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L’amour courtois d’Oc en Oil, Blondel de Nesle, trouvère, poète, adepte et fine amant devenu « légendaire »

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet :  musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, oil, biographie, portrait, historiographie, fine amor, fin’ amor, troubadours
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Auteur :   Blondel de Nesle
Biographe  :  Yvan G Lepage
Livre : L’œuvre lyrique de Blondel de Nesle

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionu point de vue littéraire et artistique, le XIIe et les débuts du XIIIe siècle sont des temps florissants pour l’art des troubadours, mais c’est aussi une période qui voit leur influence s’étendre au delà de leur berceau linguistique, méditerranéen, provençal et languedocien pour atteindre le Nord de la France. Plusieurs cours en Aquitaine et à Poitiers, en Champagne et même en Bretagne favorisent une deco_medievale_enluminures_trouvere_effervescence créatrice certaine par leur mécénat et leur goût de l’art poétique. Des rencontres entre chanteurs et artistes du sud et âmes poètes du nord s’y sont peut-être même tenues. Du point de vue des échanges culturels, la poésie de certains trouvères se trouve alors largement influencée par l’art, la musique autant que les thèmes et les manières des troubadours.

Une poésie « provincialisante » va ainsi naître dans les formes variées de la langue d’oil et au sein des cours seigneuriales du Nord.  Dans cette « école » ou peut-être pourrait-on parler plutôt de mouvement ou d’élan, on trouve le trouvère  Gace Brûlé  dont nous avons déjà parlé ici et sa grande popularité d’alors. Contemporain de ce dernier, on croise encore des noms comme Pierre de Molins, Conon de Bethune, le Châtelain de Couci et encore Biondel de Nesle qui fait l’objet de cet article. Trouvère loué et populaire en cette fin de XIIe siècle, il entrera même un peu plus tard dans la légende.

Blondel de Nesle, éléments de Biographie

Historiographie quand tu nous tiens

Au delà des poésies ou chansons attribuées par les manuscrits à certains des artistes d’Oc ou d’Oil du moyen-âge central, les débats demeurent bon train et ont été incessants chez les médiévistes, romanistes et historiens, autour du peu d’éléments que nous possédons sur nombre de poètes, troubadours ou trouvères médiévaux. Quand les informations ne sortent pas des sources officielles (archives, chartes et documents administratifs, juridiques ou « factuels ») et qu’elles nous proviennent des chroniqueurs – très souvent postérieurs à ceux dont ils « narrent » les faits ou les exploits – le sens critique et encore le fait qu’ils « arrangent » l’histoire à leurs vues ou à celles de leurs commanditaires quand ils en ont, obligent légitimement les historiens à les considérer avec recul. L’expérience et les recoupements ont, par ailleurs déjà largement prouvé que le genre de la « chronique » ou du « récit » médiéval doivent être plus valablement considérées comme des œuvres littéraires que comme des récits fiables; la vérité est donc souvent entre les deux quand elle n’est pas tout simplement ailleurs. Du reste, même pour ce qui est des manuscrits anciens ou « chansonniers », dans une période ou la notion « d’auteur » ne veut pas dire grand chose et corollaire en partie de cela, où la rigueur des copistes est également en cause, ces deco_medievale_enluminures_trouvere_dernières sources se retrouvent elles-aussi passées au crible par les chercheurs et demeurent quelquefois sujet à caution au moment d’attester de l’attribution d’une œuvre ou de démêler l’auteur du « corpus » qu’on lui prête.

Concernant le trouvère du jour,  la  connaissance   que nous en avons, n’échappe pas à la règle et reflète un mouvement qui a suivi les avancées méthodologiques de l’Histoire. Dans les siècles précédent le XIXe et même dans une certaine mesure, jusqu’à lui inclus, on voyait, en effet, souvent le moindre texte d’époque pris pratiquement au pied de la lettre, pour finalement, dans le courant de ce même XIXe et plus encore résolument au XXe, revenir à des constats plus mesurés. On peut en retirer quelquefois l’impression moins confortable que plus rien n’est certain mais elle a au  moins le mérite d’être largement plus objective et salutaire. Sur la question des poètes et artistes du moyen-âge central, on peut observer ce même phénomène à propos des troubadours et des vidas qui furent écrites près de cent ans après eux. On sait aujourd’hui qu’elles doivent être considérées sans doute plus comme des « paraboles » littéraires que comme des « faits » relatés, Michel Zink nous y a aidé. On pourra pourtant trouver encore de nombreux cas où ces récits sont pris pour argent comptant et même affirmés ou repris sans qu’aucun guillemet ne vienne les nuancer ou les sourcer.

Au XXe et XXIe siècle, l’Histoire sérieuse de son côté, a fait la place à sa grande soeur :  l’historiographie et a gagné ainsi largement en recul et en sagesse. Les détours qu’elle prend désormais sont toujours utiles parce qu’ils permettent de déjouer les « certitudes » (qui vont quelquefois jusqu’aux âneries) qui continuent quelquefois de courir alors que les historiens les ont depuis longtemps déconstruites.  Pour revenir au sujet de Blondel de Nesle, afin de démêler l’historique du spéculé, l’hypothétique du certain et finalement le vrai du faux, nous faisons appel ici à un grand connaisseur de littérature médiévale et plus précisément du trouvère : le médiéviste canadien Yvan G Lepage (1941-2005). Il avait notamment fait paraître en 1994, un ouvrage autour de « L’œuvre lyrique de Blondel de Nesle » (Paris, Champion, 1994).

Des origines nobles et picardes  ?

Beau chevalier, blond ?, musicien, poète, amant d’entre les « fine » amants, « compagnon » ou poète proche de Richard Coeur de Lion s’étant croisé héroïquement à ses côtés et l’ayant peut-être même à demi secouru alors qu’il se tenait prisonnier  dans ses geôles autrichiennes, Blondel de Nesle est entré dans la légende sur la foi d’un récit considéré de nos jours comme tout de même plus littéraire qu’historique (Récits d’un ménestrel de Reims 1260).  Comme toute légende reprise au fil du temps, il est venu s’y ajouter encore d’autres « faits » qui, s’ils en sont, sont pour la plupart, plus littéraires qu’avérés.

Biondel de Nesle est contemporain de Gace Brûlé et de Conon de Bethune,  nous le savons d’après ses poésies puisqu’il les cite tous deux et les traite en « compaignon ». Se sont-ils rencontrés à la cour de Marie de Champagne ou de Geoffroy de Bretagne ? Nous ne le savons pas.  Etait-il chevalier, seigneur, noble à tout le moins ? Aucun document ne l’atteste. Certains historiens ont même longtemps deco_medievale_enluminures_trouvere_pensé qu’il ne devait pas l’être puisque les manuscrits ne lui donnaient pas du « Messire », contrairement à d’autres de ses contemporains.

Le fait qu’il nomme des homologues en poésie avec quelque familiarité semble pourtant suggérer  que le trouvère faisait partie d’une certaine noblesse. Pour des raisons d’étiquette et sauf à invoquer une exception à l’intérieur d’une sorte de « confrérie » de poètes, il aurait difficilement pu sans cela les nommer de la sorte. C’est en tout cas l’avis du Médiéviste Holger Petersen Dyggve (Trouvères et protecteurs de trouvères dans les cours seigneuriales de France, 1942). Sur la foi de cette assertion, ce dernier a même établi des rapprochements « possibles » entre « Blondel » qui serait alors un « surnom » et le lignage des seigneurs de Nesle. L’un deux pourrait peut-être se cacher derrière le nom du trouvère : Jehan II ou Jehan I de Nesle ? Le premier,  fidèle de Philippe-Auguste, participa à la bataille de Bouvines et se croisa pour la quatrième croisade. Le deuxième, Jehan 1er prit la croix lui aussi (troisième croisade) mais aux côtés de Richard de Lion auquel il était attaché. Pour des raisons de datation et en songeant aux légendes qui firent plus tard d’un certain Blondel un fidèle du roi d’Angleterre, il pourrait donc s’agir de notre poète, selon Yvan G Lepage,  même si rien n’est certain. Hors de cette hypothèse, le mystère demeure donc autour des origines du trouvère, mais en songeant à l’opposition farouche qui se noua entre Philippe-Auguste et Richard Coeur de Lion, il semble toutefois raisonnable d’écarter l’hypothèse qu’il ait pu s’agir de Jehan II de Nesle.

Naissance d’une légende

On mesure d’autant plus la différence entre notre approche moderne de la notion d’auteur et notre foisonnement documentaire actuel quand on sait que la notoriété de Blondel de Nesle ne faisait pas de doute en son temps. On lui prête en effet les plus belles qualités : artistiques, esthétiques. Adepte authentique de la fine amor (fin’amor), certains auteurs en feront même l’égal du légendaire Tristan dans cette matière. La dizaine de manuscrits dans lesquels on retrouve ses chansons est encore là pour témoigner de sa popularité et son art poétique passera même les frontières de la France pour être imité  jusqu’en Allemagne. Il en fallait peu pour que notre trouvère entre bientôt dans la légende. En 1260, l’ouvrage anonyme d’un ménestrel de Reims se chargea, sur cette question, de lui donner un sérieux coup de pouce.

De belle écriture, l’ouvrage,  écrit plus d’un demi-siècle après les faits, se situe entre la chronique et le récit inventé ou remanié, allant même, par endroits, jusqu’au fantasque. Les exploits respectifs de Richard Cœur de Lion et de Philippe-Auguste durant la croisade y sont notamment et largement revisités à l’avantage de la couronne deco_medievale_enluminures_trouvere_française. Quoiqu’il en soit, suite à l’emprisonnement de Richard en Autriche, un certain ménestrel, « né devers Artois » et dénommé « Blondiaus«  se serait mis à la recherche de l’infortuné. L’ayant retrouvé grâce à une chanson connue d’eux-seuls et qu’ils avaient tous deux composée, le trouvère se serait alors empressé d’aller alerter les gens d’Angleterre de la captivité de leur roi. La légende était née et allait perdurer et même connaître quelques ajouts dans les courants des siècles suivants.

Ce Blondiaus pouvait-il être le trouvère ? S’il était Jehan Ier il avait pu en effet participer à la croisade, être peut-être proche de Richard Coeur de Lion et si, en plus, on le désignait là comme ménestrel, il pouvait s’agir du même homme que Blondel de Nesle ? Au gré des auteurs, la légende fusionna pour en faire une seule et même personne ou s’en dissocia pour prendre son autonomie littéraire, laissant libre cours aux imaginations : beau chevalier, parfait fine amant, fidèle et loyal ménestrel et sujet du non moins légendaire Roi anglais, duc de Normandie et d’Aquitaine, et comte de Poitiers.

De Picardie où Holger Petersen Dyggve le fera naître quelques siècles plus tard sous la foi de ses conclusions, avant lui, on fera même naître le trouvère en Normandie et s’appeler Jehan Blondel (Chronique de Flandre, XIVe siècle). Origine différente donc sous l’influence lointaine des Récits de Reims et de la proximité de Richard Cœur de Lion ?, mais rapprochement troublant toutefois sur le prénom « Jehan » ( même s’il est commun à l’époque)  avec le Jehan Ier de Nesle mentionné plus haut.

Mais alors quoi ?

Pour conclure sur tous ces éléments, les médiévistes tendent à se ranger préférablement sur la théorie de Holger Petersen Dyggve  à propos des origines picardes du trouvère. C’est en tout cas ce que fait avec quelques réserves prudentes, Yvan G Lepage,  le dernier biographe en date de Blondel de Nesle, même s’il s’incline plutôt à penser que le poète médiéval et Jehan 1er de Nesle, croisé lui-même aux côtés de Richard coeur de Lion (plutôt que Jehan II), ont peut-être pu être un seul et même homme. Cela expliquerait en tout cas le fond des « légendes » attribuées au trouvère et pourrait à deco_medievale_enluminures_trouvere_peu près mettre ensemble les pièces du puzzle.

Au passage, du XVIIIe au XXe, entre légendes et créations littéraires, on continuera de trouver sur le compte de Blondel les assertions les plus fantaisistes, y compris dans des ouvrages de vulgarisation (au mauvais sens du terme puisque erronée…). Si vous voulez en avoir le détail, nous vous invitons à consulter directement l’excellent article et les contributions du médiéviste indiquées en pied d’article. Redisons-le, ce grand détour que nous lui devons entièrement, vaut sans doute  autant par sa déconstruction que pour ses affirmations, mais avoir une vision claire de ce que nous ne savons pas mérite quelquefois qu’on l’examine de près et peut s’avérer utile au moment de faire la différence entre une production littéraire et le moyen-âge factuel, ou même pire entre une information « vulgarisée » et une information erronée.

L’œuvre de Blondel de Nesle

Inspirée  des troubadours d’Oc,  l’œuvre de Blondel de Nesle est tout entière dédiée à la lyrique courtoise.  Les pièces vont de vingt-trois (certaines) à un peu plus d’une trentaine suivant les critères retenus par les auteurs.

On les trouve, nous le disions plus haut dans un nombre « important » de manuscrits. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans de futurs articles, ainsi que de publier et commenter pour vous des chansons et poésies de cet auteur.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.


Sources

La douceur de la belle saison et deux grands maîtres de musique ancienne au service du trouvère Gace Brûlé

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, chansonnier Clairambault
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: A la douçor de la bele saison
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Paul Hillier, Andrew Lawrence-King
Album: Chansons de trouvères (1997) Harmonia Mundi

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de découvrir une autre poésie et chanson médiévale du chevalier trouvère Gace Brûlé auquel nous avons dédié précédemment une biographie détaillée.

Chansons de Trouvères,
de Paul Hillier & Andrew Lawrence King

Cette fois-ci, la pièce est interprétée par le baryton et directeur d’orchestre anglais Paul Hillier dans un album, sorti en 1997, chez Harmonia Mundi,  sur le thème des trouvères français du moyen-âge central.

musique_poesie_medievale_chansons_trouveres_moyen-age_central_Paul_Hillier_Andrew_Laurence_kingLe très célèbre et très primé chanteur londonien, installé depuis longtemps déjà aux Etats-Unis y était accompagné de Andrew Lawrence-King musicien britannique également harpiste, organiste mais  aussi directeur de l’orchestre de Guernesey.  Nous sommes donc, avec cet album, face à deux grands maîtres et experts de la musique ancienne.

Pas de grande orchestration ici, mais une production qui entendait privilégier l’essentiel et restituer au plus près ce que pouvait être l’art des trouvères médiévaux.  On y retrouvait en tout neuf pièces dont deux de Gace Brûlé. Hormis deux chansons anonymes, les autres étaient signés de Thibaut de Champagne, Colin Muset et Moniot d’Arras.

album_chansons_de_trouveres_paul_hillier_moyen-age_poesie_chansons_medievalesCet album se trouve encore en ligne, notamment sur Amazon, sous plusieurs formes : des versions neuves importées  un peu plus onéreuses, mais aussi quelques occasions forcément moins coûteuses. En voici le lien, si vous êtes intéressés: Chansons De Trouvères.

 A la douçor de la bele saison par Paul HillierAndrew Lawrence-King

« A la douceur de la belle saison »
Les paroles de Gace Brûlé en vieux-français

On peut retrouver cette chanson de Gace Brûlé dans le Chansonnier Clairambault (voir image ci-dessous) aux côtés de manuscrit_ancien_chansonnier_clairambault_chanson_poesie_musique_medievale_moyen-age_centralquelques quarante-cinq autres qui lui sont attribuées.

Du point de vue du contenu, c’est encore une pièce de lyrique courtoise. Elle commence par la belle saison et son renouveau. Tous ont laissé l’amour et il est lui, le seul, le véritable amant courtois, qui s’y adonne encore. On l’a accusé faussement, on lui a fait du tort. L’a-t-on conspué pour cet amour auquel il fait allusion ici ou pour d’autres raisons ?  Quoiqu’il en soit, il lui reste l’amour de sa dame et sa loyauté pour elle comme refuge. Et il prie qu’elle continue de lui accorder ses faveurs car il ne pourra lui, tant il en est épris et en parfait amant courtois,  se délier de sa loyauté envers elle.

A la douçor de la bele seson,
Que toute riens* (toutes choses) se resplent en verdor,
Que sont biau pré et vergier et buisson
Et li oisel chantent deseur la flor,
Lors sui joianz quant tuit lessent amor,
Qu’ami loial n’i voi mes se moi non.
Seus vueil amer et seus vueil cest honor.

Mult m’ont grevé* (de grever : nuire) li tricheor felon,
Mes il ont droit, c’onques ne·s amai jor.
Leur deviner et leur fausse acheson* (accusation)
Fist ja cuidier que je fusse des lor ;
Joie en perdi, si en crut ma dolor,
Car ne m’i soi garder de traïson ;
Oncore en dout* (de douter : craindre) felon et menteor.

Entor tel gent ne me sai maintenir
Qui tout honor lessent a leur pouoir :
Tant com je m’aim, les me couvient haïr
Ou je faudrai a ma grant joie avoir.
C’est granz ennuis que d’aus amentevoir* (se remémorer quelqu’un),
Mes tant les hé*  (de haïr) que ne m’en puis tenir ;
Ja leur mestier ne leront decheoir. (1)

Or me dont Deus ma dame si servir
Q’il aient duel de ma joie veoir.
Bien me devroit vers li grant lieu tenir
Ma loiauté, qui ne puet remanoir ;
Mes je ne puis oncore apercevoir
Qu’ele des biens me vuelle nus merir* (*récompenser)
Dont j’ai sousfert les maus en bon espoir.

Je n’en puis mes se ma dame consent
En ceste amour son honme a engingnier* (tromper),
Car j’ai apris a amer loiaument,
Ne ja nul jour repentir ne m’en qier ;
Si me devroit a son pouoir aidier
Ce que je l’aim si amoureusement,
N’autre ne puis ne amer ne proier* (courtiser).

Li quens Jofroiz, (2) qui me doit consoillier,
Dist qu’il n’est pas amis entierement
Qui nule foiz pense a amour laissier.


NOTES

(1) ils n’abandonneront jamais leurs mauvaises manières, habitudes.
(2) on peut supposer que le trouvère fait référence ici à Geoffroi II (Geoffroy Plantagenêt), comte de Bretagne, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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La chanson de Roland avec Jean Dufournet et Abdelwahab Meddeb

moyen-age_litterature_medievale_chanson_roland_charlemagneSujet : chanson de geste, poésie, littérature médiévale,  Charlemagne, Roland, Croisades, livres, moyen-âge chrétien.
Période : moyen-âge central, XIe siècle
Auteur (supposé) : Turold
Manuscrit ancien : Manuscrit d’Oxford ,
Titre : La chanson de Roland
Intervenants : Jean Dufournet, Abdelwahab Meddeb
Programme : Cultures d’Islam, France Culture (2008)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 2008, dans le cadre de son programme Cultures d’Islam, France Culture et l’écrivain, poète et érudit tunisien Abdelwahab Meddeb (1946-2014) recevaient l’historien, médiéviste et romaniste Jean Dufournet (1933-2012) autour de la Chanson de Roland. Dans la continuité de notre article précédent sur la geste médiévale et son importance/influence sur l’Europe médiévale. nous vous proposons donc de découvrir ici cet échange.

Mise en contexte de la chanson de Roland

Après un mot sur les anciens manuscrits, Jean Dufournet nous parlera de la chanson de geste, supposée écrite par le clerc Turold, en la remettant dans son contexte littéraire, mais surtout historique et politique. On découvrira ainsi comment trois siècles après les faits et l’épopée de Charlemagne, la Chanson de Roland fut instrumentalisée par son époque pour mettre en valeur la royauté, mais également pour renforcer idéologiquement l’ardeur des croisés. Le médiéviste et son interlocuteur feront aussi quelques intéressants détours pour mettre en valeur les parentés, les similitudes et les divergences entre les deux cultures chevaleresques et religieuses.

jean_dufournet_medieviste_hitorien_romaniste_moyen-age_chanson_rolandSur ces aspects de récupération « idéologique », en l’occurrence à des fins religieuses,, soulignons, comme les deux interlocuteurs en présence ont la finesse de le faire eux-même, qu’il ne s’agit nullement ici et après coup  d’en faire le procès, ni de la fustiger et encore moins de l’encenser. L’analyse critique et contextuelle de Jean Dufournet sur le sujet dépasse, par ailleurs et de loin, les simples visées liées à la croisade : les conflits internes et sociaux, les relations de vassalité du monde féodal et bien d’autres aspects conflictuels et complexes du monde médiéval ne sont pas développés ici pour des raisons éditoriales. Au final, être conscient du soubassement politique de l’oeuvre devrait donc plutôt permettre de transcender ces aspects pour la replacer dans sa réalité médiévale mais aussi pour aller à ses qualités littéraires, c’est en tout cas le voeu formé par le médiéviste, une fois démêlé les aspects idéologiques. L’intention est-elle paradoxale ? Si le chemin est difficile, la démarche est, à tout le moins,  hautement louable, intellectuellement parlant.

Pour le reste, ajoutons que l’instrumentalisation de la littérature à des fins stratégiques a existé de tout temps et plus encore quand ses Abdelwahab_Meddebauteurs dépendaient du pouvoir politique ou religieux pour s’alimenter, On pourrait, comme le disait ici très justement Abdelwahab Meddeb trouver sans peine des exemples de ce procédé de l’autre côté des rives de la croisade ou même en d’autres temps. Rien n’est vraiment nouveau sous le soleil quand il s’agit de motiver les hommes ou les troupes à guerroyer…

Pour clore sur l’aperçu de ce programme, on y survolera encore quelques idées intéressantes : interpénétration, reprise ou réinterprétation des traditions païennes et guerrières dans le cadre chrétien, relation et interdépendance encore du combattant et son épée (pas de Roland sans Durandal, pas de Durandal sans Roland)  qui a peut-être même, selon Jean Dufournet, influencé la matière arthurienne. De fait et comme ce dernier le mentionnera encore au passage, la Chanson de Roland a eu une incidence sur la littérature médiévale, bien au delà de son temps.

Un échange autour de la chanson de Roland avec Jean Dufournet



NB ; pour des raisons techniques le son se trouve indisponible sur la page de France Culture et nous rendons grâce ici à la chaîne youtube Eclair Brut d’avoir pu le préserver et le mettre en ligne. Lien originel du programme sur France Culture (Fichier son indisponible pour le moment).

Le manuscrit  MS Digby 23
de la bibliothèque bodléienne d’Oxford

litterature_geste_medievale_chanson_de_roland_manuscrit_ancien_oxford_MS_digby_23_Bodleian_Library_moyen-ageBien qu’on connaisse un certain nombre de manuscrits anciens contenant la Chanson de Roland, le  manuscrit anglo-normand de la fin du XIIe siècle MS Digby 23,  conservé à la Bodleian Library d’Oxford semble faire autorité en la matière auprès des experts, depuis un certain temps déjà.

Nous disons « semble » parce que pour être le plus ancien, dans le courant du XIXe et une partie du  XXe, les médiévistes ont largement débattu sur la question de la méthodologie permettant d’apporter au public la plus juste restitution de cette chanson de geste. Fallait-il reprendre mot pour mot le manuscrit d’Oxford ou lui préférer une synthèse comparative entre les différentes sources ? A lire les critiques sur les différentes traductions parues autour de la Chanson de Roland, rares furent en tout cas, celles qui firent l’unanimité mais il faut dire que, pour des raisons de contenu, de datation, autant pour sa résonance médiévale, ce texte littéraire demeure un objet d’étude central (et donc sensible) pour bien des historiens médiévaux et romanistes.

La chanson de Roland en Ligne,
quelques références

chanson_roland_jean_dufournet_livre_litterature_medievale_moyen-age_central

En 1993, Jean Dufournet, grand spécialiste de la question comme on l’aura compris, faisait paraître une traduction de la Chanson de Roland, basée sur ce manuscrit d’Oxford. qui fournit la substance de cet échange organisé par France Culture. L’ouvrage est toujours disponible en format poche chez Flammarion. En voici les liens si le sujet vous intéresse.La chanson de Roland : Edition bilingue français-ancien français

Voici quelques autres liens utiles vers des manuscrits anciens ou vers des oeuvres plus récentes :

Le manuscrit d’Orford sur le site de la Bodleian Library (MS Digby 23)

Découvrir et feuilleter La Chanson de Roland sur le site de la BNF (Fac- similé du XIIIe siècle, BnF, MS Français 860)

La chanson de Roland (1922), traduction du  philologue et romaniste français Joseph Bédier (1864-1938) 

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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Rolandskvadet, une ballade norvégienne sur la chanson de Roland par le trio Mediaeval

moyen-age_musique_litterature_medievale_vikings_scandinavie_auteurs_medievaux_charlemagne_rolandSujet : musique, chanson, poésie médiévale, scandinavie, Norvège médiévale, Charlemagne, Roland, Haakon V, littérature courtoise, ballade folklorique, chanson traditionnelle, folk médiéval.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Anonyme
Titre : Rolandskvadet, la chanson de Roland
Interprètes : Trio Mediaeval
Album : Folk Songs (2007)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous voyageons vers le nord de l’Europe et les terres scandinaves à la découverte d’une version toute récente de la chanson de Roland qui nous provient de manière presque inattendue, tout au moins en apparence, de Norvège.

Par quel curieux mystère l’histoire et la fin tragique  du  plus fidèle et héroïque guerrier de Charlemagne peut-elle aujourd’hui se retrouver chantée par un trio originaire de Scandinavie dans un album qui met en exergue les chansons traditionnelles et folkloriques de Norvège ? C’est ce que nous allons nous proposer de vous expliquer dans cet article, en remontant le fil de l’Histoire jusqu’au moyen-âge central.

mort_de_roland_roncevaux_legendes_charlemagne_moyen-age_central_manuscrit_ancien_enluminures
Mort de Roland à Roncevaux, VIIIe siècle (778). MS Français 6465 BnF, département des Manuscrits, Grandes Chroniques de France, Jean Fouquet, (Milieu du XVe siècle)

La Karlamagnùs Saga, la geste de Charlemagne en terres noiroises

A_lettrine_moyen_age_passion la fin du XIIIe siècle et sous le règne de Haakon V de Norvège (1270-1319) parut en vieux norrois (le norvégien ancien devenu aujourd’hui l’Islandais), la Karlamagnùs Saga. Le récit contait l’épopée du grand empereur Charlemagne et la chanson de Roland y avait, bien entendu, sa place.  A la même époque et sans doute à l’initiative du souverain, de source sûre et documentée, une quarantaine d’autres récits, romans ou poésies français furent traduits au coté de cette saga. Il y a pu en avoir plus, mais si c’est le cas, ils se sont perdus en cours de route.

Selon la romaniste et médiéviste danoise Jonna Kjaer (1), les traductions sous Haakon V de cette littérature médiévale française participait d’une volonté du souverain « de mettre la Norvège à la hauteur de la civilisation européenne contemporaine« . Pour être plus spécifique, il était notamment question pour lui d’introduire et  de promouvoir à sa cour et « dans son entourage », les moeurs courtoises.

Les textes ont sans doute et en partie transités par l’Angleterre même si les échanges culturels entre la France et la Norvège, dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, sont des faits établis, notamment à travers certaines abbayes (Saint Victor à Paris) mais encore par des litterature_medievale_Haakon_V_magnusson_de_norvege_duc_oslo_moyen-age_centralclercs norvégiens venus se former à l’Université de Paris.  Parmi les oeuvres concernées, outre la saga de Charlemagne, on retrouvait aussi des chansons de gestes, des pièces courtoises et encore trois romans arthuriens de Chrétien de Troyes.

Bien entendu, pour des raisons sans doute autant liées à la difficulté de transposer mot pour mot l’univers et le contexte historique français dans lesquels baignait la plupart de ces textes (et notamment les chansons de Geste), autant que pour des raisons idéologiques et politiques, les textes une fois traduits n’étaient pas tout à fait les mêmes que les originaux. On notera, par exemple, avec Jonna Kjaer (opus cité), que le peu de goût pour les croisades du souverain norrois l’ont sans doute conduit à en gommer quelque peu l’ardeur dans les versions traduites. (pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’excellent article de la romaniste cité en sources)

Plus tard, au moyen-âge tardif et dans le courant du XVe siècle, un auteur danois vint encore recompiler la Karlamagnus saga pour en produire une version d’un usage plus populaire, en s’aidant aussi d’autres poésies médiévales françaises. Au XIXe siècle, des versions adaptées de cet ouvrage circulaient encore dans les campagnes islandaises ou danoises. Nous trouvons ces faits exposés très clairement dans l’introduction de La chanson de Roland, de l’historien et chartiste Léon Gauthier, datant de 1876 (2)

Rolandskvadet, aux origines de la Chanson
et ballade Norvégienne sur Roland

T_lettrine_moyen_age_passionout cela démontre donc, sans conteste, une réelle popularité de cette saga de Charlemagne en terres scandinaves et, avec elle, la partie qui concerne le chant de Roland de Roncevaux. Cette popularité a perduré au fil des siècles et, de fait, on comprend mieux pourquoi et comment on peut encore, de nos jours, retrouver une chanson norvégienne sur le sujet;  l’intérêt que cette dernière démontre pour l’histoire franque et ses héros vient de très loin.

Si elle fut bien inspirée de la Karlamagnus Saga, cette ballade ayant originellement pour titre  Roland og Magnus kongen (Roland et le Roi Magnus), a été recueillie au début du XIXe siècle par les folkloristes norvégiens. Il semble qu’elle ait été collectée directement auprès des chanteurs populaires issus de la longue tradition des bardes nordiques. Son auteur s’est perdu dans les méandres de la transmission et de la culture orales et nous ne savons pas non plus la dater précisément mais il ne fait aucun doute qu’indirectement au moins elle prend ses racines dans le lointain passé médiéval auquel nous faisions référence plus haut. Depuis, elle a connu de nombreuses variantes; les versions originelles qui comptaient entre 27 et 31 strophes (!) sont quelquefois tronquées, comme c’est le cas de l’adaptation que nous en propose aujourd’hui le Trio Mediaeval.


La Gloire de Roland et de Charlemagne dans l’Europe médiévale

« Roland est un des héros dont la gloire a été le plus oecuménique, et il n’est peut-être pas de popularité égale à sa popularité »
Léon Gauthier la Chanson de Roland

Pour élargir, il est indéniable que la popularité de Roland fut grande, en Scandinavie, comme en de nombreux autres endroits de l’Europe médiévale : Allemagne, Angleterre, Italie, Hollande, … Au moment où les romanciers et poètes du moyen-âge central avaient commencé à donner à la mythologie arthurienne ses premières lettres de noblesse, le roi celte et breton était pourtant loin de rallier tous les esprits à sa cause et à sa référence. Une bonne dose d’imaginaire entourait aussi les récits arthuriens et si on les considérait chant_roland_roncevaux_litterature_chanson_medievale_moyen-age_central« plaisants »  avec Jean Bodel : « Li conte de Bretaigne si sont vain et plaisant », on savait, par ailleurs, que leur nature était, en grande partie, fictionnelle.  Et même si le roi Edouard 1er d’Angleterre dans le courant du XIIIe siècle, se piqua d’intérêt pour l’histoire du roi breton, il fallut compter tout de même sur de notables efforts de l’Abbaye de Glastonbury pour tenter de donner à la légende des chevaliers de la table ronde un fond plus solide de véracité ou au moins de vraisemblance historique.

De son côté, pour romancée, magnifiée ou même encore instrumentalisée que pouvait être l’histoire de Charlemagne et de Roland, ces derniers demeuraient des personnages historiques bien réels et les faits de Charlemagne, grand empereur unificateur, restaient établis à l’échelle européenne. Dans les XIIe et XIIIe siècles et longtemps loin devant Arthur, l’empereur et son fidèle Roland comptaient indéniablement parmi les héros qui faisaient rêver les rois et chanter les bardes jusqu’aux confins des terres de l’Europe médiévale.


La chanson de Roland par le Trio Mediaeval

Le Trio Mediaeval

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondée à Oslo dans les années 1997 par l’artiste Linn Andrea Fuglseth, la formation vocale norvégienne Trio Mediaeval s’est donnée comme ambition de faire revivre les chants monodiques ou polyphoniques sacrés de l’Italie, l’Angleterre et la France médiévales, mais encore d’y adjoindre des ballades ou chansons plus traditionnelles (ou folk) en provenance des répertoires norvégiens, suédois ou islandais, et réarrangées par leurs soins.

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Vingt ans après sa création, le trio féminin continue de se produire activement.  Sa fondatrice et directrice est aujourd’hui entourée de  Anna Maria Friman et Berit Opheim, cette dernière ayant remplacée Torunn Østrem Ossum qui faisait partie de la formation des origines et l’a quitté depuis. En scène ou sur leurs albums, on peut retrouver les trois chanteuses en trio simple ou accompagnées de divers artistes, ceci pouvant aller jusqu’à des formations et orchestrations plus conséquentes.

Retrouvez leur site et toute leur actualité ici (en anglais)

L’album Folk Songs

Q_lettrine_moyen_age_passionuatrième album du trio, Folk Songs entendait renouer avec les racines traditionnelles et anciennes de la musique norvégienne. Trio Mediaeval faisait appel ici à l’artiste Birger Mistereggen spécialiste des percussions dans la pure tradition norvégienne et signait un album résolument folk et 100% nordique.

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Si l’album vous intéresse ou même simplement quelques unes de ses pièces, vous pourrez le trouver au lien suivant en format CD ou en format dématérialisé MP3 : Folk Songs du Trio Mediaeval

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Les paroles de Rolandskvadet du Trio Medioeval & leur traduction française

NB : mon norrois étant aussi pauvre que la misère sur un jour sans pain, la version française des paroles est adaptée par mes soins à partir de leur traduction anglaise. Elle en a donc clairement des limites, mais elle a au moins le mérite de nous permettre d’approcher le texte original.

Seks mine sveinar heime vera
Og gjøyme det gullet balde;
Dei andre seks på heidningslando
Gjøyme dei jarni kalde.

Six hommes restèrent à l’arrière
Pour garder leur or;
Les six autres au coeur de la lande
Brandirent l’acier froid.

Ria dei ut or Franklandet
Med dyre dros i sadel.
Blæs i luren, Olifant,
På Ronsarvollen.

Ils sont sortis des terres franques
Avec des butins dans leurs selles.
Souffle dans ta corne, Olifant,
À Roncevaux.

Slogest dei ut på Ronsarvollen
I dagane två og trio;
Då fekk’kje soli skine bjart
For røykjen av manneblodet.

Ils se battirent à Roncevaux
Pour deux jours, sinon trois;
Et le soleil était obscurci
Par la puanteur du sang des hommes.

Ria dei ut or Franklandet…
(refrain) Ils sont sortis des terres franques…

Roland sette luren for blodiga mundi
Blæs han i med vreide.
Då rivna jord og jardarstein
I trio døger av leide.

Roland porta son cor à sa bouche ensanglantée
Et souffla dedans de toute sa volonté
La terre trembla et les montagnes résonèrent
Durant trois jours et trois nuits.

Ria dei ut or Franklandet…
(refrain) Ils sont sortis des terres franques…

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« ailleurs » viking, réalités européennes médiévales & « Sacré Charlemagne »…

C_lettrine_moyen_age_passion‘est un fait, de nos jours, une certaine littérature, des mouvements musicaux ou même encore de nombreuses troupes médiévales de reconstituteurs sont fortement attirés par les légendes ou la mythologie nordiques ou par l’histoire de ces vikings qui, venant de leurs terres froides, s’installèrent dans le nord de la France entre la fin du haut moyen-âge et le début du moyen-âge central. Pour autant, on s’en souvient sans doute moins, mais il est amusant de constater qu’à une période médiévale un peu plus tardive, les légendes et l’histoire de Charlemagne en provenance des terres franques, autant que la poésie et les chansons de geste françaises qui les vantaient, influençaient grandement la littérature et les esprits du côté de la Norvège et de la Scandinavie.

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Sous la pression même de leurs couronnes, on  voyait  alors dans ces oeuvres littéraires le moyen d’introduire des « éléments civilisationnels » en provenance de l’Europe, autrement dit (pour ne pas entrer dans le difficile débat qui consiste à définir ce qu’est exactement une civilisation) des « choses culturelles » auxquelles on prêtait suffisamment de reconnaissance et de crédit, pour vouloir les voir diffuser au sein de son propre territoire,  Contre les conquêtes et les grandes expéditions du haut moyen-âge, la courtoisie et ses valeurs étaient, semble-t-il, devenues les signes d’une certaine modernité, une norme, en somme, qu’on cherchait même à importer, dusse-t-elle être au passage adaptée et quelque peu remaniée.

Pour parenthèse, on notera encore que cette popularité du thème de Roland est encore relativement présente en Norvège puisque cette chanson a connu plus de sept enregistrements par des groupes folk locaux différents, depuis le milieu du XXe siècle. Dans le même temps, en France, nos chansons sur Charlemagne se réduisent à peu près à une contine pour enfants sur l’invention de l’école, reprise par France Gall dans les années soixante et écrite par son père Robert, parolier et chanteur, un peu avant. Sauf tout le respect dû à la mémoire de l’auteur autant qu’à sa belle et talentueuse interprète, disparue récemment et puisqu’il ne s’agit pas de cela, on conviendra tout de même que du point de vue de notre Histoire, nous avons perdu quelques billes en cours de route… Il fallait bien, semble-t-il quelques norroises passionnées de musiques médiévales et anciennes pour venir nous rappeler les glorieux héros de notre moyen-âge.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.


Sources :

(1) La réception Scandinave de la littérature courtoise et l’exemple de la Chanson de Roland/Af Rúnzivals Bardaga. Une épopée féodale transformée en roman courtois ? Jonna KjaerRomania, 1996.

(2)   La chanson de Roland, Par Léon Gauthier, professeur à l’Ecole des Chartes, sixième édition (1876)

Voir aussi ;

La Karlamagnus-Saga, histoire islandaise de CharlemagneGaston Paris, Bibliothèque de l’École des chartes  Année 1864 

Roland og Magnus kongen, (article très bien sourcé de Wikipédia)