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« De ma Dame vient », un motet médiéval d’Adam de la Halle

Sujet :    musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvères d’Arras,  motet, chant polyphonique, ars nova, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :   Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : De ma Dame vient
Interprète  :  Early Music Consort Of London
Album  : Music of the Gothic Era (1975)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous embarquons pour le Moyen Âge central et la fin du XIIIe siècle pour y découvrir une composition du trouvère Adam de la Halle. Il s’agit d’un motet courtois qui met en scène deux amants différents, un homme et une femme.

A la découverte d’un motet courtois à 3 voix

Le premier protagoniste est un amoureux éconduit. Victime des médisants, il a, semble-t-il, perdu les faveurs de sa belle, mais il ne renonce pas pour autant à son amour pour elle. Quant à la jeune femme éprise, elle est dans l’attente de son amant, un peu à la façon d’une chanson de toile ou d’une cantiga de amigo. Pour tromper son attente, elle décide de renvoyer à ce dernier un objet qu’elle tenait de lui, espérant que le la sorte, il reviendra plus vite vers elle. Comme on le verra, elle aura du mal à se séparer de l’objet auquel elle s’est attachée en ce qu’il lui rappelle son doux ami et lui permet de combler son absence.

Le motet d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval MS Français 25566 de la BnF
Le motet d’Adam de la Halle dans le MS Français 25566 de la BnF

Sources manuscrites médiévales

Du point de vue des sources, on citera ici le manuscrit médiéval Français 25566. Ce chansonnier contient un nombre varié de pièces et chansons de poètes et trouvères d’Arras. Adam de la Halle y côtoie Jean Bodel, Jehan Petit d’Arras, Richard de Fournival, Huon de Méri et d’autres auteurs de la même période. Cet ouvrage de la fin du XIIIe siècle est conservé au département des manuscrits de la BnF et il peut être, également, consulté en ligne sur Gallica.

On trouve une version de cette chanson d’Adam de la halle dans le manuscrit ancien H196, dit codex ou chansonnier de Montpellier, actuellement conservé à la Bibliothèque Inter-Universitaire de Montpellier.

Le trouvère Adam de la Halle par
le Early Music Consort Of London

Nous avons déjà eu l’occasion de partager sur le site, plusieurs pièces de musiques médiévales et anciennes interprétées par le Early Music Consort Of London. Fondé en 1967 par le talentueux et précoce David Munrow, la formation musicale produisit de nombreux albums jusqu’à son arrêt brutal, en 1976, suite au décès prématuré de son jeune directeur (vous pourrez retrouver un portrait de l’ensemble médiéval ici).

L’album Music of the Gothic Era

En 1975, le Early Music Consort of London revisitait de manière très large, la musique polyphonique des Moyen Âge central à tardif avec un double album généreux de près de 140 minutes de durée pour 59 pièces. Ces dernières vont de l’ars antiqua à l’ars nova, et l’ensemble londonien y gratifiait encore l’auditeur de six pièces de l’Ecole Notre dame, composées par les maîtres de musique Léonin et Perrotin.

Ce bel album a connu un deuxième souffle en 1997 avec une réédition complète au format CD. Aux dernières nouvelles, on peut toujours le trouver chez tout bon disquaire ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Artistes ayant participé à cet album

  • Contre-ténors : James Bowman, Charles Brett, David James
  • Ténor : Rogers Covey-Crump, Paul Elliott, Martyn Hill, John Nixon, John Potter
  • Instrumentistes : Geoffrey Shaw (basse), Oliver Brookes (violon), Eleanor Sloan (rebec, violon), Nigel North (rebec), James Tyler (luth, mandole), Gillian Reid (cloches, psaltérion), Christopher Hogwood (harpe, orgue), David Corkhill (cloches, orgue, timbal ), Michael Laird (cornet), Iaan Wilson (cornet), Alan Lumsden (cornet à piston, trompette à coulisse), David Munrow (flûtes à bec, chalemie, cornemuse)

De ma Dame vient en langue d’oïl
avec traduction en français actuel

Le vieux français d’Adam de la Halle n’est pas toujours simple à décrypter. Pour cette fois, nous l’avons donc abondement noté. Cela complique un peu la lecture de l’original mais le code couleur (oïl en vert et en gras) devrait venir à la rescousse pour vous la faciliter. Veuillez noter qu’il s’agit d’une version de travail qui nécessitera quelques ajustements ultérieurs. Une adaptation suivra.


De ma Dame vient
Li dous maus que je trai
(de traire, ici endurer souffrir)
Dont je morrai
S’esperanche
(espérance) ne me retient.
Et la grans joie que j’ai.
Car j’aperchoi bien et sai
Con m’a grevé
(faire du tord) et mellé (de mesler, troubler, rendu confus)
Si (si bien) qu’elle m’a tout ensi qu’entrouvllié
(oublié)
Qui en soloie
(avait l’habitude) estre au deseure (au dessus).
Diex, quant venra l’eure
Qu’aie a li parlé,
Et de chou
(ce) qu’on m’a mis seure (dont on m’a accusé)
Mi escusé !
Très douche amie,
Ayés de moi pité ,
Pour Dieu merchi I
Onques n’ama qui
Pour si pau haïne déservi.
(jamais nul n’aima qui pour si peu mérita la haine)
Ne l’ai mie
(je ne l’ai nullement mérité),
Ains est par envie
Con en a mesdist,
Et en leur despit
(mépris)
Maintenant irai,
Et pour euls crever
(les faire périr, enrager), ferai
Meilleur sanlant
(figure) que je ne deveroie.
Fui te, gaite, fais me voie !
(arrière, garde, laisse-moi passer)
Par chi passe gent de joie ;
Tart m’est que g’i soie ;
(il est bien tant que j’y sois, il me tarde d’y être)
Encore m’i avez vous musi
(quoique vous m’ayez faire perdre du temps
(1)).
Si serai-je miex de li
(car je serais mieux avec elle)
C’onques ne fui, se seulete
(car jamais je ne fus si seul)
Ancui
(encore aujourd’hui) en un destour (détour)
Truis m’amiete,
(je trouvais ma petite amie)
La douchete,
(la douce)
La sadete,
(la gracieuse)
Blondete,
(belle pleine de grâce, de bonne mine)
Saverousete
(délicate) ,
Que Diez doint bonjour.
(que Dieu vous salue)

2.
Diex coment porroie
Trover voie
D’aler a celi
(celui)
Cui amiete je sui,
(dont je suis l’amie)
Chainturele
(petite ceinture), va i
En lieu de mi
(à ma place),
Car tu fus sieve
(sienne) aussi.
Si m’en conquerra miex.
(Ainsi il me conquerra mieux)
Mais comment serai sans ti ?
(comment me passerais-je de toi petite ceinture)
Dieus, chainturele mar vous vi
(le malheur est en vous)
Au deschaindre m’ochiés
(en te débouclant, je m’occis moi-même)
De mes griétes
(peines, difficultés) à vous me confortoie,
Quant je vous sentoie
Aimi !
(hélas, aie-mi, interjection de douleur)
A le saveur de mon ami.
Ne pour quant d’autres en ai
(mais j’ai d’autres ceintures)
A cleus
(fermoirs) d’argent et de soie
Pour m’en user;
Moi, lasse! comment porroie
Sans cheli durer
(endurer sans celui)
Qui me tient en joie ?
Canchonete
(chanson) chelui proie (de proier, prie)
Qui le m’envoia
(la ceinture)
Puisque jou (je) ne puis aler là
Qu’il enviengne à moi
Chi droit, à jour failli
(au jour tombé),
Pour faire tous ses bons
(pour accomplir tous ses désirs)
Et il m’orra
(de oïr, m’entendra) quant il ert poins (il sera proche)
Canter à » haute vois :
Par chi
(ici) va la mignotise (douceur, coquetterie, gentillesse aimable),
Par chi ou je vois
(par ici où je vais).

3. Omnes

(1) Dans une autre version, on trouve, « encore que vous ne m’ayez pas nui« 


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Gilles de Binche, rondeau courtois & une esquisse de biographie

Sujet : chanson, poésie médiévale, Amour Courtois, musique médiévale, lyrique courtoise, rondeau, moyen-français.
Auteur-Compositeur : Gilles de Binche, Gilles Binchois (1400-1460)
Titre : De plus en plus se renouvelle
Période :  XVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprètes : Ensemble  Gilles Binchois
Album :  Mon souverain désir, Virgin Classics 1998

Bonjour à tous,

ontemporain de la première moitié du XVe siècle, Gilles Binchois (Gilles de Binche ou encore Gilles de Bins) nous a légué une œuvre musicale d’importance composée de chants polyphoniques représentatifs de l’Ecole Bourguignonne.

Du point de vue thématique, ce compositeur d’origine flamande s’est essayé à des pièces liturgiques comme profanes mais ces dernières demeurent celles qui ont plus connu les faveurs de la postérité. On y dénombre un peu plus d’une cinquantaine de chansons courtoises d’une grande sensibilité dont certaines empruntent leurs textes à des poètes célèbres du temps de Binchois (Charles d’Orléans, Alain Chartier, …). Aujourd’hui, nous vous entraînerons à la découverte d’un nouveau rondeau d’amour de ce compositeur du Moyen Âge tardif, mais avant disons un mot de sa biographie.

Esquisse de biographie

Gilles de Binche est vraisemblablement issu d’une famille bourgeoise originaire de Binche, près de Mons, dans l’actuelle province de Hainaut, en Belgique. Avant d’être le compositeur qui marqua ses contemporains, ce fut, semble-t-il, un homme d’armes. Nous sommes dans le contexte de la guerre de cent ans avec encore une forte présence anglaise en France et des jeux d’alliances changeantes de la part des différentes provinces qui composent le royaume.

Quelques repères scandent la biographie de Gilles Binchois. Ainsi, on le trouve à Paris en 1424, attaché au service de William de la Pole (Guillaume de La Pole), comte, puis marquis et finalement duc de Suffolk et capitaine de la guerre de cent ans, du côté des angloys. Gilles Binchois sert alors encore sous les armes (peut-être comme corps d’archer (1)) mais il est déjà reconnu pour ses talents musicaux et ses compositions. Il compose même un rondeau pour le comte et militaire anglais de Suffolk. S’il vit à Paris, son cœur ne semble jamais très éloigné du duché de Bourgogne. Une anecdote le dépeindra, en effet, aux côtés du comte de Suffolk, en route pour le Hainaut et prenant verbalement la défense de Philippe le Bon.

A la cour de Bourgogne

Autour de 1430, Gilles de Binche a, du reste, rejoint la puissante et riche cour bourguignonne. Entré dans les ordres, entre-temps, il est alors attaché à la chapelle de Philippe III le Bon. Il y demeurera pour le reste de sa vie, occupant les fonctions de second chapelain, puis de chantre. Plus tard, en 1437, il sera aussi ordonné chanoine de Mons, Soignies et Cassel.

Le nom de Gilles Binchois demeure indissociable de celui de Guillaume Dufay dont il est contemporain. Les deux hommes se sont même connus et côtoyés à la cour de Bourgogne. Martin Franc, religieux et poète de ce même XVe siècle en a témoigné dans son ouvrage de 1440 : Le Champion des Dames. Il en est d’ailleurs ressorti une enluminure célèbre que nous ne nous privons pas d’utiliser en tête de cet article ( aux côtés de Dominique Vellard de l’ensemble Gilles Binchois). Elle est tirée du superbe manuscrit médiéval Français 12476 de la BnF ( consultable ici). Aux dires de Martin Franc, Dufay et Binchois ont été clairement influencés par le compositeur anglais John Dunstable (1390-1453) même s’ils ont su enrichir leurs inspirations de leur propre style et talent.

De plus en plus se renouvelle
Un rondeau sur l’amour de loin

La pièce de Gilles de Binche que nous vous proposons aujourd’hui, de découvrir compte parmi les chansons les plus célèbres du compositeur. C’est un rondeau empreint de courtoisie dans lequel le poète partage à la fois sa tristesse et son sentiment amoureux. On y retrouvera un peu du thème courtois classique de l’amour de loin cher au troubadour Jaufré Rudel, trois siècles auparavant. L’ombre de la querelle et de la séparation y plane aussi. La dame est-elle momentanément froissée à l’égard du poète ? A-t-elle décidé de prendre quelques distances ou ne fait-il que l’anticiper et le redouter ? Quoiqu’il en soit, en bon loyal amant, il en saisit l’occasion pour lui renouveler, son engagement et sa fidélité de cœur.

De plus en plus se renouvelle, par l’ensemble médiéval Gilles Binchois

Gilles Binchois : Mon souverain désir,
par l’ensemble Gilles Binchois

Dans cette belle version, on retrouve encore, ici, l’Ensemble Gilles Binchois dirigé par Dominique Vellard. Il faut dire que la formation médiévale a su se rendre incontournable sur la scène des musiques anciennes, au moment d’aborder l’œuvre du compositeur du moyen-âge tardif.

Sur l’album Gilles Binchois : Mon souverain désir, sorti en 1998, Dominique Vellard et ses complices nous proposaient pas moins de 17 pièces profanes du compositeur, pour une durée de 60 minutes. Ce ne sera pas la seule production que l’ensemble dédiera à Gilles de Binche et aux musiques de la cour de Bourgogne. D’autres albums viendront s’y joindre sur le même thème sans pour autant étancher la soif d’exploration de la formation talentueuse. Durant sa longue carrière, l’ensemble Gilles Binchois aura, en effet, l’occasion d’élargir son répertoire à bien d’autres aspects de la musique liturgique et profane du Moyen Âge (voir portrait de l’ensemble Gilles de Binchois). A date, elle a produit pas moins de 51 albums.

En ce qui concerne celui du jour, ce très bel album n’a pas pris une seule ride et on peut toujours le trouver à la vente chez tout bon disquaire ou même en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens présents sur cet album

Anne-Marie Lablaude (voix soprano), Lena-Susanne Norin (mezzo-soprano), Akira Tachikawa (countretenor), Dominique Vellard (tenor, luth), Emmanuel Bonnardot (bariton, vièle), Pierre Hamon (flûte,  instruments à vent, tambourin), Randall Cook (vièle, rebec), Jan Walters (harpe), Miriam Anderson (harpe)


De plus en plus se renouvelle,
dans le moyen français de Gilles de Binche

NB : le moyen français de Gilles Binchois ne devrait guère vous poser de difficultés. Aussi, nous vous le livrons dans sa pureté à une note près.

De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.
Ce me fait le tres grant desir
Que j’ay de vous ouir nouvelle.

Ne cuidiés pas que je recelle
(2)
Comme a tous jours vous estes celle
Que je vueil de tout obeir.
De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.

Helas, se vous m’estes cruelle
J’auroie au cuer angoisse telle
Que je voudroie bien morir
Mais ce seroit sans desservir
En soustenant vostre querelle.

De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.
Ce me fait le tres grant desir
Que j’ay de vous ouir nouvelle.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes
(1) Archives de Arts, Sciences et lettres, document inédits publiés et annotés par Alexandre Pinchard (Tome 3), 1881
(2) Ne croyez pas que je cache, que je tiens secret.

Un rondeau courtois du trouvère Jehan de Lescurel

Enluminure du Roman de Fauvel - MS français 146

Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, manuscrit médiéval,  français 146, vieux-français, langue d’oïl, rondeau, fin’ amor
Période : Moyen Âge, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
Jehannot (Jehan) de Lescurel
Titre : A vous, douce debonaire
Interprète : Ensemble Céladon
Album :  The Love Songs of Jehan de Lescurel (2015)  

Bonjour à tous,

u Moyen Âge central (probablement entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle), le trouvère Jehan de Lescurel (ou Jehannot de Lescurel) nous a légué une œuvre musicale qui préfigure l’arrivée de l’Ars Novae. Elle comporte un peu plus de 30 pièces courtoises, rédigées dans un style très pur et souvent très simple ; cet article nous fournira l’occasion d’étudier l’une d’entre elle.

La promesse d’un amant loyal à sa dame

Manuscrit médiéval français Ms 146, chansons de Jehan de Lescurel

Aujourd’hui, nous partons à la découverte de la chanson « A vous, douce débonnaire » de Jehan de Lescurel. C’est un rondeau et, donc, une poésie assez courte, ce qui est le cas d’un nombre important de pièces de cet auteur-compositeur médiéval. Son contenu tient en quelques lignes. En loyal amant, le poète y fait l’éloge de la dame douce et débonnaire à qui il a donné son cœur. Ce rondeau lui renouvelle son engagement : il ne se dédira pas et lui restera fidèle de cœur jusqu’à la mort. Nous sommes bien dans la lyrique courtoise.

Sources historiques et médiévales

Du point de vue des sources historiques, nous retrouverons, ici, le manuscrit Ms Français 146 de la BnF. Cet ouvrage médiéval, des débuts du XIVe siècle, contient l’ensemble de l’œuvre de Jehan de Lescurel, annotée musicalement. Le trouvère y côtoie d’autres auteurs comme Gervais de Bus et son Roman de Fauvel, mais aussi un nombre important de pièces du clerc Geoffroi de Paris et une partie des congés d’Adam de la Halle. Pour la transcription de ce rondeau en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Chansons, ballades et rondeaux, de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle de Anatole de Montaiglon (1858).

Douce Dame Debonaire par l’Ensemble Céladon

The Love Songs of Jehan de Lescurel
par l’ensemble musical Céladon

Depuis sa fondation en 1999, cette formation lyonnaise, menée par le talentueux contre-ténor et directeur Paulin Bündgen, est devenue incontournable sur la scène musicale médiévale. Avec une discographie riche d’une dizaine d’albums, l’ensemble Céladon propose, aujourd’hui, des programmes qui vont du répertoire médiéval jusqu’à la période baroque.

Jehan de Lescurel, album de musique médiévale

En 2015, cet ensemble spécialisé dans les musiques anciennes faisait paraître un bel album, centré sur les compositions médiévales du trouvère Jehan de Lescurel. Avec 31 pièces proposées, pour une durée de 76 minutes, toute l’œuvre courtoise du trouvère médiéval y est traitée. Une fois de plus, la pièce du jour donne l’occasion à l’Ensemble Céladon de démontrer ses grandes qualités vocales. Son interprétation polyphonique à trois voix reste d’une grande pureté et sert à merveille la pureté poétique du trouvère du Moyen Âge central.

Relativement récent, cet album de musique médiévale est toujours disponible au format CD. Vous pourrez , donc, le trouver chez tout bon libraire ou même à la vente en ligne. Il est également disponible sur un certain nombre de plateformes digitales au format Mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Artistes présents sur cet album

Anne Delafosse (voix soprano), Clara Coutouly (voix soprano), Paulin Bündgen (contre-ténor), Nolwenn Le Guern (vièle), Ludwin Bernaténé (percussion), Angélique Mauillon (harpe), Florent Marie (luth), Gwénaël Bihan (flute),

A vous, douce debonaire, en vieux français

A vous, douce debonaire ,
Ai mon cuer donné,
Jà n’en partiré.
Vo vair euil m’i font atraire
A vous, dame debonaire
Ne jà ne m’en quier retraire ,
Ains vous serviré ,
Tant com[me] vivré.
A vous, dame debonaire,
Ai mon cuer donné ;
Jà n’en partiré.

Traduction en français actuel

A vous, douce et aimable
J’ai donné mon cœur,
Jamais ne m’en séparerai.
Vos yeux bleus (gris bleu) m’attirent à vous,
A vous, douce dame
Jamais je ne désirerai m’en éloigner
Mais je vous servirai plutôt
Aussi longtemps que je vivrai.
A vous, douce dame
J’ai donné mon cœur,
Jamais ne m’en séparerai
.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Paulin Bündgen, vous retrouverez la page du manuscrit Ms Français 146 où se trouve le rondeau de Jehan de Lescurel du jour.

« Douce dame, grez et grâces… » une chanson courtoise du trouvère Gace Brulé

enluminure médiévale troubadour

Sujet : musique médiévale, chanson médiévale,  poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français,  fine amant, fine amor, chansonnier du Roy, manuscrit ancien
Période :  XIIe s,  XIIIe s, Moyen Âge central
Titre: Douce dame, grez et grâces vos rent 
Auteur :  Gace Brûlé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Gilles Binchois.
Album: Les Escholiers de Paris (Alba, 1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’une nouvelle chanson médiévale de Gace Brûlé (Gace Brulé, Gaces Brullez). Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, ce trouvère et chevalier a produit une œuvre abondante qui n’a pas manqué d’inspirer des auteurs de sa génération et même de la suivante, comme Thibaut de Champagne. Sa poésie s’épanouit, principalement, dans le registre de la lyrique courtoise et la pièce que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, n’y déroge pas.

L’exercice de courtoisie d’un trouvère épris

Chanson annotée de Gace Brulé dans un Manuscrit médiéval

La chanson du jour annonce le thème de l’amour courtois dès ses premiers vers : Douce dame, grez et grâces vos rent. Gace chante pour obtenir un signe favorable de la belle qu’il convoite. Comme il nous l’expliquera, s’il aime cette dernière trop fort ou trop haut, il ne faut pas l’en blâmer. Le seul coupable c’est « amour », le grand maître des horloges émotionnelles et sentimentales. Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? La dame est si belle, si gracieuse et emplie de bienfaits que le loyal amant mourrait plutôt que de s’en séparer. Il ne lui reste donc plus qu’à patienter, implorer merci et que cette dernière le prenne en pitié. C’est un classique de la lyrique courtoise.

Comme on le verra, dans les deux dernières strophes de sa chanson, Gace Brulé s’adresse à deux personnages : Gilet et Renalt qu’on retrouve, par ailleurs, mentionnés en d’autres endroits de son œuvre. Ici, il les fustige tous deux d’avoir tourné le dos à « amour » que l’on est enclin à comprendre comme l’exercice de la poésie courtoise. Si quelques érudits se sont perdus en conjectures sur l’identité réelle de ces deux hommes, rien d’évident ne semble en être ressorti. Il a pu s’agir de poètes de l’entourage du trouvère ayant délaissé la plume, peut être au profit des croisades. Selon Gaston Paris, il pourrait s’agir de Hugon et Gautier de Saint-Denis (voir Les chansons de Gace Brulé, Gédéon Huet,1902).

Sources manuscrites médiévales

On peut retrouver cette chanson du trouvère Gace Brûlé dans un nombre important de manuscrits médiévaux. Dans l’image du dessus, vous la retrouverez, avec sa partition annotée, telle qu’elle se présente dans le Ms Français 844 de la BnF, encore connu sous le nom de chansonnier ou manuscrit du roy. De manière non exhaustive, on pourrait encore citer le Français 845 (utilisé pour l’image d’en-tête), le français 20050 dit Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés ou même encore le Chansonnier Cangé ou Ms Français 846.

Pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Gédéon Huet (op cité). Ci-dessous, nous vous proposons de la découvrir en musique avec une version polyphonique originale de l’Ensemble Gilles de Binchois.

Gilles Binchois & Les Escholiers de Paris

En 1992, l’Ensemble Gilles Binchois, sous la houlette de Dominique Vellard, proposait au public son album : Les Escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle. Avec 20 pièces présentées, pour un peu plus de soixante minutes de durée, cette production fut largement saluée par la scène des musiques anciennes et médiévales.

Les Escholiers de Paris - Album de musique médiévale

Comme l’indique le sous-titre de cet album qui rend hommage au Paris étudiant et fourmillant du XIIIe siècle, l’ensemble médiéval et son directeur ont fait le choix d’y proposer un nombre important de motets et de pièces polyphoniques. On y trouvera des pièces anonymes du codex de Montpellier, mais aussi des chansons d’auteurs comme Thibaut de Champagne, Gillebert de Berneville, et, bien sûr, Gace Brulé. Ils y côtoient quelques danses et estampies enlevées. S’y est ajouté le parti-pris original de reprendre à plusieurs voix, quelques chansons monophoniques de cette période. C’est le cas de celle du jour, revisitée ainsi pour le plus grand plaisir du public (voir notre article précédent sur cet album).

Cet album de musique médiévale a été réédité depuis sa sortie. On peut encore le trouver chez tout bon disquaire mais aussi à la vente en ligne, au format CD comme au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Escholiers de Paris, Ensemble Gilles Binchois, l’album.

Artistes ayant participé à cet album

Emmanuel Bonnardot (voix, rebec, vièle), Randall Cook (vièle, chalemie, recorder), Pierre Hamon (flute, cornemuses, percussion), Anne-Marie Lablaude (voix, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Susanne Norin (voix), Dominique Vellard (voix, cistre, direction), Willem de Waal (voix),


Douce dame, grez et grâces vos rent
en langue d’oïl avec aide à la traduction

Note sur la traduction : pour percer les mystères de la langue d’oïl de Gace Brulé, nous avons fait le choix, cette fois, de vous fournir plutôt quelques clefs de vocabulaire en français actuel. Pour le reste, ce sera donc à vous de jouer.

I
Douce dame, grez et grâces vos rent.
Quant il vos plaist que je soie envoisiez
* (content) ;
Atendu ai vostre comandement,
Si chanterai por vos joianz et liez
* (gaité),
Et, s’il vos plaist, de moi merci aiez.
En tel guise vos en praigne pitiez
Qu’il ne vos poist
* (pèse) se j’aim si hautement.

II
Je sai de voir
* (vraiment) que resons me defent
Si haute amor se vos ne l’otroiez;
Mais haut et bas sont d’un contenement
* (contenance),
Qu’amor les a a son talent jugiez;
Siens est li bas qui por li est hauciez.
Et siens li hauz qui s’en est abaissiez;
Qu’a son voloir les monte et les descent.

III
Je ne di pas que nus aint
* (aime) bassement.
Puis que d’amor est sorpris
* (désireux) et liiez* (joyeux) ,
Honorer doit la joie qu’il atent,
S’il estoit rois, et ele ert
* (de estre, était) a ses piez.
Mais je sui, las, sor toz autres puiez
* (élevé),
De hautement amer
(aimer) a mort jugiez* (condamner à mort);
Mes moût muert bel qui fait tel hardement.
(1)

IV
Par Dieu, dame, l’amors de vos m’esprent
* (éprendre, embraser),
Qui m’occira, se vos ne m’en aidiez.
El ne fait mes qu’a son comandement,
Si li ert bel se por li m’ociez
* (de occire).
Et s’endroit vos
* (quant à vous) est vaincue pitiez,
Moie ert la perte, et vostres li péchiez,
Que dou partir de vos n’i a nient.
(2)

V
Fine biauté plesant et cors très gent
* (gracieux, joli)
Vos dona Dieus, dont il soit merciez.
Nus ne porroit loer si finement
Voz granz valors con vos les mostreriez,
En touz bienfèz et en toz biens proisiez
* (de proisier : prisées, estimées);
Et s’il vos plaist honorez n’essaussiez
* (ni élever ou exhalter)
N’iert ja a droit qui d’amor ne l’atent
(3).

VI
Chantez, Renalt, ki antan amïez ;
Or m’est avis que vos en retraiez
* (retirez).
Se del partir estes apareilliez
* (vous vous apprêtez),
Ja onques Deus oan
(désormais) ne vos ament.


VII

Par Dieu, Gilet, faus amanz desloiez* (faux amant déloyal),
Qui d’amor s’est partiz
* (séparé) et esloigniez,
Vaut assez plus qu’uns autres enragiez ;
Chastoiez
en vos* (réprimandez-vous en) et l’autre dolent* (s’en afflige).

(1) Mais il meurt de fort belle manière celui qui le fait si hardiment.
(2) Car il n’y a aucun moyen de se séparer de vous
(3) Il n’est jamais juste celui qui ne l’attend de l’amour.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : Sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Dominique Vellard, vous pourrez voir la page du manuscrit Ms Français 845 où l’on peut trouver cette même chanson de Gace Brulé. Cet ouvrage du XIIIe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.