Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, compositeur médiéval, français 146, vieux -français, langue d’oïl Période : Moyen Âge, XIIIe s, XIVe siècle
Auteur : Jehannot(Jehan) de Lescurel Interprète : Ensemble Gilles Binchois Album : Fontaine de Grace, Virgin Classics 1991/92.
Bonjour à tous,
ous partageons, à nouveau, aujourd’hui, un peu de la poésie courtoise du trouvère Jehan de Lescurel. On se souvient que cet auteur-compositeur médiéval n’a laissé comme legs qu’un peu plus d’une trentaine de pièces, toutes centrées sur l’amour courtois. On les a retrouvées annexées à un manuscrit daté des débuts du XVe siècle et contenant une copie du roman de Fauvel.
Référencé MS français 146, l’ouvrage est conservé à la Bnf et consultable en ligne ici sur Gallica. On peut aussi retrouver ces chansons médiévales retranscrites dans une graphie plus moderne, dans un livre de 1855, signé d’Anatole de Montaiglon :Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle. L’ouvrage papier a été réédité en 2010 chez Nabu Press.
Du point de vue de leur écriture musicale, les compositions de Jehannot de Lescurel le placent à la transition des dernières trouvères et des premiers compositeurs de l’Ars Nova.
L’Ensemble Gilles Binchois à la découverte de Jehan de Lescurel
Jehan de Lescurel – Fontaine de Grace (Ballades, virelais et rondeaux)
En 1991, sous la direction de Dominique Vellard, l’Ensemble médiéval Gilles Binchois enregistrait un album entièrement consacré à l’œuvre de Jehan de Lescurel. Pas moins de vingt pièces du trouvère y étaient ainsi proposées, entre lesquelles on pouvait découvrir deux versions de la chanson du jour : une vocale et instrumentale (présentée ci-dessus) et une autre uniquement instrumentale.
Pour en savoir plus sur cet album, nous vous invitons à consulter la page qui lui est dédiée sur Amazon. Il s’y trouve, en effet, toujours à la vente, mais en plus du format CD, le format MP3 est aussi disponible ce qui offre l’avantage de pouvoir pré-écouter les pièces pour s’en faire une idée. A toutes fins utiles, en voici le lien : Jehan de Lescurel – Fontaine de Grace (Ballades, virelais et rondeaux)
« Amours, trop vous doi cherir » dans le vieux français de Jehan de Lescurel
Bien qu’en langue d’oïl, la pièce du jour ne présente pas de grandes difficultés de compréhension. Nous ne vous donnons donc que quelques clés de vocabulaire qui devraient suffire à l’appréhender. Du point de vue du contenu, c’est donc une pièce courte d’amour courtois qui s’occupe à mettre en valeur l’éternelle contradiction dans laquelle le fin amant courtois se tient pris, entre espoir et inconfort, ou encore entre joie et tristesse.
Amours , trop vous doi cherir Et haïr com anemie ; Souvent me faites palir Et fremir par vo mestrie (1) : Puis, par promesse d’aïe (2), Me rapaiez (3) en pou d’eure : Aussi souvent chans et pleure.
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteur médiéval, moyen-français, poésie morale, folk, musique Auteur :François Villon (1431-?1463) Titre : extrait du testament Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Interprète : Evgen Kirjuhel Album: 12 poèmes en langue française
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous nous éloignons un peu des compositions musicales purement médiévales pour revenir aux inspirations plus modernes qu’ont pu susciter les auteurs et poètes du Moyen-âge chez nos compositeurs et chanteurs contemporains. C’est avec François Villon que nous y revenons. On sait qu’il a inspiré Georges Brassens, Léo Ferré, Monique Morelli et d’autres encore et, pour cet article, c’est un extrait du Testament mis en musique et chanté par Evgen Kirjuhel que nous vous présentons.
Un extrait du testament de François Villon chanté par Evgen Kirjuhel
Evgen Kirjuhel itinéraire et portrait
d’un artiste insatiable
Né en 1929, Evgen Kirjuhel (nom de scène et d’écriture de Jean Frédéric Brossard) est un auteur-compositeur-chanteur à la longue carrière. Inclassable, il a, jusque là, œuvré dans un registre qui va de la chanson bretonne et française poétique ou sociale, à des expérimentations textuelles et musicales aux origines culturelles très diverses : de la Grèce ancienne à la musique contemporaine, au jazz, au flamenco, en passant par bien d’autres univers musicaux ou poétiques.
Chanson sociale et militante
D’origine parisienne, l’artiste s’est cherché dans les arts du théâtre et de la musique jusqu’aux années 68. Leur impact a éveillé chez lui une vocation plus engagée et il s’est alors engagé plus clairement vers la chanson militante et sociale. Durant ces années là, il s’est rangé notamment aux côtés des révoltes ouvrières et paysannes. Installé en Bretagne, il a fait, un peu plus tard, l’apprentissage de la langue et commencé à écrire, ses premières chansons bretonnes. Il allait, bientôt, en devenir une des icônes. La mouvance folk bat alors son plein dans la région. L’artiste la côtoie tout en restant un peu à part. Son intérêt reste à la colère sociale et, dans les années qui suivent, il conservera ce ton à la fois militant et poétique. Il créera même son propre label indépendant pour véhiculer ses textes et ses compositions.
Le temps des voyages
La fin des années 70 sera source pour Evgen Kirjuhel de nouveaux horizons. La Bretagne a-t-elle un peu perdu de sa verve et laissé en chemin certains des engagements militants des premières heures des soixante-dix ? En tout cas, l’artiste s’en est éloigné avec, dans ses valises, grand soif d’aventure et de découvertes : Allemagne, Afrique, Grèce, il est de tous les voyages et de toutes les expériences. S’il n’est pas question pour lui de faire le deuil de ses sensibilités premières, sans doute cherche-t-il aussi autre chose à présent ; d’autres nourritures. La poésie des grands auteurs l’inspire, celle des celtes, des français mais encore celle des grecs anciens. Ses recherches s’étendent aussi sur l’expérimentation instrumentale et musicale à partir des berceaux culturels qu’il explore et au delà, à l’inde, au Tibet, la Turquie, le Japon, et même la musique plus contemporaine. Il inventera même un instrument à la mesure de sa créativité, une harpe baptisée « nucléaire » aux cordes métalliques et au son unique.
Cherchant son propre chemin poétique et musicale dans la synthèse et la modernité, Evgen se refuse à être cantonné au registre des musiques folkloriques ou traditionnelles. Il ne l’a, du reste, jamais été, puisque, face aux compositions anciennes, il n’a cessé de vouloir les transcender, recomposer, adapter, actualiser. En 1996, à l’aube des années 2000, il fondera Revoe Productions une maison d’édition à sa mesure, pour distribuer ses productions : quelques simples syllabes pour une triple lecture et une étymologie qui contient à la fois tous ses rêves, toute sa révolte et tout son goût pour l’évolution ; trois clefs essentiels pour comprendre son itinéraire atypique.
12 poèmes en langue française, l’album
En 86, Evgen Kirjuhel décida de faire tribut aux poètes de langue française, de Villon à Rimbaud. Il mis ainsi en chansons 12 poèmes et donna ce même titre à son album. Il en composa toutes les mélodies et les chanta lui même. Comme vous pourrez l’entendre ici, il fit le choix de moderniser la langue de Villon et de l’adapter légèrement pour la mettre à portée de tous.
L’album fut salué, dès sa sortie, par Telerama. Il a été réédité en 2004 par Revoe Productions et on peut le trouver en ligne au format CD ou même en MP3, avec la possibilité de l’acquérir par pièces. Voici un lien utile pour en savoir plus ou pour le pré-écouter : 12 Poèmes de Evgen Kirjuhel.
Sélection faite par Evgen Kirjuhel
dans les strophes du Testament de Villon
I En l’an trentiesme de mon aage, Que toutes mes hontes j’eu beues, Ne du tout fol, ne du tout sage. Nonobstant maintes peines eues, (…)
XXII Je plaings le temps de ma jeunesse, Ouquel j’ay plus qu’autre gallé, Jusque à l’entrée de vieillesse, Qui son partement m’a celé. (…)
XXVI Bien sçay se j’eusse estudié Ou temps de ma jeunesse folle, Et à bonnes meurs dedié, J’eusse maison et couche molle! Mais quoy? je fuyoye l’escolle, Comme faict le mauvays enfant… En escrivant ceste parolle, A peu que le cueur ne me fend.
XXIX Où sont les gratieux gallans Que je suyvoye au temps jadis, Si bien chantans, si bien parlans, Si plaisans en faictz et en dictz? Les aucuns sont mortz et roydiz; D’eulx n’est−il plus rien maintenant. Respit ils ayent en paradis, Et Dieu saulve le remenant!
XXX Et les aucuns sont devenuz, Dieu mercy! grans seigneurs et maistres, Les autres mendient tous nudz, Et pain ne voyent qu’aux fenestres; Les autres sont entrez en cloistres; De Celestins et de Chartreux, Bottez, housez, com pescheurs d’oystres: Voilà l’estat divers d’entre eulx.
XXXV Pauvre je suys de ma jeunesse, De pauvre et de petite extrace. Mon pere n’eut oncq grand richesse. Ne son ayeul, nommé Erace. Pauvreté tous nous suyt et trace. Sur les tumbeaulx de mes ancestres, Les ames desquelz Dieu embrasse, On n’y voyt couronnes ne sceptres.
XXXIX Je congnoys que pauvres et riches, Sages et folz, prebstres et laiz, Noble et vilain, larges et chiches, Petitz et grans, et beaulx et laidz, Dames à rebrassez colletz, De quelconque condicion, Portant attours et bourreletz, Mort saisit sans exception.
XL Et mourut Paris et Hélène. Quiconques meurt, meurt à douleur. Celluy qui perd vent et alaine, Son fiel se crève sur son cueur, Puys sue Dieu sçait quelle sueur! Et n’est qui de ses maulx l’allège: Car enfans n’a, frère ne soeur, Qui lors voulsist estre son pleige.
XLI La mort le faict frémir, pallir, Le nez courber, les veines tendre, Le col enfler, la chair mollir, Joinctes et nerfs croistre et estendre. Corps féminin, qui tant est tendre, Polly, souef, si precieulx, Te faudra−il ces maulx attendre? Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.
Une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : ballade, fortune, poésies médiévales, poésie morale, auteur(e) médiéval(e), roue de fortune, sort, impermanence, valeurs chrétiennes médiévales, Moyen Âge chrétien Auteur : Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430) Période : Moyen Âge central à tardif Ouvrage : Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 1, (1896)
Bonjour à tous,
u Moyen Âge central au Moyen Âge tardif, Fortune court, Fortune tourne, jamais Fortune nul n’épargne qui peut faire dégringoler le plus puissant, sitôt qu’il s’élève au sommet.
La roue de Fortune
alliée de la morale chrétienne médiévale
Dans le monde médiéval, l’invocation de Fortune et sa roue sonne comme un rappel entêtant, une leçon perpétuelle sur la nécessité de pratiquer un certain détachement face aux caprices du sort, mais plus encore. Si gloire, pouvoir, richesses, avoirs, ne portent en eux que des joies illusoires et passagères, c’est bien parce que, pour l’homme du Moyen Âge , ce monde matériel aux lois changeantes n’est qu’un court passage vers l’éternité. Or, justement, le salut de l’âme au sens chrétien, implique qu’on sache se détacher des tentations de ce monde transitoire, mais aussi de la vanité. Et c’est une deuxième leçon de Fortune que d’expliquer aux hommes accrochés sur sa roue, qu’ils ne peuvent se glorifier totalement de leur propre ascension puisque, au fond, ils n’y sont pas pour grand chose.
Aujourd’hui, c’est dans une courte ballade sous la plume de Christine de Pizan que nous la retrouvons. La grande dame et auteur(e) du Moyen Âge savait des illusions de la permanence et de l’évanescence des bonheurs terrestres. Mariée à l’adolescence, veuve à 22 ans, elle a laissé, au sein de son œuvre considérable, de nombreuses poésies sur les douleurs de ce deuil. Elle y fait d’ailleurs allusion dans cette pièce.
« Que ses joyes ne sont fors que droit vent »
Une ballade de Christine de Pisan
Qui trop se fie es* (aux) grans biens de Fortune, En vérité, il en est deceü; Car inconstant elle est plus que la lune. Maint des plus grans s’en sont aperceü, De ceulz meismes qu’elle a hault acreü, Trebusche test, et ce voit on souvent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
Qui vit, il voit que c’est chose commune Que nul, tant soit perfait ne esleü, N’est espargné quant Fortune répugne Contre son bien, c’est son droit et deü De retoulir* (reprendre) le bien qu’on a eü, Vent chierement, ce scet fol et sçavent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
De sa guise qui n’est pas a touz une Bien puis parler; car je l’ay bien sceü, Las moy dolens! car la fausse et enfrune* (gloutonne, avide) M’a a ce cop trop durement neü* (de nuire), Car tollu m’a* (m’a ôté) ce dont Dieu pourveü M’avoit, helas ! bien vois apercevent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
ous faisons suite, aujourd’hui, à notre article au sujet du Manuscrit MS 9223 de la BnF pour en présenter un nouvel auteur. Pour rappel, cet ouvrage du moyen-âge tardif et du XVe siècle contient des œuvres de Charles d’Orléans, mais aussi des rondeaux et ballades de nobles, poètes ou écrivains qui gravitaient autour de la cour de Blois et s’essayaient, eux aussi, à la rime.
Blosseville, poète mystère ?
On trouve dans le Ms français 9223, un nombre important de textes attribués au poète du nom de Blosseville qui nous intéresse ici. Le site Arlima émet même l’hypothèse que ce dernier pourrait être le compilateur du manuscrit en question. Pourtant, jusqu’à ce jour, les informations permettant d’identifier cet auteur, de manière certaine, font défaut et, après diverses hypothèses, les médiévistes ne semblent pas être parvenus aux mêmes conclusions. Pour vous en faire une idée, voici une petite synthèse des conclusions de G Raynaud et de Pierre Champion à son sujet.
Quelques pistes de G Raynaud à P Champion
Dans son ouvrage sur le Ms 9223 (op cité en tête d’article), Gaston Raynaud suit, peu ou prou, les conclusions de l’Abbé de La Rue dans ses Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglonormands (1834). Sous le nom de Blosseville se cacherait ainsi un certain Hugues de Saint-Maard, vicomte de blosseville. D’origine Normande, cet écuyer et poète, aurait été un fidèle serviteur de Charles d’Orléans ; il aurait même assisté aux démarches permettant de libérer ce dernier de sa longue captivité, en Angleterre.
De son côté, l’érudit et bibliographe Pierre Champion taclera cette hypothèse. Dans un article daté de 1922 (remarques sur un recueil de poésies du milieu du XVe siècle, Pierre Champion, Romania, 1922), il identifiera deux autres nobles pouvant correspondre au Blosseville du Manuscrit. Le premier est un chevalier, baron de Blosseville, du nom de Pierre de Saint-Maard. Accompagné de deux archers, il aurait servi le roi pour recouvrir l’impôt dans le pays de Caux.
Le second, Jean de Saint-Maard était écuyer, seigneur et vicomte de Blosseville. Pierre Champion penche nettement en sa faveur pour l’attribution des poésies du MS 9223. L’homme aurait été maître des eaux et forêts de Picardie et de Normandie en 1471. Puis, deux ans plus tard, il aurait été nommé conseiller et maître d’hôtel du roi. Selon Champion toujours, il est probable que ce noble ait fait partie du cercle de Pierre de Brézé, grand Sénéchal de Normandie (lui-même protecteur de Villon). Les deux hommes auraient même pu venir ensemble à Blois, autour de 1458.
Legs et oeuvres
S’il est, donc, impossible de trancher sur la véritable identité de ce Blosseville, l’homme a légué une trentaine de poésies courtes, entre ballades et rondeaux. On les retrouve, dans leur grande majorité, dans le MS Français 9223. Toutes les pièces ne sont pas d’égale facture, ou n’ont pas traversé le temps avec une égale résistance mais le talent et les qualités stylistiques de ce poète restent indéniables. L’une de ses pièces fut même, un temps, attribuée par erreur à Villon, c’est peu dire.
On trouve encore quelques pièces plus longues attribuées à un Blosseville dans d’autres manuscrits (on admet, en général, qu’il s’agit du même auteur). On citera notamment l’Echiquier d’Amour ou le très heureux Débat du vieil et du jeune dont nous aurons l’occasion de publier quelques extraits, plus loin dans le temps.
Le mirage du loyal amant, moqué par Blosseville
Dans la ballade du jour, Blosseville se livrait à un exercice empreint d’humour et d’ironie sur le thème du loyal amant. Pour se situer au Moyen-âge tardif et presque à l’aube de la renaissance, était-il si loin de la thématique médiévale courtoise originelle ? A y regarder de plus près, pas tant que cela. Au fond, la courtoisie n’avait-elle pas mis, en son centre, le parfait amant, pour mieux en souligner ou en déplorer l’absence ? Dans cette compétition ouverte à la recherche d’un idéal amoureux masculin, nombre de poètes du moyen-âge se sont, en effet, dit loyaux, tout en clamant haut et fort n’en voir aucun autre qu’eux-même, autour d’eux, qui puisse en mériter le titre. La fine amor est exigeante et le loyal amant est une denrée rare. Depuis l’intérieur même de l’exercice littéraire courtois, le premier principe est que bien peu sont ceux pouvant réellement y prétendre.
Du reste, sans forcément s’en réclamer directement, certains auteurs médiévaux ne sont pas non plus privés de se gausser du fossé entre « belles paroles » et réalité des pratiques amoureuses. Citons Chrétien de Troyes, qui, déjà au XIIe siècle, avait donné, avec humour et ironie, toute la mesure de cette distance.
« Or est amor torné en fables, Por ce que cil rien n’en sentent Dient qu’ils aiment, et si mentent ; Et cil fable et mensonge en font, Que s’en vantent, et rien n’y ont. Mais por parler de celz qui furent, Laissons celz qui en vie durent, Qu’encor valt miex, se m’est avis, Un cortois mort qu’un vilain vis. » Chrétien de Troyes – Yvain ou le Chevalier au Lion.
A peine émergé dans la littérature, l’idéal du loyal amant semble déjà prendre des allures de mythe, pour se perdre dans une période révolue que l’on lamente. A l’image de la « vraie » chevalerie et sous la plume des poètes, l’espèce est en voie de disparition permanente tout au long du moyen-âge central, mais, finalement, depuis sa genèse même.
Dans cette ballade de Blosseville, on ne peut s’empêcher de voir à l’oeuvre ce lointain héritage satirique qui, dés l’émergence de la fine amor et du loyal amant, en soulignait déjà de l’intérieur, la difficulté ou la rareté, et de l’extérieur, la fausseté quand ce n’est pas la fatuité. Ici, du reste, l’auteur du XVe siècle ne prétend même pas entrer dans la compétition. L’exercice résonne plutôt comme une pure poésie de cour légère et drôle, prompte à faire rire un auditoire averti. Blosseville s’y tient à distance de son thème et en observateur pour mieux le moquer. Il y dépeint un univers fantastique et presque surréaliste (avant l’heure) qui, encore aujourd’hui, fait mouche et nous arrache un sourire.
Une ballade médiévale de Blosseville
« Quant tous amans seront loyaux«
Vous verrez toutes les rivieres, Les boys et les forestz bruler, Les champs aussi et les bruyeres, Les poissons tous en l’air voler, La mer tharir, les chiens parler, Buglez* (jeune boeuf, veau) courir mieulx que chevaulx, Enfans d’un an bien tost aller, Quant tous amans seront loyaux.
Toutes langues seront ouvrieres, De bien savoir conseil celer; Partout seront d’or les minieres, Les chievres sauront bien filler, Dieu fera les mons avallers, Les gens ne feront plus de maulx, Rien ne verrez dissimuler, Quant tout amans seront loyaulx.
Dyamans dedans les carrieres, Verrez aulx oliphans tailler, Les aneaux en toutes manieres, Au drommadoires esmailler, Les cerfs pour courre reculler, Les ours porter les grans chasteaulx, Chacun verrez esmerveiller, Quant tous amans seront loyaulx.
Prince, vous verrez batailler Encontre les loups les aigneaux, Les flebes les fors detailler* (mettre en pièces), Quant tous amans seront loyaulx.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Âge sous toutes ses formes