Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, fin’amor rondeau. amour courtois, langue d’oïl. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre :Fines Amouretes ai Interprète : New Orleans Musica da Camera Album : Les Motés d’Arras (2003)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale du trouvère Adam de la Halle. Ce rondeau polyphonique à trois voix qui se classe dans le registre de la lyrique courtoise et de la fin’amor nous fournira l’occasion de vous toucher un mot d’une célèbre formation de musiques médiévales outre-atlantique : leNew Orleans Musica da Camera.
Le New Orleans Musica da Camera
Un demi-siècle de musiques et de scène
Fondé dans le courant de l’année 1966, l’ensemble New Orleans Musica da Camera compte parmi les formations de musiques anciennes américaines à la plus longue carrière. Ils ont, en effet, joué pendant près de 52 ans et donné près de 700 concerts. On doit sa création à l’architecte et passionné de early music Milton G. Scheuermann Jr.
Leur répertoire couvre une période qui s’étend du Moyen Âge central jusqu’au début de la période baroque. Au plus près de l’ethnomusicologie, l’ensemble privilégie les instruments anciens, en tentant de restituer au plus près les techniques d’époque. Visiter le site web de la formation
Les Motés d’Arras, Song of Arras
Enregistré au début des années 2000, l’album Song of Arras ou Les Motés d’Arras du New Orleans Musica da Camera partait à la rencontre du XIIIe siècle et de la prolifique cité médiévale.
De Jean Bodel, à Adam de la Halle en passant par Moniot d’Arras, Gauthier de Dargies, et quelques autres auteurs et compositions anonymes de la période médiévale, l’ensemble proposait ainsi quatorze pièces en provenance du Moyen Âge central. Adam de la Halle y occupait la place principale avec pas moins de cinq titres de son répertoire. On trouve encore cet excellent album à la vente et son éditeur a même eu la bonne idée de le proposer au format MP3, en plus du format CD : The Song of Arras – New Orleans Musica da Camera
Fines Amouretes ai, un rondeau d’Adam de la Halle
Fines amouretes ai , Dieus ! si ne sai Quant les verrai.
Or manderai mamiete Qui est cointe* (coquette, élégante) et joliete Et s’est si savérousete* (savoureuse, délicieuse) C’astenir ne m’en porrai.
Fines amouretes ai , etc.
Et s’ele est de moi enchainte (1) Tost devenra pale et teinte ; S’il en est esclandèle* (blâmée) et plainte Déshonnerée l’arai.
Fines amouretes ai, etc. Miex vaut que je m’en astiengne, Pour li joli* (plaisant, enjoué) me tiengne, Et que de li me souviengne; Car s’onnour le garderai.
Fines amouretes ai , etc.
(1) Littré : XIIIe s. « Enchainte suis d’Ugon, si qu’en leve mes gris (ma robe de gris) », Audefroi le Bastard, Romancero; – XIIe s. « Quant la dame se sent enceinte, Si est forment muée e teinte », Grégoire le Grand, p. 10 –
Partition – Notation moderne
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval Période : XIIIe siècle, moyen-âge Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?) Interprète :Manseliña Titre: Sedía la Fremosa Album : Sedía la Fremosa (2018)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.
Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central
La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du RoiDenis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.
Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.
Sources et manuscrits anciens
Du point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.
Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña
Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais
Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.
A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion. Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.
Composition de l’ensemble Manseliña
María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif, Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole
Sedía la Fremosa : l’album
Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la noyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.
On retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.
Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa. Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.
« Sedía la fremosa » de Estêvão Coelho
Paroles et traduction
La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.
Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.
Sedía la fremosa seu sirgo torcendo, Sa voz manselinha fremoso dizendo Cantigas d’amigo.
La belle, assise, tordant son fil de soie De sa belle voix disait joliment Des Chansons à l’être aimé.
Sedía la fremosa seu sirgo lavrando, Sa voz manselinha fremoso cantando Cantigas d’amigo.
La belle, assise, travaillant son fil de soie De sa belle voix chantait joliment Des Chansons à l’être aimé.
– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes Amor mui coitado, que tan ben dizedes Cantigas d’amigo.
— Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous De si tristes amours, pour dire si bien Des chansons à l’être aimé ?
Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades D’amor mui coitada que tan ben cantades Cantigas d’amigo.
— Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous si triste en amour, pour chanter si bien Des chansons à l’être aimé ?
– Avuitor comestes, que adevinhades.
— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?
(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.
En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!
Fred
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale. Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Ab l’alen tir vas me l’aire Interprète : Camerata Mediterranea, Joel Cohen. Album : Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300 (1990)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte (ou la redécouverte) d’une chanson médiévale du troubadour toulousain Peire Vidal. En plus de sa traduction, cette pièce nous fournira l’occasion de parler d’un ensemble de renom : le Boston Camerata. Né outre atlantique dans les années 60-70, cette formation a trouvé également des prolongements sur les terres européennes, sous l’impulsion de son directeur Joel Cohen et à travers la Camerata Mediterranea.
« Ab l’alen tir vas me l’aire », Peire Vidal par la Camerata Mediterranea
Joel Cohen : de la Boston Camerata
à la Camerata Mediterranea
Ensemble dédié aux musiques anciennes, le Boston Camerata a vu le jour au milieu des années 50. Attaché dans un premier temps au Musée des Arts de la ville, il prit son indépendance 20 ans plus tard, dans le courant de l’année 74. Sous la direction du luthiste passionné de « Early Music » Joel Cohen, assisté bientôt de la chanteuse soprano française Anne Azéma (son épouse), la formation a produit dès lors un nombre considérable d’albums et de programmes. Son répertoire de prédilection s’étend du moyen-âge à la période baroque, mais va même jusqu’à des musiques classiques, populaires ou folkloriques du XIXe siècle. Le Boston Camerata est, à ce jour, toujours actif et Anne Azéma en a repris l’entière direction depuis 2008. A côté de cela, cette dernière a également créé, dans le courant des années 2000, l’Ensemble Aziman.
Dans le courant de l’année 1990, Joel Cohen fut également à l’initiative de la création de la Camerata Mediterranea, organisme à but non lucratif visant à promouvoir la recherche, les échanges et la communication entre artistes issus particulièrement du berceau méditerranéen et des trois religions monothéistes, autour du répertoire des musiques traditionnelles et anciennes, C’est sous l’égide de cette organisme que s’inscrivait l’album Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300, enregistré en France et dont est issue la chanson de Peire Vidal que nous vous présentons ici.
Pour plus d’informations sur les productions et les activités du Boston Camerarata, vous pouvez consulter le leur site web au lien suivant
Lo Gai Saber : un album de choix
autour des troubadours du moyen-âge central
Fort de vingt-une pièces, ce bel album tout entier dévoué à l’art des troubadours du sud de France médiévale, s’étendra même jusqu’à l’Espagne et au galaïco-portugais puisque ce sont les « Ondas de Mar » deMartim Codax qui en feront l’ouverture, Elles seront suivies de près par deux compositions de Peire Vidal, mais encore des chansons des plus célèbres représentants de la langue d’oc du moyen-âge central : Gaucelm Faidit, Bertrand de Born, Raimbault de Vaqueiras, Guillaume IX de Poitiers, Marcabru, Bernard de Ventadorn et bien d’autres encore.
Dès sa sortie, l’album fut encensé par la presse spécialisée. Entourés de grands noms de la scène des musiques anciennes, Joel Cohen et Anne Azema y prêtent leur voix et leur talent. A leur côtés, on retrouve Cheryl Ann Fulton à la harpe, Shira Kammen à la vielle et au rebec, mais aussi Jean-Luc Madier et François Harismendy à la voix. On peut encore trouver cette production à la vente au format CD ou même au format MP3 dématérialisé. A toutes fins utiles, voici un lien utile pour vous le procurer : Joel Cohen: Lo Gai Saber – Troubadours and Minstrels 1100-1300.
« Ab l’alen tir vas me l’aire » : la Provence médiévale de Peire Vidal
our revenir à la pièce du jour, Joel Cohen se livrait ici à l’exercice (au demeurant très médiéval) du contrefactum, puisqu’il plaquait sur les vers et la poésie de Peire Vidal, une mélodie datant du XIIIe siècle, par ailleurs attachée à une chanson du trouvère Conon de Bethune : « Chanson legiere a entendre ».
« Ab l’alen tir vas me l’aire qu’eu sen venir de Proensa« , « avec l’haleine, je tire vers moi l’air que je sens venir de Provence », ce texte est sans doute l’un des plus célèbres du troubadour du moyen-âge central. Voyageur par goût, mais, on le suppute aussi, un peu contraint par la force des événements, l’auteur médiéval faisait ici tribut à sa Provence natale et aimée. Dans un élan de lyrique courtoise, il y évoquait aussi immanquablement la dame qu’il avait dû laisser derrière lui mais qui continuait d’occuper toutes ses pensées. S’agit-il de l’épouse de son protecteur, Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, dit Barral de Marseille ? Une légende court sur un baiser volé et on avance quelquefois que les transports du poète à l’égard de la noble dame lui aurait peut-être valu de se faire bannir de la ville. Le mystère demeure et il peut encore s’agir de cette dame autour de Carcassonne auquel le poète fait allusion dans d’autres poésies.
Pour la traduction, nous nous basons sur celle de Joseph Anglade, dans son ouvrage consacré aux Poésies de Peire Vidal en 1913, tout en les revisitant un peu sur la base de recherches personnelles .
Les paroles de la chanson de Peire Vidal
avec leur traduction en français moderne
I Ab l’alen tir vas me l’aire Qu’eu sen venir de Proensa : Tôt quant es de lai m’agensa, Si que, quan n’aug ben retraire, Eu m’o escout en rizen E – n deman per un mot cen : Tan m’es bel quan n’aug ben dire.
Avec mon haleine j’inspire l’air que je sens venir de Provence; tout ce qui vient de là me plaît ; De sorte que quand j’en entends bien rapporter, moi, j’écoute en souriant
et j’en demande pour un mot, cent.
Tant il m’est agréable d’en entendre dire du bien.
II Qu’om no sap tan dous repaire Com de Rozer tro qu’a Vensa, Si com clau mars e Durensa, Ni on tan fis jois s’esclaire. Per qu’entre la franca gen Ai laissât mon cor jauzen Ab leis que fa*ls iratz rire.
Car on ne connaît pas de si doux pays que celui qui va du Rhône à Vence et qui est enclos entre mer et Durance ; et il n’en est pas qui procure tant de joie ; c’est pourquoi chez ces nobles gens j’ai laissé mon cœur joyeux, auprès de celle qui rend la joie aux affligés.
III Qu’om no pot lo jorn mal traire Qu’aja de leis sovinensa, Qu’en leis nais jois e comensa. E qui qu’en sia lauzaire, De ben qu’en diga no’i men ; Quel melher es ses conten E-l genser qu’el mon se mire.
Car on ne peut être malheureux le jour Quand on a d’elle souvenance; car en elle naît et commence la joie ; quel que soit celui qui fait son éloge et quelque bien qu’il en dise, il ne ment pas ; car elle est la meilleure sans conteste et la plus gracieuse et aimable qu’on puisse trouver en ce monde.
IV E s’eu sai ren dir ni faire, Ilh n’aja*l grat, que sciensa M’a donat e conoissensa, Per qu’eu sui gais e chantaire. E tôt quan fauc davinen Ai del seu bel cors plazen, Neis quan de bon cor consire.
Et je ne sais rien dire, ni faire dont le mérite ne lui revienne, car science elle m’a donné et talent (connaissance? ) Grâce auxquels je suis gai et chantant. Et tout ce que je fais de beau
m’est inspiré par son beau corps plaisant,
même quand cela vient du plus profond de mon coeur. (1)
(1) Joseph Anglade traduit ce dernier vers comme « même quand je rêve de bon cœur (?) » ce qui n’a pas tellement de sens. Nous penchons plus en faveur d’une traduction dans laquelle il fait de la dame de son cœur, la source d’inspiration de ses plus beaux vers, même quand ils viennent du plus profond de son être.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : Musique ancienne, musique médiévale, viole de Gambe, maître de musique, autobiographie, artiste, conférence vidéo. viole de gambe. Période : Moyen-âge, renaissance, baroque Auteur : Jordi Savall Lieu : Fondation Juan March (2014)
Bonjour à tous,
u’est-ce qui fait un artiste ? Est-ce une capacité ou une volonté de dépasser ses propres inquiétudes et ses peurs, les siennes, mais aussi celles des autres ? Vais-je survivre ? Mangerais-je à ma faim ? Pour avoir la ténacité indispensable de pratiquer son art dans d’infinis efforts, jour après jour, durant des heures incomptables, sans garantie et sans contrepartie économique immédiate ou évidente, il lui faut aussi une flamme que seule la passion peut entretenir mais n’y a-t-il pas encore, au fond de cet être unique, la certitude obstinée qu’il n’y a pas d’autres voies, quels qu’en soient les sacrifices ? Habité par une sorte de nécessité impérieuse, l’artiste véritable semble quelquefois laissé sans d’autres choix que de poursuivre inlassablement sa quête, comme si c’était pour lui la seule façon possible de traverser la vie.
Sur ce long chemin qui mène à un aboutissement jamais atteint, mené par la soif intarissable de toujours explorer de nouveaux territoires en friche, il faut aussi une poignée de rencontres clefs et de visages amis croisés sur le chemin qui l’encouragent à poursuivre, ceux qui font un geste aux moments les plus inattendus ou qui, par leurs élans, lui délivrent autant de signes, comme une façon de lui murmurer à l’oreille : « Continues, tu es sur la bonne route ». Et parmi tous ceux-là, il y a bien sûr aussi les maîtres, ceux qui montrent la voie et qu’il faut savoir écouter. Sans une reconnaissance profonde à leur égard, sans l’humilité d’apprendre encore et toujours et sans une gratitude sincère pour ses pairs, un artiste pourrait bien finir par se perdre en chemin. A l’évidence, celui que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui ne s’y est pas perdu.
Jordi Savall et la saveur des fraises sauvages
n 2014, le maître de musique, directeur d’orchestre et virtuose de la viole de gambe Jordi Savall était reçu par la Fondation Juan March pour y donner une conférence au sujet de son autobiographie intellectuelle et de son itinéraire artistique. Le lieu était propice à plus d’un titre puisque l’institution mécène espagnole avait compté dans son parcours en lui offrant, au moyen d’une bourse et alors qu’il étudiait encore son art, la possibilité de pourvoir à ses besoins et de poursuivre son apprentissage.
Itinéraire artistique et biographie à tiroir
Comme on le verra, il n’est pas question ici de répertoire médiéval stricto sensu, même si la quête inlassable des musiques anciennes, jusque dans les manuscrits et les traités d’époque, est demeurée au cœur des préoccupations de toujours de Jordi Savall. En plus de cette fascination singulière pour l’histoire de la musique, de ses instruments et de ses techniques, il aura fallu à ce grand artiste, une infinie patience et une vie soutenue d’efforts pour débusquer, jouer et faire découvrir au public, des trésors de compositions médiévales,
renaissantes ou baroques issus du plus lointain patrimoine méditerranéen et même au delà, jusqu’aux rivages des mondes celtiques ou latino-américains. Une partie de ces musiques compte des partitions pour viole de gambe que personne, jusqu’à lui, ne s’était aventuré à travailler et sa contribution, sur ce seul instrument, demeure unique sur la scène musicale internationale.
Pour le reste, on aura plaisir à suivre dans cette conférence, les pas du grand musicien catalan, de son enfance jusqu’à ses projets les plus récents et les plus ambitieux, en passant par son passage à la Schola Cantarum Basiliensis ou par son travail demeuré célèbre sur la bande originale du film d’Alain Corneau Tous les Matins du Monde. Il nous emmènera également à la source de ses célèbres formations, Hespèrion XX, la Capella Reial de Catalunya, l’Orchestre des nations et on y croisera aussi de grands noms de la scène classique et baroque du XXe siècle.
Pour qui sait écouter, il y a encore, dans cette autobiographie empreinte d’humanité, des leçons à tiroir qui débordent largement le champ historique pour s’intéresser à l’humain, à l’art et encore à l’itinéraire de l’artiste (avec un grand A), et c’est une véritable joie pour nous de pouvoir la partager avec vous ici.
Qui est la Fondation Juan March ?
Pour la culture espagnole et l’Humanisme
réée en 1955, par le financier et homme politique Juan March Ordinas, cette fondation madrilène est une institution patrimoniale et familiale de grand renom en Espagne. Dès son origine, elle s’est donnée pour mission de promouvoir le fleuron de la culture ibérique avec l’objectif d’en faire bénéficier la communauté la plus large et toujours avec un parti-pris de qualité. Dans les premiers temps de son existence, elle a agi principalement à travers des bourses d’études concédées à ceux qui arpentaient les larges avenues de la Culture et de l’Art espagnols et les valorisaient. Un peu plus tard, elle a mis en place ses propres programmes culturels ; ces derniers qui s’inscrivent dans la durée et dans la gratuité ont vocation, pour reprendre les propres mots de la fondation « à diffuser et renforcer la confiance dans les principes de l’humanisme dans des temps tout à la fois d’incertitude et d’opportunités, augmentées par l’accélération du progrès technologique« .
Programmes et actions de la fondation
On y trouvera nombre d’expositions, de conférences et de concerts. La fondation héberge aussi, en son sein, une bibliothèque sur le thème de la musique, un théâtre et possède encore deux musées : le Musée d’Art Abstrait de Cuenca, et le Musée de la Fondation Juan March de Palma de Mallorque. On retrouve également cette institution aux sources de la recherche scientifique, notamment dans le domaine des Sciences Sociales, à travers l’Institut Carlos III Juan March de l’Université Carlos III de Madrid.
La programmation musicale forme un partie importante de ses actions puisqu’elle propose, chaque année, près de cent cinquante concerts. Entre musiques anciennes, opéras, et genres variés, l’approche demeure toujours didactique et orientée sur la découverte et la sensibilisation. Quant aux conférences, elles balayent le large champ de la littérature et de la poésie, celui du théâtre et du cinéma, et vont encore jusqu’à la philosophie, en débordant les frontières de l’Espagne territoriale pour s’étendre jusqu’à l’Amérique latine. A noter que sur son site web, la Fondation rediffuse gracieusement toutes ses productions par l’intermédiaire de sa propre web Tv : Canal March
Note sur la traduction et la version française
Nous avions mis, depuis longtemps déjà, dans notre « bucket list » la traduction de cette véritable pépite, postée, il y a quelque temps, sur Youtube par la Fondation Juan March elle-même. On peut trouver en ligne nombre de vidéos et d’entrevues de Jordi Savall (qui s’exprime, par ailleurs, dans un français parfait), mais cette autobiographie demeure unique et très particulière, aussi nous espérons que vous aurez autant de plaisir à l’écouter que nous en avons eu à l’adapter en français. Puissiez-vous y goûter, comme le fait le maître de musique, à la saveur incomparable des fraises sauvages.
Avant d’en terminer, il nous faut souligner, une nouvelle fois, l’importance du mécénat ou des aides institutionnelles dans le domaine de la Culture. Il est merveilleux de penser qu’en faisant le geste, il y a près de 50 ans, d’aider un jeune étudiant têtu et passionné à poursuivre ses rêves les plus chers, une fondation a contribué à faire naître l’un des plus grands artistes sur la scène internationale des musiques anciennes.
En vous souhaitant une très belle journée
Frédéric F
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes