Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, chevalerie, valeurs chevaleresques, chevaliers, bacheliers, tournois, littérature médiévale, ballade, français ancien, , moyen-âge chrétien, baccalauréat. Période : moyen-âge tardif Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Ballade du bachelier d’armes » Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ous publions aujourd’hui, une ballade médiévale d‘Eustache Deschamps à l’attention des jeunes ou futurs chevaliers de son époque. Le poète et Seigneur de Barbonval et bailly de Senlis connait bien lui-même les métiers d’armes, puisqu’il occupa, entre autres fonctions et à un point de sa longue carrière, celle d’écuyer du duc d’Orleans.
Là encore, l’œuvre prolifique d’Eustache Deschamps, tout autant la façon direct qu’il a d’aborder les sujets les plus divers, en font un témoin précieux du moyen-âge central à tardif.
Cette poésie nous permet notamment d’approcher, de manière très concrète les valeurs chevaleresques du XIVe et même, dans une certaine mesure, des deux siècles le précédent. Et comme l’auteur adresse très directement sa ballade aux jeunes bacheliers d’armes qui lui sont contemporains, les valeurs dont il nous parle s’en trouvent du même coup « actualisées » dans la réalité de son temps. Dit autrement, ces dernières ne sont plus seulement ici des valeurs lointaines, admirables et allégoriques dont l’on pourrait s’inspirer à la lecture d’un roman arthurien. Que leurs sources premières soient littéraires ou historiques, elles prennent, sous la plume du poète médiéval, force de loi et de conseils directs pour l’action.
Bachelier, aux origines du mot.
(NB : nous suivons ici le fil d’un article de Maurice Tournier, paru en 1991, dans la revue « Mots » et disponible sur Persée.)
Avant que d’œuvrer dans des salles d’examen, le stylo fébrile à la main et le souffle court pour obtenir le diplôme tant convoité qui leur offrira le ticket d’entrée pour les universités et autres hautes écoles, historiquement le nom de bachelier, a désigné des choses diverses. Au plus loin que l’on puisse remonter et notamment au latin baccalarius, il désignait des petits propriétaires de vignes (de Bacchus) ou même d’élevages bovins, soit des gardiens de vaches. Que les futurs titulaires du diplôme ou ceux qui le briguent se rassurent, même si le métier de gardien de vaches reste tout à fait noble, leur avenir ne sera pas nécessairement voué à cette fonction.
Plus tard, dans le courant du haut moyen-âge, le terme de bachelerou bachelier désignera encore un petit propriétaire terrien, mais aussi, par extension un noble n’ayant pas été « armé chevalier » ou adoubé, ou même aspirant à le devenir. Il s’appliquera aussi pour un gentilhomme qui n’a pas suffisamment de possession pour avoir sa propre « bannière », soit un banneret. Dans ce cadre, le terme s’appliquera donc plus favorablement au futur héritier d’un fief.
Tournois et chevalerie médiévale, Enluminure,
Code Manesse, (1310-1340)
Dans le courant du moyen-âge central, le mot évoluera pour désigner une classe d’armes entre les écuyers et les chevaliers, mais on le retrouvera encore usiter pour désigner de manière plus générale la classe des jeunes chevaliers. Il semble que l’usage qu’en fasse ici Eustache Deschamps se situe plutôt dans ce champ d’application puisqu’il leur donne une leçon sur les valeurs auxquelles ils devront se plier.
Dans une autre extension plus tardive du terme bachelier, on trouvera enfin la désignation de tout jeune homme libre et non encore engagé maritalement, d’où d’ailleurs également la variante Bachelette et même Bacelle qui, par le passé, fut en usage pour désigner une jeune fille à marier. Le nom du diplôme « Baccalauréat » est, quant à lui, le fait de François 1er qui créa un ordre de chevalerie nommé ainsi.
Ballade du Bachelier d’Armes.
Eustache Deschamps XIVe siècle
Vous qui voulez l’ordre de chevalier, Il vous convient mener nouvelle vie, Dévotement en oroison veillier, Péchié fuir, orgueil et villenie. L’Eglise devez deffendre , Le vefve aussi , l’orphenin entreprandre ; Estre hardis et le peuple garder, Prodoms, loyaux, sanz riens de l’autrui prandre Ainsi se doit chevalier gouverner.
Humble cuer ait, toudis doit traveillier Et poursuir faiz de chevalerie, Guerre loyal, estre grant voyagier; Tournoiz suir et jouster pour s’amie : Il doit à tout honnour tendre, Si c’om ne puist de lui blasme reprandre ; Ne lascheté en ses oeuvres trouver; Et entretouz se doit tenir le mendre* : (*moindre) Ainsi se doit gouverner chevalier.
Il doit amer son seigneur droiturier, Et dessus touz garder sa seignourie ; Largesce avoir, estre vray justicier, Des prodommes suir la compaignie, Leurs diz oïr et aprandre, Et des vaillans les prouesces comprendre , Afin qu’il puist les grans faiz achever Comme jadis fist le roy Alixandre : Ainsi se doit chevalier gouverner.
Eustache Deschamps
Au passage, souhaitons une bonne chance et une belle réussite à tous ceux qui passent leur baccalauréat cette année !
Sujet : musique, poésie médiévale, trouvère, chanson ancienne, Titre : «Je chevauchoie l’autrier », chanson de rencontre » ou de « mal mariée » Auteur: Jehan Moniot de Paris( ? 1200 ?) Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Interpréte : Marc Mauillon , Festival Muzyka w Raju, Pologne, 2015
Bonjour à tous,
ous partons aujourd’hui au XIIIe siècle avec une chanson du trouvère Moniot de Paris. Elle nous conte les déboires d’une mal-mariée flirtée en chemin par l’auteur qui « chevauchoait » sur les bords de Seine avant de la rencontrer. Le texte emprunte en partie au genre de la Pastourelle et ce « l’autre jour alors que j’allais chevauchant » est aussi un départ « classique » que l’on retrouve dans plusieurs chansons du Moyen Âge. En revanche, en fait de pastourelle, il n’y a ici point de bergère ici, sinon un dame ( bourgeoise? ) mal mariée à un vilain et qui s’en plaint, ce qui n’est pas d’ailleurs pour déplaire au galant qui semble plutôt en prendre son partie et y voir l’occasion d’inviter la belle à convoler avec lui.
Il existait vraisemblablement au XIIIe siècle, au moins trois trouvères contemporains les uns des autres, et connus sous le nom de Moniot : Moniot d’Arras, Moniot de Paris et Moniot. La question de l’attribution de leurs oeuvres respectives s’est donc posée, entre les spécialistes de littérature et de poésie médiévale pour un certain nombre de pièces pour finir par être à peu près tranchée. Le Moniot qui nous intéresse aujourd’hui, Jehan Moniot de Paris à légué neuf poésies/chansons et on lui prête généralement la paternité du Dit de Fortune(écrit autour de 1278 par un Monniot avec double n), même si cela reste sujet à débat.
De la même façon, on a avancé que Moniot avait pu être un surnom pour désigner un « petit moine ». Dans cette hypothèse, l’auteur aurait donc été frère avant de se faire trouvère, mais, en réalité, il est difficile d’en être tout à fait sûr puisque, hormis les quelques chansons qu’on peut lui attribuer, on ne sait pratiquement rien de sa vie.
L’interprète du jour Marc Mauillon
C’est le baryton Marc Mauillon et son grand talent qui nous accompagnent dans ce voyage à la découverte du trouvère Moniot de Paris et de cette poésie du Moyen Âge central.
Seul en scène, a cappella et devant une salle comble auFestival polonais de musiques anciennes Muzyka w Raju dont nous vous avons déjà touché un mot ici, l’artiste lyrique nous donnait à entendre, avec virtuosité, cette chanson du XIIIe siècle dans le verbe de son vieux-français original.
Son choix d’interprétation minimaliste est aussi heureux qu’audacieux. Loin des grandes orchestrations, il nous permet d’approcher cette poésie et sa langue de manière directe et entière, autant que de nous tenir au plus près de l’Art de ces « trouveurs » qui allaient souvent solitaires, de cour en cour et de lieu en lieu pour y chanter leur poésie et trouver ainsi leur pitance.
Chanson de rencontre
ou chanson de Mal-marié
Je chevauchoie l’autrier Sur la rive de Saine : Dame de joste un vergier Vi plus blanche que laine Chançon prist a commencier Souef a douce alaine. Mult doucement li oi dire et noter : « Honis soit qui a vilain me fist doner! J’aim mult meus un poi de joie a demener Que mil mars d’argent avoir et puis plorer. »
Hautement la saluai De Deu le fil Marie El respondi sans delai : « Jhésus vous benïe! » Mult doucement li priai Qu’el devenist m’amie. Tot errant me commençoit a raconter Comment ses maris la bat por bien amer. J’aim mult meus un poi de joie a demener Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.
« Dame, estes vos de Paris? – Oil, certes, biau sire : Seur Grand Pont maint mes maris, De mauvès tout li pire. Or puet il estre marris, Jamès de moi n’iert sire. Trop est fel et rioteux, trop puet parler; Car je m’en vueil avec vos aller joer. J’aim mult meus un poi de joie a demener Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.
Mal ait qui me maria, Tant en ait or li prestre; A uin vilain me dona Felon et de put estre. Je croi bien que poir n’a De ci jusqu’à Vincestre. Je ne pris tout son avoir pas mon soller Quand il m bat et laidange por amer. J’aim mult meus un poi de joie a demener Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.
En non Deu je aimerai Et si serai amée Et mon mari maudirai Et soir et matinee, Et si me renvoiserai El bois sos la ramée. Dames de Paris, amée, lessiés ester Vos maris et si venés o moi joer J’aim mult meus un poi de joie a demener Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.
En vous souhaitant une merveilleuse journée et une bon début de semaine dans la joie.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésies courtes, épigrammes, école marotique, ouvrage ancien, humour, grivoiseries, gauloiserie, Clément MAROT. Période : hiver du moyen-âge, renaissance Auteurs : collectif (1575, puis 1595) Titre : La récréation et passe temps des tristes, recueil d’épigrammes et de petits contes en vers (1862)
« Gardez bien de toucher ce livre (Mesdames) il parle d’amour : C’est aux hommes que je le livre Que l’on tient plus constants toujours Laissez-le aller vers eux son cours A eux et non à vous est dû Mais vous le lirez nuit et jour Puisque je vous l’ai défendu » La récréation et passe temps des tristes
Bonjour à tous (et à toutes!),
i vous nous suivez régulièrement, vous savez combien nous apprécions ici la poésie de Clément MAROT et plus particulièrement ses pièces courtes, pleines d’esprit, d’humour et de causticité.
Dans la lignée de l’école marotique qui faisait des adeptes dans le courant du XVIe siècle, nous vous parlions, dans un article précédent, d’un petit ouvrage « collectif » de 1542 : la fleur de poésie françoyse. Souvent compulsés à l’initiative des imprimeurs, ces carnets de poésie rassemblaient, pour l’essentiel, des formes courtes et des épigrammes et se souciaient peu des auteurs (qu’ils ne citaient, souvent, pas). Il y était d’abord question de « récréation » et, finalement, d’une poésie « légère » dont l’unique ambition était d’être un « remède » à l’ennui autant qu’une invitation au divertissement et à l’humour.
Aujourd’hui, nous vous présentons un autre ouvrage de la même veine. Son titre est éloquent et en résume tout entier l’objectif : « LA RECREATION ET PASSETEMPS DES TRISTES, Traictant de choses plaisantes et récréatives touchant l’amour et les dames, pour resjouir toutes personnes mélancholiques ». Nous émaillons aussi cet article de quelques extraits choisis pour vous permettre de vous en faire une idée.
Autre d’un amoureux voulant mener jouer s’amie
« Allons aux champs sur la verdure, Passer le temps joyeusement Cependant que le beau temps dure, Il n’est que vivre plaisamment Allons y donc hastivement Allons chanter, gaudir et rire, Mieux faut s’esbatre gayement Q’employer sa langue à mesdire » La récréation et passetemps des tristes
Dans une première réédition du XVIIIe, ces « récréations » avaient été attribuées au poète Guillaume des Autels, mais l’éditeur de 1862 sur laquelle nous nous basons ici venait contredire ce fait. L’ouvrage se situe, en effet, dans la filiation de l’école marotique et certaines de ses pièces ne peuvent même appartenir qu’à Clément MAROT,Mellin SAINT-GELAIS et encore d’autres auteurs qui s’inscrivaient sous l’influence du poète originaire de Cahors pour exercer leur verve et leur esprit.
Il y a, dans ce petit manuel qui a traversé presque cinq siècles, quelques pièces sérieuses qui flirtent avec l’amour courtois, mais il contient surtout d’autres épigrammes largement plus grivois et osés. Au bout du compte, on y trouve bien plus de gauloiseries que dans la fleur de poésie françoyse, même si l’ouvrage reprend quelques pièces qui s’y trouvaient présentes, ainsi que d’autres poésies en provenance d’autres « carnets » de poésie du même type et qui datent tous du XVIe siècle. Comme sa courte préface en vers l’indique, cette récréation et passetemps des tristes a pour thème de prédilection les choses de l’amour. Les « dames » y sont visées par endroits avec un humour souvent plus potache que satirique, mais elles ne sont pas les seules dans la ligne de mire. Maris et amants, bon ou mauvais, y passent aussi et d’autres sujets y sont abordés. On trouve encore quelques jolies perles poétiques « inclassables ».
Du loquet de l’huis de s’amie
« N’a pas longtemps fut faite une dispute Sur instrumens, et faict de la musique. Les uns loüoyent le hautbois ou la fluste, D’autres le luth, comme chose angéliques : Lors un d’entr’eux, le moins mélancolique Leur dit : Messieurs, voulez-vous que je die, Quel instrument a plus de mélodie, C’est à mon gré, le loquet d’une porte : Car quand il faut que la mignonne sorte De bon matin, ferme l’huis doucement : L’oyant sortir, le mignon se conforte Est-il au monde un plus doux instrument ? » La récréation et passetemps des tristes
Si l’on devait y mettre un peu de subjectivité, (pour ce que cela vaut, c’est à dire pas grand chose), nous pourrions avancer que toutes les poésies que l’on trouve dans cette Récréation et Passetemps des Tristesn’ont pas l’élégance, ni la grâce de la poésie d’un MAROT, même si elles tentent d’en emprunter les formes. A n’en pas douter, il y a ici, certains émules moins talentueux que lui, qui s’essayent à son genre ce qui, cela s’entend, ne diminue pas pour autant l’intérêt de l’ouvrage pour qui s’interroge sur l’Histoire de la langue française et de sa poésie, mais encore de son humour.
Ajoutons encore que la deuxième édition de 1595, qui sert de base au livre présenté ici, a été censurée de certaines pièces dont les moines et l’Eglise faisaient les frais et dont l’imprimeur de 1862 nous indique dans sa préface, de manière toute directe, « qu’elles sentaient l’hérésie ».La satire s’y trouve donc quelque peu patinée. De fait les grivoiseries, même si on ne peut résumer uniquement l’ouvrage à cela non plus, y prennent largement le pas.
A une glorieuse tenant sa gravité par trop grande
« Vous estes belle en bonne foy Ceux qui dient que non, sont bestes, Vous estes riche, je le voy, Qu’est-il besoin d’en faire enquestes? Vous estes bien des plus honnestes, Et qui le nie est bien rebelle : Mais quand vous vous loüez, vous n’estes, Honneste, ne riche, ne belle. » La récréation et passetemps des tristes
Du point de vue du contexte historique, au moment de l’impression de cet ouvrage, les temps sont déjà ceux de la pléiade et de ses poètes qui, dans une ambition tout académique, chercheront à élever la langue française tout autant qu’à l’enrichir. Soucieux de trancher d’avec la poésie médiévale, leurs recherches et leur ambition déclarée se tiendront alors bien loin des formes de cette poésie marotique légère et de sa frivolité. Avec la réédition 1595 de l’original de 1575, Nous sommes déjà près d’un demi-siècle après la mort de MAROT. Son oeuvre sera bientôt reléguée aux archives et il faudra pratiquement attendre le XVIIIe siècle pour qu’il soit redécouvert.
Epigrammes et école marotique : une poésie et des formes qui plaisent à la cour
Au XVIe, cette poésie marotique est applaudie et appréciée à la cour pour son esprit. Badine, elle s’épanche en rimes vives et incisives qui semblent tout vouloir sacrifier à la grâce du bon mot et à son élégance, et qui peuvent aller, comme ici, jusqu’à la grivoiserie ou même la gauloiserie.
Et quand d’impertinente et caustique, elle devient nominative et plus directe-ment assassine, on pourrait presque être tenté déjà, à quelques formes près, d’y voir préfigurer les jeux de cour cruels d’un Versailles décadent comme ceux dont Patrice LECONTE nous faisait le tableau dans son film « Ridicule ». Quelques siècles avant sa cour de Louis XVI, on entrevoit alors déjà dans cet « esprit » et ses « bons mots » quelquefois tranchants de MAROT, la verve du perfide abbé VILECOURT (l’excellent et regretté Bernard GIRAUDEAU) et sa bouche en O, pour être tombé en disgrâce pour un vers de trop.
D’un Vieil Amoureux
« Je suis amant en l’extresme saison, Pres de ma mort, je chante comme un cigne, En attendant d’icelle guarison Que mon blanc chef prendra pour mauvais signe La rose, et lis, neige, la lune insigne Et le jour ont telle couleur eslite. Doncques, Amour, mes armes je ne quitte Ains bon espoir j’ay en ma dame seulle, Vieillard je suis mais grand flamme m’incite Car le bois sec plus que tout autre brusle. » La récréation et passetemps des tristes
Favori un jour, exilé ou miséreux le suivant. Dans les méandres des jeux d’influences nobiliaires et les couloirs froids des châteaux, comme ailleurs, on sait que le verbe peut tuer. Sous ces nouveaux dehors légers et moqueurs que Marot, comme Mellin Saint-Gelais pratiquaient si bien, sont-ils, ces jeux de cour, les mêmes que ce dont Eustache Deschampsnous contait déjà les travers? L’ombre de Rutebeuf et de sa paix planent encore ici sur le poète de cour, médiéval ou renaissant, dépendant de son « protecteur », de ses grâces comme de ses largesses. Le drôle doit être transgressif par nature mais la ligne est fine de la moquerie, à l’impertinence, de la satire à « l’hérésie », et l’on s’y brûle quelquefois. On se souvient des combats meurtriers de plume du temps du poète de Cahors, et, plus tard encore de ses successeurs à la cour : Mellin SAINT-GELAIS moquant la pédanterie de Ronsard et ce dernier préférant, semble-t-il, « marcher » sur la tête d’un Marot plutôt que se jucher sur ses épaules. Pour la postérité du français renaissant, il bâtira, en partie sur le terreau de son dédain, d’autres projets pour la poésie et pour la langue.
Flaubert écrira quelques siècles plus tard « Le mauvais goût du temps de RONSARD, c’était MAROT« . Si le public du XVIe siècle goûte suffisamment ces formes poétiques qui se complaisent dans la frivolité ou la « récréation », pour qu’on imprime des manuels à son usage, elles ne rallieront pas, loin de là, tous ceux qui s’exercent à l’art de la rime durant ce même siècle, Ronsard en tête.
Un amant est toujours honteux
« Amour un jour desbanda les deux yeux, Pour contempler ses serviteurs fidèles, Si m’aperceut pensif et soucieux Sans dire mot entre deux damoiselles. Lors promptement il esbranla les aisles, Et vint vers moy, en me disant ainsi : O pauvre amant que fais-tu tan icy. Que ta chaleurs n’est point encore esteinte ? Je lui responds en lui criant mercy Qu’un vray amant n’est point sans honte ou crainte. » La récréation et passetemps des tristes
Les formes courtes de l’école Marotique et
Les « agréables riens » de la poésie du XVIe
Au cours de cet hiver du moyen-âge, dans cette longue aventure humaine de l’art poétique français et au delà de ses apports stylistiques, on sent bien que la forme marotique des XVe, XVIe siècles porte en elle les germes d’une nouveauté. Les racines encore plantées dans le monde médiéval et la tête déjà renaissante, ces thèmes ne sont pourtant pas si nouveaux : l’amour peut y être courtois, la belle Margot et avec elle la pastourelle et ses attraits rupestres y sont encensés (ou moqués), mais on y trouve encore les jeux adultérins, grivois ou transgressifs dont se régalait déjà un certain moyen-âge ou ces odes au buveur qui pourraient être goliardiques si elles étaient encore latines. Bien sûr, les religieux de peu de morale et autres frères « Frappart » que l’on moque y ont aussi leur place. Dans cet héritage thématique « moyenâgeux », cette poésie goûte encore l’usage de quelques vieux mots et quelques archaïsmes que MAROT affectionnait, qu’il remit au goût du jour et qui donne un tour si particulier à ses vers.
D’un Avocat et de sa Femme
« Un avocat dict à sa femme Sus mamie, que jouerons-nous? Si je gaigne ( ce dict la Dame) Vous me le ferez quatre coups : Quatre coups ? c’est couché trop gros, Comment seroit jeu sans pitié. Non, non maistre, tenez-les tous, (Dict le clerc) J’en suis de moitié. » La récréation et passetemps des tristes
A l’évidence, sur sa « modernité » renaissante, les codes de son humour, de ses « badineries » ou de sa satire sont déjà plus directement « saisissables » par nous que ne le sont ceux des fabliaux des XIIe et XIIIe siècles. Et tout cela n’est pas qu’affaire de meilleure compréhension entre le vocabulaire du « français moyen » renaissant et celui d’un Oil balbutiant. Cette poésie marotique n’a plus la Rudesse ou la lourdeur du Boeuf, pas d’avantage que la nature souvent absconse des proverbes aux vilains. La langue a changé mais les codes de l’humour aussi.
Pour le reste, si cette poésie, avec son goût pour l’épigramme, renoue avec les formes classiques des grecs du IVe siècle avant notre ère ou encore celles d’un MARTIAL, le tour qu’elle lui donne est plus résolument satirique ou « spirituel ». Il y souffle un esprit léger et frais et elle cherche, dans le cadre étroit et contraint des formes courtes, à affûter la pointe de sa plume. De fait, c’est aussi une école de précision (les rhétoriciens et leurs jeux de mot comme les pratiquaient le père de MAROT ont peut-être été de quelque influence sur ce fils prodigue). Et même si elle cède par instants aux gauloiseries (on la dira même immorale), quand de grivoise, elle deviendrait presque graveleuse, sa recherche d’élégance et de justesse dans le verbe vient à la rescousse de ses rimes comme un dernier rempart dressé : on peut bien être impertinent, pourvu que l’on est de l’esprit.
D’un bon biberon
« Blanc et clairet sont les couleurs De ce bon vin que j’ayme fort, Dont souffriray maintes douleurs Si de luy n’ay souvent confort. D’en user, bien fay mon effort, Pour en avoir meilleure grace, Si je n’en boy, me voila mort, Car de boire eau, je me pourchasse. » La récréation et passetemps des tristes
Alors, élégance stylistique « renaissante », émergence d’un esprit nouveau, d’une définition nouvelle du bon mot ? Sommes-nous ici face aux signes d’un rapport à la langue en mutation ou simplement face à un esprit original dont certains feront, bien plus tard, l’annonciateur d’un Voltaire, d’un Jean de La Fontaine ou même encore d’un Musset ? (voir Pierre JOURDA – MAROT – Universalis). Quoiqu’il en soit, après Marot, l’épigramme restera une arme de choix dans la besace des poètes et des auteurs, au service de leurs règlements de comptes.
Ayant dit tout cela, il faut encore ajouter que Marot ne saurait se résumer à ses épigrammes pas d’avantage qu’à son impertinence ou ses traits assassins. Il a aussi contribué par ses poésies à la littérature religieuse, a légué de beaux vers sur des thèmes plus profonds et fut encore traducteur de nombreuses œuvres classiques.
D’une Dame aisée à courroucer
« M’amie et moy apres joyeux esbats, Nous courrouçons si tressoudainement Et reprenons apres noise et debats, Soudaine paix, et doux esbatement, Que je crains plus ses beaux yeux doucement Tournez vers moy, et ses ris gracieux, Que ses sourcils et regards furieux : Car j’ay espoir de joye et paix nouvelle Apres courroux, apres esbats joyeux Je crains toujours une guerre mortelle. » La récréation et passetemps des tristes
En vous souhaitant une très belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fin’amor, langue d’oc. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Bernart de Ventadorn, Bernard de Ventadour. (1125-1195)
Interprète : Gérard Zuchetto Titre : Quan vei la lauzeta mover (quand je vois l’alouette)
Bonjour à tous,
ous nous rendons aujourd’hui en terres d’Oc, pour découvrir ou redécouvrir la poésie chantée d’un des plus grands représentants de l’Art des troubadours occitans du moyen-âge central et du XIIe : Bernart de Ventadorn(francisé Bernard de Ventadour).
Sa vie nous est connue principalement au travers de ses propres oeuvres et notamment de manière posthume par les « vidas », ces biographies de troubadours attribuées (au moins pour celle de Bernard de Ventadorn) au troubadour et poète Uc de Saint-Circ (1213 -1257).
Bernard de Ventadour,
Manuscrit 12473 , BnF (XIIIe)
Ces vidas apparaissent au XIIIe et près d’un demi-siècle après la mort du célèbre poète. Elles se destinaient à témoigner de l’art des trouveurs occitans et à introduire leurs œuvres poétiques et leurs chansons.
La vida de Bernart de Ventadorn
La vida de Bernart de Ventadorn nous conte ainsi que le poète était d’origine limousine. On le dit d’humble lignage. Il aurait fréquenté la cour d’Alienor d’Aquitainedont il serait tombé amoureux et qu’il aurait suivi après que cette dernière se fut mariée au duc de Normandie et roi d’Angleterre Henri II Plantagenet. Plus tard, notre poète et « trouveur » aurait servi à la cour de Raymond V de Toulouse, pour, plus tard, renoncer à son art poétique en se faisant moine à l’Abbaye de Dalon, en Dordogne où il finira sa vie.
Les « vidas » sont aujourd’hui étudiées plus, ou au moins autant, pour leur valeur littéraire que pour l’authenticité historique de leurs affirmations. Il est donc difficile de savoir si Bernart de Ventadornfut vraiment amoureux d’Alienor d’Aquitaine comme l’affirme Uc de Saint Circ ou s’il s’agit là d’une façon romancée de présenter la vie du grand troubadour occitan.
« Et el s’en parti e si s’en anet a la duchessa de Normandia, qu’era joves e de gran valor e s’entendia en pretz et en honor et en bendig de lausor. E plasion li fort las chansos e·l vers d’En Bernart, et ella lo receup e l’acuilli mout fort. Lonc temps estet en sa cort, et enamoret se d’ella et ella de lui, e fetz mantas bonas chansos d’ella. Et estan ab ella, lo reis Enrics d’Engleterra si la tolc per moiller e si la trais de Normandia e si la menet en Angleterra. En Bernart si remas de sai tristz e dolentz, e venc s’en al bon comte Raimon de Tolosa, et ab el estet tro que·l coms mori. Et En Bernart, per aquella dolor, si s’en rendet a l’ordre de Dalon, e lai el definet. »
« (…) Et il s’en sépara (l’épouse du vicomte de Ventadour) et s’en alla à la duchesse de Normandie qui était jeune et de grande valeur et qui comprenait le prix et l’honneur et les belles paroles de louange et elle le reçut et l’accueillit très bien. Longtemps il fut en sa cour et fut amoureux d’elle et elle de lui et fit beaucoup de bonnes chansons d’elle. Et étant près d’elle le roi Henri d’Angleterre la prit pour femme et l’emmena de Normandie et l’emmena en Angleterre. En Bernart resta de ce côté triste et douloureux et s’en alla au bon comte de Toulouse et fut près de lui jusqu’à ce que le comte mourût. »
Vida de Bernart De Ventadorn – Extrait
L’auteur médiéval légua quarante-cinq chansons considérées comme de véritables fleurons de la langue occitane dans sa forme la plus aboutie. Il y chante le fin’amor, cet amour courtois que les troubadours porteront haut et fort durant le XIIe siècle et qui influencera les formes littéraires du sentiment amoureux durant de nombreux siècles après eux.
Gérard Zuchetto, un troubadour moderne
à la recherche des trésors occitans
Musicien, interprète et chercheur, Gérard Zuchetto a consacré son temps, ses recherches et son talent à l’art des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Nous sommes avec cet artiste, passionné de musiques médiévales au point d’en être devenu expert, autant dans la performance artistique que dans l’ethnomusicologie, c’est à dire dans le parti-pris de restitution au plus près de l’esprit de l’art des trobadors. Créatif, il propose également des compositions plus libres d’inspiration autour de ce même thème.
Ses recherches se déclinent en productions musicales, mais aussi en films et encore en ouvrages sur la question. Au fil du temps, une troupe s’est d’ailleurs formée autour de Gérard Zuchetto qui produit spectacles, concerts et autres événements en relation avec l’art des troubadours et la culture occitane, sous les labels et appellations Trob’Art productionet Troubadours Art Ensemble. Vous trouverez le détail de leurs activités et productions, ainsi que leur agenda sur leur site web: art-troubadours.com.
La primavera d’amore, Trovatori XII-XIIIe
Dans cet album enregistré en 1997 et sorti l’année suivante chez Foné, Gérard Zuchetto était accompagné des musiciens et instrumentistes Patrice Brient et Jacques Khoudir pour mettre à l’honneur son sujet de prédilection et nous proposer entre autre, cette très belle version de la célèbre Lauzeta de Bernart de Ventadorn.
Quan vei la lauzeta mover : les paroles en occitan & adaptation en français moderne
Can vei la lauzeta mover De joi sas alas contra’l rai, Que s’oblid’ e’s laissa chazer Per la doussor c’al cor li vai, Ai! Tan grans enveya m’en ve De cui qu’eu veya jauzion! Meravilhas ai, car desse Lo cor de dezirer no’m fon
Quand je vois l’alouette
agiter de joie ses ailes
face aux rayons [du soleil],
s’oublier et se laisser choir
dans la douceur qui au cœur lui vient,
hélas ! une si grande envie me pénètre
de ce bonheur que je vois,
que je tiens à miracle
si mon coeur ne se consume pas de désir.
Ailas! Tan cuidava saber D’amor, e tan petit en sai, Car eu d’amar no’m posc tener Celeis don ja pro non aurai. Tout m’a mon cor, e tout m’a me, E se mezeis e tot lo mon; E can se’m tolc, no’m laisset re Mas dezirer e cor volon.
Hélas ! Je croyais tant savoir
sur l’amour et j’en sais si peu !
Car je ne peux me retenir d’aimer
celle que je ne peux atteindre.
Elle a tout mon coeur, elle m’a tout entier,
elle-même et tout l’univers.
Elle ne m’a rien laissé,
sauf le désir et un coeur fou.
Anc non agui de me poder Ni no fui meus de l’or’ en sai Que’m laisset en sos olhs vezer En un miralh que mout me plai. Miralhs, pus me mirei en te, M’an mort li sospir de preon, C’aissi’m perdei com perdet se Lo bels Narcisus en la fon.
Je n’eus sur moi plus de pouvoir
et je ne m’appartins plus,
du jour où elle me laissa mirer en ses yeux,
miroir qui beaucoup me plaît.
Miroir, depuis que je me suis miré en toi,
les soupirs profonds m’ont fait mourir.
Je suis perdu comme se perdit
en la fontaine le beau Narcisse.
De las domnas me dezesper; Ja mais en lor no’m fiarai; C’aissi com las solh chaptener, Enaissi las deschaptenrai. Pois vei c’una pro no m’en te Vas leis que’m destrui e’m cofon, Totas las dopt’ e las mescre, Car be sai c’atretals se son.
Je désespère des femmes ,
jamais je ne me fierai à leurs paroles;
de même que j’avais coutume de les louer,
de même je les déprécierai.
Pas une pour me défendre
auprès de celle qui me détruit et me confond !
Je les hais toutes et les renie,
car je sais bien qu’elles sont toutes ainsi.
D’aisso’s fa be femna parer Ma domna, per qu’eu’lh’ o retrai, Car no vol so c’om voler, E so c’om li deveda, fai. Chazutz sui en mala merce, Et ai be faih co’l fols en pon; E no sai per que m’esdeve, Mas car trop puyei contra mon.
Bien femme aussi apparaît ma dame,
et c’est pourquoi j’enrage,
car elle ne veut pas ce qu’on doit vouloir,
elle fait ce qu’on lui défend.
Je suis tombé en pitoyable fortune.
J’ai bien fait le fou sur le pont,
et je ne sais pourquoi je m’égare,
voulant monter contre mont.
Merces es perduda, per ver, Et eu non o saubi anc mai, Car cilh qui plus en degr’aver, Non a ges, et on la querrai ? A ! Can mal sembla, qui la ve, Qued aquest chaitiu deziron Que ja ses leis non aura be, Laisse morrir, que no l’aon.
Perdue la pitié vraiment
(et de cela je ne me doutai jamais),
car celle qui devait en avoir le plus
n’en a pas; et où la chercherai-je ?
Ah ! Quelle apparence trompeuse ! En la voyant,
l’imaginerait-on capable de laisser mourir
un passion malheureuse
qui jamais ne s’épanouira sous ses lois ?
Pus ab midons no’m pot valer Precs ni merces ni’l dreihz qu’eu ai, Ni a leis no ven a plazer Qu’eu l’am, ja mais no’lh o dirai. Aissi’m part de leis e’m recre; Mort m’a, e per mort li respon, E vau m’en, pus ilh no’m rete, Chaitius, en issilh, no sai on.
Puisque plus rien ne peut valoir,
ni prière, ni pitié, ni un droit qui fut le mien,
puisque nullement ne lui plaît
le fait que je l’aime, jamais plus je ne lui parlerai,
je me sépare d’elle et je renonce.
Elle me tue, et c’est un mort qui parle.
Et je m’en vais, puisqu’elle ne me retient,
malheureux, en exil, je ne sais où.
Tristans, ges non auretz de me, Qu’eu m’en vau, chaitius, no sai on. De chantar me gic e’m recre, E de joi e d’amor m’escon.
Tristan, vous n’aurez rien de moi, car je m’en vais, malheureux, je ne sais où. Je mets un terme à mes chants et y renonce. Loin de la joie et de l’amour je me cache.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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