Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, ballade médiévale, poésie morale, ballade, moyen-français, franc-parler, poésie satirique, satire. Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « On ne peut être aimé de tous » Ouvrage : Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome V. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
oici pour nous accompagner un peu de la poésie morale d’Eustache Deschamps, à l’automne du Moyen-âge. Il nous proposait ici une éloge du franc parler et de son pendant : le risque inévitable de déplaire. Comme souvent chez lui, on peut, sans trop de risque, avancer qu’il a puisé l’inspiration de cette ballade directement dans son vécu. A travers son oeuvre, cet auteur médiéval s’est, en effet, toujours montré sous le jour d’un homme direct et d’un seul tenant et s’il s’y est plaint, plus qu’à son tour, d’être en mal de reconnaissance sociale et financière, il n’a pourtant jamais manqué d’adresser de vertes remontrances ou leçons à ses contemporains, et, il faut bien le dire, à tout propos. D’une manière ou d’une autre, il ne fait guère de doute que cette franchise lui ait coûté quelques revers et le forcer à constater qu’elle ne payait pas toujours en ce monde.
Une ballade sur le franc-parler
« On ne puet estre amé de tous. » Citation médiévale, Eustache Deschamps,
Dire « le voir », le « vrai », donc, et ne rien craindre et surtout pas de déplaire. Pour le poète, il n’est qu’un seul être en ce monde, devant lequel on doive répondre : le Tout Puissant. Comme il l’a maintes fois montré, Eustache embrasse et défend les valeurs de ce moyen-âge occidental dans lequel la morale de l’action repose sur fond de valeurs spirituelles et chrétiennes : le jugement des hommes n’est rien, seul celui de Dieu compte. Le salut et le paradis vient s’opposer aux stratégies tordues, aux flatteries et aux menteries. Contre la Malebouche, il demeure le porteur de vérité. Là encore, les beaux parleurs sont montrés du doigt et les mauvaises expériences de la vie curiale dont Eustache nous a souvent parlées ne sont pas très loin. Du reste, la morale n’oublie pas, à nouveau, les puissants et les seigneurs, puisque en bon officier de cour, le poète leur explique encore qu’il leur faut tolérer les critiques et la franchise que leurs subalternes (dont il est) pourraient leur adresser. La boucle est ainsi bouclée.
« On ne puet estre amé de tous »
Chascuns doit faire son devoir Es estas* (condition sociale) ou il est commis Et dire a son seigneur le voir* (la vérité) Si que craimte, faveur n’amis, Dons n’amour ne lui soient mis Au devant pour dissimuler Raison, ne craingne le parler Des mauvais, soit humbles et doulz; Pour menaces ne doit trembler : On ne puet estre amé de tous.
Ait Dieu tout homme a son pouoir Devant ses oeulx* (yeux), face toudis* (tout entier) Ce qu’il devra sanz decepvoir; Lors ne pourront ses ennemis Luy grever, mais seront soubmis Par cellui qui tout puet garder, Qui scet les euvres regarder Des bons et mauvais cy dessoubz, Pugnir maulx, biens rémunérer : On ne puet estre amé de tous.
Car gens qui ont mauvais vouloir Héent* (de haïr) ceuls dont ilz sont pugnis, Et il vault mieulx la grâce avoir De Dieu, pour gaingner paradis, Qu’il ne fait des faulx cuers faillis Qui veulent mentir et flater Et par leur force surmonter Les frans cuers et mettre a genoulz. Faisons bien sanz homme doubter : On ne puet estre amé de tous.
L’envoy
Prince, nul ne doit désirer Pour le los du monde régner* (recevoir les louanges du monde), Mais des biens de Dieu soit jaloux ; Ses officiers doit supporter S’ilz font bien et les contenter : On ne puet estre amé de tous.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, lyrique courtoise, désillusion, rejet Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Pos vezem que l’iverns s’irais Interprète : la Rosa Salvatja, Maurice Moncozet Concert (extrait) : Tenso Electrica (2011)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie occitane du grandiloquent Peire Vidal. Frappé par les affres de la trahison amoureuse, le troubadour nous contera ici toute l’étendue de ses désillusions, mais aussi de sa colère et de son amertume. Cette belle chanson médiévale, empreinte d’émotion, va également nous fournir l’occasion d’approcher, de plus près, le talent d’un grand artiste qui s’est consacré largement au répertoire musical du Moyen-âge. Il s’agit de Maurice Moncozet, en compagnie, ici, de son ensemble médiéval La Rosa Salvatja ( la rose sauvage).
Peire Vidal au prisme de la Rosa Salvatja de Maurice Moncozet
Maurice Moncozet : la passion de la poésie et des musiques occitanes médiévales
Co-fondateur de l’Ensemble Tre Fontane, on doit encore à Maurice Moncozet la création, aux débuts des années 2000, de la formation La Ròsa Salvatja. Il a également participé au groupe Trob’Art de Gerard Zuchetto ou encore à l’ensemble Concert dans l’Oeuf, tous deux dédiés au répertoire médiéval. Rebec, chant, flûte, cet artiste multi-instrumentiste a décidément tous les talents et si sa passion marquée pour les musiques en provenance du Moyen-âge n’est plus un secret pour personne, il s’est aussi ouvert, au fil de sa longue carrière, sur bien d’autres genres musicaux : des musiques de scène au registre des musiques plus contemporaines. On reconnaîtra d’ailleurs, sans peine, cette dernière influence, dans la pièce du jour.
Tenso electrica et la Rosa Salvatja : a la fusion de la musique médiévale et contemporaine
Dans le courant des années 2010, avec son ensemble La Rosa Salvatja, Maurice Moncozet décida, en effet, d’opérer une audacieuse fusion de genres, à travers un programme dénommé Tenso electrica. Cet ambitieux programme se proposait de revisiter le répertoire des troubadours occitans, en y adjoignant la contribution de la musique électronique et contemporaine. Dix pièces étaient ainsi présentées, en provenance des répertoires de Jaufré Rudel, Bertrand de Born, Bernart de Ventadorn et encore Peirol, Raymon de Miraval et Peire Vidal. Que l’on se rassure, rien de froid dans cette interprétation où se mêlent sons modernes et instruments anciens. Le rebec et la voix de l’interprète demeurent au service de l’oeuvre et rien n’y est dénaturé. Au contraire, le troubadour et son envoûtante mélopée renaissent, sous nos yeux, dans une étonnante modernité, qui ne dessert en rien l’émotion de l’amant courtois. Un site web complet a été dédié à ce programme à découvrir ici : Tenso electrica.
L’hiver des sentiments et la colère
d’un troubadour trahi par sa dame.
Comme nous le disions plus haut, bien que prise dans la lyrique courtoise, cette chanson en est en quelque sorte le pendant négatif. A travers les revers d’un amant courtois, ce n’est plus l’attente et l’espoir qu’elle ne nous conte, mais la désillusion et la rupture. Trahi, déçu, après avoir été même vertement critiqué ( on peut le deviner entre les lignes), le troubadour renonce et se retranche dans la colère.
Pour cette traduction d’oc vers le français moderne, nous marchons, avec quelques revisites, dans les pas de Joseph Anglade et l’ouvrage qu’il consacra, aux débuts du XXe siècle à l’oeuvre et aux chansons du troubadour : Les poésies de Peire Vidal, Joseph Anglade, chez Honoré Champion, 1913. Si vous en avez la curiosité, vous pourrez également trouver une autre traduction de cette chanson sur la page du programme de la Rosa Salvatja.
Pos Vezme que l’iverns s’irais
chanson médiévale de Peire vidal
I Pos vezem que l’iverns s’irais E part se del tems amoros, Que non aug ges voûtas ni lais Dels auzels per vergers folhos, Per lo freit del brun temporal Non laissarai un vers a far, E dirai alques mon talan.
Puisque nous voyons que l’hiver s’irrite Et qu’il s’éloigne du temps amoureux, Puisque je n’entends plus ni chants, ni chansons D’oiseaux par les vergers feuillus, Dans le froid du temps sombre Je composerai une poésie Et je dirai quels sont mes désirs.
II Lonc desirier e greu pantais N’ai agut al cor cobeitos Yes cela qui suau me trais ; Masanc ves li non fui greignos, Anz la portava el cor leial ; Molt fui leugiers a enganar, Mas peccat n’aia de l’aman.
Longs désirs et graves tourments (rêves), J’ai eu, en mon cœur avide, Pour celle qui, doucement, m’a trahi, Et cependant jamais je n’ai murmuré contre elle, Mais je la portais dans mon cœur loyal ; Je fus très facile à tromper, Mais qu’elle soit punie à cause de son amant.
III No gens per autr’ orgolh no*m lais De s’amor, don tan sui coitos, E conosc ben corn ben mi pais E fui galiatz ad estros. Las ! remasutz sui del cabal, Qu’anc per autra non vole ponhar Per me ni per mon Drogoman.
Ni pour un autre orgueil je ne m’éloigne De son amour dont je suis si désireux ; Et cependant je sais bien comment elle m’a payé Et comment je fus rapidement trompé. Hélas ! je suis resté en son pouvoir, Car jamais pour une autre, je n’ai voulu me consacrer, Ni pour moi ni pour mon Drogoman.
IV Totz meschavatz, car a gran fais Me teng, dona, quan pens de vos, Et quant n’aug parlar, m’es esglais, Et ja jorn no*n serai gaujos, Qu’eu sui iratz de vostre lau Et ai joi de vostre blasmar E plason me tuit vostre dan.
Tout me peine et c’est un grand fardeau dans lequel, Je me tiens, dame, quand je pense à vous ; Et quand j’entends parler de vous, cela me tue (me mine) ; Et désormais, jamais je ne serai joyeux, Car je suis irrité d’entendre qu’on vous loue, Et suis heureux de vous entendre blâmer, Et je me réjouis de tout le mal qui peut vous advenir.
V Non pose mudar que no – n biais Ves aquel joi tant orgolhos, Qu’anc non vi orgolh non abais ; Quan plus en poja, melhs cai jos ; Et es fols qui ve e qui au, E si non sab son melhs triar ; E n’a el siècle d’aquels tan !
Je ne puis m’empêcher de me détourner de cette joie si orgueilleuse ; Car jamais je n’ai vu d’orgueil qui ne s’abaissât ; Plus il monte haut, plus il tombe bas ; Et il est fou celui qui voit et qui entend Et qui ne sait pourtant choisir le meilleur parti ; Et, dans le monde, il y a tant de ces gens-là !
VI Hui mais s’en fenhan drutz e lais, Cel qui non estan enoios, Qu’a totz l’esfenis e lo lais Per so que nern soi poderos. Pos poder no’i sai ben ni mal, Ben es dreitz qu’om lo desampar ; Et ai ne perdut mon afan.
Désormais, qu’ils s’en occupent, hommes courtois et vilains, Ceux qui ne sont pas ennuyeux ; A tous ceux-là, je l’abandonne et la laisse,
Puisque je n’y puis pas assez puissant
Et que je ne sais rien du pouvoir, bon ou mauvais, Il est bien juste qu’on l’abandonne ; Quant à moi, j’y ai perdu ma peine.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, amour courtois, oc. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Bernart de Ventadorn, (Bernatz) Bernard de Ventadour. (1125-1195) Titre : Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Interprète : Camerata Mediterranea Album : Bernatz de Ventadorn, le fou sur le pont (1993)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie lyrique occitane du Moyen-âge central par la grande porte puisque nous vous présentons une nouvelle chanson de Bernart de Ventadorn ( Bernard de Ventadour).
S’il a compté parmi les nombreux troubadours du XIIe siècle, ce noble limousin est demeuré l’un des plus célèbres et reconnus d’entre eux. On le considère même comme un représentant des formes poétiques les plus abouties de la Langue d’Oc. Pour accompagner cette chanson médiévale, trempée de fine amor (fin’ amor)et de lyrique courtoise, nous nous appuierons sur l’interprétation de la belle formation Camerata Mediterranea.
Bernatz de Ventadorn par la Camerata Mediterranea
Bernatz de Ventadorn : le fou sur le pont
C’est en 1993 que la Camerata Mediterranea de Joel Cohen et de Anne Azéma décida de faire une incursion approfondie dans l’univers de Bernart de Ventadorn. Il faut dire que le legs plutôt prolifique du troubadour offrait l’embarras du choix (de quelques 45 chansons à près de 70, en fonction des biographes et médiévistes). Au sortir, l’ensemble médiéval choisit de présenter 17 pièces. parmi lesquelles on trouvait, bien sûr, des chansons du troubadour, mais également des extraits lus de sa Vita.
Pour l’instant, cet album n’est, semble-t-il, pas réédité, mais on peut tout de même en trouver quelques exemplaires à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le Fou sur le Pont de Joel Cohen.
Sur l’art et la musique des troubadours de langue occitane mais aussi de langue galaïco-portugaise, rappelons que la Camerata Mediterranea n’en était pas à son premier galop d’essai. Trois ans avant cette production dédiée à Bernard de Ventadour, elle avait, en effet, régalé son public d’un album consacré à ce large répertoire. Sous le titre Lo Gai Saber : Troubadours et Jongleurs 1100-1300,on y trouvait déjà deux chansons de Bernart.
Au renouveau,
le fine amant courtois entre joie et détresse
Dans la pure tradition médiévale courtoise, notre fine amant et troubadour s’éveille ici, avec le printemps, aux joies de l’amour et la nature se joint au concert pour lui envoyer comme autant de signes de son émoi intérieur (cf l’homme médiéval et la nature avec Michel Zink). Pourtant, comme le veut la tradition, derrière la joie viendra aussi se nicher, invariablement, la souffrance et, encore, ce qu’on pourrait être tenté d’appeler, de nos jours, la frustration.
Comme nombre de ses contemporains troubadours, Bernard de Ventadour nous chante ici, un amour caché, voilé, silencieux qui, pour le coup, ose même à peine se confesser auprès de l’élue. Hors des conventions et de la bienséance, ce sentiment et ce désir, qui flirtent avec les interdits, emportent aussi avec eux leur lot habituel de jalousie et d’inimitié : ces ennemis, médisants ou délateurs qu’on devine dans l’ombre.
Dans cette pièce, Bernard, transporté par son désir ajoutera même une touche d’érotisme et de sensualité avec un baiser volé à sa dame dans son sommeil. L’aimera-t-elle ? Lui cédera-t-elle ? Feindra-t-elle ? Le destin du désir dans l’amour courtois est de ne pouvoir se poser sur son objet, au risque d’y éteindre sa flamme. Sa sublime et son point culminent se situent dans l’attente, l’incertitude, le doute et il faut que le prétendant de la lyrique courtoise demeure voué à l’inconfort ; sa gloire, sa perfection, sa consécration même en tant que fine amant, étant la force qu’il a de l’accepter ou de s’y résigner.
Notes sur la traduction
Une fois n’est pas coutume, pour cette traduction nous suivons, sans en changer une seule virgule, le travail de Léon Billet, grand spécialiste de Bernard de Ventadorn, dans son ouvrage Bernard de Ventadour troubadour du XIIème siècle, Orfeuil (1974). Chanoine de son état, cet auteur et biographe fut primé à plusieurs reprises pour ses ouvrages. De son vivant, il créa aussi une association autour de Bernard de Ventadour et de son legs, ayant pour nom la Société Historique des Amis de Ventadour. Si vous vous intéressez de près à ce grand troubadour, nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir leur site web. Vous y trouverez une information foisonnante sur l’oeuvre du poète limousin, mais aussi sur les duchés et fiefs rattachés à son nom.
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît
En introduction de cette pièce interprétée par la Camerata Meditteranea et servie par la voix de Jean-Luc Madier, on trouve, comme indiqué plus haut, un extrait de la vida de Bernard de Ventadour:
E·l vescons de Ventadorn si avia moiller bella, joven e gentil e gaia. E si s’abelli d’En Bernart e de soas chansos e s’enamora de lui et el de la dompna, si qu’el fetz sas chansos e sos vers d’ella, de l’amor qu’el avia ad ella e de la valor de leis.
« Le vicomte de Ventadour avait une femme belle, jeune, noble et joyeuse. Et, en effet, elle apprécia Bernart et ses chansons, et s’éprit de lui, et lui de la dame ; aussi fit-il ses chansons et ses « vers » à son sujet, et sur l’amour qu’il avait pour elle et sur ses mérites. »
I
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par E la flors boton’ el verjan E.l rossignols autet e clar Leva sa votz e mou so chan Joi ai de lui e joi ai de la flor Joi ai de mi e de midons major Daus totas partz sui de joi claus e sens Mas sel es jois que totz autres jois vens
Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît et la fleur bourgeonne sur la branche et le rossignol haut et clair élève sa voix et entame son chant j’ai joie de lui et j’ai joie de la fleur et joie de moi-même et joie plus grande de ma dame. De toutes parts je suis endos et ceint de joie mais celui-ci est joie qui vainc toutes les autres.
II
Ai las com mor de cossirar Que maintas vetz en cossir tan Lairo m’en poirian portar Que re no sabria que.s fan Per Deu Amors be.m trobas vensedor Ab paucs d’amics e ses autre seignor Car una vetz tan midons no destrens Abans qu’eu fos del dezirer estens
Hélas comme je meurs d’y penser car maintes fois j’y pense tellement des voleurs pourraient m’emporter que je ne saurais rien de ce qu’ils font Par Dieu ! amour tu me trouves bien vulnérable avec peu d’amis et sans autre seigneur pourquoi une fois ne tourmentes-tu pas autant ma dame avant que je ne sois détruit/éteint de désir ?
III
Meraveill me com posc durar Que no.ill demostre mo talan Can eu vei midons ni l’esgar Li seu bel oill tan be l’estan Per pauc me teing car eu vas leis no cor Si feira eu si no fos per paor C’anc no vi cors meills taillatz ni depens Ad ops d’amar sia tan greus ni lens
Je m’étonne comment je peux supporter si longtemps de ne pas lui révéler mon désir quand je vois ma dame et la regarde. Ses beaux yeux lui vont si bien à peine puis-je m’abstenir de courir vers elle et je le ferais ne serait la peur car jamais je vis corps mieux taillé et peint au besoin de l’amour si lourd et tard.
IV
Tan am midons e la teing char E tan la dopt’ e la reblan C’anc de me no.ill auzei parlar Ni re no.ill quer ni re no.ill man Pero ill sap mo mal e ma dolor E can li plai mi fai ben et onor E can li plai eu m’en sofert ab mens Per so c’a leis no.n aveigna blastens
J’aime tant ma dame et je la chéris tant et je la crains tant et la courtise tant que jamais je n’ai osé lui parler de moi et je ne lui demande rien et je ne lui mande rien. Pourtant elle connaît mon mal et ma douleur et quand cela lui plaît, elle me fait du bien et m’honore et quand cela lui plaît, je me contente de moins afin qu’elle n’en reçoive aucun blâme.
V
S’eu saubes la gen enchantar Mei enemic foran efan Que ja us no saubra triar Ni dir re que.ns tornes a dan Adoncs sai eu que vira la gensor E sos bels oills e sa frescha color E baizera.ill tan la boch’ en totz sens Si que d’un mes i paregra lo sens
Si je savais enchanter les gens mes ennemis deviendraient des enfants de façon à ce que même pas un seul sache choisir ni dire rien qui puisse tourner à notre préjudice. Alors je sais que je verrai la plus gracieuse et ses beaux yeux et sa fraîche couleur et je lui baiserais la bouche dans tous les sens si bien que durant un mois y paraîtrait la marque.
VI
Be la volgra sola trobar Que dormis o.n fezes semblan Per qu’e.ill embles un doutz baizar Pus no vaill tan qu’eu lo.ill deman Per Deu domna pauc esplecham d’amor Vai s’en lo tems e perdem lo meillor Parlar degram ab cubertz entresens E pus no.ns val arditz valgues nos gens
Je voudrais bien la trouver seule qu’elle dorme ou qu’elle fasse semblant pour lui voler un doux baiser car je n’ai pas le courage de le lui demander. Par Dieu dame nous réussissons peu de chose en amour le temps s’en va et nous perdons le meilleur nous devrions parler à mots couverts et puisque la hardiesse nous est d’aucun recours recourons à la ruse.
VII
Be deuri’om domna blasmar Can trop vai son amic tarzan Que lonja paraula d’amar Es grans enois e par d’enjan C’amar pot om e far semblan aillor E gen mentir lai on non a autor Bona domna ab sol c’amar mi dens Ja per mentir eu no serai atens
On devrait bien blâmer une dame si elle fait trop attendre son ami car long discours d’amour est d’un grand ennui et paraît tromperie car on peut aimer et faire semblant ailleurs et gentiment mentir là où il n’y a pas de témoins. Excellente dame, si seulement tu daignais m’aimer je ne serais jamais pris en flagrant délit de mensonge.
Tornada
Messatger vai e no m’en prezes mens S’eu del anar vas midons sui temens
Envoi
Messager va et qu’elle ne m’en estime pas moins si je crains d’aller chez ma dame.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : citations, homme médiéval, nature, moyen-âge, poésie médiévale, représentations Période : moyen-âge central Auteur : Michel Zink, Sources : Nature et sentiment. Littérature n°130, 2003
Bonjour à tous,
n 2003, dans un article de la revue Littérature, l’académicien et spécialiste de littérature médiévale Michel Zink s’interrogeait sur le « sentiment de la nature » au moyen-âge et, dans cette continuité, sur les interrelations entre homme médiéval et nature. Aujourd’hui, nous partons, à la rencontre d’une partie de ses réflexions sur le sujet, touchant notamment à la nature dans la poésie lyrique médiévale. Au passage, nous le suivrons sur la déconstruction qu’il opère sur quelques possibles idées reçues sur la question. Au programme donc et partant d’une citation extraite de cette article : définitions et sens nichés sous le terme de nature dans la poésie du moyen-âge, ou encore altérité médiévale contre représentations modernes.
La Nature médiévale
au service de la lyrique courtoise
La nature ne fournit pas au poète courtois du moyen-âge central, un simple décorum à ses envolées poétiques, elle est son inspiration, sa respiration. Le fine amant courtois y mire son âme et ses propres sentiments comme dans un miroir et, dans ce dialogue, il est d’abord question d’un contact émotionnel intime ; son cœur bat au rythme des saisons, entre le sommeil triste, froid, et quelquefois mortel de l’hiver et les chaleurs printanières porteuses de promesses de nouveaux éveils amoureux, avec leurs bois qui reverdissent et leurs chants d’oiseaux complices.
Si nos esprits modernes pourraient être tentés d’interpréter comme une forme « d’écologie » avant la lettre, ce « bon temps » où le cœur de l’homme battait à l’unisson de mère nature, il faut pourtant se garder de s’y précipiter. Une des particularités premières de la perception-représentation de l’idée de nature au moyen-âge, est, en effet, d’être d’abord appréhendée comme reflet de la création divine. Comme Michel Zink nous le rappelle ici : « La notion de nature au Moyen Âge renvoie fondamentalement à l’action créatrice de Dieu ». Elle est sa main, et même plus loin, « elle est Dieu ». Entre le créateur, sa création et ses créatures, la relation est symbiotique, presque charnelle.
“(…) l’homme médiéval se conçoit si entièrement comme une créature, comme un produit de la nature, qu’il n’envisage pas de porter sur le monde dans lequel il est immergé un regard extérieur et distancié.” Michel ZINKNature et sentiment. Littérature n°130, 2003
Si la poésie courtoise médiévale a fait de la nature cet interlocuteur qui accorde le poète et ses sentiments amoureux, au point de l’y avoir réduite, par endroits, il ne s’agit donc pas là d’une nature « objectivée ». Autrement dit, pas question ici de « paysages » ou de contemplation de son vivant spectacle, qui susciteraient une émotion à part entière et sa large palette de nuances. Si la nature inspire, reflète, influe sur les dispositions amoureuses du poète, susurre à son oreille, c’est toujours pour mieux lui renvoyer l’image de son désir ou de sa dame, comme autant de « projections » mises au service des nouvelles formes d’expressions sentimentales que le Moyen-âge concocte à travers la lyrique courtoise. Instrumentalisée par le fine amant, cette nature médiévale s’épuise souvent tout entière dans « l’obsession » amoureuse de ce dernier. Si elle vibre à l’unisson d’une créature, le poète, qui lui est inextricablement spirituellement lié et qui ne peut totalement s’en abstraire pour la distancier, il est question de résonance et pas d’objet de contemplation doté de ses « propres » propriétés intrinsèques. Là encore, citons Michel Zink ;
» (…) le sens véritable de la nature se trouve dans la participation à la nature, et non dans le regard porté sur elle, regard distancié qui ne la voit pas elle-même ni pour elle-même, mais qui voit en elle l’objet qui occupe l’esprit et qui la modèle en fonction de lui. » Michel ZINK (opus cité)
Pour que la nature devienne un sujet de contemplation, une source à part entière d’inspiration, suscitant son lot de nouvelles émotions, il faudra attendre les siècles suivants. Dans le même esprit bien sûr, cette notion de nature médiévale ne recouvrera pas non plus le sens qu’on lui donne parfois, de nos jours, de territoire vierge, non encore domestiqué ou conquis, par l’homme (il n’en reste d’ailleurs plus guère). Pour élargir ces réflexions, nous vous conseillons la lecture de l’article de Michel Zink dans son entier sur Persée (1).