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« Diex comment porroie » au XIIIe siècle, un rondeau courtois du trouvère Adam de la Halle

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :    musique, chanson médiévale, vieux français, trouvères d’Arras,  rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :     Adam de la Halle (1235-1285)
Titre :    Diex  comment porroie
Interprète  :  Ensemble Sequentia
Album  : Trouvères (1984)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionotre  vaisseau continue de voguer, toutes voiles dehors, sur les eaux du passé et du monde médiéval.  Aujourd’hui, c’est au XIIIe siècle que nous vous entraînons, au nord de la France et dans   une province qui a vu  naître de très grands auteurs du Moyen Âge central : celle d’Arras.

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Tiré des Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle (poésie et musique), Edmond de Coussemaker (1872)

Parmi  eux,   dans la famille des trouvères,   Adam de la Halle ou Adam le bossu est, sans doute, demeuré l’un des plus célèbres. Il faut dire que l’oeuvre de celui que l’on a appelé, parfois, le dernier trouvère, est particulièrement prolifique. À la lisière des compositions monodiques et des premiers envols de la musique polyphonique, il  nous a légué de nombreuses compositions et chansons :  motets et rondeaux, mais aussi pièces de théâtre aux thèmes variés,   pastourelles, congés, …, trempées de lyrisme et de courtoisie mais aussi, quelquefois, de notes plus  satiriques.

Le Ms Français 25566  ou  chansonnier français W

adam-de-la-halle-rondeau-chanson-medievale-diex-coment-porroie-ms-français-25566-moyen-age-sOn peut trouver les œuvres d’Adam de la Halle dans plusieurs sources d’époque, mais nous profitons de ce rondeau pour vous parler du manuscrit Français 25566 de la BnF, également connu sous le nom de Chansonnier  français W (consultable sur Gallica au lien suivant).

Daté du XIIIe siècle, ce beau manuscrit médiéval enluminé,  plutôt bien conservé, est donc sous bonne garde au département des manuscrits de la BnF.   Ses 283 feuillets comprennent de nombreuses œuvres de la province d’Arras, entre chansons, poésies et pièces  littéraires. Pour n’en citer que quelques auteurs, on y retrouve Jean bodel et ses célèbres « congiés », des pièces de Huon de Mery, Richard de Fournival, Baudouin de Condé  et encore d’autres auteurs du cru ou des alentours. Quant à Adam de la halle, entre rondeaux, motets et pièces plus étoffées, il s’y trouve clairement à l’honneur. Ce manuscrit médiéval contient, en effet, l’essentiel de son legs.

« Diex comment porroie » avec l’Ensemble médiéval Sequentia

Trouvères : chansons d’amour courtois du nord de la France

« Trouvères : Hofische Liebeslieder Aus Nordfrankreich« . En 1984  l’Ensemble Sequentia signait un triple album monumental  sur le thème des trouvères du nord de la France médiévale. Trois ans plus tard, l’oeuvre était rééditée sous forme de double album , avec pas moins album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralde 43 pièces   finement  interprétées, sous la direction de Benjamin Bagby.  

Pour qui s’intéresse de près à la musique des trouvères   du Moyen Âge central ou même à la langue d’oïl, cet album demeure  incontournable. On le trouve encore à la vente, sous forme CD ou MP3, au lien suivant   :  Trouvères : Chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl.


« Diex comment porroie » :   de la langue d’oïl
d’Adam de la halle  au français moderne

Diex, coment porroie
Sans cheli durer (résister, endurer, poursuivre, durer)
Qui me tient en joie ? (joie, amour)
Elle est simple et coie (calme, tranquille),
Diex coment porroie, etc.

Ne m’en partiroie (séparer),
Pour les iex (yeux) crever,
Se s’amours n’avoie.
Diex, coment porroie
Sans cheli durer
Qui me tient en joie.

Dieu comment pourrais-je
Résister  sans celle
Que me tient en joie.
Elle est simple et tranquille
Dieu comment pourrais-je
Résister sans celle
Que me tient en joie.

Ne m’en séparerais,
Dût-on me crever les yeux
Pour que je n’ai plus son amour.
Dieu comment pourrais-je
Résister    sans celle
Que me tient en joie.


En vous souhaitant une fort belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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« Amours , trop vous doi cherir » et la belle courtoisie de Jehannot de Lescurel

manuscrit-enluminure-medievale-roman-de-fauvel-francais-146-moyen-ageSujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, compositeur médiéval,  français 146, vieux -français, langue d’oïl
Période : Moyen Âge, XIIIe s, XIVe siècle
Auteur : 
Jehannot   (Jehan)   de Lescurel
Interprète : Ensemble  Gilles Binchois
AlbumFontaine de Grace, Virgin Classics 1991/92.

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons, à nouveau, aujourd’hui, un peu de la poésie courtoise du trouvère Jehan de Lescurel. On se souvient que cet auteur-compositeur médiéval n’a laissé comme legs qu’un peu plus d’une trentaine de pièces, toutes centrées sur l’amour courtois.   chanson-medievale-amour-courtois-jeannot-de-lescurel-moyen-age-central-manuscrit-ancien-sOn les a retrouvées annexées à un manuscrit  daté des débuts du XVe siècle et  contenant une copie du roman de Fauvel.

Référencé MS français 146, l’ouvrage est conservé à la Bnf  et consultable en ligne ici sur Gallica. On peut aussi retrouver ces  chansons médiévales retranscrites dans  une graphie plus moderne, dans un livre de 1855, signé d’Anatole de Montaiglon :   Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle.  L’ouvrage papier a été réédité en 2010 chez Nabu Press.

Du point de vue de leur écriture musicale, les compositions de Jehannot de Lescurel le placent à la transition des dernières trouvères et des premiers compositeurs de l’Ars Nova.

L’Ensemble Gilles Binchois  à la découverte de Jehan de Lescurel

Jehan de Lescurel – Fontaine de Grace (Ballades, virelais et rondeaux)

En 1991, sous la direction de Dominique Vellard, l’Ensemble médiéval Gilles Binchois  enregistrait un album entièrement consacré à   l’œuvre de Jehan de Lescurel.   Pas moins de vingt pièces du trouvère y étaient ainsi proposées, entre lesquelles on pouvait  découvrir deux versions de la chanson du jour : une vocale  et instrumentale (présentée ci-dessus) et une autre uniquement instrumentale.

jehan-lescurel-amour-courtois-moyen-age-chanson-medievale-gilles-binchois-albumPour en savoir plus sur cet album, nous vous invitons à consulter la page qui lui est dédiée sur Amazon. Il s’y trouve, en effet,  toujours à  la vente, mais en plus du format CD, le format MP3 est aussi disponible ce qui offre l’avantage de pouvoir pré-écouter les pièces pour s’en faire une idée. A toutes fins utiles, en voici le lien : Jehan de Lescurel – Fontaine de Grace (Ballades, virelais et rondeaux)

« Amours, trop vous doi cherir »
dans le vieux français de Jehan de Lescurel

Bien qu’en langue d’oïl, la pièce du jour ne présente pas de grandes difficultés de compréhension. Nous ne vous donnons donc que quelques clés de vocabulaire qui devraient suffire à l’appréhender. Du point de vue du contenu, c’est donc une pièce courte d’amour courtois qui s’occupe à mettre en valeur l’éternelle contradiction dans laquelle le fin amant courtois se tient pris, entre espoir et inconfort, ou encore entre joie et tristesse.


Amours , trop vous doi cherir
Et haïr com anemie ;
Souvent me faites palir
Et fremir par vo mestrie (1) :
Puis, par promesse d’aïe   (2),
Me rapaiez (3)   en pou d’eure :
Aussi souvent chans et pleure.

(1)   mestrie : maistrie, autorité, puissance  –   (2)   aïe :  de aidier, aide, secours –   (3)   rapaier : apaiser


En vous souhaitant une  belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour Moyenagepassion.com
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La Cantiga de Santa Maria 140 : chant de louange à la Vierge et culte marial médiéval

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet  : musique médiévale,  Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, louange, Sainte-Marie,  vierge, miséricorde
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga  140    « Sean dados honrados »
Ensemble :  Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic 
Album :  Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria (1999)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous  revenons, aujourd’hui, à l’Espagne médiévale d’Alphonse le Savant et ses Cantigas de  Santa Maria. Nous avons, jusque là, étudié de nombreux miracles  issus de ce corpus du roi de Castille du XIVe siècle.   Cette fois-ci, pour varier un peu, la pièce que nous vous proposons, la cantiga  140 est un chant de louange. Elle alimentera également,   nos autres articles au  sujet du culte marial et son importance au Moyen Âge central.

Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic

Theatrum  Instrumentorum   et   Aleksandar Sasha Karlic 

La formation Theatrum  Instrumentorum fut fondée  au milieu des années 90  et dirigée par   Aleksandar Sasha Karlic.  La passion de ce musicien yougoslave pour les musiques anciennes ou encore ethniques, n’était pas nouvelle.  Installé en Italie, il y  avait suivi le conservatoire de Milan et de Parme. Plus tard, il avait également collaboré avec quelques grands noms de la scène locale des musiques anciennes et traditionnelles. En plus de ses talents  de directeur, Aleksandar Sasha Karlic  est aussi  joueur de luth , de oud, de  percussions et il également doté de talents vocaux.

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Sous sa houlette, la formation  Theatrum Instrumentorum   s’est faite connaître dans le domaine des musiques anciennes et médiévales,  en Italie,  mais aussi dans d’autres pays d’Europe. Du point de vue discographique, elle a légué 6 albums qui furent tous  bien accueillis par la critique.   En plus des Cantigas de Santa Maria qui font l’objet de cet article, on peut y trouver les Carmina Burana, le Llibre Vermell de Montserrat, mais encore des Chants grégoriens et religieux de Giovanni Pierluigi da Palestrina en provenance du XVIe siècle.

Sauf erreur, Theatrum Instrumentorum n’est plus actif depuis longtemps déjà et on ne trouve plus grand chose à son sujet sur le net.  Quant à son directeur, en 2004, il a fondé, toujours en Italie,   Balkan Blues, une nouvelle formation autour des musiques des Balkans qu’il affectionne particulièrement depuis ses débuts de carrière.  Parallèlement, il a  continué de laisser vibrer sa passion pour les musiques anciennes et traditionnelles du berceau méditerranéen, en étant encore largement salué par la critique pour ses travaux dans ce domaine.

Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria

En 1999,   Theatrum Instrumentorum sortait un album   autour des Cantigas d’Alphonse X de Castille.  On peut y trouver 12 pièces  d’exception qui laissent une large  place  à  l’interprétation vocale.

cantigas-santa-maria-140-musique-medieval-album-theatrum-instrumentorumCet album est toujours disponible à la distribution. Le CD ne semble pas avoir été réédité, ces dernières années ; Il peut donc s’avérer difficile à débusquer ou être mis en vente à des prix un peu hors de portée. En revanche,  les pièces qui le composent sont disponibles à la vente et au téléchargement, au format MP3, sur divers sites internet. A toutes fins utiles, voici le lien correspondant sur Amazon : Alfonso X « El Sabio »: cantigas de Santa Maria by Theatrum Instrumentorum.


La Cantiga 140
Du    galaïco-portugais  au français moderne

Esta es de loor de Santa María.

Celle-ci (cette cantiga) est en louanges à Sainte Marie

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Qu’à Sainte-Marie soient faites
des louanges respectueuses.
(Que soit louée avec respect Sainte Marie)

Loemos a sa mesura,
seu prez, e ssa apostura,
e seu sen, e ssa cordura,
mui mais ca cen mil vegadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa mesure,
Son prestige et son intégrité (maintien)
Son bon jugement et sa raison,
Bien plus  de cent mille fois.

refrain.

Loemos a ssa nobressa,
sa onrra e ssa alteza,
sa mercee e ssa franqueza,
e sas vertudes preçadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa noblesse,
son honneur et son altesse (élévation, noblesse des valeurs)
Sa miséricorde, sa franchise
Et ses précieuses vertus.

refrain.

Loemos sa lealdade,
seu conort’ e ssa bondade,
seu accorr’ e ssa verdade,
con loores mui cantadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa loyauté,
Sa consolation (ou confort : dans le sens de conforter) et sa bonté,
Son secours et sa vérité
Avec des louanges bien chantées.

refrain.

Loemos seu cousimento,
conssell’ e castigamento,
seu ben, seu enssinamento,
e sass graças mui grãadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons son attention,
Son conseil et ses mises en garde,
Son bien, ses enseignements,
Et ses grâces très prisées.

refrain.

Loando-a, que nos valla,
lle roguemos na batalla
do mundo que nos traballa,
e do dem’ a donodadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Et la louant, nous la prions,
qu’elle nous prête courage dans la bataille
Contre le monde qui nous tourmente
Et contre le démon.


Vous pourrez trouver ici les Cantigas de Santa Maria que nous avons étudiées jusque là : soit commentées et traduites en français moderne, avec leur  interprétation par les plus grandes formations de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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« Baros de mon dan covit » l’amour courtois et la grandiloquence de Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, fine amor, fine amant, chansonnier provençal E
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre :  Baros de mon dan covit
Interprète  :  Musica Historica
Evénement : concert pour les 20 ans de l’ensemble  à Budapest (2008)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous retournons aux siècles des premiers troubadours du pays d’Oc avec Peire Vidal. Grandiloquent, tonitruant, claironnant presque,   le poète provençal se pose, une fois encore, en chevalier émérite, « fine » amant d’exception,  et même grand séducteur fatal et renommé. Pour un peu,  il serait presque l’égal des  rois si ceux-là ne finissaient par l’envier.  Quant  à ceux qui le raillent et le critiquent, la couleur est annoncée d’emblée, notre troubadour les salue de son mépris. Là  encore, le fameux thème des « déloyaux » et « médisants », récurrent dans la courtoisie, refait surface (voir autre article sur ce sujet).

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La chanson de Peire vidal dans le Chansonnier Provençal E de la BnF (1270-1350) Manuscrit  Français 1749 – Consulter ce manuscrit médiéval ici

Pour le reste, faut-il prendre Peire Vidal  au sérieux dans ses grandes envolées lyriques et « superlatives » ? Le ton finit par devenir humoristique et on serait presque tenter d’y voir, par endroits, une sorte de Don Quichotte avant l’heure ? A l’évidence, le troubadour ne craint pas non plus d’enchaîner les contradictions. Ainsi, les dames sont à ses pieds. Il folâtre même avec toutes, nous dit-il, tout en s’affirmant, dans le même temps, comme amant parfait au service d’une seule.  Quoiqu’il en soit, par son style, son  ton libre et cette façon unique de   se mettre en avant, il demeure un troubadour tout à fait particulier (et plaisant), de cette période du Moyen Âge.

Pour finir sur l’approche de cette chanson,  notons qu’on y retrouve également son grand goût du voyage. Il l’exprime même ici comme un des traits qui aurait fait partie intégrante de sa réputation : une forme de nécessité de mouvement qui lui était propre et qui aurait presque pu paraître, à ses propres yeux, comme une fâcheuse habitude,  et peut-être même une « maladie » (malavei).

Pour découvrir cette belle pièce occitane médiévale, nous vous proposons l’interprétation de Musica Historica.

« Baron de mon dan covit » de Peire Vidal avec Musica Historica

L’ensemble Musica Historica

Fondé en 1988 à Budapest, l’ensemble Musica Historica s’est doté d’un répertoire assez large qui part de la période médiévale pour s’étendre jusqu’à des musiques plus folkloriques et populaires des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Du point de vue des aires géographiques, on retrouve, chez eux, des compositions en provenance de l’Europe de l’ouest même si leur terrain de prédilection  se situe plutôt en  Europe de l’est.

Rumen István Csörsz, le fondateur du groupe (au centre de  la photo ci-dessous) est aussi celui qui prête sa voix à la pièce de Peire Vidal que nous présentons aujourd’hui. En plus d’une solide formation en musique classique, ce multi-instrumentiste et directeur a également longuement étudié l’histoire, la poésie et la littérature Hongroise, notamment sa relation avec les musiques folk et populaire des XVIIIe et XIXe siècles. Ceci explique la forte empreinte de ces thématiques sur le répertoire du groupe.

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Discographie et concerts

Musica Historica ne semble quasiment jamais se produire en France. On  retrouve bien plus la formation en Hongrie, Autriche et Slovakie mais encore en Allemagne et Italie.  Sa discographie est riche d’une dizaine d’albums, dont la majeure partie est centrée sur le répertoire hongrois ancien, comme nous le mentionnions plus haut.  Au delà de la scène, les membres du groupes, accompagnés d’autres collaborateurs ont également fondé en 1997, la Musica Historica Cultural Association, dont la vocation s’étend de la promotion d’événements autour de la musique ancienne à son enseignement.

Site web du groupe –   Page Facebook


« Baros de mon dan covit »
De l’occitan au français moderne

Note sur la traduction : nous suivons encore de près , ici,  les travaux du philologue et romaniste   Joseph Anglade  (1868-1930) dans son ouvrage les  poésies de Peire Vidal   (1913).

I
Baros de mon dan covit,
Fals lauzengiers desleials,
Qu’en tal domna ai chauzit,
On es fis pretz naturals.
Et eu am la de fin cor, ses bauzia,
E sui totz seus, quora qu’ilh sia mia,
Quar sa beutatz e sa valors pareis,
Qu’en leis amar fora honratz us reis,
Per qu’eu sui rics sol que’m denh dire d’oc.

Je méprise les seigneurs
qui sont de faux et déloyaux médisants, (1 !)
car j’ai choisi une dame
où la distinction parfaite est une qualité innée.
Et je l’aime d’amour parfait, sans fausseté,
et je suis tout à elle, quel que soit le moment où elle voudra être mienne ;
car sa beauté et sa valeur sont si manifestes
Qu’en l’aimant un roi serait honoré ;
aussi, suis-je riche pourvu qu’elle daigne me dire oui.

II
Que res tan no m’abelit
Com sos adreitz cors leials,
On son tug bon aip complit
E tug ben senes totz mals.
Pos tot i es quan tanh a drudaria,
Ben sui astrucs, sol que mos cors lai sia ;
E si merces, per que totz bos aips creis
Mi val ab leis, bems pose dir ses tot neis,
Qu’anc ab amor tant ajudar no’m poc.

Car rien ne me charme plus
Que son cœur  droit et loyal
Dans lequel sont réunis toutes les vertus 
Et tout le bien sans aucune trace de mal.
Puisqu’elle a tout ce qui convient à l’amour,
Je serai heureux, pourvu que je sois à ses côtés ;
Et si la pitié, en laquelle résident toutes les bonnes qualités,
M’est de quelque  valeur  auprès d’elle, je puis bien vous dire  encore (2)
Que jamais  en amour, elle ne pourra  m’être  d’un  plus grand secours.

III
Chant e solatz vei falhit,
Cortz e dos e bels hostals,
E domnei no vei grazit,
Si’lh domn’ e-l drutz non es fals.
Aquel n’a mais que plus soven galia.
Non dirai plus, mas com si volha sia.
Mas peza me quar ades non esteis
premiers fals que comenset anceis :
E fora dreitz, qu’avol eissemple moc.

Je vois les chants et les divertissements faire défaut  (3)
Les réunions, la bonne hospitalité et la libéralité;
La courtoisie (Anglade : galanterie) n’est plus honorée,
A  moins que dame et amant ne soient faux (Anglade : fourbes).
Celui-là a la plus belle récompense qui trompe le plus ;
Je n’en dirai pas plus, mais qu’il en soit ainsi (4).
Mais ce qui me chagrine c’est qu’il n’ait pas disparu sur le champ :
Le premier fourbe qui débuta cela (5)
Ce serait juste, car il montra un bien mauvais exemple.

IV 
Mon cor sent alegrezit,
Quar me cobrara’N    Barrals.
Ben aja cel que’m noirit
E Deus ! quar eu sui aitals;
Que mil salutz me venon cascun dia
De Catalonha e de Lombardia,
Quar a totz jorns poja mos pretz e creis.
Quar per un pauc no mor d’enveja’l reis,
Quar ab domnas fauc mon trep e mon joc.

Je sens mon cœur  réjoui,
Car Barral (6) m’aura de nouveau.
Heureux celui qui m’a élevé
Et que Dieu le protège ! Car je suis si connu
Que mille salutations  m’arrivent  chaque jour
De Catalogne et de Lombardie ;
Car tous les jours montent et grandit ma renommée.
Au point que, pour un  peu, le roi en mourrait d’envie,
Car je fais mes folâtreries et mes jeux avec les dames.

V
Ben es proat et auzit
Com eu sui pros e cabals,
E pos Deus m’a enriquit,
No-s tanh qu’eu sia venals.
Cen domnas sai que cascuna’m volria
Tener ab se, si aver me podia.
Mas eu sui cel qu’anc no-m gabei ni-m feis
Ni volgui trop parlar de mi mezeis,
Mas domnas bais e cavaliers desroc.

Ma vaillance et ma supériorité 
Sont choses connues et prouvées (7);
Puisque Dieu m’a enrichi,
Il ne convient pas que je sois vénal.
Je connais cent femmes dont chacune voudrait
Me   tenir auprès d’elle, si elle le pouvait m’avoir.
Mais je suis celui qui, jamais, ne parle pour ne rien dire, ni n’affabule (ni n’est   vaniteux)      
(8)
Je n’ai jamais trop voulu parler de moi-même,
Mais j’embrasse les dames et met à terre les cavaliers. (Anglade : renverse)

VI 
Maint bon tornei ai partit
Pels colps qu’eu fier tan mortals,
Qu’en loc no vau qu’om no crit :
 »    So es En Peire Vidais,
 »  Cel qui mante domnei e drudaria
 » E fa que pros per amor de s’amia,
 » Et ama mais batalhas e torneis
  » Que monges patz, e sembla-l malaveis
 »  Trop sojornar et estar en un loc. »

J’ai mis fin à maints bons tournois
Par les coups mortels que j’ai porté ;
De sorte qu’il n’est d’endroits où j’aille où on ne s’écrit : 
« Voilà messire Peire Vidal,
Celui qui maintient courtoisie et galanterie,
Qui agit en vaillant homme (avec mérite) pour l’amour de sa mie,
Et aime mieux batailles et tournois
Qu’un moine n’aime la paix et  pour qui semble une maladie
De séjourner et de rester trop longtemps dans un même lieu. »

VII
Plus que no pot ses aiga viure-l peis,
No pot esser ses lauzengier domneis,
Per qu’amador compron trop car lor joc.

Pas plus que le poisson ne peut vivre sans eau,
La Courtoisie ne peut vivre sans médisants :
C’est pourquoi    les amants payent bien cher leur joie.  

Notes

(1)   Peire Vidal a-t-il vraiment donné, dans cette chanson, le visage des puissants aux médisants  comme l’a traduit   Joseph Langlade  en son temps ?  « Baros de mon dan covit » : « je méprise les seigneurs faux et desloyaux ».   Ou faut-il plutôt y  voir une adresse, une virgule absente et traduire   « Seigneurs, Barons,  je méprise les  médisants et les déloyaux » ? Cela semblerait plus plausible et, en tout cas, largement moins provocateur comme entrée en matière.
(2) Anglade :  « je puis bien vous dire  sans hésitation, sans mensonge »
(3) Anglade : « je vois la poésie en décadence, ainsi que les joyeux entretiens »
(4) Anglade :  « que les choses aillent comme elles voudront »
(5) Anglade : « celui qui commença à être fourbe »
(6) Barral : Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, un des protecteurs de  Peire Vidal
(7)  Cette fois,  je laisse la version d’Anglade mais je mets ici une alternative de notre cru parce que les adjectifs « pros » et « cabals » sont tout de même  à tiroirs :  il est bien connu et établi combien je suis valeureux (méritant, bon)  et puissant (excellent, juste, loyal).
(8)  Anglade :  « Mais je suis d’un naturel à ne jamais faire le fanfaron »


Au sujet de la courtoisie, vous pouvez également consulter cet article   :   réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
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