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Culte marial : le miracle du marchand sauvé des eaux dans la Cantiga de Santa Maria 193

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale,  Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge,    sauvetage, croisades, Saint-Louis, De Joinville
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Cantiga  193 « Sobelos fondos do mar »
Ensemble : Sequentia
Album : Songs for King Alfonso X of Castille and León   (1991)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la continuité de nos articles sur le culte marial dans l’Europe médiévale du Moyen Âge central, voici un nouveau récit de miracle tiré du corpus du roi Alphonse X de Castille. Il s’agit cette fois de la Cantiga de Santa Maria  193.

La vierge et son manteau contre les  éléments

Au Moyen Âge, il n’est pas d’éléments terrestres qui puissent arrêter les miracle de la vierge.  Des profondeurs des mers jusqu’aux plus hauts sommets, elle peut, en effet, intercéder en faveur de ceux qui la prient et ont foi en elle, et lever tous les obstacles.

culte-marial-medieval-miracle-saint-vierge-Moyen-age-chretien-cantigas-193Le récit de la Cantiga 193 porte sur un sauvetage en mer miraculeux. L’histoire  se déroule durant ce qui semble être la première croisade de Saint-Louis. Le poète nous conte qu’un marchand fortuné se tenait sur un navire    de la large flotte. L’homme était visiblement entouré de mauvaise compagnie puisqu’il fut jeté par dessus bord par l’équipage qui voulut lui dérober ses biens pour les dépenser à la  guerre.  Quoiqu’il en soit, la vierge intervint et déploya un voile blanc (un drap, un tissu, ailleurs il sera question de son manteau) entre l’homme et les eaux afin qu’il ne fut pas noyé. Quelque temps plus tard, survint une autre nef qui tira l’homme d’affaire. Suite au miracle, il décida qu’il se joindrait à la guerre et tous louèrent la Sainte pour son intervention.

La version de la Cantiga de Santa Maria  193 par Sequentia


Les Cantigas de Santa Maria par  Sequentia

culte-marial_ensemble-medieval_sequentia_cantigas_de_santa-maria_alphonse-X_moyen-ageEn  1991, l’ensemble  Sequentia  fit, à son tour, un tribut aux célèbres cantigas d’Alphonse X. Enregistré en Suisse, l’album sortit l’année d’après sous le label Deutsche Harmonia Mundi. Il contient 18 pièces dont 13 cantigas et a pour titre : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1221-1284).     Pour plus de détails à son sujet voir  :  un chant de Louanges de Cantigas par Sequentia.  Vous pouvez également vous procurer cet album au lien suivant : Sequentia performs    Vox Iberica III by El Sabio.  Quant à la formation de Benjamin Bagby  et  Barbara Thornton, vous la trouverez présentée  ici :  portrait de l’ensemble médiéval Sequentia

Aux origines de la Cantiga 193  :
un récit de Sire de Joinville ?

On trouve la trace de miracles semblables à celui de la Cantiga 193 dans des sources diverses. Pour la plupart d’entre eux, ils portent toutefois sur le sauvetage de plusieurs pèlerins de la noyade par l’intervention de la Sainte. (Les Collections De Miracles De La Vierge en Gallo et Ibéro-Roman au XIII Siècle, Paule V. Bétérous, 1993).  Autour de 1248-1250, un récit de Sire de Joinville a pu également inspirer le souverain d’Espagne. L’histoire conte, en effet, un miracle ayant de troublantes correspondances avec celui du roi espagnol, à ceci près qu’il s’agit d’une chute malencontreuse à la mer, et pas d’une tentative d’homicide. Dans Les mémoires de Saint-Louis de De Joinville, c’est aussi une des nefs royales qui secourut l’homme.  La voici  dans le détail, telle que traduite par  Natalis de Wailly, en 1874  :

jehan_de_joinville_chroniqueur_poete_ecrivain_historien_medievale« 650. Une autre aventure nous advint en mer; car monseigneur Dragonet, riche homme de Provence, dormait le matin dans sa nef, qui était bien une lieue en avant de la nôtre, et il appela un sien écuyer et lui dit : « Va boucher cette ouverture, car le soleil me frappe au visage.» Celui-ci vit qu’il ne pouvait boucher l’ouverture s’il ne sortait de la nef: il sortit de la nef. Tandis qu’il allait boucher l’ouverture, le pied lui faillit, et il tomba dans l’eau, et cette nef n’avait pas de chaloupe, car la nef était petite : bientôt la nef fut loin. Nous qui étions sur la nef du roi, nous le vîmes, et nous pensions que c’était un paquet ou une barrique, parce que celui qui était tombé à l’eau ne songeait pas à s’aider.

651 . Une des galères du roi le recueillit et l’apporta en notre nef, là où il nous conta comment cela lui était advenu. Je lui demandai comment il se faisait qu’il ne songeait pas à s’aider pour se sauver, ni en nageant ni d’autre manière. Il me répondit qu’il n’était nulle nécessité ni besoin qu’il songeât à s’aider ; car sitôt qu’il commença à tomber, il se recommanda à Notre-Dame de Vauvert, et elle le soutint par les épaules dès qu’il tomba, jusques à tant que la galère du roi le recueillît. En l’honneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle, et sur les verrières de Blécourt. « 

 Jean Sire de Joinville Histoire de Saint Louis,
credo et lettre a Louis X
,  Natalis de Wailly (1874)

Contre ce récit miraculeux de Jehan de Joinville, et sous réserve que le roi d’Espagne s’en soit inspiré, on notera que la version de ce dernier ne met pas tellement à l’honneur  la qualité de l’ost du roi de France et, encore moins, certains membres de sa flotte.


Les paroles de la Cantiga de Santa Maria 193
et approche de traduction française

Como Santa Maria guardou de morte u mercadeiro que deitaron no mar.

Comment Sainte-Marie sauva de la mort un marchand qu’on avait jeté à la mer.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra
á poder Santa Maria, Madre do que tod’ ensserra.

Sur les profondeurs des mers et les plus hautes montagnes,
Elle a tout pouvoir Sainte Marie, Mère de celui qui règne sur toute chose,

E daquest’ un gran miragre vos direi e verdadeiro,
que fezo Santa Maria, Madre do Rei josticeiro,
quand’ o Rei Lois de França a Tunez passou primeiro
con gran gente per navio por fazer a mouros guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et, à ce propos, je vous conterai un grand et véritable miracle
Que fit Sainte-Marie, Mère du Roi de  Justice   (Dieu, Jésus),
Quand le roi Louis de France navigua  vers la Tunisie
Avec une grande armée pour faire la guerre contre les Maures.

En ha nave da oste, u gran gente maa ya,
un mercador y andava que mui grand’ aver tragia;
e porque soo entrara ontr’ aquela conpania,
penssaron que o matassen pera despender na guerra

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Sur l’un des navires de son ost, où on comptait beaucoup de gens vils,
voyageait un marchand qui avait avec lui une grande fortune.
Et comme il s’était embarqué seul avec une telle compagnie
Ceux-ci eurent l’idée de le tuer pour dépenser à la guerre

O aver que el levava. E [tal] conssello preseron
que eno mar o deitassen, e un canto lle poseron
odeito aa garganta e dentro con ele deron.
Mais acorreu-ll[e] a Virgen que nunca errou nen erra,

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

 toutes les richesses qu’il avait avec lui. Ils s’accordèrent
pour le jeter à la mer,   et il lui   
attachèrent
une pierre autour de son cou,   et le jetèrent à l’eau.
Mais la Vierge, qui n’a jamais commis de péchés et n’en commettra jamais, vint le secourir.

Que aly u o deitaron tan tost’ ela foi chegada
e guardou-o de tal guisa, que sol non lli noziu nada
o mar nen chegou a ele, esto foi cousa provada;
ca o que en ela fia, en ssa mercee non erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Ainsi, elle vint aussitôt à l’endroit où ils l’avaient noyé
et le protégea de sorte que la mer ne lui fit aucun mal
et ne le toucha même pas. C’est là une chose admise,
que, dans sa miséricorde, elle n’abandonne jamais ceux qui ont foi en elle.

E ele ali jazendo u o a Virgen guardava,
a cabo de tercer dia outra nav’ y aportava;
e un ome parou mentes da nav’ e vyu com’ estava
aquel ome so a agua, e diz: «Mal aja tal guerra

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et l’homme resta couché là où la vierge le protégeait
Et trois jours plus tard, un autre navire s’est approché
Et un homme a arrêté le navire et en voyant comment se trouvait
cet homme sous l’eau, il a dit : «Maudit soit une telle guerre

U assi os omes matan en com’ a este mataron.»
E dando mui grandes vozes, os da nave ss’ y juntaron,
e mostrou-lles aquel ome; e logo por el entraron
e sacárono en vivo, en paz e sen outra guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Dans laquelle les hommes tuent comme ils tuèrent celui-ci.»
Et comme il poussait de grands cris, ceux du navire le rejoignirent
Et il leur montra cet homme ; et ensuite, ils entrèrent (sous les eaux)
et l’en sortirent vivant, en paix et sans autres difficultés.

E poi-lo om’ a cabeça ouve da agua ben fora,
catou logo os da nave e falou-lles essa ora
e disse-lles: «Ai, amigos, tirade-me sen demora
daqui u me deitou gente maa que ameud’ erra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et quand l’homme eut la tête bien hors de l’eau,
Il vit alors ceux du navire et leur fit cette supplique,
et leur dit : « Ah, mes amis, tirez-moi sans tarder
de là où m’ont jeté ces mauvaises gens qui aiment faire du tord (pêcher)« .

Quando os da nav’ oyron falar, espanto prenderon,
ca tian que mort’ era; mais pois lo ben connoceron
e lles el ouve contado como o no mar meteron,
disseron: «Mal aja gente que contra Deus tan muit’ erra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Quand ceux du navire l’entendirent parler, ils furent pris de terreur
car ils pensaient qu’il était mort ; mais ils le connaissaient bien
et en l’entendant conter comment on l’avait jeté à l’eau,
ils dirent :  » Bien mauvaises gens qui contre Dieu agissent à si grand tort »

E depois lles ar contava como sempre as vigias
el jajava da Virgen e guardava os seus dias;
e porend’ o guardou ela e feze-lle no mar vias
que o non tangess’ a agua e lle non fezesse guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et ensuite il leur a conté comment toujours il gardait
Le  jeûne pour la Vierge et célébrait ses fêtes :
Et c’est pour cela qu’elle le protégeait  et le faisait sur les voies maritimes
Pour qu’il ne tombe pas à l’eau et qu’on ne lui fasse pas la guerre.

«E porque entendeu ela que prendera eu engano,
log’ entre mi e as aguas pos com’ en guisa de pano
branco, que me guardou senpre, per que non recebi dano;
poren por servir a ela seerei en esta guerra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et parce qu’elle a compris qu’on m’avait trompé
Alors, entre moi et les eaux, elle a posé, comme un drap (tissu)
Blanc, qui m’a protégé sans cesse, afin que je ne sois pas blessé;
Aussi,    pour la servir, je participerais à cette guerre.

Quando os da nav’ oyron esto, mui grandes loores
deron a Santa Maria, que é Sennor das sennores;
e pois foron eno porto, acharon os traedores
e fezeron justiça-los como quen atan muit’ erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Quand ceux des navires entendirent cela, de très grandes louanges
Ils firent à Sainte Marie, qui est la dame d’entre les dames :
Et puis ils allèrent au port, livrer les traîtres
Et leur firent justice comme on le fait à ceux qui agissent mal.

Poi-la jostiça fezeron, o mercador entregado
foi de quanto lle fillaran quando foi no mar deitado;
e el dali adeante sempre serviu de grado
a Virgen Santa Maria sen faliment’ e sen erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Lorsque le châtiment fut appliqué, le marchand retrouva
tout ce qu’ils lui avaient pris avant de le jeter à la mer.
Et lui, à partir de ce jour, servit toujours de bon gré
La Sainte-Vierge sans faille et sans péchés.


Retrouvez ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées, et leur interprétation par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Monde Médiéval sous toutes ses formes.

Moniot D’Arras : « ce fut en mai » ou la pastourelle d’un loyal amant en peine

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet  : poésie médiévale, trouvère, chanson médiévale, musique ancienne, pastourelle,  amour courtois
Titre : «Ce fut en mai »
Auteur   : Moniot d’Arras, Pierre Moniot   (12 ?)
Période    : XIIIe siècle, Moyen Âge  central
Interprète    :   Martin Best Medieval Ensemble
Album : Songs of Chivalry (1983)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu XIIIe siècle, Moniot d’Arras, connu également sous le nom de Pierre Moniot ou Moniot, composa  plus d’une vingtaine de chansons dont un bon nombre sur le thème de l’amour courtois. Bien qu’on ne connaisse pas précisément les dates de sa vie et de sa mort,  ce poète du Moyen Âge central est contemporain de cette génération demeurée célèbre de trouvères dans laquelle on compte des grands noms comme Colin Muset, Adam de la Halle ou encore Thibaut de Champagne, pour ne citer qu’eux. Il  était même  actif un peu avant eux.

Œuvre  et chansons  de Moniot d’Arras

A en juger par   les adresses de ses poésies, Moniot a entretenu une certaine familiarité avec quelques nobles de son temps : Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, Gérard III, vidame d’Amiens, Jehan de Braine, etc… Il a aussi été suffisamment populaire pour qu’une de ses chansons soit, en partie, citée dans le Roman de la Violette   de Gerbert de Montreuil (autour de 1230).

La plupart des  pièces laissées par Moniot d’Arras sont de nature courtoise et profane. Sur la foi des manuscrits, on lui avait tout d’abord attribué près de 40 chansons, mais l’on doit au médiéviste Petersen Dyggve d’avoir mis un peu d’ordre dans ce corpus ( Moniot d’Arras et Moniot de Paris, trouvères du XIIIe siècle, 1938). Dans ce même ouvrage, ce spécialiste finlandais de littérature romane médiévale  en  a  également profité pour établir des lignes plus claires entre notre trouvère et une autre Moniot avec lequel on l’avait quelquefois confondu :   Moniot de Paris.

Le chansonnier provençal d’Estense

moniot-arras-trouvere-manuscrit-medieval-chansonnier-provence-estense-bibliotheque-modene-sLa chanson que nous vous présentons aujourd’hui est l’une des plus célèbres du trouvère artésien même si son attribution a pu être aussi questionné. Elle se présente sous la forme d’une pastourelle  et a pour titre « L’autrier en mai »  ou encore « Ce fut en mai« .  Du point de vue des sources, on peut la retrouver dans un manuscrit ancien conservé à la Bibliothèque d’Estense  de Modène, en Italie.

Sous la référence  aR44, ce codex de 346 feuillets  est aussi connu sous le nom de Chansonnier provençal d’Estense. Depuis sa création, vers la fin du XIIIe siècle, il est passé entre plusieurs mains et  a  même fait l’objet d’ajouts, au fil du temps. Il est conservé à la Bibliothèque italienne de l’Université d’Estense depuis le XVIe siècle. Dans sa version actuelle, il contient la recopie de nombreuses pièces  et chansons  occitanes, mais également de textes en langue d’oïl et  en vieux français comme celui  du jour.

Ce fut en  Mai de Moniot d’Arras par  Martin Best Medieval Ensemble

Martin Best, un chanteur et musicien anglais,   sur la scène  médievale

martin-best-passion-musiques-ancienne-medievales-portraitDes années 70 aux années 90, le chanteur compositeur, luthiste et multi-instrumentiste  britannique   Martin Best  a conquis un large public  sur la scène des musiques anciennes et traditionnelles. Sur la partie de son répertoire qui touche le Moyen Âge. il a exploré un vaste territoire poétique et musical qui va  de la  Suède,  à l’Angleterre, l’Espagne, la   Provence et  la  France   médiévales.   En près de 30 ans de carrière, il a  ainsi produit  25 albums, certains signés de son nom, d’autres sous les noms de ses formations Martin Best Consort  ou encore Martin Best Medieval Ensemble  

En dehors de la scène musicale,  Martin Best  est aussi connu pour sa longue collaboration avec la troupe théâtrale Royal Shakespeare Company en tant qu’acteur et chanteur. Au carrefour de la musique et du théâtre, il a  même produit en 1979, un album sur les musiques et chansons autour de l’oeuvre de William Shakespeare.

L’album Songs of Chivalry  :
chansons du temps  de la chevalerie

musique-medievale-album-Martin-best-medieval-ensemble-trouveres-troubadours-moyen-ageEn 1983, avec  le    Martin Best Medieval Ensemble, l’artiste présentait l’album Songs of Chivalry. On pouvait y découvrir  19  pièces de choix, issues du répertoire français.

La sélection mêlait troubadours occitans et trouvères de langue d’oïl sur le thème de la chevalerie. Entre courtoisie, chansons de croisades, et même quelques pièces instrumentales, de grands auteurs de la France médiévale s’y trouvaient représentés : Guillaume IX d’Aquitaine, Marcabru, Thibaut de  Champagne,  Blondel de Nesle, Bernart de Ventadorn, Jaufre Rudel, Beatriz de Dia et quelques autres noms encore, dont  Moniot d’Arras et la pastourelle du jour.

Edition & disponibilité

A ce jour, l’album est toujours disponible à la vente en ligne au format  CD ou au format Mp3. Vous pourrez le  retrouver au lien suivant : Songs of Chivalry.

Notons  encore que les travaux du Martin Best    Médiéval Ensemble   sur le thème des troubadours firent l’objet  d’un coffret de 6 CDs  sorti en 1999, sous le titre Music from the Age of Chivalry. Pour l’instant,  il semble qu’il n’ait pas été réédité et il demeure  un peu difficile à trouver.

partition-musique-chanson-medievale-moniot-d-arras-trouvere-moyen-age-XIIIe-siecle


« Ce fut en mai » ou « l’autrier en mai »
de Moniot d’Arras

Ce fut en mai
Au douz tens gai
Que la saisons est bele,
Main* (de bon matin) me levai,
Joer m’alai
Lez une fontenele.
En un vergier
Clos d’aiglentier
Oi* (de ouir) une viele;
La vi dancier
Un chevalier
Et une damoisele.

Cors orent gent
Et avenant
Et molt très bien dançoient;
En acolant
Et en baisant
Molt biau se deduisoient* (se divertir, s’amuser).
Au chief du tor*   (finalement),
En un destor,
Dui et dui s’en aloient ;
Le jeu d’amor
Desus la flor
A lor plaisir faisoient.

J’alai avant.
Molt redoutant
Que mus d’aus* (aucun d’entre eux) ne me voie,
Maz* (triste) et pensant
Et desirrant
D’avoir ausi grant joie.
Lors vi lever
Un de lor per* (des deux)
De si loing com j’estoie
Por apeler
Et demander
Qui sui ni que queroie* (qui j’étais & ce que je voulais).

J’alai vers aus,
Dis lor mes maus,
Que une dame amoie,
A cui loiaus
Sanz estre faus
Tot mon vivant seroie,
Por cui plus trai
Peine et esmai* (trouble, découragement)
Que dire ne porroie.
Et bien le sai,
Que je morrai,
S’ele ne mi ravoie* (revient).

Tot belement
Et doucement
Chascuns d’aus me ravoie* (fig; consoler?).
Et dient tant
Que Dieus briement* (bientôt)
M’envoit de celi joie
Por qui je sent
Paine et torment :
Et je lor en rendoie
Merci molt grant
Et en plorant
A Dé les comandoie* (je prie congé d’eux).


En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Puisque Belle dame m’eime », un chant polyphonique courtois du XIIIe

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets,
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge tardifcentral
Titre:   
Puisque Bele Dame m’eime
Auteur :    Anonyme

Interprète :  Anonymous 4
Album : 
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous avions déjà présenté, il y a quelques semaines, une pièce du Chansonnier médiéval de Montpellier  ( ou   Codex de Montpellier  H196 )  et nous poursuivons aujourd’hui son exploration.

Pour rappel, ce manuscrit ancien des débuts du XIVe fait un immense tribut aux chants polyphoniques et aux motets  du  XIIIe siècle. Il présente, en effet, pas moins de 336 pièces de ce type ( voir article précédent sur le Codex de Montpellier). La chanson médiévale que nous vous présentons, ici, est  àamour-courtois-musique-medievale-motets-chansonnier-montpellier-Moyen-age_s  l’image de la majorité d’entre elles puisqu’il s’agit d’un motet  d’amour courtois ayant pour titre « Puisque Bele Dame m’eime ».   On peut  la trouver interprétée par un certain nombre d’ensembles sur la scène des musiques anciennes et médiévales. De notre côté, nous avons choisi la version de la formation américaine Anonymous 4 pour vous la faire découvrir et nous en profiterons pour vous présenter ce quatuor vocal  à la longue    carrière.

« Puisque Belle Dame m’eime » par L’Ensemble  New-Yorkais Anonymous 4


Anonymous 4 sur les ailes des chants polyphoniques  de  l’Europe médiévale

L’ensemble Anonymous 4 est le fruit de la rencontre de  quatre chanteuses américaines, à l’occasion d’une session d’enregistrement dans un studio new-yorkais, au printemps 1986. Réunies autour d’une même passion pour  les chants polyphoniques et de musique médiévale,   il n’en fallut pas moins pour donner naissance à cette formation.   A plus de  trente ans de là, Anonymous 4  s’est  produit sur scène au cours de plus de 1500 représentations  sur tout le territoire américain. La quatuor a aussi   fait connaître et voyager son art dans la bagatelle de  trente -cinq pays.

amour-courtois-musique-medievale-chants-polyphoniques-anonymous-4Au cours de cette longue carrière qui  a vu son dernier concert en 2015,   Anonymous 4  a fait paraître  près de 30 albums, incluant quatre anthologies pour saluer leur large contribution à la scène des musiques anciennes et médiévales.   La formation ne s’est pas cantonnée au répertoire médiéval et on la retrouve également sur des chants de Noël, des chansons  du temps de la guerre civile américaine ou encore sur des chants celtiques ou anglais plus folkloriques. Du côté du Moyen Âge qui reste tout de même son terrain de prédilection,  Anonymous 4 a eu l’occasion d’exercer son talent sur de nombreux thèmes :  les visions d’Hildegarde de Bingen, les chants dédiés au culte marial médiéval,   le répertoire de Francisco Landini,  et encore bien d’autres  chansons de l’Europe médiévale : France, Angleterre, Hongrie,  Espagne, etc…

Membres de la formation   Anonymous  4

La dernière formation  était composée de   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Jacqueline Horner-Kwiatek.   Au départ, elle fut  fondée par Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Johanna Maria Rose.

Voir le site web de Anonymous  4   (en anglais) – Page FB

Love’s Illusion,   l’illusion de l’amour (courtois) autour  du  chansonnier de Montpellier

En  1993, Anonymous 4   proposait au public un album  intitulé « Love’s Illusion » autour du codex de Montpellier et de ses chants courtois  polyphoniques. Ces pièces étant courtes, le quatuor féminin décidait d’en proposer un bon    chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-age nombre et on en retrouve ainsi pas moins de 29 sur cette production.

Publié chez Harmoni Mundi, on peut encore trouver des exemplaires de cet album à la vente  en ligne. Voici un lien pour en savoir plus  : Love’s Illusion – Motets français des XIIIe et XIVe siècles (CD catalogue). Vous pourrez même y écouter des extraits de chacune des pièces.


Flos filius, « Puisque bele dame m’eime« 

Partition de cette chanson médiévale

On retrouve la partition moderne de cette pièce médiévale  chez Hans Tischler.  En 1978,   le compositeur et musicologue américain  a, en effet, réalisé un excellent travail de transcription musicale sur les pièces du Codex de Montpellier : The Montpellier Codex Fascicles 6,7 and 8.

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« Puisque Bele dame m’eime » – chanson médiévale du Codex de Montpellier. Partition de Hans Tischler

Les paroles en    vieux français
et leur traduction en français moderne

Puisque bele dame m’eime
Destourber ne m’i doit nus;
Quar iere si loiaus drus
Que je n’iere ja tensus
Pour faus amans ne vantanz.
Ja li mesdisant
N’en seront joiant,
Car nul mal ne vois querant;
Mes qu’ami me cleime
Je ne demant plus.

 » Puisque belle dame m’aime
Nul ne doit m’en  empêcher ;
Car j’ai toujours été amant loyal
Et jamais on ne m’a accusé d’être
Faux amant (infidèle) ou vantard.
Désormais, les médisants
Ne pourront plus se réjouir,
Car nul autre mal, je ne cherche ;
Qu’elle me proclame  son ami (amant)
Je ne demande rien de plus. »


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Culte marial : la Cantiga de Santa Maria 29 ou l’apparition miraculeuse d’une vierge sur la pierre

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer »
Ensemble : Micrologus
Album : Madre de Deu(1998)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.

La cantiga 29 ou  l’apparition de l’image
de la vierge  sur  une  pierre

Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi

La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus

Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus

Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigascantigas-santa-maria-29-miracle-culte-marial-micrologus. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.

Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.

La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29

Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou  même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin. En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.

Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora

cantiga-de-santa-maria-29-culte-marial-monde-medieval-traduction-miracle-moyen-age-centralCi-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid

D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement,  on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.

Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29

Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999)De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à  la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant. Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.

A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.


La Cantiga de Santa Maria 29 :  traduction
du galaïco-portugais au français moderne

Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança. 

Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).

Nas mentes sempre tẽer
devemo-las sas feituras
da Virgen, pois receber
as foron as pedras duras.

Dans nos esprits, toujours nous
Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?)
De la vierge car elles furent
Gravées sur des pierres dures.

Per quant’ eu dizer oý
a muitos que foron i,
na santa Gessemani
foron achadas figuras
da Madre de Déus, assi
que non foron de pinturas.

Nas mentes sempre tẽer …

Parce que j’ai entendu dire
Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas
En la Sainte Gethsémani
Qu’on y a trouvé des images
De la mère de Dieu, telles
Qu’elles n’étaient pas des peintures.

Refrain…

Nen ar entalladas non
foron, se Déus me perdôn,
e avia y fayçôn
da Sennor das aposturas
con séu Fill’, e per razôn
feitas ben per sas mesuras.

Nas mentes sempre tẽer …

Elles n’avaient pas non plus été sculptées,
Et, que Dieu me pardonne,
On y voyait les traits
Et l’élégance de la dame
Avec son fils, et elles étaient  bien faites,
Avec raison et
 de justes mesures (dimensions, proportions).

Refrain…

Porên as resprandecer
fez tan muit’ e parecer,
per que devemos creer
que é Sennor das naturas,
que nas cousas á poder
de fazer craras d’ escuras.

Nas mentes sempre tẽer …

Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir
Et apparaître de manière si parfaite
Que nous devons croire
Qu’elle est la dame de la nature
Qui, sur les choses, a le pouvoir
De changer l’obscurité en clarté.

Refrain…

Déus x’ as quise figurar
en pédra por nos mostrar
que a ssa Madre onrrar
deven todas creaturas,
pois deceu carne fillar
en ela das sas alturas.

Nas mentes sempre tẽer …

Dieu voulut la figurer
Sur la pierre pour nous montrer
Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère 

Car il est descendu pour s’incarner
En elle, depuis les hauteurs (le ciel).

Refrain…


Retrouvez ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites, commentées, et présentées par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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