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« Qui d’amours se plaint » au XIIIe siècle, fine amor et motet du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Qui d’amours se plaint,  Lux magna
Auteur :   
 Anonyme
Interprète :  Anonymous 4
Album :   
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century    (1993-94)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionelui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?

Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué,  peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet.  Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante   de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il  n’en serait pas digne et son  cœur ne serait pas assez grand.

La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales

Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde  médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.

deco_medievale_enluminures_trouvere_On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute :  le chevalier amoureux de la reine,  le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu,  le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec  la belle de son suzerain ou  qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.

A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le  sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial  cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur  vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs  ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.

 Aujourd’hui,  c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin.  Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles  de   Gaston Raynaud  (1881).

La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier

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Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier  H196    chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes  et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne).  La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise.  On verra que le poète  y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites,  il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.

« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4

Love’s Illusion ou le chansonnier    de Montpellier  par le quatuor féminin Anonymous 4

chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-ageNous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production  faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces  toutes issues   du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute,   Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles  a été réédité en   2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours   disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.

Membres de la formation Anonymous 4  :   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose


« Qui d’amours se plaint »  ,  paroles en vieux français et clés de vocabulaire

NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .   

Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama  (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra  (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra,  (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira   (se séparer,   s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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En tos tens que vente bise, une chanson médiévale courtoise de Blondel de Nesle

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet :   musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :   XIIe siècle,  XIIIe, Moyen Âge central
Titre :   
En tos tens que vente bise
Auteur :    
Blondel de Nesle (1155 – 1202)
Manuscrit :
MS Français 844, Manuscrit du roi (BnF départements des manuscrits)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu coeur du XIIe siècle, à l’unisson des premiers trouvères, Blondel de Nesle chante la courtoisie en tout temps. Dans ce nouvel échantillon de sa poésie, il nous entraînera, en effet, loin du « renouvel » printanier, au cœur de la saison froide et sous le souffle du vent. Pour le reste : souffrance, affres du doute et douleur du rejet, un bon nombre d’ingrédients habituels de la lyrique courtoise seront au rendez-vous pour accorder l’humeur du trouvère avec ce climat  hostile. On y trouvera aussi  la dimension sociale ascendante  qui traverse, plus souvent qu’à son tour,  l’amour courtois ; le poète nous  l’affirmera, la dame visée par sa flamme est de meilleure lignage et de plus haute condition que lui.

Aux sources  historiques   de cette chanson

Blondel-de-Nesle-poesie-chanson-medievale-MS-francais-844-BnF_sCette chanson médiévale est attribuée à Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits. Nous avons choisi de vous faire découvrir, ci-contre, la version du MS Français 844 de la Bnf,   plus  connu  encore sous le nom de Manuscrit ou Chansonnier du Roi. Daté du XIIIe siècle,  sous  la plume de Lambert l’Aveugle, ce précieux témoin de la poésie et de la musique du Moyen Âge central contient près de  225  feuillets pour un large nombre d’auteurs et de chansons annotées. On y retrouve pèle-mêle troubadours  et trouvères célèbres mais aussi auteurs anonymes, pour un total de près de 600 pièces.

Pour la transcription moderne de la pièce du jour, nous  avons suivi  la version de Prosper Tarbé   dans son ouvrage  Les œuvres de Blondel de  Néele, collection les poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle (  1862). Quant à son interprétation moderne, nous nous sommes laissés entraînés outre-manche à la découverte d’une formation exceptionnelle : les Gothic Voices.  Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un extrait.

Un extrait de cette chanson    de Blondel par l’ensemble Gothic Voices

Gothic Voices & Christopher Page

christopher-page-passion-musiques-medievales-gothic-voicesC’est en 1980, sous la houlette de Christopher Page, que s’est formé cet ensemble originaire du Royaume-Uni. Expert des musiques anciennes et du répertoire  médiéval,  cet instrumentiste, guitariste, universitaire et musicologue  anglais  n’est plus à présenter de l’autre côté de la Manche. En plus de ses nombreuses contributions musicales, sa longue carrière lui a permis de se signaler également par  de  nombreuses études sur l’histoire de la guitare en Angleterre (de la renaissance au XIXe siècle). On lui doit encore un nombre significatif de publications sur les instruments et la musique du Moyen Âge ; autant dire que nous sommes en présence d’un érudit, passionné de musique autant que d’ethnomusicologie.

Gothic Voices – discographie et carrière

Sous la direction de Christopher page, l’ensemble Gothic Voices a enregistré prés de 25  albums, sur une longue carrière de 40 ans. Les thèmes abordés sont d’une grande variété, avec un fort centre de gravité autour de l’Europe médiévale. La grande majorité de leurs productions couvre une période qui va des trouvères du XIIIe siècle,  jusqu’au Moyen Âge tardif et au XVe siècle. On y trouvera des pièces issues du répertoire français, anglais, mais encore italien ou rhénan avec des incursions du côté de l’œuvre musicale  de Hildegarde de Bingen.

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Au delà de leur succès auprès du public, les contributions de Gothic Voices ont été largement saluées mais aussi récompensées par la critique. Ils ont notamment reçu  des gramophones d’or pour trois de leurs albums.  Côté agenda, l’ensemble est toujours actif sur la scène musicale anglaise. Vous pourrez retrouver plus d’information sur son actualité sur son site web (en anglais) au lien suivant.

Membres  actuels   :   Catherine King (mezzo-soprano), Steven Harrold (tenor), Julian Podger (tenor), Stephen Charlesworth (bariton)

L’album : le Mariage du Ciel et de l’enfer,
Motets  & chansons du XIIIe siècle  en France

En  1991, la formation britannique partait à la  rencontre  du XIIIe siècle français avec une belle sélection de chansons et de motets d’époque. « The   marriage    of Heaven and Hell « ,   sous un titre qu’on pourrait être tenté d’associer plus aux poésies de  William Blake qu’au Moyen Âge central français, l’album présentait dix-sept pièces   dont la grande majorité   était d’origine anonyme.   Entre ces dernières musique-medievale-album-trouvere-Blondel-de-Nesle-Gothic-voices-Christopher-page-Moyen-ageon trouvait la pièce du jour de Blondel, mais aussi une pièce de  Colin Muset, une autre signée de la main de Gauthier d’Argies, et même encore une incursion du côté des troubadours avec la célèbre chanson  « Quan vei la lauzeta mover » de Bernard  de Ventadour.

Cet album, originellement sorti chez Hypérion Records a été réédité en 2007 chez Helios. On le trouve  encore disponible à la vente au format CD ou MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations  à ce sujet : The of Heaven and Hell : Le Mariage du Ciel et de l’enfer


En tos tens que vente bise
dans le vieux-français de Blondel de Nesle

NB : pour cette traduction  (assez ardue) du vieux-français vers le français moderne, nous nous sommes appuyé sur des recherches  habituelles dans les sources  et les dictionnaires auxquelles il nous faut ajouter l’aide, plus que précieuse, de   Yvan G Lepage et de son ouvrage : l’Oeuvre lyrique de Blondel de Nesle, sorti chez Honoré Champion en 1994.

En tos tens que vente bise,
Pour cele, dont sui sorpris,
Qui n’est pas de moi sorprise,
Devient mes cuers noirs et bis.
De fine amour l’ai requise,
Qui cuer et cors m’a espris,
Et s’ele n’en est esprise,
Por mon grant mal la requis.

En  cette saison où la bise souffle
Pour celle  que je désire (dont je suis  épris)
Et qui ne  me désire pas
Devient mon cœur   noir et sombre.
D’un  loyal amour,  je l’ai   requise
Elle qui m’a conquis tout entier (cœur  et corps, corps et âme)
Et si  elle   ne s’éprend pas de moi à son tour
Je  l’aurais  priée pour  mon plus grand malheur.

Mais la dolors me devise ,
Qu’à la millor me sui pris,
Qu’ains fut en cest mond prise,
Sé j’estoie à son devis
Tort a mes cuers, qui s’en prise (proisier, preisier) ;
Car ne sui pas si eslis,
S’ele eslit, qu’ele m’eslise :
Trop seroie de haut pris.

Mais la douleur me souffle (deviser, diviser ou tirailler ?)
Que    je me serais épris de la meilleure
Qui fut jamais aimée en ce monde
Si j’étais  soumis à sa volonté !
Tort  à mon cœur, qui s’en vante
Car je ne suis pas si distingué (éligible, parfait)
Si elle choisit jamais, pour qu’elle me choisisse :
Je serais pris de trop haut (ce serait m’élever plus que je le mérite)

Et nequedent  destinée
Done à la gent maint pensé.
Tost i metra sa pensee,
S’Amors li a destinée.
Je vis ja telle dame amée
D’hom de leur bas parenté,
Qui miex iert emparentée,
Et si l’avoit bien amé.

Et cependant la destinée
Donne aux gens de quoi réfléchir
Et elle aura tôt fait d’y mettre sa pensée
Si l’Amour l’y a destiné.
J’ai déjà vu telle dame aimer
Homme de plus basse parenté (lignage)
Alors qu’elle était mieux née que lui
Et pourtant, elle l’avait aimé de belle façon (entièrement, courtoisement).

Por c’est droit , s’Amors m*agrée,
Que mon cuer li ai doné ;
Se s’amors ne m’a donée ,
Tant la servirai à gré.
S’il plaist à la désirée,
Un dols baisier a celée
Aurai de li à celé ,
Que je tant ai désiré.

Pour cela il est juste, si l’Amour m’agrée,
Que je lui ai donné mon cœur,
Et  si elle ne m’a donné son amour
Je la servirai tant à sa guise
Que, s’il plait à la désirée,
Un doux baiser  caché 
Elle me donnera en secret 
Que j’ai tant désiré.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
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« Loyauté vueil tous jours maintenir » la courtoisie de Guillaume de Machaut à la façon de René Zosso

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson médiévale, virelai, maître de musique, chanson, amour courtois.
Titre  : Loyauté vueil tous jours maintenir
Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprète  : René Zosso
Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la Pléiade  (2005)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons, aujourd’hui, du côté des « trouvères »   ou même plutôt d’un maître de musique et compositeur   du  XIVe siècle.   Tribut sera fait au talent musical de Guillaume de Machaut et à sa maîtrise parfaite de la lyrique courtoise.

Loyauté vueil tous jours maintenir :
une chanson baladée courtoise

Cette  pièce se classe comme une chanson baladée monodique. Le poète y confirme sa loyauté et son amour envers sa dame. Las ! Rien n’est jamais simple en courtoisie. Elle se dérobe à lui, et privé de la voir, le poète   souffre et  se languit. Qu’importe. Dut-il en pâtir ou en mourir, il lui demeurera fidèle et patient, en se pliant  ainsi, rigoureusement, à l’exercice de la fin’amor et ses codes.  On n’en attendait pas moins de lui.

rene-zosso-musique-medievale-chanson-moyen-ageCôte interprétation, c’est René Zosso  qui nous la donnera a cappella. Loin des  versions  lyriques habituelles autour du répertoire médiéval, la voix enlevée et rugueuse du grand vielliste et chanteur suisse revisitera cette pièce avec une force et une énergie unique. C’est une de ses  signatures, celle qui a fait son succès et qui nous le fait autant apprécier.

Sources modernes  &    manuscrits anciens

Vous pourrez retrouver cette pièce retranscrite dans un grand nombre d’éditions des œuvres de Machaut. Depuis le XIXe  siècle, les  médiévistes et les  spécialistes de littérature du Moyen Âge, comme certains musicologues en ont produit des quantités. Pour l’occasion, nous avons opté pour  celle de Vladimir  Chichmaref  Guillaume de Machaut Poésies Lyriques – Edition complète en deux parties avec Introduction, Glossaire et Fac-similés  ( 1909).

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L’oeuvre de Guillaume de Machaut dans le manuscrit Français 1586 de la BnF

Du point de vue des sources anciennes, on trouvera cette pièce annotée musicalement dans l’ouvrage Français 1586 (photo ci-dessus), actuellement conservé au département  des manuscrits de la BnF (à consulter ici sur gallica). Daté du milieu du XIVe,  ce manuscrit médiéval qui contient l’œuvre de Guillaume de Machaut, est, à ce jour, un des plus ancien manuscrit illustré, connu, de l’auteur. On  suppose même que  le compositeur médiéval a pu participer ou suivre de près sa réalisation. C’est dire toute la valeur historique de ce  document.

Loyauté   vueil tous jours maintenir interprétée    par René Zosso


Anthologie de la chanson française :  naissance de la chanson française

Dans le courant du XXe siècle, on doit à  la maison EPM de s’être attaquée au vaste sujet de la chanson française avec l’idée d’en produire une anthologie.  Au sortir, la période couverte  part du Moyen Âge pour aller jusqu’aux années 80, pour une anthologie qui  se décline en un nombre important d’albums. Rangés par période, ces derniers peuvent même, à l’occasion, être catégorisés par thème :  chansons de métiers, chansons sur la condition féminine, etc…

L’objet déborde donc largement de notre strict propos (médiéval) et nous laisserons le soin aux éventuels intéressés par les divers coffrets d’effectuer des recherches adéquates. Nous nous arrêterons, quant à nous, à l’album du jour qui porte sur la naissance de la chanson française et qui a pour titre :  Anthologie de la chanson française :  des trouvères à la Pléiade. 

« Des trouvères à la Pléiade »,    l’album

musique-medievale-album-trouveres-chansons-francaises-anthologie-moyen-ageEn accord avec son titre, cet album prend l’histoire de la chanson  à partir des trouvères. Il   se  situe même plus vers le Moyen Âge tardif et la renaissance qu’au Moyen Âge central.

Du point de vue contenu, il est assez généreux avec   24  chansons présentées pour plus d’une heure dix d’écoute.   En plus de  certaines pièces anonymes du XIIIe siècle, on y trouvera quelques compositions de Thibaut de Champagne,   et côté XIVe siècle, la pièce de Machaut du jour.  Pour le reste, le XVe siècle et le XVIe y trouvent une place de choix avec du Clément Marot, du Ronsard,  ou encore un nombre important de chansons issues du  Manuscrit de Bayeux. Du point de vue de l’interprétation,  René Zosso  y est clairement à l’honneur avec pas moins de  5 pièces. On y  croise aussi,  avec plaisir, de nombreux autres chanteurs talentueux dont  Gabriel   YacoubMélane Favennec et même, de manière plus inattendue,  Pierre Perret.

Enregistré dans le courant de l’année 1996,  cet album a fait l’objet d’une réédition (repackaging)  courant 2005.   A ce  titre, on le trouve toujours disponible à la distribution en ligne au format CD ou même dématérialisé  : Anthologie de la chanson française – des trouvères à la Pléiade.


« Loyauté vueil tous jours maintenir »
Chanson baladée de Guillaume de Machaut

Loyauté vueil tous jours maintenir (1)
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire (douce, bonne, aimable).

Mon cuer y vueil et mon desir
Mettre sans retraire  (renoncer, reculer, faire retraite)
Ne ja ne m’en quier departir (veux séparer),
Ains vueil toudis faire
Son tres dous voloir sans repentir
Et li obeir
Comme amis, sans meffaire.
Loyauté.

Mais Amour fait mon cuer languir
Et si m’est contraire (contrarier, incommoder)
N’elle ne me daingne garir,
Ne je ne puis plaire
A la bele que j’aim et desir,
Qui à son plaisir
Me puet faire et deffaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir.

Las! si ne sçay que devenir
Ne quelle part traire, (ni de quel côté   tirer, aller)
Quant aler ne puis ne venir
Au tres dous repaire,
Où celle maint qui me fait morir,
Quant veoir n’oïr
Ne puis son dous viaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire.

(1)  Pour faire le parallèle entre valeurs chevaleresque et courtoisie, il est intéressant de noter qu’une devise portant « C’est pour loiauté maintenir »  fut remarquée par Machaut à l’occasion d’un de ses voyages en Orient.  Selon ses vers, il la trouva utilisée  par une corporation de chevaliers chrétiens stationnés  en Nicosie (Chypre) : l’Ordre de l’épée. Peut-être l’a-t-il en partie reprise ici au compte de la fin’amor et en référence à cela.  

De toutes couleurs  espuré,
Et s’avoit en lettres d’or entour, 
Qui estoient faites à tour,
Disans, bien m’en doit souvenir : 
« C’est pour loiauté maintenir »
Car je l’ay mille fois veu
Sur les chevaliers et leu. »


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Cantiga de Amigo : aux temps médiévaux, la danse d’une jeune fille amoureuse à Vigo

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet :  amour courtois, musique, poésie médiévale,  chanson médiévale,   Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur :  Martín (ou Martim) Codax
Titre :  Eno sagrado en Vigo, Cantiga   VI
Interprètes :    The Dufay Collective
Album  :  Music for Alfonso the Wise  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons  sur les  Cantigas de Amigo de l’Espagne et du Portugal du Moyen Âge central.  Nous le faisons même avec un des plus célèbres  compositeurs de ce genre  galaïco-portugais du XIIIe, le jongleur (jogral) et troubadour Martín Codax.

Les Cantigas de Amigo conjuguent l’amour courtois au féminin, en donnant la parole à des jeunes filles  :   espoir, attente de l’être aimé (« l’ami »), joie ou tristesse, les compositeurs de ces chansons médiévales se glissent dans le cœur  des damoiselles pour  nous chanter avec grâce, les émois et les revers du sentiment amoureux.  Au delà de leur contenu, ces poésies se signent par  leur simplicité, leur pureté de style et la présence d’un refrain qui vient créer  une    résonance  sur  l’émotion au centre  de    chaque composition.

Une  belle sur le parvis de l’église de Vigo

eglise-cathedrale-collegial-vigo-chanson-medieval-martin-codax-moyen-ageCette  Cantiga de amigo de Martín Codax est connue sous le titre  Eno sagrado en Vigo (sur la base de son premier vers) : en français, on peut le traduire par  sur le parvis de Vigo. On peut supposer, sans trop de risques, qu’il s’agit là d’une allusion au parvis de  l’actuelle collégiale de Santa Maria de Vigo, en Galice. Datée du XIXe siècle, cette dernière a été reconstruite en lieu et place d’un autre édifice religieux qui, lui même, était venu faire suite, au  XVe siècle, à une église Santa Maria qui se tenait, là, depuis le Moyen Âge central et le XIIe siècle.

Du point de vue du sens de cette composition,  la jeune fille y danse  en chantant  et on l’imagine tournant et souriant, emportée par la joie de l’amour qu’elle porte  en elle.  Pour faire bonne mesure, nous vous en proposerons une traduction  sur laquelle on pourra  d’ailleurs argumenter. La simplicité des vers prête, en effet, à interprétation suivant  les auteurs qui s’y sont penchés et notamment ce refrain :   » Amor ei… » . Faut-il simplement traduire  :  « Oh  Amour » ou « J’ai de l’amour« , autrement dit « Je suis amoureuse » ou  même encore « Je suis  aimé » ?    Nous avons penché, de notre côté, pour « Je suis amoureuse ».

Sources et interprétations

Cette cantiga de amigo, que l’on retrouve dans le Parchemin Vindel, actuellement conservé à la  Morgan Library  de New York, a été reprise par une certain nombre de formations médiévales contemporaines. On pense  notamment  à celle d’Eduardo Paniagua ou encore, plus près de nous,  au groupe   allemand  Triskilian.   Pour vous la faire découvrir, nous avons, pour cette fois, choisi la version des anglais de     The Dufay Collective.

Eno sagrado en Vigo de Martin Codax par The Dufay Collective

Quand  le Dufay Collective chantait
l’Espagne médiévale  d’Alphonse le Sage

En  2005, les artistes du Dufay Collective    décidèrent de consacrer  leur talent aux musiques contemporaines de la cour d’Alphonse X de Castille. Intitulé « Music for Alfonso the Wise » (musique pour Alphonse le Sage), l’album sortit chez Harmonia  Mundi. Il proposait pas moins de 19 pièces pour plus d’un heure d’écoute entre lesquelles de nombreuses Cantigas de Santa Maria (dix compositions) du roi savant d’Espagne. Dans la deuxième partie de l’album, on retrouvait aussi  huit  cantigas de Amigo, signée de la main de  Martín Codax. Enfin, une danse anonyme de la même période venait compléter le tableau de cette production.

musique-medievale-cantigas-de-amigo-martin-codax-album-Dufay-collectiveI-moyen-age-centralAu moment de cet article, l’album n’est pas disponible à la vente en ligne ( en tout cas sur Amazon). Il n’est même pas sûr qu’il ait été réédité.  Nous en avons trouvé un copie d’occasion à la vente, mais le vendeur  en attendait un prix tellement indécent que nous avons préféré ne pas vous en donner le lien ici. En contrepartie, nous mettons  le lien par défaut vers ce produit, en espérant que tôt ou tard,  de nouveaux CD’s fassent leur apparition :    Music for Alfonso the Wise by The Dufay Collective (2005-04-20).


Eno sagrado en Vigo, de Martin Codax
traduite en français moderne

Eno sagrado en Vigo,
Beylava corpo velido
En Vigo, no sagrado,
Beylava corpo delgado
Amor ei…

Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une belle (un joli corps)
Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une  jolie fille (un corps fin) :
Je suis amoureuse …

Beylava corpo delgado
Que nunc’ ouver’ amado
Beylava corpo velido
Que nunc’ ouver’ amigo
Amor ei…

Dansait une  jolie fille
Qui n’avait jamais eu d’être aimé
Dansait une   belle
Qui n’avait jamais eu d’ami
Je suis amoureuse …

Que nunc’ ouver’ amigo
Ergas no sagrad’, en Vigo
Que nunc’ ouver’ amado
Ergas en Vigo, no sagrado
Amor ei…

Qui n’avait jamais eu d’ami
Sauf à Vigo, sur le parvis,
Qui n’avait  jamais eu d’aimé
Sauf à Vigo, sur le parvis, 
Je suis amoureuse …


En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.