mi
Par defaute d’amiete
De merchi.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« Tant ai amé c’or me convient haïr », Une chanson médiévale de Conon de Bethune

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, Artois, lyrisme courtois,
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe.
Auteur : Conon de Béthune  ( ?1170 – 1219/20)
Titre : «Tant ai amé c’or me convient haïr»
Interprètes :  Ensemble Sequentia
Album :  Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un retour à la poésie des premiers trouvères, avec une nouvelle chanson de Conon de Béthune, noble chevalier du moyen-âge central, qui s’illustra aussi dans la quatrième croisade (voir biographie ici).

Les limites du cadre courtois?

La pièce du jour nous entraîne sur les rives de l’Amour courtois mais c’est aussi le récit d’une déception sentimentale qui nous en montre  les limites. « Tant ai amé c’or me convient haïr » Trahi, déçu par une « fausse amie », le « fine amant » est arrivé au point de rupture et fustige la fausseté de celle à qui il avait confié son cœur. Il passe même de l’amour à son radical opposé : la haine. On pourra débattre pour savoir si, en ne se pliant pas aux quatre volontés, résistances, manœuvres et caprices de sa deco_enluminures_rossignol_poesie_medievalemaîtresse et, en réagissant de la sorte, le poète sort du cadre de la lyrique courtoise ou s’il s’y trouve toujours. Il continue, en tout cas, lui de se définir comme un fine amant et nous sommes ici aux bornes de son élasticité (celle du cadre, pas celle du poète, je n’ai pas connu suffisamment ce dernier pour me permettre de m’exprimer sur le sujet et en plus cela ne voudrait rien dire). Bref, la chanson du jour nous entraîne à ce moment précis où le poète décide qu’il ne joue plus et passe directement de l’amour frustré (notion tout à fait hors champ et inexistante au moyen-âge), au rejet et même à la « haine » (aussi littéraire sans doute que son amour, ou son désir de mourir pour la dame avant cela).

Petite Marie, m’entends-tu ?

Cette chanson a-t-elle pu être écrite à l’attention de Marie de France ou de  Champagne (1145-1198)*, protectrice du trouvère qui l’avait même, on s’en souvient, fait inviter à la cour de France (par quoi le langage mâtiné d’Artois de ce dernier se trouva railler par la reine et le jeune héritier Philippe-Auguste) ? Certains biographes pensent que Conon de Béthune était tombé véritablement en amoureux de la Comtesse malgré leur différence d’âge. Le ton assez dur qu’il emploie ici peut toutefois laisser penser qu’il ne se serait sans doute pas aventuré à une telle offense envers sa protectrice. Par ailleurs, il faut encore ajouter qu’à d’autres endroits de son oeuvre, certaines dames auxquels il fait allusion sont clairement désignées comme n’étant pas Marie de France. Entre allégorie poétique, réalité historique et spéculations, à près de neuf cents ans de là, il demeure assez difficile de trancher.

* A ne pas confondre avec Marie de Champagne (1774-1204), la propre fille de l’intéressée, ni avec Marie de France la poétesse (1160-1210),

L’oeuvre de Conon de Béthune dans les manuscrits : MS Fr 844 & MS Fr 12615

Du point de vue documentaire, on trouve cette chanson attribuée à Conon de Béthune (« Quenes »), au côté de sept autres dans le manuscrit ancien  référencé MS Français 844 de la BnF (consultez-le en ligne sur Gallica ici).

Pour les musiciens, les musicologues ou tout autres passionnés ou amateurs de moyen-âge et de musique ancienne, nous nous sommes même fendus d’y rechercher le feuillet correspondant (visuel ci-dessus). Le mérite ne nous en revient qu’à moitié puisque le grand historien médiéviste et chartiste Gaston Raynaud nous a fait gagner un précieux temps dans cette recherche, grâce à son ouvrage: Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècles, daté de 1884.

Précisons encore avec lui que l’on peut également retrouver les chansons de Conon de Béthune (en nombre significatif) dans le Chansonnier dit de Noailles ou MS Français 12615 (ici sur Gallica) : neuf en tout, entre lesquelles on notera à nouveau la présence de notre chanson du jour. Enfin et pour en faire complètement le tour, deux autres manuscrits font encore état des oeuvres du trouvère, le MS Français 1591 « Chansons notées et jeux partis«  (ici sur gallica) en contient quatre et le Rome, Vat. Christ. 1490  en contient une.

« Tant ai amé c’or me convient haïr » par l’Ensemble Médiéval Sequentia

Une véritable anthologie des trouvères
par l’ensemble Sequentia

L’interprétation de la chanson de Conon de Béthune que nous vous proposons ici est tirée de l’excellent travail que l’Ensemble Sequentia dédiait, en 1984, aux trouvères français. Sortie tout d’abord sous la forme d’un triple album, la production fut rééditée quelques années plus tard, en 1987, sous la forme d’un double album.

album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralAvec pas moins de 43 titres, cette véritable anthologie des trouvères des XIIe et XIIIe siècles demeure une pièce incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale et ancienne. Elle est toujours disponible à la vente sous sa forme de double album CD, mais aussi au format dématérialisé MP3. Nous vous en redonnons le lien ici à toutes fins utiles : Trouvères : Chants D’Amour Courtois Des Pays De Lanque D’Oïl

Tant ai amé c’or me convient haïr.

Tant ai amé c’or me convient haïr
Et si ne quier mais amer,
S’en tel lieu n’est c’on ne saice* (de savoir) traïr
Ne dechevoir ne fausser.
Trop longement m’a duré ceste paine
K’Amors m’a fait endurer;
Et non por quant loial amor certaine
Vaurai encoir recovrer.

Ki or vauroit loial amor trover
Si viegne a moi por coisir* (choisir)!
Mais bien se doit belle dame garder
K’ele ne m’aint* (de aimer) pour traïr,
K’ele feroit ke foie* (promesse) et ke vilaine,
S’em porroit tost mal oïr,
Ausi com fist la fause Chapelaine* (fig :confesseuse),
Cui tos li mons doit haïr.

Assés i a de celés* (secrets) et de ceaus
Ki dient ke j’ai mespris
De çou ke fis covreture de saus,
Mais moût a boin droit le fis,
Et de l’anel ki fu mis en traîne,
Mais a boin droit i fu mis,
Car par l’anel fu faite la saisine
Dont je sui mors et traïs.

A moult boen droit en fix ceu ke j’en fix,
Se Deus me doinst boens chevals!
Et cil ki dient ke i ai mespris
Sont perjuré et tuit fauls.
Por ceu dechiet* (de decheoir, diminuer) bone amor et descime
Que on lor souffre les mais,
Et cil ki cellent* (cachent) lor faulse covine* (pensée, fausseté)
Font les pluxors deloiauls.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« De gracieuse dame amer » la courtoisie de Jehannot de Lescurel à l’aube de l’Ars Nova

musique_poesie_medievale_media_book_livre_disque_jehan_de_lescurel_moyen-age_XIIIe_XIVeSujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, rondeau, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
 Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel)
Interprète : Ensemble Syntagma, direction d’Alexandre Danilevsky
Album : 
livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui, en musique et en chanson, au Moyen Âge du XIVe siècle avec Jehannot de Lescurel. Annonciateur de l’Ars nova, pour ses innovations autant que pour sa rigueur dans l’approche des formes, cet auteur et artiste médiéval, n’est déjà plus considéré comme un trouvère mais bien chanson_musique_poesie_medievale_jehannot_de_lescurel_manuscrit_ancien_bnf_francais_146comme un compositeur.

Comme  les autres pièces de l’auteur, la chanson du jour est tirée du MS Français 146. Manuscrit ancien daté du XIVe siècle, conservé à la Bnf, l’ouvrage contient, en plus du célèbre Roman de Fauvel, les dits du clerc Geoffroi de Paris, ainsi que les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel. Voici d’ailleurs, ci-contre, le feuillet de ce manuscrit correspondant à la pièce du jour.

« Fine amor » d’Oc en Oil

Du point de vue thématique, le legs de Jehannot de Lescurel gravite principalement autour de la « fine amor ». La chanson du jour, qui est un rondeau, se situe donc en plein dans cette tradition lyrique courtoise héritée des troubadours du sud de la France et largement retranscrite en langue d’Oil, par les trouvères du nord, dans le courant du XIIIe siècle.

jehannot_de_lescurel_de_gracieuse_dame_amer_musique_chanson_rondeau_medieval_MS_146_moyen-age_XVIe_siecleEn dehors du MS français 146 on peut encore retrouver cette pièce dans l’ouvrage « Chansons, poésies et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle » d’Anatole de Montaiglon (1855). Si vous préférez la version papier à la numérique, l’ouvrage a été également réédité en version brochée chez Forgotten books.

Concernant son interprétation, nous la devons à l’Ensemble Syntagma sous la direction de son talentueux directeur Alexandre Danilesky. (voir leur chaîne youtube officielle ici)

« De gracieuse dame amer », Jehannot de Lescurel – Ensemble Syntagma

Comme nous avons déjà consacré un article sur le travail de l’Ensemble Syntagma autour de Jehannot de Lescurel (notamment au sujet du livre disque et média book que la formation a dédié à ce compositeur), nous vous invitons à le consulter pour plus de détails. Vous y trouverez un portrait de la formation et de son directeur, ainsi que des éléments supplémentaires sur le compositeur médiéval.

« De gracieuse dame amer »,
de Jehannot de Lescurel (en français ancien)

De gracieuse dame amer
Ne me quier ( de querre, querir : désirer, vouloir) jamès departir (séparer).
Touz bienz en viennent, sanz douter,
De gracieuse dame amer,
Et tous deduiz* (plaisir, divertissement).N’en veil cesser :
Car c’est ma joie, sans mentir ;
De gracieuse dame amer
Ne me quier jamès departir.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« Onques maiz nus hom ne chanta », une chanson médiévale du trouvère Blondel de Nesle par l’ensemble Sequentia

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: Onques maiz nus hom ne chanta
Auteur :  Blondel de Nesle
Interprète :  Ensemble Sequentia
AlbumTrouvères : Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) (1987)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionprès avoir étudié de près les éléments biographiques en notre possession sur le trouvère Blondel de Nesle, voici donc une de ses chansons. Elle est interprétée par le groupe Sequentia dans un album tout entier dédié au Chansons d’amour courtois des trouvères du nord de France. Nous profiterons de cet article pour faire un large crochet pour vous présenter cette belle formation médiévale, son directeur artistique et le double album dont ce titre deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleest issu.

Concernant la chanson de Blondel de Nesle présentée ici, le thème est clairement inspiré de la lyrique courtoise des troubadours d’oc. Comme nous le disions dans notre article précédent, avec Gace Brûlé et quelques autres trouvères de la même période (Conon de Bethune, le Châtelain de Couci), Blondel de Nesle fait partie de ce mouvement d’artistes du nord de la France qui transposèrent la poésie et le fine amor d’oc en langue d’oil. Comme un certain nombre d’entre eux fréquentèrent la cour de Marie de Champagne, nul doute qu’ils eurent de l’influence sur le petit fils de cette dernière, celui qui allait devenir Thibaut le Chansonnier ou Thibaut de Champagne et qui n’était encore qu’un enfant en ces débuts de XIIIe siècle.

La fine amor en langue d’oil de Blondel de Nesle par L’ensemble séquentia

L’Ensemble Sequentia

Voila encore un bel ensemble spécialisé dans le répertoire médiéval qui s’est formé au sein de la très renommée école suisse Schola Cantorum Basiliensis toute entière dédiée aux musiques anciennes.

Fondé en 1975  par Benjamin Bagby et Barbara Thornton  alors étudiants à l’école sus-nommée, Sequentia évolua dans ce cadre, pour se produire pour la première fois professionnellement en 1977. Comme de nombreux ensembles dans le domaine des musiques anciennes, la formation était à géométrie variable. Au fil de son parcours et en fonction des oeuvres abordées, elle a su s’entourer ou s’enrichir de collaborations artistiques externes.

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Depuis sa création, il y a plus de quarante ans, l’ensemble a gratifié le monde de la musique ancienne de près de 40 albums dont une dizaine en collaboration avec d’autres formations. Avec un nombre  important de récompenses et de prix, il s’est définitivement affirmé comme un des acteurs avec lequel il faut compter quand on s’intéresse de près au répertoire musical du moyen-âge.

Après la disparition prématurée de Barbara Thornton en 1998, Benjamin Bagby s’est retrouvé seul à porter la direction artistique de Sequentia. La formation a ainsi poursuivi son exploration du monde médiéval musical jusqu’à aujourd’hui. Aux dernières nouvelles et dans le courant 2016-2017, elle se produisait toujours sous la forme d’un trio, autour d’un programme dédié aux deco_enluminures_rossignol_poesie_medievalemoines du moyen-âge « chantant des chants profanes et même païens » (« monks singing pagans« , du IXe au XIIe siècle).  Du côté des albums et sauf erreur de notre part, le dernier en date est de 2013 mais au vue de l’activité de l’ensemble, il faut s’attendre à en voir sortir de nouveau.

Pour en savoir plus sur Sequentia, le site web très complet est ici. Il est pour l’instant en langue anglaise (sa version française est prévue mais n’est pas encore en ligne). Au delà des informations que vous pourrez y trouver sur l’ensemble médiéval, il est aussi la vitrine des concerts et contributions de son très actif fondateur et directeur artistique Benjamin Bagby dont nous voulons dire un mot de plus ici.

Portrait de Benjamin Bagby, co-fondateur et directeur artistique de Sequentia.

Musicien, harpiste, chanteur baryton et directeur artistique, Benjamin Bagby est un artiste accompli et largement reconnu sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Son travail et ses nombreuses contributions dans le domaine ont d’ailleurs été salués par un Rema Early Music Award  en 2016.

Enseignement et transmission

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Au nombre de ses activités, la transmission par l’enseignement compte au moins autant pour lui que les arts de la scène et le travail de restitution. Il a notamment enseigné longtemps dans le cadre du prestigieux programme sur la pratique des musiques médiévales, proposé par l’Université de Paris Sorbonne. Toujours très actif dans le domaine pédagogique, en 2017 et 2018, il est intervenu et intervient encore dans le cadre de divers ateliers, universités ou institutions en Allemagne, Espagne, Italie, Suisse et aux Etats-Unis, et auprès d’artistes désireux de se spécialiser dans le domaine des musiques et des chants en provenance du moyen-âge.

Ethnomusicologie et passion de la restitution

Sur la partie ethnomusicologie et restitution, on saluera ici l’originalité et la ferveur aussi que peut mettre Benjamin Bagby à explorer des territoires musicaux laissés totalement vierges jusque là. Tout cela bien sûr au moyen d’une étude scrupuleuse et originale des manuscrits. Entre autres exemples, il a été notamment un des rares à avoir proposé, en 2015-2016 et dans le cadre de Sequentia, un programme sur la musique carolingienne des débuts du moyen-âge central et du VIIIe au Xe siècle (« Frankish Phantoms », « Fantômes francs »). Il est également occupé, depuis quelques années, sur un projet autour des « chants ou chansons perdus »  (« The Lost Songs benjamin_bagby_beowulf_legende_musique_passion_medievale_ethnomusicologie_moyen-ageProject ») et visant à restituer quelques traditions orales et musicales  perdues ou oubliées de l’Europe médiévale : Islande, Irlande, Allemagne, etc…

Dans ce cadre et du point de vue de son actualité personnelle, on notera que depuis quelques temps déjà, il propose sur scène, accompagné de sa seule harpe, un spectacle autour de la légendaire poésie antique Beowulf. Un site web complet a même été dédié à ce spectacle (bagbybeowulf.com) que l’artiste a déjà eu l’occasion de jouer devant les publics les plus variés sur la scène internationale (Etats-Unis, France, Hollande, Russie, …). A suivre de près l’itinéraire de ce grand passionné de musique et de moyen-âge, on comprend mieux la déclaration qu’il fit en 2016, après avoir reçu son Rema Award dans le domaine des musiques anciennes ;

« I want to make voices of the past come to life again. To be recognized for this work is a great honor. » (« Je veux faire revivre les voix du passé. Etre reconnu pour ce travail est un immense honneur »)
Benjamin Bagby – Rema Early Music Award 2016

Nul doute qu’il met toute son énergie et son talent à faire de cette volonté une réalité.

Une anthologie des trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl

L’album auquel nous empruntons la chanson de Blondel de Nesle est issu de la première période de l’Ensemble Sequentia. En réalité, il se présentait dans sa première édition de 1984 sous la forme de trois albums, mais lors de sa réédition en 1987, quelques coupes franches furent faites par rapport à l’édition originale et il fut finalement distribué sous la forme d’un double album.

trouveres_musiques_chants_chansons_medievales_moyen-age_XIIe_XIIIe_siecleComme de nombreuses productions de l’ensemble, il fut distribué par Deustche Harmonia Mundi ce qui explique son titre original allemand : « Trouvères,  Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich », retraduit « Trouvères, chansons d’amour courtois des pays de Langues d’Oil », depuis sa réédition française par Sony Music. Si le titre allemand pouvait de prime abord dérouter, il n’y a dans ce double album que des pièces provenant du répertoire médiéval français de la fin du XIIe à la fin du XIIIe  siècle (1175/1300) et toutes les chansons qu’on y trouve sont en langue d’oil, comme le titre « Trouvères » le suggérait clairement.

Il contient 43 titres et alterne pièces vocales – rondeau, ballades, motets, chansons de toile et de trouvères – avec des pièces instrumentales datant de la même période. On y retrouvera des pièces de Blondel de Nesle, mais aussi de Gace Brûlé, Conon de Bethune (une seule pour chacun d’entre eux) et en nombre plus conséquent des chansons de Jeannot de L’Escurel, Adam de la Halle, Petrus de Cruce, et encore de nombreuses pièces demeurées anonymes.

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Depuis sa première parution, le succès de cette excellente production de l’Ensemble Sequentia a favorisé plusieurs ré-édition et on le trouve toujours disponible en ligne sous forme CDs et même sous forme dématérialisée. Comme toujours, la mise a disposition du format MP3 offre la liberté de pouvoir acquérir des pièces choisies, mais aussi l’avantage de pouvoir en écouter des extraits. A toutes fins utiles, voici le lien vers les deux formats : Trouvères : Chants D’Amour Courtois Des Pays De Lanque D’Oïl

« Onques maiz nus hom ne chanta »
chanson médiévale de Blondel de Nesle

Nous sommes dans le registre de la Fine amor. Le poète se tient dans l’attente d’un signe de la dame que son coeur a élu. Dans le cas précis, il semble que cette dernière ne soit pas déjà prise mais le sentiment n’est pas pour autant réciproque et le trouvère se tient, languissant et plein d’appréhension, espérant deco_enluminures_rossignol_poesie_medievalequ’elle lui concède son amour.

Il n’y a de meilleur « fine amant » que lui. Il est plus irrité qu’il ne le montre, mais si elle se refuse à lui ou le rejette (occire), jamais elle ne pourra trouver homme qui l’aime autant que lui, aussi qu’elle ait une plus grande pitié de lui qui se tient là, languissant.  Elle n’a jamais aimé personne, il ne l’en aime que plus pour cela, mais il prie Dieu que, si c’est le cas, cet amour lui soit réservé.

Son doux visage rieur le plonge dans la confusion. Il n’ose la regarder tant il craint de ne pouvoir ensuite détacher ses yeux d’elle. Elle est si belle qu’on a d’autres choix que de la servir. Elle a encore tant de qualités qu’on ne pourrait les décrire sans en oublier et il ne peut lui que languir en espérant qu’elle lui prête attention et se souvienne de lui.


Onques maiz nus hom ne chanta
En la maniere que je chant,
Ne ja maiz nus ne chantera,
Pluz ait d’ire, a mains de samblant.
Et quant ma dame ocis m’avra,
Sachiez de voir  – a li m’en vant-
Que ja maiz nul n’en trouvera,
Qui tant l’aint en tout son vivant.
Merci deüst avoir pluz grant
De moi, qui ci vois languissant.

Biaus sire dex, s’ele aime ja,
Dounez que ce soit moi avant,
Quar je sai bien c’onques n’ama,
Pour c’en est mes cuers pluz en grant.
Mout a envis i aprendra,
Je m’en vois bien apercevant,
Quant ele encore sentu* (de sentir participe passé) n’a
Nus des mauz d’amer donc j’ai tant.
Ses clers vis* (doux, clair visage), qu’ele a si rïant,
Fait le mien mat, triste et pensant.

Li lons delais d’a li parler
Me fait souvent taindre(rougir) et palir.
Quant g’i sui, ne l’os esguarder,
Tant en dout mes ex* (yeux) a partir ;
Tant i aimment le sejorneir
Qu’il ne s’en sevent revenir,
Ne je ne les en puis tourner
Pour chastoier de mieuz couvrir,
Quar ce dont on a grant desir
Fait bien mesure tressaillir

Tant ait en li a recordeir* (me rappeler, me souvenir)
Biauteit por c’on la doit servir :
Se tuit cil ki seivent pairleir
Voloient ces taiches* (qualités) gehir* (décrire, rapporter),
Ne poroient il resconteir
Ke en li deüst riens faillir,
Fors tant k’il ne l’en veult membreir* (se rappeller)
De son home, ne sovenir ;
Ainçois me covandrait languir
Tant com li vandrait a plaixir.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.