« à La foire de l’est », l’art d’Angelo Branduardi comme une madeleine de proust médiévale

Sujet : chanson, poésie d’inspiration médiévale, musique, folk, poésie, médiévalisme.
Période :  XXe siècle
Auteur  : Luisa ZappaAngelo Branduardi, Etienne Roda-Gil VF (1941-2004)
Titre : A la foire de l’est
Interprète : Angelo Branduardi
Album : À la foire de l’est  (1978)

Bonjour à tous,

our les nombreux passionnés de Moyen Âge, l’intérêt pour cette période peut avoir eu les déclencheurs les plus variés. Cela a pu être la vue d’un vieux château, d’une cathédrale, un jouet qu’on vous aura offert, enfant, une forteresse de carton, un chevalier de plastique ou de plomb, peut-être encore la lecture d’un conte, d’un livre, la découverte d’un film… Quelquefois, il peut même s’agir d’une simple évocation, d’une référence lointaine.

Un parfum de Moyen Âge

Aujourd’hui, au vu du peu de place réservée à ces 1000 ans d’Histoire dans les programmes scolaires, il semble que ce soit tout de même plus par le cinéma, la littérature, ou encore le ludique, que s’immisce le monde médiéval dans nos vies. Georges Duby n’est plus à la télévision pour nous conter le temps des cathédrales et l’on y parle de toute façon, de moins en moins, de culture, de livres et si peu d’histoire. Quand il ne s’agit pas d’un déclic dû au patrimoine, c’est alors, bien souvent, d’un Moyen Âge totalement reconstruit ou idéologisé que peut naître notre intérêt. Pourtant, il ne faut pas désespérer. Nombre d’entre nous sont partis de ces mondes médiévaux fantaisistes pour aller, ensuite, à la rencontre de réalités plus historiques. Il faut, quelquefois, un départ émotionnel ou imaginaire pour susciter la curiosité et l’envie de voir plus loin.

On le constate aussi, quels que soient les canaux qu’il emprunte, le Moyen Âge ne cesse de fasciner. On peut donc supposer qu’il continuera de trouver son chemin, d’une manière ou d’une autre. Qui sait ? Les générations les plus récentes auront peut-être plus de chances de le découvrir au cœur d’une BD fantasy, d’un jeu vidéo, dans un festival ou une foire médiévale ? Quelquefois, du reste, ce n’est pas une seule chose qui leur feront aimer mais un faisceau d’éléments épars qui ont fini par former un tout, une suite de circonstances ou même une sorte « d’effet papillon » que même une mélodie aux accents anciens a pu alimenter.

Un détour inhabituel

Je dois le dire, je n’affectionne pas particulièrement l’exercice de l’autobiographie. Par principe, je ne m’y plie pas et je m’en défie, restant de l’avis (classique) qu’il ne présente guère d’intérêt, à défaut d’avoir un destin très spécial et de s’entendre vraiment sur cette définition.

À partir du dernier tiers du XXe siècle, avec l’avènement de la société du tout médiatique, le genre a aussi été largement dévoyé par certaines maisons d’éditions. On a vu alors des quantités d’autobiographies inondées les présentoirs des librairies à intervalles réguliers : anecdotes, témoignages, grands étalages dérivés de vies de people, politiques, animateurs, « fils de », « conjoint de », « ami de », sans autre intérêt qu’un sticker « vu à la télé » ou l’argument de la « célébrité » (1).

Amateur de contrepieds, au sein d’un monde qui encourage, de plus en plus, le rêgne ostentatoire du « moi je », voir du « moi tout » dans l’impudeur débridée des réseaux, je suis doublement plus partisan d’éviter les pièges du genre et d’y surseoir. Pour aborder le sujet du jour, je ferai toutefois, une exception : la seule, en 1400 articles, j’espère que vous me la passerez (sans quoi vous avez toujours l’option d’aller directement à la section : « Angelo, entre médiévalisme et médiéval »). De mon côté, cet exercice m’a semblé alimenter la réflexion sur les méandres complexes par lesquelles certaines choses viennent quelquefois se cristalliser en nous. Ainsi, ce détour me permettra de mieux parler d’Angelo Branduardi, grand troubadour italien contemporain, mais encore d’amour des langues, de racines et de billard à bandes, des mystères de l’identité et de certaines convergences. J’y ferai aussi un court tribut à certains anonymes que l’histoire n’a pas retenus mais qui continuent d’exister dans les replis de l’âme et le cœur de ceux qui les ont connus. Puissent mes mots et mon verbe ne pas troubler leur repos éternel dans leur beau lit de fleurs, aux côtés du Seigneur et de la madone en lesquels ils ont cru.

Branduardi, grand « trovatore italiano »

J’ai découvert Angelo Branduardi, au début des années 80 et à l’adolescence. Je crois me souvenir que j’étais tombé par hasard, sur un de ses titres en italien chez un disquaire : la Demoiselle ou plutôt la pulce d’Acqua (la puce d’eau), mais, à la réflexion, peut-être est-ce plutôt mon père qui me l’avait fait découvrir ? Dans ses voitures rutilantes et toujours impeccablement tenues, il écoutait alors beaucoup de musique. Suite à cela, j’avais, en tout cas, acheté l’album complet de Branduardi. J’ai toujours préféré les albums aux singles.

Dans la nuée des 33 tours vinyles et plus encore des 45 tours qui faisaient la joie des consommateurs d’alors, ce troubadour unique en son genre faisait un peu figure d’OVNI. Look improbable, coupe de cheveux plus proche des égéries de la pop noire américaine du milieu des 70’s que de la mode des 80’s, auxquels il ajoutait encore, violon, instruments anciens et mélodies surgies tout droit d’un lointain passé : ni rock yéyé, ni disco, ni funk, ni reggae, ni pop. Je n’avais alors absolument aucune culture en matière de musique classique ou baroque. Ce n’était simplement pas de mon milieu et pour moi, le folk branduardien évoluait dans une période de référence que mon imaginaire rattachait, confusément, au Moyen Âge, sans chercher bien plus loin. Une chose était certaine : chez lui, tout était différent et il n’était pas de ce temps.

Un peu de racines et de terre de Saint-Marin


Si Branduardi chantait déjà en français, c’est à sa langue d’origine, l’italien, que ma préférence allait. C’était la langue maternelle de mon père et de ses frères et sœurs, ces ritals venus tenter leur chance en France après guerre et à l’aube des années 50. À 30 ans de là, ils ne la parlaient pratiquement plus au quotidien sauf à l’occasion des grandes fêtes de famille, quand ils la chantaient ou qu’ils se racontaient entre eux de vieilles anecdotes passées. Originaires de la république de Saint-Marin, fraîchement débarqués en France entre l’enfance et l’adolescence, tous ceux qui étaient restés depuis, sur le territoire (la plupart), sœurs comme frères, s’étaient mariés à des français ou des françaises. Ils en avaient donc adopté la langue de longue date, et même le principal de la culture, pour ne pas dire l’ensemble. Comme tous mes cousins du côté paternel, j’étais, moi aussi, né d’une de ces unions franco-italiennes, Saint-Marinais par mon père, dauphinois par ma mère.

À celui qui ne roulait pas les R et à ses frères

D’entre tous ses frères et sœurs, mon père était le seul qui ne roulait pas les R en parlant le français. Il était le plus jeune de la fratrie. Débarqué à l’âge de 9 ans sur le sol de l’hexagone, il avait eu le temps d’en embrasser totalement la langue, sans conserver même un soupçon d’accent. Il n’avait pas fait que l’adopter, il aimait sa musique, sa profondeur. Il la parlait même avec humour et esprit et un riche vocabulaire que seule une passion pour le français, associée au goût de la lecture, avaient pu lui permettre d’entretenir. Quelques années après l’arrivée de la famille en France, il avait décroché, « haut la main », son Certificat d’études, faisant l’admiration de sa mère et de ses frères et sœurs. On était au début des années 50. Ces derniers avaient même insisté pour qu’il poursuive ses études, en se proposant de l’y aider, mais il avait refusé. A l’âge de 14 ans, il voulait se mettre, comme eux, au travail pour alléger le fardeau de cette grande famille. Ils étaient 8 enfants élevés par une mère seule. Le père était resté en Italie pour travailler la terre. En France, à cette époque, Sante, rebaptisé Pierre sur l’état civil, l’ainé d’entre eux, âgé d’à peine 20 ans, faisait de son mieux pour les faire vivre, aidé par Romeo, Raymond, qui, du haut de ses seize ans, s’était déjà mis au travail depuis deux ans déjà. Entrées précoces dans la vie active et sur le marché du travail, dans ses années 50, le lot était le même pour bien des ouvriers et des enfants français.

Un amour inconditionnel de la langue française

Rossano, mon père, devenu Rossino par une faute de frappe de l’officier d’état civil, puis Roland, après sa nationalisation, s’était donc mis au travail. Plus tard, il avait fait son service militaire, s’était marié, et le temps passant, il avait continué d’entretenir cet amour de la langue. Les générations d’alors s’astreignaient presque toutes à la lecture de la fameuse PQR (presse quotidienne régionale) et de ses nouvelles mais il l’avait aussi prolongé par une oreille attentive, le goût des textes, des chansons et, surtout, des lectures : pas de philosophie, ni de choses trop absconses, plutôt des poésies, des fictions, des romans chinés chez les bouquinistes dont une bonne dose de Fleuve noir et de polars : Charles Exbrayat, Frédéric Dard, plus tard, quelques incontournables comme Les Ritals ou Les Russkoffs de Cavanna,…

Littérature de gare ? On l’appelait quelquefois ainsi d’un air dédaigneux dans les couloirs de la grande littérature. On en est revenu. C’était souvent des pépites langagières, des petits trésors d’humour des années 70-80, du temps où Audiard était dialoguiste et Brassens, chansonnier. Ils finiraient tous deux au panthéon du Français de ces années là. Autre époque, autre niveau d’éducation, mais que d’exigence et de style et que d’amour de la langue sous ces plumes ciselées !

À l’image de Frédéric Dard, avec ses 300 romans pour 220 millions d’exemplaires, plus d’un auteur de ces années là aurait sans doute mérité sa place dans les académies ou les Lagarde et Michard, à défaut de la revendiquer. Quant à la grande littérature, au delà d’un certain mépris de classe, pas question, ici, de lui tourner le dos. Nombreux sont ceux qui pourraient s’accorder sur la grandeur de Balzac ou Hugo. Mais en matière d’amour de la langue, la seule vérité qui compte est que chacun puisse trouver un porte ouverte pour entrer. Et si quand la culture ouvrière s’entiche du goût des mots, ses nourritures spirituelles peuvent avoir quelquefois la modestie et la beauté simple des fleurs des champs, son amour du verbe reste toujours sincère. Sur l’échelle de l’attachement il ne démérite pas et se fout de l’échelle sociale ou de l’étiquette « populaire ». Il aime la phrase comme un étranger, un poète ou un Lucchini, apprenti coiffeur, pourrait l’aimer, avec la même fraîcheur et le même enthousiasme.

De mon côté, j’héritais de tous ses bouquins, de la main à la main. Je lui dois ainsi un certain nombre de mes premières lectures hors cadre, le goût des histoires et de la fiction et, plus important encore, la découverte que lire un roman pouvait être autre chose qu’un « devoir » scolaire : un plaisir indicible, une porte ouverte sur le monde, une liberté dont il ne faudrait jamais laisser quiconque vous priver. J’avais déjà, de mon côté, cultivé ce jardin secret.

Angelo Branduardi, Maestro Trovatore

Le chemin à l’envers

Pour revenir à notre troubadour du jour, mes doubles origines me portaient alors vers l’exotisme de cette partie de mes racines et je tendais l’oreille à tout ce qui sonnait italien. Comme mon père avait fait le chemin de sa langue maternelle au français, après avoir emprunté les routes de l’exil, peut-être fallait-il, pour une raison étrange, que je le parcoure à mon tour en sens inverse ? C’était sans doute un peu injuste pour mes origines maternelles, elles aussi modestes, même si je ne reniais rien de ma langue de chair.

Avec mes premières lectures, j’apprenais à peu à peu à l’apprivoiser mais je grandissais aussi dans un quartier ouvrier pluriethnique. Des mondes cloisonnés s’y côtoyaient et s’y entrechoquaient même parfois, et si les choses se passaient dans l’ensemble, la définition à mettre sur « être français » n’allait pas toujours de soi. Dans ce contexte, difficile quelquefois de se situer mais ces doubles racines culturelles jouait, finalement, plutôt en ma faveur. Si j’étais fils de l’hexagone par ma naissance et la moitié de mon sang, on se plaisait souvent à me dire italien pour mieux m’accepter. Déjà caméléon, je m’y pliais volontiers, en en jouant même. Il me faudrait du temps et même vivre, à mon tour, plus tard, l’expatriation, pour comprendre mes vraies racines. Loin de cette grisaille à loyers modérés, je dois aussi avouer que la bienveillance et la bonne humeur de ces oncles et tantes latins, autant que leur nature festive et leurs accents chantants résonnaient au plus profond de moi : leur bonne humeur, leurs chants, leurs rires, leurs histoires, leurs leçons de vie, leur vrai sens de la famille et de la fête, et, de l’ouvrier à l’artisan, je les aimais tous, sans réserve, dans leur joie et leur simplicité.

Comment n’aurais-je pas pu, alors, me réclamer au moins un peu de cet héritage, ni même m’y sentir légitime ? En vérité, je m’y identifiais presque totalement. Si les radios populaires de ces jeunes années 80 diffusaient déjà les Toto Cotugno ou les Richard Cocciante et si le « Svalutation » de 76 d’Adriano Celentano n’était pas encore trop loin, Branduardi su toucher, en moi, des cordes différentes. Au collège, contre l’allemand qu’on recommandait alors avec autorité (le plus grand marché d’Europe), j’avais pris l’italien en deuxième langue. Rien n’aurait pu m’en dissuader ; question d’absolue nécessité. J’y montrai rapidement des aptitudes que je voulais innées et, au cœur de cet entre-deux culturel dans lequel j’oscillais, les mélodies du trovatore italien et sa poésie allaient tombées à point nommé.

Était-ce l’origine de son art que je percevais simplement comme très ancien, dans mon inculture musicale ? Pas seulement. Tout l’ensemble était comme une réconciliation : un voyage temporel, culturel et littéraire dans lequel je retrouvais comme une lointaine réminiscence de ce qu’une partie de moi aurait pu être, sans le hasard des exodes, des destins et des unions ; et c’était un peu comme se regarder dans un miroir à facettes où se reflétait à la fois ce que j’étais et ce que j’aurais pu être, tout en ne l’étant déjà plus. Et puis bien sûr, il y avait aussi cette poésie de Branduardi, ces références « médiévales » à l’art des troubadours, et la musicalité de cette langue qui, autant que le français, s’était mis à me parler comme si je l’avais toujours eu en moi, cachée quelque part et n’attendant que d’être révélée.

Angelo, entre médiévalisme et médiéval,
des trésors de références

Qu’est-ce qui fait qu’une poésie vous touche ? Le pincement d’une corde secrète de l’âme ? Son entrée en résonnance avec un terrain profondément émotionnel, connu ou même en friche et que son verbe éveille ? Comme dans tous les arts, la magie peut opérer sans avoir toutes les clefs du texte, de sa profondeur ou de ses références. Avec Branduardi, c’était cela même qui s’accomplissait. S’il avait fini par incarner, pour moi, l’idée du monde médiéval, sa poésie portait en elle et lui insufflait un incomparable supplément d’âme : « La pulce d’acqua che l’ombra ti rubò e tu ora sei malato » : cette « demoiselle qui a volé ton ombre et maintenant, te voilà malade « . Ou encore « Il cilegio », cette merveilleuse chanson du cerisier dont voici un extrait :

Già ero vecchio e stanco
Per prenderla con me
Ma il vecchio giardiniere
Rinunciare come può
All’ultimo suo fiore
Se l’inverno viene già

J’étais déjà vieux et malade
Pour la prendre avec moi
Mais le vieux jardinier
Renonce comme il le peut
À sa dernière fleur
Si l’hiver arrive déjà.

Contre la première lecture, cette superbe chanson n’était pas qu’un chant mélancolique et superbe sur l’hiver de la vie ou de la séduction. Je découvrirai plus tard son origine dans un vieux chant religieux anglais du XVe siècle : le Cherry Tree Carol. D’inspiration biblique, il mettait en scène le vieux Joseph et parlait de son amour pour Marie, dans les évangiles apocryphes du pseudo-Matthieu (autour de 650). Dans la version anglaise du Moyen Âge tardif, le palmier dattier avait déjà été changé contre un cerisier.

Tant d’autres chansons d’Angelo Branduardi m’ont touché que je ne me hasarderai pas à en faire la liste complète, au risque d’en oublier. La lepre nella luna, conte superbe et fataliste du lièvre naïf et joueur, trahi par ses amis, le singe et le renard. « Cogli la prima mela« , chanson de liberté devenue « Va où le vent te mène » en français. Et puis encore ces magnifiques Confessioni di un malandrino , Confessions d’un malandrin inspirées du poète russe Sergueï Essenine et qu’Etienne Roda-Gil allait réussir à rendre vibrantes et sublimes dans la langue de Molière. Je dois dire ici que, pour m’être senti alors jalousement privilégié (comme seul un adolescent peut l’être) de comprendre Branduardi dans le texte, cet auteur si particulier que fut Roda-Gil, anarchiste libertaire, né de républicains espagnols exilés, parolier fidèle aussi de Julien Clerc, eu sans aucun doute une grande importance pour le troubadour milanais, en lui permettant de traverser brillamment la frontière franco-italienne. Il lui a, en effet, servi, bien plus que de simples traductions, de véritables poésies et il fut d’ailleurs le complice de Branduardi sur la grande majorité de ses albums français. Ajoutons que cette frontière n’a été qu’une parmi d’autres franchie par Angelo, artiste de dimension internationale qui a notamment chanté en italien, français, anglais, espagnol et même allemand.

La foire de l’est et tutti quanti

Dans un autre album daté de 1976, viendrait cette Fiera delle Este, une Foire de l’est plus légère, un peu enfantine qui nous occupe aujourd’hui. Bien des années plus tard, en avançant sur ce chansonnier médiéval qu’est aussi Moyenagepassion, j’en découvrirai l’origine juive et ancienne. Comme les inspirations musicales d’Angelo Branduardi sont souvent plus baroques et folk que médiévales, son œuvre est aussi pavée de nombreuses références non nécessairement liées au Moyen Âge, mais qui valent d’être débusquées.

À heures perdues, je cherche, quelquefois, encore le sens de certaines d’entre elles et qu’importe que son œuvre prenne ses sources dans un champ bien plus large que le monde médiéval ; l’alchimie et la magie du « trovatore » italien a opéré profondément en moi depuis longtemps déjà. Par le hasard de la vie et de ses trajectoires, elles s’y sont à jamais cristallisées, aux côtés de la quête de sens et d’identité d’un gamin de 15 ans et ses rêves d’Italie autant que de troubadours et de châteaux forts. Bientôt, d’autres références littéraires, cinématographiques, musicales viendraient s’y ajouter mais le grand Angelo Branduardi conserverait toujours une digne place, dans cette formation première et un peu imprécise d’un Moyen Âge imaginaire. Alors Auguri Maestro et longue vie !

Alla Fiera del este, Angelo Branduardi

De Chad Gadya à la foire de l’est,
les pâques juives au violon de Branduardi

L’origine de cette chanson d’Angelo Branduardi prend racine dans la tradition hébraïque. Son titre original est Chad Gadya ou Had Gadia. Du point de vue de ses traces écrites formelles, elle apparaît, pour la première fois, dans une Haggadah imprimée à Prague et datée du XVIe siècle.

La Haggadah, texte ancien hébreu réglant le rituel du Séder durant la pâque juive est, quant à lui, fort ancien. Bien antérieure au XVIe siècle, elle daterait de plus de deux millénaires. Même si l’on sait que l’ensemble de ce rituel a pu s’enrichir au cours du Moyen Âge, la langue originelle de cette Chad Gadya trouvée dans ce manuscrit de Prague un mélange d’araméen et d’hébreu continue de poser question à de nombreux érudits quant à sa datation possible. Est-elle bien plus ancienne qu’il n’y parait ou a-t-elle été inspirée de chansons à récapitulation européennes médiévales ? En dehors de cette version imprimée à la Renaissance, on en daterait une première mention autour des XIIe, XIIIe siècles par le rabbin Elazar ben Yehuda of Worms (1160-1238). En dehors de la question des ses origines, la dimension symbolique de Chad Gadya a également fait couler beaucoup d’encre.

C’est dans une version plus tardive de cette Haggadah de Prague que Chad Gadya serait apparu.

Les mystères de de Chad Gadya

Chad Gadya conte, à première vue, l’histoire d’un agneau « acheté pour deux sous sur le marché » et qui entraînera, malgré lui, des événements en cascade. Pourtant, plus qu’une comptine enfantine au premier degré, son sens demeure bien plus profond et symbolique. Elle est même considérée comme ayant une grande valeur en matière de transmission de l’histoire juive, des parents vers les enfants. Ainsi, au delà de sa simple apparence, ce chant se présente plutôt comme un enseignement sacré, une parabole sur l’exode du peuple juif qui se termine par le retour en Israël.

D’un point de vue traditionnel, Chad Gadya est d’ailleurs, chanté à la fin du « séder« , moment de la pâque juive (Pessa’h) qui commémore, notamment à destination des plus jeunes, l’accession du peuple juif à la liberté, au départ de l’Egypte. Durant ce rituel, on sert un plateau initiatique fait d’aliments très particuliers, ainsi qu’un dîner fait de viande d’Agneau.

Alla fiera dell’est, l’album

C’est Luisa Zappa, l’épouse d’Angelo Branduardi, qui adapta la chanson Had Gadia en italien en changeant l’agneau en souriceau (topolino). La version française serait, quant à elle, signée d’Etienne Roda-Gil comme les huit autres morceaux composant cet album. L’opus italien sortit en 1976, le français deux ans plus tard.

En ligne, on trouve encore quelques vinyles d’occasion de la version française ou même la version italienne en version MP3 ou CD. En dehors de cela, le violoniste, chanteur et compositeur italien n’est pas avare de partage sur sa chaîne youtube et on y trouve de nombreux extraits de concerts. À l’âge de 71 ans, il est encore très actif sur la scène musicale et nous saluons ici, à nouveau, sa belle carrière et sa longue vie de musique et de poésie. Pour suivre son actualité vous pouvez aussi vous reporter à son site web officiel.


« Alla fiera dell’est » d’Angelo Branduardi

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
E venne il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.
E venne il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
E venne il cane che morse il gatto
Che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi,
Un topolino mio padre comprò.
E venne il bastone che picchiò il cane,
Che morse il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi,
Un topolino mio padre comprò.
E venne il fuoco che bruciò il bastone
Che picchiò il cane che morse il gatto
Che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò,
E venne l’acqua che spense il fuoco
Che bruciò il bastone che picchiò il cane
Che morse il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
E venne il toro che bevve l’acqua
Che spense il fuoco che bruciò il bastone
Che picchiò il cane che morse il gatto
Che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
E venne il macellaio che uccise il toro
Che bevve l’acqua che spense il fuoco
Che bruciò il bastone che picchiò il cane
Che morse il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

E l’angelo della morte sul macellaio
Che uccise il toro che bevve l’acqua
Che spense il fuoco che bruciò il bastone
Che picchiò il cane che morse il gatto
Che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò.
E infine il Signore sull’angelo della morte
Sul macellaio che uccise il toro
Che bevve l’acqua che spense il fuoco
Che bruciò il bastone che picchiò il cane
Che morse il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

E infine il Signore sull’angelo della morte
Sul macellaio che uccise il toro
Che bevve l’acqua che spense il fuoco
Che bruciò il bastone che picchiò il cane
Che morse il gatto che si mangiò il topo
Che al mercato mio padre comprò.

Alla fiera dell’est, per due soldi
Un topolino mio padre comprò
.

« A la Foire de l’est » en français

À la foire de l’est, pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
À la foire de l’est, pour deux pommes,
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Et soudain la chatte mange la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.
Et soudain la chatte mange la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est, pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée?
Soudain la chienne mord la chatte
Qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Soudain la trique frappe la chienne
Qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est, pour deux pommes,
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Soudain la flamme brûle la trique
Qui frappait la chienne, qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est, pour deux pommes,
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Soudain l’averse ruine la flamme,
Qui brûlait la trique, qui frappait la chienne,
Qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe,
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est, pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Soudain la bête vient boire l’averse,
Qui ruinait la flamme, qui brûlait la trique,
Qui frappait la chienne, qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.

À la foire de l’est, pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
Et l’égorgeur frappe et tue la bête
Qui buvait l’averse, qui ruinait la flamme
Qui brûlait la trique, qui frappait la chienne
Qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée
C’est l’ange de la mort qui saigne l’égorgeur
Qui tuait la bête, qui buvait l’averse
Qui ruinait la flamme, qui brûlait la trique
Qui frappait la chienne, qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée

À la foire de l’est pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée.
C’est enfin le Seigneur qui emporte l’ange
Qui saignait l’égorgeur, qui tuait la bête
Qui buvait l’averse, qui ruinait la flamme
Qui brûlait la trique, qui frappait la chienne
Qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.
C’est enfin le Seigneur qui emporte l’ange,
Qui saignait l’égorgeur, qui tuait la bête,
Qui buvait l’averse, qui ruinait la flamme,
Qui brûlait la trique, qui frappait la chienne,
Qui mordait la chatte, qui mangeait la taupe,
Qu’à la foire mon père m’avait achetée.


À la foire de l’est, pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée
.


Pour conclure, à moi de vous tendre la perche en vous posant la question : et vous de quoi vous est venu votre intérêt pour le Moyen Âge ? Dites-nous le en commentaires.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

(1) Pour éviter tout malentendu avec l’actualité, je vais exclure de cette généralisation, le narratif autour de Duhamel qui a secoué tout récemment la classe bien pensante. Je me réfère ici à des autobiographies bien plus inconséquentes que celle-ci.

D’un Vorpil et d’un Aigle, une fable de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poétesse médiévale, poésie satirique, poésie morale
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’un Vorpil et d’un Aigle
Auteur  : Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820

Bonjour à tous,

ous vous proposons, aujourd’hui, un voyage au cœur du XIIe siècle avec celle qu’on considère comme une des premières auteurs en langue vernaculaire, et plus précisément en oïl anglo-normand : Marie de France. Une nouvelle fois, c’est au cœur d’une de ses fables que nous vous entraînerons et, plus particulièrement, une histoire mettant en scène un aigle et un renard.

Sources antiques de cette fable médiévale

A l’image des autres fables de la poétesse médiévale, celle du jour est inspirée des classiques ; Bien avant elle, on la retrouve chez Esope (VIe siècle avant JC), puis chez Phèdre (Ier siècle après JC).

Amitié et trahison chez Esope

Chez Esope, cette fable est une parabole sur la trahison en amitié et ses conséquences :

Un aigle et un renard étant devenus amis décidèrent de vivre plus près l’un de l’autre. Sitôt dit, sitôt fait, le renard s’installa au pied de l’arbre où l’aigle nichait. Las ! Un jour, que le goupil était en chasse, le rapace en profita pour capturer ses renardeaux et en nourrir ses oisillons. Au retour, le renard harangua l’aigle mais ne pouvant voler, ni grimper à l’arbre, il demeurait impuissant. Aussi resta-t-il à proximité, priant le ciel de lui accorder vengeance. Ce temps vint bientôt.

Comme on cuisait des chèvres dans un champ voisin, l’aigle en ravit une part, emportant dans son vol, et par inadvertance, un charbon ardent qui mit le feu au nid (1). Les aiglons paniqués se jetèrent au sol. Le renard les croqua l’un après l’autre, accomplissant sans hésiter sa vengeance et obtenant, ainsi, réparation. Et la morale d’Esope de conclure : que ceux qui trahissent leurs amis, pensant pouvoir éviter des représailles de leur part, soient bien conscients qu’ils seront rattrapés par la colère divine.

Vulpis et Aquila, une fable sociale chez Phèdre

Dans cette version de la fable, il n’est plus question d’amitié. Sa morale dévient déjà sociale et politique. Il y est fait l’apologie de la ruse des plus petits sur les puissants :

« Si haut que vous soyez, craignez les plus humbles ; car la ruse sert merveilleusement la vengeance. »
Fables de Phèdre traduites en Français par M. E. Panckoucke (1864)

Chez Phèdre, les renardeaux n’ont pas le temps d’être sacrifiés. L’aigle les capture. Il méprise les supplications du renard qui implore pour les récupérer, refusant catégoriquement de les restituer. Le goupil fera alors preuve de présence d’esprit en mettant le feu à l’arbre. Il compromettra ainsi les desseins de l’aigle et pourra récupérer sa progéniture. D’une certaine façon, les symboles nous sont déjà plus familiers puisqu’on retrouve ici l’aigle, symbole de pouvoir et de toute puissance, que le renard parviendra à faire s’incliner par la ruse. La version de Marie de France est assez proche de celle de Phèdre mais, à son habitude, cette dernière introduit sa patte et ses propres innovations.

Le Vorpil et l’Aigle chez Marie de France

Chez l’auteur(e) médiévale, l’amitié est également écartée. Les deux animaux n’entretiennent aucune relation de proximité et c’est simplement l’inattention ou l’insouciance du renard qui fournit l’opportunité à l’aigle de capturer un de ses renardeaux. S’en suivront, là aussi, suppliques et prières en vain. Face à l’inflexibilité du rapace, le renard se servira du feu pour lui faire plier le genou et reprendre son petit.

Marie de France suit le fil de Phèdre et la leçon d’amitié d’Esope se change en jeu de pouvoir, et même de classe. Cette fois, en plus de la puissance, vient s’associer la richesse puisque le « riche félon » est, explicitement, opposé au « pauvre ». La poétesse du XIIe siècle fait aussi passer la notion de ruse au second plan : ce qui compte c’est que la vengeance soit efficace et pourvu qu’elle le soit, elle peut faire plier les puissants. Sa fable devient ainsi un constat sur la lâcheté de ces derniers et leur faiblesse véritable. Entre les lignes, on pourrait même y voir un plaidoyer afin que les pauvres spoliés n’hésitent pas à prendre en main leur destin, en se donnant les moyens de faire plier leurs détracteurs ou leurs tortionnaires.


D’un Vorpil et d’un Aigle
qui enporta un des Faons au Gourpill

D’un Verpil cunte la menière
Ki fu issus de sa tesnière,
Od ses enfanz devant joa,
Un Aigles vint, l’un enpurta.
Li Gopis vait après priant
È k’il li rende sun enfant ;
Mès il nel’ volt mie escuter,
Si li cuvient à returner,
Un tizun prist de fu ardant
È sèche buche vait cuillant,
Entur le caisne la meteit
Où cele Aglez sun ni aveit.

Qant li Aigles veit le fu espriz
Au Gorpil prie et dist, amiz,
Estain le fu, pren tun chael,
Jà serunt ars tuit mi oisel.

MORALITÉ


Par iceste essample entendun
K’ensi est dou riche Felun,
Jà dou Pouvre n’aura merci
Pur sa plainte, ne pur son cri ;
Mais se cil s’en peut vengier
Dunc le voit-il asoplier
Cume fist li Aiglez au Gopilz
Si cum hum cunte en ces escriz.

D’un Vorpil et d’un Aigle
adapté en français moderne

Ce récit conte d’un goupil,
Sorti devant sa renardière,
Pour jouer avec ses petits.
Un aigle en vit un et le prit.
Le renard lui vint, suppliant
Pour qu’il lui rende son enfant ;
Mais l’aigle ne voulut l’écouter,
Et Renard dut s’en retourner.

Il s’empare d’un tison ardent
Puis une bûche va cueillant,
Et met le feu au pied du chêne
Où l’aigle niche en son domaine
.

Quand l’aigle voit le feu jaillir
Il supplie Renard et lui dit,
« Eteins le feu, prend ton rejeton (enfant chael chiot)
Avant que brûlent mes oisillons ».

MORALITÉ

Par ce récit nous comprenons
Qu’ainsi va du riche félon.
Jamais du pauvre il n’a merci (pitié)
Ni de ses plaintes, ni de ses cris
Mais si le pauvre peut se venger
Aussitôt l’autre de s’incliner (asopleier-oier : faiblir, plier le genou)
Comme le fit l’aigle face au renard
Ainsi qu’on conte en cette histoire.


Les successeurs de Marie de France

Après Marie de France, on retrouvera cette même fable chez Charles Perrault et chez Jean de Lafontaine. Le premier en servira une version versifiée très proche de celle d’Esope. Traduite par Perrault d’après les fables de Gabriele Faerno (Faerne, 1510-1561), elle aura pour morale :

« Un traitre a su nous outrager ?
Si tout manque, le ciel saura nous en venger. »

Lettres choisies de Messieurs de l’académie françoise,
avec la traduction des fables de Faerne par Mr Perrault (1699-1709)

La Fontaine, de son côté, donnera à l’histoire et sa morale, un tout autre tour. Il y fera réconcilier le chat huant (hibou) et l’aigle, chacun jurant de ne pas toucher la progéniture de l’autre. Et comme le hibou décrira ses petits comme les plus mignons du monde, le roi aigle ne les reconnaîtra pas en les voyant et les dévorera et la morale de conclure :

« Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds 
De ses chers nourrissons, hélas ! Pour toute chose. 
Il se plaint, et les Dieux sont par lui suppliés 
De punir le brigand qui de son deuil est cause

Quelqu’un lui dit alors : N’en accuse que toi 
Ou plutôt la commune loi 
Qui veut qu’on trouve son semblable 
Beau, bien fait, et sur tous aimable. 
Tu fis de tes enfants à l’Aigle ce portrait ; 
En avaient-ils le moindre trait ?
« 
L’aigle et le HibouJean de La Fontaine

La morale de l’auteur du XVIIe siècle tire l’histoire du côté d’une certaine vanité ou d’un certain manque d’objectivité par rapport aux siens et vis à vis des autres (ce qui, au passage, n’en fait ni la plus claire, ni la plus éclatante de ses fables).

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


NOTES

(1) Dans quelques traductions libres de la fable d’Esope, c’est le renard qui réussit à s’emparer du charbon ou de la brindille pour mettre le feu.

PS : pour l’illustration et l’image d’en-tête, nous nous sommes servis d’éléments épars : « L’aigle aux ailes déployées » provient d’une miniature du Livre des propriétés des choses de Bartholomaeus Anglicus. Daté de 1447, ce manuscrit médiéval, référencé Ms 0399 est actuellement conservé à la bibliothèque municipale d’Amiens. Le renard provient du Ms 3717, de la Bibliothèque Mazarine de Paris. Il s’agit du Livre de la Chasse de Jacques d’Armagnac daté lui aussi du XVe siècle mais un peu plus tardif (avant 1476). Sur l’illustration de la fable, le fond et les beaux arbres sont tirés d’une illustration de l’artiste enlumineur Annie Bouyer.

DeS fêtes johanniques 2021 hors normes, à orléans

Sujet : fêtes, festivités médiévales, fête de Jeanne d’Arc,  guerre de cent ans, commémoration, histoire vivante, patrimoine culturel, chevauchée johannique
Personnage historique : Jeanne d’Arc (1412 – 1431)
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Lieu : Orléans,  Loiret, Centre-Val de Loire
Evénement : 591e fêtes Johanniques d’Orleans
Dates : 8 mai 2021

Bonjour à tous,

lors que les rues d’Orleans sont restées désespérément désertes en raison des mesures prises par l’exécutif face à la Covid, nous souhaitons, à tous ceux qui célèbrent Jeanne d’Arc, d’heureuses fêtes autour de l’héroïne médiévale qui défit les anglais et permit au dauphin de reprendre espoir et foi, et de devenir roi. Elle est, depuis, entrée dans l’Histoire et le roman national par la grande porte.

Célébrations johanniques inhabituelles
mais célébrations tout de même

« Les vies des femmes célèbres » A Dufour
MS 17 Musée Dobrée, Nantes, (1505)

Pour rappel, depuis près de six siècles, on commémore, à Orléans, les fêtes de Jeanne d’Arc. Ces grandes réjouissances johanniques se tiennent, en principe, de la première semaine de mai jusqu’au second week-end de ce même mois. Elles incluent, notamment, la date du 8 mai, en relation avec la libération d’Orléans par la jeune guerrière, à la tête des armées françaises, le 8 mai 1429. Depuis 1920, cette commémoration est aussi devenue officielle sur l’ensemble du territoire français, sous le nom de Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme. Elle est célébrée le deuxième dimanche du mois, en souvenir de cette même libération.

Dans le dernier tiers du XXe siècle et jusqu’à présent, les célébrations johanniques, notamment à Orléans, ont fourni l’occasion constante à de nombreux politiques de s’écharper et de se prendre à partie : « Qu’est-ce que la nation ? » « Qu’est-ce que le patriotisme ? » « Qui a le monopole du cœur en politique ? » etc… (Vous avez 3 heures). L’évidence est là : avec le Général Charles de Gaulle, Jeanne d’Arc, jeune bergère « appelée », nimbée de son aura miraculeuse et prophétique, personnage éclatant de l’Histoire de France, est sans doute celle qui fédère le plus autour d’elle sur les plans à la fois civil, politique, militaire, et spirituel. Aujourd’hui encore, elle se pose comme le symbole d’une France forte et unie, quand ce n’est pas celui d’une France à retrouver et à reconquérir.

Jeanne d’Arc au temps de la Covid

On connait le faste habituel des fêtes johanniques à Orleans. Nous les avons souvent couvertes dans nos articles. 2020 les avaient vu tristement annulées mais deux années de suite c’était, décidemment, une de trop. En 2021, la municipalité a donc tenu à célébrer, à sa façon, la jeune pucelle médiévale, en s’adaptant au contexte. Ainsi, en date du 1er mai, après un office religieux loin des médias, un petit rassemblement dans le respect des mesures imposées avait été suivi d’une chevauchée un peu hors du commun. Sans grande foule, ni cortège, ni chevaux, elle s’était clôturée par la restitution de l’étendard et on avait pu y voir une Jeanne et un public masqués, à l’heure, notons-le, où l’obligation du port du masque en extérieur suscite des polémiques scientifiques de plus en plus vives.

Un reportage commémoratif qui fait polémique

En matière de polémique mais dans un autre registre, on a également vu, récemment, le maire d’Orléans, Serge Grouard, se manifester sur les réseaux et diverses chaînes youtube à propos d’un reportage réalisé, par la cité, à l’occasion de ses fêtes johanniques 2021. Selon lui, la diffusion du documentaire avait été convenue au préalable avec et sur France 3. Pourtant, contre toute attente, 24 heures avant le début du tournage, la décision de diffusion aurait été finalement mise en suspens par la chaîne, au motif qu’une des commentatrice-journalistes en charge de la voix off du documentaire aurait eu, par le passé, certaines accointances du côté d’une droite jugée un peu trop à droite (RN ?).

D’après Serge Grouard toujours, lui même républicain (LR) et qui se dit assez loin de ce type de considérations : « l’amour pour Jeanne d’Arc est chevillé au corps de la cité depuis près de 600 ans, indépendamment de l’obédience politique de ses élus« . Il en fallait donc bien plus pour empêcher que le reportage ne soit réalisé et proposé au public. Il est donc disponible depuis le 7 mai, sur les réseaux. N’ayant nous-même, par nature, que très peu d’affinités pour les chasses aux sorcières (quel qu’en soit le bord) et refusant d’entrer dans la polémique, nous vous proposons de découvrir ce documentaire ci-dessous. Au passage, vous aurez le plaisir d’y entendre et d’y reconnaître le chanteur et musicien Luc Arbogast.

Voir également nos articles sur les éditions précédentes des fêtes d’Orléans : Edition 2017 – Edition 2018  – Edition 2019Voir toutes les fêtes Johanniques

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (2) : Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII.
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Isabelle de Bavière (1370-1435)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2020)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la seconde : Isabelle de Bavière.


u tribunal de l’histoire, la reine de France Isabelle de Bavière apparaît coupable d’une double trahison : trahison à son époux Charles VI, qu’elle aurait allègrement trompé, mais aussi trahison à son royaume, de par la signature du « honteux » traité de Troyes livrant la France aux Anglais. Pour autant, cette reine allemande mérite-t-elle vraiment sa légende noire ?

L’entrée de la reine Isabelle de Bavière à Paris, en 1389, entourée des princes du sang, Miniature du MS Harley 4379, British Library (Chroniques de Froissart, Bruges, vers 1470)

Une reine cupide et adultère ?

Isabelle de Bavière n’aurait sûrement jamais atteint une telle renommée si Charles VI n’était tombé fou. Car lorsqu’il devient clair à tous que le roi de France, qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la démence, ne reviendra jamais à son état normal, Isabelle de Bavière se voit attribuer la régence du royaume. Seulement voilà, cette souveraine se désintéresse de la politique. Raison pour laquelle elle s’empresse de confier à son beau-frère, le beau et séduisant Louis d’Orléans, les rênes du gouvernement. Dès lors, ces deux-là ne se quitteront plus. Selon toute vraisemblance, ils deviendront même amants. C’est en tout cas ce qu’en pensaient leurs contemporains, qui s’étonnaient de les voir longuement deviser ensemble au château de Saint-Germain-en-Laye, dans le logis royal, ou au couvent des Célestins. Mais ce n’est pas là le seul reproche fait à la reine.

Son infidélité au roi se doublerait d’un goût du luxe et de l’argent. Au point qu’on écrira sur elle dans Le Songe véritable, pamphlet politique de l’époque, que « tout ce qu’elle veut est d’en prendre tant qu’elle peut mais non pas tant comme elle veut ». Au point qu’à compter de cette époque, ses détracteurs ne la désigneront plus que sous le sobriquet d’« Isabeau ». Le cas de la reine s’aggrave encore lorsqu’elle consent à ce qu’une jeune concubine soit donnée au roi pour combler son absence dans le lit conjugal. Odette de Champdivers, cette maîtresse officielle dénommée la « petite reine », donnera même un enfant au roi. Et un moine augustin invité à prêcher à l’occasion des fêtes de la Pentecôte d’oser lancer à Charles VI que « la déesse Venus règne toute seule à votre cour… ».

Mais très vite, les choses vont se gâter. C’est d’abord le duc d’Orléans qui se fait assassiner en plein Paris sous les ordres de son cousin Jean Sans Peur, le duc de Bourgogne. C’est ensuite un royaume divisé entre Armagnacs et Bourguignons qui plonge dans la guerre civile, puis les chevaliers français qui se feront exterminés à la bataille d’Azincourt. C’est enfin Jean Sans Peur qui se fera tuer à son tour sur le pont de Montereau, privant ainsi la France du seul prince capable de s’opposer à l’appétit de conquête d’Henri V, le roi d’Angleterre.

Après la disparition de Louis d’Orléans

La reine se consolera de la disparition de Louis d’Orléans dans les bras d’autres amants, parmi lesquels un certain chevalier de Boisrédon. S’inspirant probablement des écrits du marquis de Sade, l’historien Philippe Erlanger dépeindra lsabelle de Bavière, à l’automne de sa vie, envahie de graisse, submergée, déformée au point que ne pouvant marcher, elle se faisait traîner dans une chaise roulante. « Jamais cependant, écrit-il encore, la colossale matrone, soufflante et gouteuse, n’avait tant aimé le faste et les plaisirs. Elle se soignait en absorbant de l’or potable… Immobile dans sa cathèdre, le chef écrasé sous le poids du hennin, le corps surchargé d’étoffes orfévrées, l’étrange dame présidait inlassablement aux ébats de la cour ».

Détail Français 2646, Chroniques Froissart, BnF, Arrivée et bon accueil de la Royne dans Paris (Bourgogne, vers 1475)

Mais il ne s’agit pas seulement de sa vie personnelle. Pour les historiens, Isabelle de Bavière est surtout coupable d’avoir négocié le traité de Troyes. L’accord qui livre le royaume aux Anglais, celui par lequel Charles VI déshérite le Dauphin, son fils unique, et donne sa fille en mariage au roi d’Angleterre Henri V, faisant de celui-ci l’héritier de la couronne et le régent du royaume. Animée, selon l’histoire Edouard Perroy, d’une « haine atroce » envers le futur Charles VII, Isabelle de Bavière se serait laissée acheter par l’Anglais pour renier son fils et lui livrer sa fille. De tous les désastres connus par la France au cours de son histoire, celui-là est sans doute l’un des plus graves : l’instauration d’une double monarchie sous égide anglaise, une capitulation en bonne et due forme. Or rien n’aurait pu se faire sans qu’Isabelle de Bavière l’étrangère, Isabelle l’allemande, ne renie préalablement son fils et avoue par là-même qu’il n’était qu’un bâtard.

Nous avons donc là le portrait d’une femme infidèle et cupide, voire débauchée, mauvaise mère, traître à son pays. Avouez qu’à ce prix-là, Isabelle de Bavière aurait plus encore que Marie-Antoinette mérité de voir sa tête rouler sur le billot. Seulement voilà, il s’agit là d’un portrait au vitriol. Car à y regarder de plus près, la reine de France bénéficie de circonstances atténuantes.

Une vie d’épreuves

Détail Harley 4380, Chroniques Froissart, BnF, Signature du traité de Troyes avec Charles VI ( (Bruges – vers 1475)

On ne saurait comprendre la conduite d’Isabelle de Bavière sans rendre compte de ce que son mari, à son corps défendant, lui a fait subir. A compter de 1392 et de sa première crise dans la forêt du Mans, le roi de France est schizophrène. Il s’agit donc d’une folie intermittente, qui le voit alterner les périodes de rémission avec les périodes de démence. Il devient alors incontrôlable, voire violent. Pris d’accès maniaques, il refuse de se laver, de se raser et se prend pour un chevalier vengeur, un certain « Georges ». Charles VI crie et hurle « comme s’il était piqué de mille pointes de fer ».

Le Religieux de Saint-Denis raconte ainsi que lorsque la reine Isabelle s’approchait de lui, «  le roi la repoussait en disant à ses gens : « Quelle est cette femme dont la vue m’obsède ? Sachez si elle a besoin de quelque chose et délivrez-moi comme vous pourrez de ses persécutions et des importunités afin qu’elle ne s’attache pas ainsi à mes pas. » Il prétendait n’être pas marié et n’avoir jamais eu d’enfants…  Lorsqu’il apercevait ses armes ou celles de la reine gravée sur sa vaisselle d’or ou ailleurs, il les effaçait avec fureur ». Parfois même, le roi de France menaçait de s’en prendre à son épouse. Ce qui ne pouvait qu’inquiéter, attendu que lors de sa première crise dans la forêt du Mans, Charles VI avait tué quatre de ses gardes coup sur coup… Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Isabelle de Bavière aura décidé de quitter le logis royal pour emménager dans l’hôtel Barbette, emportant avec elle tous ses enfants. Ce qui n’empêchera pas le sort de s’acharner sur la reine de France, qui perdra successivement ses deux fils aînés, les Dauphins Louis et Jean, morts tous deux de maladie dans les dix-huit mois suivant le désastre d’Azincourt.

Une amoureuse des arts

Le-cheval-d-or-Altötting commandé par la reine Isabelle, grand chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale

Il est toutefois remarquable qu’au milieu de ces désastres, la reine Isabelle de Bavière ait conservé un intérêt marqué pour les choses de l’esprit. Ainsi la voit-on mécène de l’écrivaine Christine de Pizan, première femme de lettres française, féministe avant l’heure, qui lui dédiera ses « Epîtres du Débat sur le Roman de la Rose » et composera même une « Epître à Isabelle de Bavière ».

Les comptes de la reine montrent d’ailleurs qu’elle faisait partie des plus importants mécènes de son temps et aimait beaucoup plus les livres que son royal époux. Ainsi la voit-on offrir à Charles VI « Le Petit Cheval d’or », sculpture en or émaillé et argent doré, ornée de saphirs, de rubis et de perles représentant la Vierge à l’enfant, véritable chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale qui figure aujourd’hui parmi le trésor de la collégiale d’Altötting, en Bavière. Ainsi découvre-t-on une reine bien plus intelligente et cultivée que ne le laisserait suggérer sa légende noire. Si elle a beaucoup dépensé, c’est aussi en proportion de son amour du Beau.

Une reine objet de tous les désirs

Isabelle de Bavière aura été, sa vie durant, une reine sous influence. Qu’il s’agisse de son amant le duc Louis d’Orléans, de son « beau cousin » de Bourgogne, Jean Sans Peur, ou du roi d’Angleterre Henri V, chacun aura cherché à se servir de son statut de reine pour accéder au pouvoir. Aussi par comparaison avec la « reine de fer » Yolande d’Aragon et la sainte de Domrémy, la Bavaroise fait-elle pâle figure. Elle aura même contribué, par sa parfaite incarnation de la pécheresse, à faire de Jeanne d’Arc cette nouvelle Eve, cette Marie lavant le royaume de France de ses péchés sans nombre.

Mais il faut admettre que la vie n’aura pas épargné cette princesse arrivée en France à l’âge de 14 ans sans parler un mot de français. Et que le désespoir l’aura sans doute étreint plus d’une fois, comme en cette nuit du 23 novembre 1407 où Louis d’Orléans, son amant passionnément aimé, périra sous les coups de haches quelques minutes seulement après l’avoir quittée.

De par ses multiples fragilités, Isabelle de Bavière n’en est que plus humaine et je dirais même, plus touchante. C’est pourquoi si elle ne mérite pas les lauriers de la gloire, il serait sans doute injuste de la jeter au bûché de l’histoire.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.


Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur :Yolande d’Aragon, la reine de fer – Christine de Pizanchampionne des damesLes illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Atlas de Paris au Moyen Âge, Philippe Lorentz et Dany Sandron, Parigrame.
Charles VII et son mystère, Philippe Erlanger, Gallimard.
Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Chronique du Religieux de Saint-Denys contenant le règne de Charles VI, de 1380 à 1422, publiée en latin et traduite par M.L Bellaguet, imprimerie de Crapelet.
1328-1453, Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

Note Moyenagepassion : la miniature ayant servi de fond à l’image d’en-tête représente Christine de Pisan tendant un de ses ouvrages à la reine Isabelle de Bavière. Cette illustration est issue du manuscrit médiéval Harley ms 4431, intitulé The book of the Queen. Daté des débuts du XVe siècle, cet ouvrage est conservé à la British Library et consultable en ligne à l’adresse suivante. Au premier plan, le buste de la reine est, quant à lui, issu de la photo d’une œuvre de Guy de Dammartin (1365-1404). Cette sculpture est encore exposée au Palais de Justice de Poitiers. En 2001, elle a également servi à la couverture d’un ouvrage de Jean Verdon au sujet de Isabeau de Bavière.

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