Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

La Ballade des contre-vérités de Villon, une pièce satirique en réponse aux aphorismes d’Alain Chartier

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, satire, analyse sociale, littéraire.
Auteurs : François Villon (1431-?1463)
Alain Chartier  (1385-1430)
Titre : « La ballade des contre-vérités »
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages : oeuvres diverses de Villon,

Bonjour à tous

C_lettrine_moyen_age_passionomme il répondra au Franc-Gontier de Philippe de Vitry en opposant à une sagesse (supposée) et un minimalisme (revendiqué) de la vie campagnarde, un contredit  urbain, jouisseur et jaloux de son propre confort et de ses fastes, Villon écrira aussi sa ballade des contre-vérités que nous présentons aujourd’hui, en référence à un autre auteur médiéval. Cette fois, il s’agit du célèbre Alain Chartier  (1385-1430) et d’une réponse à une poésie de ce dernier faisant l’éloge des valeurs nobles et bourgeoises de son temps ; valeurs convenues et, il faut bien le dire, même presque plates (au sens de platitudes), surtout après que Villon soit passé par là, pour les prendre à rebrousse-poil.

Cette ballade de Villon est une poésie que l’on place plutôt dans la jeunesse de l’auteur et autour de 1456. Il a alors 25 ans. Voici donc, pour bien commencer, le texte original lui ayant inspiré cette Ballade des contre-vérités :

La ballade d’Alain Chartier

Il n’est danger que de vilain,
N’orgueil que de povre enrichy,
Ne si seur chemin que le plain,
Ne secours que de vray amy,
Ne desespoir que jalousie,
N’angoisse que cueur convoiteux,
Ne puissance où il n’ait envie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Ne servir qu’au roy souverain,
Ne lait nom que d’homme ahonty,
Ne manger fors quant on a faim,
N’emprise que d’homme hardy,
Ne povreté que maladie,
Ne hanter que les bons et preux,
Ne maison que la bien garnie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Ne richesse que d’estre sain,
N’en amours tel bien que mercy,
Ne de la mort rien plus certain,
Ne meilleur chastoy que de luy ;
Ne tel tresor que preudhommye,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ne paistre qu’en grant seigneurie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Au passage, et c’est d’ailleurs amusant de le noter, les ressemblances de style sont si grandes entre les deux poésies, que, dans le courant du XIXe siècle, la pièce originale de Chartier fut même ré-attribuée à François Villon par certains auteurs et dans certaines éditions (P Jannet, 1867, P Lacroix 1877). Après quelques révisions utiles, sa paternité revint finalement à son véritable auteur et l’on établit qu’elle ne fit qu’inspirer à Villon ses impertinents contre-pieds.

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Exercice de style, poésie satirique ou « poétique de la criminalité »

Avec sa virtuosité coutumière, Villon jouera, ici, du procédé de la contradiction et des oxymorons qui lui sont chers, pour faire la nique aux aphorismes et aux axiomes de Chartier et qu’on peut supposer assez largement partagés et approuvés par les hautes classes sociales et bourgeoises de son temps.

Dilution du satirique dans le stylistique ?

Sans lui enlever une certaine dose d’humour et/ou de provocation, comme on voudra, Villon se livre-t-il  seulement dans cette ballade des contre-vérités, à un exercice de style comme choisissent de l’avancer certains auteurs ? Autrement dit, pour suivre Paul Barrette, spécialiste américain de littérature française médiévale,  cette poésie n’est-elle qu’un « tour de force » dont le but « est moins de développer une idée que de ranger dans un moule des séries d’aphorismes »(Les ballades en jargon de François Villon ou la poétique de la criminalité, Paul Barrette, Romania 1977, sur persée)

C’est peut-être prêter à Villon, un peu moins d’intention qu’il n’en a. Sans vider à ce point cette ballade de sa moelle satirique, faut-il, à l’opposé, suivre le raisonnement d’un Gert Pinkernell, dans ses efforts assez systématiques pour rattacher concrètement les moindres écrits de Villon à des épisodes supposés de la vraie vie de ce dernier, dont ils ne seraient que l’expression retransposée ? ( voir notamment la Ballade des menus propos de maître François Villon et l’analyse littéraire de Gert Pinkernell).

Positionnement, signes d’appartenance
& apologie sociale de la marginalité ?

Au sujet de cette Ballade des contre-vérités, Gert Pinkernell ira même jusqu’à lui donner une dimension « sociale » et même plutôt « socialisante » au sens étroit ; autrement dit, au Villon plus tardif et repenti du testament, le romaniste interprétera cette ballade de jeunesse, comme la marque d’un homme qui « reflète sa forte conviction d’appartenir à un groupe et d’y être quelqu’un ». Comme dans le lais (et toujours d’après Gert Pinkernell), cette poésie aurait donc fourni l’occasion à l’auteur médiéval d’affirmer une marginalité assumée face à un véritable public (marginal et criminel) déjà constitué, et de fait, il aurait ainsi exprimer face à ce groupe social, un positionnement, voir même une forte marque d’appartenance.

« …Or cette verve et cette morgue de Villon émanent visiblement de sa certitude d’être au diapason de son public, public apparemment très bien connu de lui et dont il semble faire partie lui-même. Tant pis si c’est un public très spécifique, à savoir un groupe de jeunes marginaux cultivés et criminels à la fois »
Mourant de soif au bord de la fontaine : le pauvre Villon comme type de l’exclus, Gert Pinkernel, dans Figures de l’exclu: actes du colloque international de littérature comparée, Université de Saint-Etienne, 1997

De l’analyse littéraire à la projection sociale

Nous l’avions évoqué à l’occasion de notre article sur la ballade de bonne doctrine, pour certains de ses textes et notamment les plus humoristiques ou les plus grivois, on imagine, c’est vrai, assez bien Villon en train de fanfaronner et de les déclamer dans quelques tavernes ou lieux de perdition obscures, face à un public goguenard, déjà acquis à ses propos, La thèse de Pinkernell sur cette ballade participe donc un peu de cette idée, mais, même si l’on peut se plaire à l’imaginer, on passe, en l’affirmant et en le posant comme hypothèse de travail, de considérer cette ballade, d’une « simple » expression ontologique, littéraire et poétique à une forme « d’apologie » de la vie en marge auprès d’un groupe socialement circonscrit auquel l’auteur se serait livré. Sans être un saut quantique, ce n’est pas rien.

deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleToute proportion gardée, cette ballade pourrait alors presque prendre des allures de manifeste, ou en tout cas, devenir, ou prétendre être, l’expression d’un ensemble de valeurs partagées par un groupe social marginal et criminel, dont Villon se ferait l’écho, voir le porte-parole. L’analyse passe donc du littéraire au social et même finalement du satirique à « l’identitaire ». Des contre-vérités comme « Il n’est soing que quant on a fain » (ie et à l’emporte-pièce : on réfléchit mieux le ventre vide) « Ne ris qu’après ung coup de poing », se présentent alors comme la traduction de ce système de valeurs appliquées par le groupe en question.

Le propos de Villon est-il vraiment si sérieux que cela sur le fond et son intentionnalité si claire ? Peut-être pas, sauf à penser que la moquerie fait aussi partie intégrante de l’ensemble des valeurs dont il se ferait ici le porte-parole, et que, en quelque sorte, quand l’auteur médiéval s’amuse et n’exprime rien de particulièrement factuel et fonctionnel sur ces dernières, l’humour en devient l’expression (‘Ne santé que d’homme bouffy« , « Orrible son que mélodie« , « Il n’est jouer qu’en maladie« ), sauf à penser encore que le public de Villon est effectivement circonscrit au moment où il écrit tout cela à un cercle de clercs ou d’étudiants avertis et cultivés, suffisamment en tout cas pour comprendre ses références littéraires en creux à Alain Chartier, qui semblent bien, tout de même, aussi, dans cette ballade, au coeur de son propos.

Pour conclure

Alors, une certaine virtuosité stylistique épuise-t-elle l’ambition sémantique de cette ballade, ou même la profondeur d’un certain positionnement satirique de fond ? Certainement pas, il est difficile d’assimiler Villon à certains rhétoriqueurs qui l’ont précédé dans le temps. Faut-il, pour autant, voir là, une sorte de manifeste social par lequel l’auteur aurait eu l’intention d’affirmer son appartenance et son positionnement auprès d’un auditorat marginal, complaisant ? C’est une possibilité mais un pas non négligeable reste tout de même à franchir pour l’affirmer.

Si cette ballade se situe, indéniablement, dans un contrepied des valeurs « bourgeoises », mais aussi plus largement « sociales » ambiantes et leur « renversement » symbolique (sur le ton de la deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleprovocation et de l’impertinence), comme ces valeurs sont celles portées par ses « pairs » et presque contemporains en poésie (et pas les moindres, en la personne d’Alain Chartier), il est en revanche indéniable que Villon s’inscrit ici dans une ambition satirique qui se situe (d’abord?) sur le plan de la littérature qui les portent. Il se positionne donc vis à vis d’une certaine littérature, de cela nous sommes au moins sûrs.

Dans la veine des hypothèses émises par Pierre Champion dans François Villon, sa vie et son temps, Villon est-il encore, en train, de retraduire, ici et à sa manière, un certain contexte historique ? Ce siècle perdu et « bestourné » d’un Eustache Deschamps et d’autres moralistes qui fustigent l’argent, la convoitise et les abus de pouvoir pour avoir tout perverti ? Dans la lignée de ces auteurs, il serait alors plutôt en train d’adresser, à  travers cette ballade, une satire sociale au deuxième degré à ses valeurs en perdition. C’est encore une troisième piste.


« La ballade des contre-vérités »
de François Villon

Il n’est soing que quant on a fain,
Ne service que d’ennemy.
Ne maschier qu’ung botel de foing.
Ne fort guet que d’omme endormy.
Ne clémence que felonnie,
N’asseurence que de peureux.
Ne foy que d’omme qui regnie.
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Il n’est engendrement qu’en baing,
Ne bon bruit que d’omme banny,
Ne ris qu’après ung coup de poing,
Ne los que debtes mettre en ny,
Ne vraye amour qu’en flaterie,
N’encontre que de maleureux,
Ne vray rapport que menterie.
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Ne tel repos que vivre en soing,
N’onneur porter que dire : « Fi ! »,
Ne soy vanter que de faulx coing.
Ne santé que d’omme bouffy,
Ne hault vouloir que couardie,
Ne conseil que de furieux,
Ne doulceur qu’en femme estourdie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Voulez vous que verté vous die ?
Il n’est jouer qu’en maladie,
Lettre vraye que tragédie,
Lasche homme que chevalereux,
Orrible son que mélodie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.


Une  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

« Mia irmana fremosa », la cantiga de amigo III du troubadour Martin Codax, par Evo et Efrén López

trompette_marine_musique_medievale_anciennes_troubadoursSujet : amour courtois, musique, chanson, poésie médiévale, Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise, Espagne, Portugal médiéval, parchemin Vindel
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge central
Auteur    : Martín Codax
Titre : « Mia irmana fremosa », cantiga de amigo III
Compositeur/Interprète  :     Efrén López, (EVO)
Media    : concert, IVe cycle des arts scéniques et des musiques historiques de la cité de León, Mai 2011.

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui à l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et au poète Martín Codax, à sa lyrique courtoise, à son amour de la mer de Vigo dont il était originaire et à ses Cantigas de Amigo.

Le poète s’y  met dans la peau d’une jeune fille qui attend son promis et chante son amour pour lui à ses amies ou à ses proches. Imprégné de lyrique courtoise, ces chansons souvent courtes, et presque si minimalistes et épurées qu’elles pourraient nous paraître parchemin_vindel_martin_codax_troubadour_musique_chanson_espagne_medievale_cantigas_amigo_moyen-agenaïves sont, en réalité, des fleurons de la littérature médiévale galaïco-portugaise et de l’art profane de ses troubadours.

La Cantiga de Amigo III
de Martín Codax
sur le Parchemin Vindel

Martin Codax chante l’attente du bien-aimé, sans doute parti guerroyer au loin, l’espérance de son retour, et un vague à l’âme qui s’abîme dans la contemplation de la mer et bat au rythme de ses ondes. Si l’océan en est le décorum, l’église de Vigo y revient également.

Sur la route des pèlerinages de Saint-Jean de Compostelle, la cité est alors en pleine effervescence. On y entonne certainement les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X et encore bien d’autres chants de pèlerins. Si Martin Codax n’est alors, sans doute pas, le seul troubadour à y chanter des compositions plus profanes, inspirées de la lyrique et de l’amour courtois, il est, en tout cas, un des rares, avec quelques autres, dont les compositions nous soient parvenues avec leur notation musicale, notamment, par l’intermédiaire du Parchemin Vindel, le MS M979 de la Morgan Library de New-York (sur ce document voir article suivant)

La Cantiga de Amigo III de Martín Codax, par Evo et Efrén Lopez

Efrén López et EVO, au coeur de la méditerranée traditionnelle et médiévale

Le plaisir est d’autant plus grand de vous présenter cette pièce qu’elle nous donne l’occasion de mentionner à nouveau ici le musicien, vielliste et multi-instrumentiste Efrén López et sa formation EVO. On peut, en effet, retrouver cette interprétation sur sa chaîne officielle Youtube et elle est extraite d’un concert donné en 2011, à l’auditorium de la cité de León, dans le cadre d’un festival sur les arts scéniques et les musiques historiques.

efren_lopez_chansons_musiques_medievales_anciennes_traditionnelles_méditerranéennes_passion_moyen-ageTrès actif dans le champ des musiques médiévales et anciennes, mais aussi, plus largement, dans celui des musiques traditionnelles de la méditerranée, cet artiste catalan est ouvert à toutes les rencontres et nous ne pouvons que vous conseiller, une fois de plus, de vous pencher sur ses travaux.

Nous lui avions consacré un article, il y a quelque temps déjà, aussi nous vous y renvoyons pour plus d’informations,  Efrén LÓPEZ, portrait d’un troubadour passionné de musiques médiévales et anciennes. Si vous êtes polyglotte, vous pouvez aussi consulter valablement son site web  officiel. Très fourni. il est disponible en quatre langues (espagnol, catalan, anglais et même grec) et l’artiste y partage généreusement nombre de ses productions, (musiques, vidéos, partitions, etc…).


« Mia irmana fremosa », les paroles
en gallaïco-portugais et leur adaptation

Mia irmana fremosa, treides comigo
a la ygreia de Vigo, u e o mar salido.
E miraremos las ondas.

Ma  belle*  sœur, viens avec moi
A l’église de Vigo, où la mer est agitée,
Et nous contemplerons les vagues.

Mia irmana fremosa, treides de grado
a la ygreia de Vigo, u e o mar levado.
E miraremos las ondas.

Ma  belle sœur, viens de bonne grâce
A l’église de Vigo, où la mer est en furie,
Et nous contemplerons les vagues.

A la ygreia de Vigo, u e o mar salido,
e verra i mia madre e o meu amigo.
E miraremos las ondas

A l’église de Vigo où la mer est en furie
Il viendra, mère, mon doux ami,
Et nous contemplerons les vagues.

A la ygreia de Vigo, u e o mar levado,
e verra i mia madre o meu amado
E miraremos las ondas.

A l’église de Vigo, où la mer est agitée
Il viendra, mère, mon bien-aimé,
Et nous contemplerons les vagues.

* Fremosa : belle, jolie, charmante.


En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

« Dame, vostre doulz viaire », un virelai de Guillaume de Machaut, par l’Ensemble Gilles Binchois

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, chanson médiévale, chant polyphonique, maître de musique, chanson, amour courtois, virelai
Titre  : Dame, vostre doulz viaire
Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprètes  :  Ensemble Gilles Binchois
Album  : Guillaume de Machaut,  le vray remède d’amour (1988)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale de Guillaume de Machaut. C’est un virelai composé par le maître de musique pour sa dame et il s’inscrit dans la lyrique courtoise à laquelle ce dernier s’est beaucoup exercé.

La chanson et sa partition
dans le MS français 1586 de la BnF

On trouve l’oeuvre de Guillaume de Machaut dans un grand nombre de manuscrits anciens, mais nous avons choisi ici de vous présenter le virelai du jour d’après le MS Français 1586 (1350-1355). D’après sa datation, ce manuscrit a été exécuté du vivant du compositeur et on pense que ce dernier a très certainement été impliqué dans sa réalisation. Très complet, cet ouvrage se trouve être également, à date, le manuscrit illustré le plus ancien de l’oeuvre de Machaut.

Pour revenir au contenu de cette chanson, son auteur y fait l’éloge de sa mie, de son doux visage mais aussi de son caractère et de ses belles manières, et c’est en fine amant « servant » et comblé qu’il se présente ici. Comme à l’habitude, en plus des paroles, nous vous proposons quelques clés de compréhension de cette chanson ; en l’occurrence, nous nous sommes même fendus de sa traduction, adaptation littérale en français moderne avec les réserves que suppose la « trahison » » inhérente à l’exercice et, étant entendu, que sept siècles nous séparent de ce virelai du XIVe siècle en moyen-français.

  Dame, vostre doulz viair, Guillaume de Machaut par Gilles Binchois

Guillaume de Machaut, Le Vray remède d’Amour, par l’Ensemble Gilles Binchois

En 1988, le très sérieux Ensemble Gilles Binchois (voir présentation de cette formation médiévale ici), sous la direction de Dominique Vellard, proposait une large sélection de chansons et de pièces tirées de l’oeuvre du compositeur médiéval, autour du sentiment amoureux, dans un album intitulé Guillaume de Machaut, le Vray remède d’Amour. On pouvait ainsi trouver 21 compositions prises dans les ballades, rondeaux, virelais et motets du maître de musique. La sélection fait toujours partie des programmes proposés par l’Ensemble sur son site web.

chanson_musique_medievale_chants_polyphoniques_ars_nova_guillaume_de_machaut_ensemble_gilles_binchois_album_moyen-age_tardif_XIVeL’album est toujours disponible chez Cantus Records au format CD ou MP3. En voici le lien: « Guillaume de Machaut: Le vray remède d’amour » par l’Ensemble Gilles Binchois

A noter que cette production n’est pas la seule que la formation médiévale ait consacrée à Machaut. Nous avions, en effet, déjà parlé ici de l’album Le jugement du roi de Navarre, paru au début des années 2000 et il faut encore lui ajouter la Messe de Notre Dame datée de 1999.

« Dame, vostre doulz viaire », dans le
moyen-français de Guillaume de Machaut

Dame, vostre dous viaire
Debonnaire
Et vo sage meinteing coy
Me font vo service faire,
Sans meffaire,
De fin cuer, en bonne foy.

Dame votre doux visage
aimable et plaisant
Et votre maintien sage et tranquille
Me tiennent à votre service
Sans faillir (Sans mal faire)
De fin coeur, en bonne foi.

Dame, et bien faire le doy;
Car anoy,
Griété, doleur ne contraire
Onques en vous servant n’oy,
Eins congnoy
Que riens ne m’i puet desplaire
Et qu’adès miex me doit plaire,
Sans retraire,
De tant com plus m’i employ,
Car tant estes debonnaire
Qu’exemplaire
De tous les biens en vous voy.
Dame, vostre dous viaire…

Madame, et je dois bien le faire;
Car ennui,
Peine, douleur ou contradiction
Jamais n’ai eu en vous servant.
Mais je sais plutôt
Que rien ne m’y peut déplaire.
Et que cela me plaira toujours
Sans réserve.
D’autant plus que je m’y engagerai (emploierai).
Car vous êtes aussi charmante
Qu’exemplaire
Et je vois en vous toutes les vertus.

Quant je remir vostre arroy
Sans desroy,
Où raisons maint et repaire,
Et vo regart sans effroy,
Si m’esjoy
Que tous li cuers m’en esclaire;
Car il le scet si attraire
Par son traire
Qu’en vous maint; et je l’ottroy.
Si ne vueilliés pas deffaire
Ceste paire,
Dame; humblement vous en proy.
Dame, vostre doous viaire…

Quand je contemple vos manières (maintien, mise)
Sans désordre,
Où la raison habite et vit
Et votre regard que rien ne trouble.
Oui, je me réjouis tant
Que mon cœur tout entier s’illumine
Car il sait (votre regard) si bien comment l’attirer (mon cœur) à lui
Par ses attraits (son attraction, ses façons)
Qu’en vous il demeure, et j’y consens (je l’accorde).
Aussi, n’essayez pas de séparer
Cette paire.
Dame, je vous en prie, humblement.

Car mis l’avés en tel ploy
Qu’il en soy
N’a riens n’ailleurs ne repaire
Fors en vous, et sans anoy;
N’il ottroy
Ne quiert merci ne salaire
Fors que l’amour qui le maire
Vous appaire
Et que tant sachiez de soy
Qu’il ne saroit contrefaire
Son affaire.
C’est tout. Mon chant vous envoy.

Car vous l’avez mis (mon cœur) en tel état
Qu’il n‘a rien ailleurs,
Ni place, ni demeure
Qu’en vous et sans peine (sans que cela lui cause de);
Pour autant, il ne s’octroie,
Ni ne demande merci, ni récompense
Excepté que l’amour qui le gouverne (le conduit)
Vous apparaisse
Et que vous sachiez si bien de cela
Que rien ne saurait contrefaire (à vos yeux)
Ses dispositions 
C’est tout. Je vous envoie ma chanson.

Dame, vostre dous viaire
Debonnaire
Et vo sage meinteing coy
Me font vo service faire,
Sans meffaire,
De fin cuer, en bonne foy.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Danse médiévale : la quinte estampie royale par le Early Music Consort de Londres

chanson_musique_danse_medievale_manuscriit_ancien_français_844_chansonnier_du_roi_moyen-ageSujet : danse, musique médiévale, estampie, manuscrit ancien, chansonnier du Roy, trouvères, troubadours, chants et musiques de Croisades.
Période : Moyen Âge,  XIIIe siècle.
Auteur : anonyme
Source :  Français 844, chansonnier du Roy.
Titre : La quinte estampie royale
Interprètes : The Early Music Consort of London – David Munrow
Album: « Music of the crusades » (1971)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà longtemps que nous n’avions publié une pièce  instrumentale tirée du Manuscrit ou Chansonnier du Roy (roi), conservé à la Bibliothèque nationale de France où il est référencé comme Français 844. Avec près de six-cent pièces en provenance principalement de la France du XIIIe siècle, l’ouvrage demeure une source inépuisable et incontournable pour qui s’intéresse de près à la musique médiévale du Moyen Âge central (voir le manuscrit en ligne sur Gallica).

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Il s’agit donc ici de la Quinte Estampie Royale, pièce dansée, prise dans le répertoire demeuré anonyme du manuscrit. Depuis leur berceau d’origine, peut-être italien ou français, ces danses  qui, par leur nature technique, avaient, selon Jean De Grouchy (1255-1320), « le pouvoir de tirer les jeunes garçons et les jeunes filles de leur vanité » (Ars Musicae) se répandirent jusqu’à l’Angleterre où elles connurent un succès certain pour s’éteindre dans le courant de la renaissance.

Linterprétation de l’estampie que nous avons choisie de partager ici est celle du Early Music Consort of London, ensemble qui fut très reconnu en Grande Bretagne dans le domaine des musiques anciennes, dans le courant des années 70 ; cet article fournira l’occasion de vous le présenter et de toucher également un mot de son directeur : David Munrow.

La Quinte Estampie Royale par le Early Music Consort of London

The Early Music Consort of London
& David Munrow

En 1967, le chanteur, musicien, multi-instrumentiste, bassoniste, pianiste, flûtiste, directeur d’orchestre et musicologue, David Munrow fondait le Early Music Consort de Londres, un ensemble dédié à un large répertoire allant du Moyen Âge à la période baroque.

musique_medievale_ancienne_directeur_David_Munrow_early_music_consort_londres_moyen-age_centralEn un peu moins de dix ans, la formation produisit près de quinze albums.  Elle s’interrompit en 1976, suite au décès prématuré de son directeur. Entre-temps, l’homme avait laissé son empreinte sur la scène des musiques anciennes britanniques en contribuant grandement à les rendre accessibles et à les populariser auprès du public. En plus d’être un surdoué, un découvreur et encore un grand collectionneur d’instruments anciens, David Munrow fut aussi un homme de média : télévision, cinéma, radio, et durant sa brève, mais brillante carrière, il n’a pas hésité à s’essayer à tout pour faire partager son enthousiasme et sa passion au plus grand nombre.

« Musique du temps des croisades »

L’album « Music of the Crusades » dont est tirée la pièce du jour est le deuxième de l’ensemble. Il propose 19 pièces sur ce thème, dont la grande majorité sont d’origine  françaises et proviennent du XIIIe siècle et du Manuscrit Français 844.

Il contient principalement des chansons de troubadours et de trouvères mais on y trouve également quelques estampies royales; l’album ouvre même sur la Quinte. Sur les 19 pièces présentées, 11 sont d’auteurs anonymes. Pour le reste, on y trouve des chansons de Marcabru, Gaucelm Faidit, Guiot de Dijon, Le Châtelain de Coucy, Conon de Bethune, Thibaut de Champagne, mais encore « l’inévitable » complainte musique_danse_medievale_croisades_estampie_Early_Music_Consort_London_David_Munrow_moyen-age_centraldu Roi Richard Coeur de Lion (fait prisonnier en Autriche à son retour de Croisades), et aussi  le célèbre chant Palästinalied  du Minnesänger et poète allemand Walther von der Vogelweide (que nous aurons bientôt l’occasion de présenter ici).

L’album est toujours édité et disponible à la vente en ligne au format CD. Pour plus d’informations, en voici le lien : Music of the Crusades (Musique du temps des croisades) Il en existe même des versions vinyle à des prix plus élevés.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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