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Gace Brûlé, portrait d’un chevalier trouvère champenois féru d’amour courtois

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique, poésie, chanson médiévale, Champagne, amour courtois, trouvère, biographie, oil
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: Biaus m’est estez quant retentist la brueille
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Gilles Binchois
Album: Les escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous explorons la poésie courtoise champenoise de la fin du XIIe siècle avec le trouvère  Gace Brûlé (Bruslé). Avec cet auteur, nous nous situons dans les premières oeuvres de lyrique courtoise en langue d’Oil.

Eléments de biographie

Trouvère, poète et chevalier de petite noblesse, Gace Brulé a vécu quelque part entre la fin du XIIe siècle (1160-1170) et le début du XIIIe siècle (1215).

deco_medievale_enluminures_trouvere_Au titre des documents historiques fiables mentionnant Gace Brûlé, on a pu trouver dans le comté de Dreux la trace d’un contrat passé en 1212 pour deux arpents de terres entre un certain Gatho Bruslé et les templiers. Pour les historiens, il s’agit sans aucun doute de notre trouvère ce qui atteste des origines noble de l’homme (chevalier, ayant son propre sceau, quelques terres). Pour le reste, comme pour bien d’autres artistes et poètes du XIIe siècle, et même si quelques autres sources le mentionnent, il faut lire entre les lignes de sa poésie pour en déduire quelques éléments de biographie supplémentaires .

D’origine champenoise et de la région de Meaux, il vécut quelque temps en Bretagne, sous la protection sans doute du Comte Geoffroi II, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor. Il semble aussi s’être tenu un temps sous la protection de Marie de Champagne. La fille de Louis VII et Aliénor de Guyenne s’entoura, en effet, à cette époque, de quelques brillants auteurs, dans lesquels on pouvait encore compter Chrétien de Troyes. En cette fin du XIIe siècle, sa cour était un devenu le berceau de l’art poétique du Nord de la France et l’on s’y inspirait grandement des thèmes chers aux troubadour du sud. Son petit fils, Thibaut de Champagne, connu encore sous le nom de Thibaut le Chansonnier était, en ces temps, déjà né. Il allait d’ailleurs reprendre le flambeau et poursuivre cet élan culturel et artistique dans lequel Gace Brûlé s’inscrivait résolument.

Relations avec Thibaut de Champagne ?

Pour être contemporains l’un de l’autre, on a longtemps affirmé que les deux hommes s’étaient côtoyés et au delà qu’ils avaient même peut-être composé ensemble quelques poésies et chansons. La source en provenait des Grandes Chroniques de France de 1274 et d’une phrase qui suivant la lecture qu’on en faisait pouvait sembler même affirmer qu’ils avaient composé ensemble quelques chansons.

« … S’y fist entre luy (Thibaut de Champagne) et Gace Brûlé les plus belles chançons et les plus delitables et mélodieuses qui onque fussent oïes en chançon né en vielle… »

Dans un ouvrage dédié aux chansons à Gace Brûlé (Chansons de Gace Brûlé, 1902), Gédéon Huet, biographe spécialiste du trouvère champenois des débuts du XXe avait finalement rejeté l’hypothèse de relations ou de compositions communes. Gace_brule_poesie_musique_chanson_medievale_amour_courtois_manuscrit_ancien_chansonnier_archambault_moyen_ageEn croisant les sources indirectes, il avait en effet déduit que l’activité poétique de Gace Brûlé avait été antérieure à celle de Thibaut le Chansonnier et se serait plutôt située avant 1200. En  se fiant aux simples dates, il est vrai que le futur roi de Navarre et comte de champagne n’était encore qu’un enfant tandis  que Gace Brûlé avait déjà écrit des chansons qui avaient déjà largement conquis ses contemporains.

Près d’un demi-siècle après Gédéon Huet, un autre médiéviste, l’historien Robert Fawtier s’évertua à démonter ce raisonnement ou au moins à y apporter un bémol, en réhabilitant du même coup l’auteur des Grandes Chroniques de France : selon lui, les deux hommes auraient très bien pu se connaître et pourquoi pas se côtoyer même si l’un avait alors 13 ans et l’autre un peu plus de 25 ans. (voir article de Robert Fawtier sur persée).

La composition conjointe de chansons dans ce contexte reste tout de même improbable. Tout cela montre bien à quel point la rareté des sources peut quelquefois sur une simple phrase, faire place à la spéculation et aux débats qui lui sont associés. La chose n’est pas dénuée d’intérêt, pourtant, et dépasse la simple dimension anecdotique puisqu’elle permet de supputer ou non de l’influence directe qu’aurait pu avoir Gace Brûlé sur Thibaut de Champagne.  L’Histoire a pour l’instant emporté avec elle ce secret. Ils évoluaient à la même cour et s’y sont peut-être croisés à une période où le trouvère était déjà largement populaire et reconnu.

Biaus m’est estez… par lEnsemble Gilles de Binchois

Oeuvres et popularité

Prisé de son époque, on retrouvera des chansons de Gace Brûlé  cité dans le Roman de la Rose, mais aussi dans le Roman de la Violette  de Gilbert de Montreuil. Le Guillaume de Dole confirmera encore la popularité de notre trouvère en le citant et on retrouvera encore des parodies de quelques unes de ses pièces dans d’autres ouvrages de chansons pieuses. Pour que tant d’auteurs y fassent référence,  on ne peut que supposer que le trouvère champenois est alors largement reconnu et ses chansons largement populaires.

Du côté des manuscrits anciens, on retrouve les compositions de  Gace Brulé dans un nombre varié d’entre eux. Nous n’entrerons pas ici dans la large étude de cette question et ceux qui voudront s’y pencher pourront trouver de nombreux détails dans l’introduction de l’ouvrage de Gédéon Huet disponible en ligne.

musique_chanson_medievale_gace_brule_amour_courtois_manuscrit_ancien_chansonnier_archambault_moyen_ageDans cet article, nous vous proposons deux images tirées du beau chansonnier Clairambault de la Bnf consultable sur Gallica.bnf.fr

Le legs de Gace Brûlé reste également important en taille, même si là encore, les zones de flous ont compliqué un peu les analyses historiques; les frontières  étant quelquefois ténues de l’oeuvre au corpus pour certains auteurs du moyen-âge. En suivant les pas de Gédéon Huet (opus cité), on devait au poète près de 33 pièces de manière certaine et 23 autres demeuraient d’attribution plus douteuse. Près d’un demi-siècle plus tard, un autre expert de la question, Holger Petersen Dyggve, grand spécialiste finlandais de philologie romane, lui en attribuait, cette fois, plus de 69 de manière certaine et une quinzaine d’autres plus sujettes à caution (Gace Brulé, trouvère champenois, édition des chansons et étude historique, 1951). Les travaux de ce dernier ont, depuis lors, fait autorité et c’est encore grâce à lui qu’on a pu situer plus précisément l’origine du célèbre trouvère du côté de Nanteuil-les-Meaux où l’on retrouve à la même époque, le patronyme « Burelé ».

Pour en conclure avec ce portrait et cette biographie de Gace Brûlé , ce « trouveur, auteur » médiéval est, avec Thibaut de Champagne, un des premier à avoir chanté l’amour courtois en langue d’oil. Son répertoire se calque sur une lyrique courtoise à la mode du temps qui, pour de nombreux médiévistes, explique sans doute plus son succès que ne pourrait le faire une grande innovation ou révolution dans le genre poétique.

Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle de l’ensemble Gilles de Binchois

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Avec cet album sorti en 1992, Dominique Vellard ‎et son Ensemble médiéval Gilles de Binchois rendait hommage à la musique médiévale française du XIIIe siècle et en particulier au genre polyphonique du motet. Au delà, c’est aussi la dynamique culturelle, artistique et musicale autour des universités et des collèges de la fin du XIIIe siècle et d’un Paris étudiant alors en pleine effervescence que la formation voulait ainsi saluer. Chansonnier Cangé, Manuscrit de Montpellier, Manuscrit Français 844 entre autres sources célèbres, l’Ensemble présentait ici une vingtaine de pièces sélectionnés parmi les fleurons de cette période.

Réédité depuis, l’album est disponible en ligne au format CD. Vous pourrez le retrouver sur le lien suivant :Les Escholiers De Paris (Ensemble Gilles Binchois)

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Biaus m’est estez quant retentist la brueille

Dans le vert sous-bois, inspiré par le chant des oiseaux, le noble chevalier, en bon « fine amant »,  souffre en silence. Prisonnier, victime sacrifiée sur l’autel d’un amour impossible. il aime une dame de si haute condition et tellement mieux (née) que lui qu’il n’est pas juste qu’il le fasse et pourtant qui peut-il ? Rien. Nous sommes avec cette chanson médiévale, dans les thèmes classiques du Fine amor et de la lyrique courtoise.

Biaus m’est estez, quant retentist la brueille* (*bois) (1),
Que li oisel chantent per le boschage,
Et l’erbe vert de la rosee mueille
Qui resplendir la fet lez le rivage* (*près de la rivière).
De bone Amour vueil que mes cuers se dueille,
Que nuns fors moi n’a vers li fin corage ;
Et non pourquant trop est de haut parage* (*rang,lignage)
Cele cui j’ain; n’est pas droiz qu’el me vueille.
 
Fins amanz sui, coment qu’amors m’acueille,
Car je n’ain pas con hons* (*homme) de mon aage,
Qu’il n’est amis ne hons qui amer sueille
Que plus de moi ne truist* (*de trover : trouve) amor sauvage,
Ha, las! chaitis! ma dame qui s’orgueille
Ver son ami, cui dolors n’assoage* (*n’apaise) ?
Merci, amors, s’ele esgarde a parage,
Donc sui je mors! mes panser que me vueille.
 
De bien amer amors grant sens me baille,
Si m’a trahi s’a ma dame n’agree ;
La volonté pri Deu que ne me faille,
Car mout m’est bel quant ou cuer m’est entrée ;
Tuit mi panser sunt a li, ou que j’aille,
Ne riens fors li ne me puet estre mée* (*médecin. fig : guérir)
De la dolor dont sospir a celée* (*en secret) ;
A mort me rent, ainz que longues m’asaille.
 
Mes bien amers ne cuit que riens me vaille,
Quant pitiez est et merciz oubliée
Envers celi que si grief me travaille
Que jeus et ris et joie m’est vaée.
Hé, las! chaitis! si dure dessevraille* (*séparation)!
De joie part, et la dolors m’agrée,
Dont je sopir coiement* (*doucement, secrètement), a celée ;
Si me rest bien, coment qu’Amors m’asaille.
 
De mon fin cuer me vient a grant mervoille,
Qui de moi est et si me vuet ocire,
Qu’a essient en si haut lieu tessoille ;
Dont ma dolor ne savroie pas dire.
Ensinc sui morz, s’amours ne mi consoille ;
Car onques n’oi per li fors poine et ire* (*peine et colère) ;
Mais mes sire est, si ne l’os escondire :
Amer m’estuet (*estoveir-oir : falloir), puis qu’il s’i aparoille.(2)
 
A mie nuit une dolors m’esvoille,
Que l’endemain me tolt*  *(tolir : ôter) joer et rire ;
Qu’adroit conseil m’a dit dedanz l’oroille :
Que j’ain celi pour cui muir* (*meurs) a martire.
Si fais je voir, mes el n’est pas feoille
Vers son ami, qui de s’amour consire.
De li amer ne me doi escondire,

N’en puis muer* (*changer), mes cuers s’i aparoille.

Gui de Pontiaux, Gasses ne set que dire:

Li deus d’amors malement nos consoille.


(1) Brueil : Bois, « bois taillis ou buissons fermés de haies, servant de retraite aux animaux. » (Littré). « Et chant sovent com oiselet en broel », Thibaut de Champagne.

(2) Amer m’estuet, puis qu’il s’i aparoille : à l’évidence, il me faut aimer, je n’ai pas d’autres choix.

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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chanson médiévale : la cantiga de amigo II du troubadour Martin Codax

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet : amour courtois, musique, poésie médiévale,  chanson médiévale, Cantigas de amigo II, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise.
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Auteur : Martín (ou Martim) Codax
Titre: Mandad’ei comigo
Interprètes :  Oni Wytars
Album :  Amar e Trobar,  la passion et le mystère au moyen-âge  (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui, toutes voiles dehors,  à la découverte de l’art des troubadours galaïco-portugais de l’Espagne et du Portugal du moyen-âge central. Ce sera l’occasion d’approcher une nouvelle chanson de Martin Codax, prise dans le répertoire des Cantigas de amigoComme dans la plupart des poésies musique_poesie_medievale_troubadour_moyen-age_central_martin_codax_cantigas_de_amigodu genre, le poète met ici ses rimes dans la bouche d’une damoiselle qui nous conte ses sentiments  pour son  « ami », autrement dit son bien-aimé, dans l’attente de son retour ou de sa venue.

Bien que le  jongleur (juglar ou jograr) galaïco-portugais Martin Codax ne soit qu’un des quatre-vingt huit auteurs des cantigas de amigo, il est demeuré, à ce jour, l’un des représentants les plus célèbres de cette lyrique courtoise médiévale et il reste, en tout cas,  l’une des plus chantés. Comme nous lui avons déjà dédié un article, nous vous invitons à vous y reporter, au besoin : Martin Codax troubadour médiéval.

Oni  Wytars. Mandad’ei comigo, Cantiga de Amigo 2 de Martin Codax

Amar e Trobar,
par l’ensemble Médiéval oni Wytars

C_lettrine_moyen_age_passion‘est  l’excellent ensemble allemand Oni Wytars qui nous propose ici l’interprétation de cette Cantiga de Amigo II de Martin Codax. Elle est tirée de leur album Amar e trobar, sorti en 1992. La formation y présentait seize titres empruntés au répertoire médiéval français, italien et espagnol,  avec pour ambition d’approcher le thème de l’amour et de la passion au moyen-âge, au sens large. Les pièces vont en effet de l’amour courtois et profane, à un amour au sens plus spirituel, comme on le trouve dans la passion et les mystères. On trouvera ainsi des compositions issues de l’art des troubadours, des Cantigas de Amigo, mais encore des pièces en provenance  du Livre Vermell de Montserrat ou des Cantigas de Santa Maria.

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Oni Wytars signait également, dans cet album, une collaboration avec le très reconnu compositeur, chef d’orchestre, musicien et musicologue autrichien. René Clemencic et ce dernier venait prêter, ici, ses talents d’instrumentiste à la flûte à bec, à la flûte en corne (gemshorn) ou encore au chalémie (instrument médiéval de la famille des hautbois).

Du côté du chant, c’est la soprano Ellen Santaniello qui prêtait ici sa belle voix  à la pièce de Martin Codax du jour.

Mandad’ei comigo de Martin Codax
et sa traduction/adaptation en français


Mandad’ei comigo,
ca ven meu amigo.
E irei, madr’ a Vigo

Un message m’est parvenu
Que venait mon doux ami
Et j’irai, mère, à Vigo

Comigo’ei mandado,
ca ven meu amado.
E irei, madr’ a Vigo

J’ai avec moi le message
Que venait mon bien-aimé
Et j’irai, mère, à Vigo 

Ca ven meu amigo
e ven san’ e vivo.
E irei, madr’ a Vigo

Que venait mon doux ami
bien portant et vivant
Aussi, j’irai, mère, à Vigo 

Ca ven meu amado
e ven viv’ e sano.
E irei, madr’ a Vigo

Que venait mon bien-aimé
Bien vivant et bien portant
Aussi, j’irai, mère, à Vigo 

Ca ven san’ e vivo
e d’el rei amigo
E irei, madr’ a Vigo

Qu’il venait bien portant et vivant
Et qu’il est du roi l’ami
Aussi, j’irai, mère, à Vigo 

Ca ven viv’ e sano
e d’el rei privado.
E irei, madr’ a Vigo

Qu’il venait vivant et bien portant
et qu’il est du roi, favori
Aussi, j’irai, mère, à Vigo 

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Rose des Roses, la Cantiga de Santa Maria 10 avec Marina Lys, artiste et trobairitz passionnée

cantigas_santa_maria_10_rose_des_roses_culte_mariale_vierge_marie_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien.
Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 10 rosas das rosas
Interprète : Marina Lys  (2015) 
Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.

Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco-cantigas_santa_maria_10_chant_culte_marial_medieval_litterature_galaico-portugaise_alphonse_X_moyen-age_cental_XIIIe  portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au coeur du culte marial si prégnant au moyen-âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects  tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).

Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.

La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys

Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie  sur la route des fêtes médiévales

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaormée au conservatoire de musique d’Orly, Marina  Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.

A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique,  son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.

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Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du moyen-âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.

A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à  les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur  et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre jadys_marinas_lys_compagnies_animations_musiques_danses_inspirtations_medievalesde fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.

Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe  musicale  « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses  et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.

Voici de liens utiles pour plus d’informations sur son art et son actualité  : Facebook officiel Site web – FB de la compagnie Jàdys

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Rosa das rosas, les  paroles de la Cantiga 10  et leur traduction en français moderne

Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.

Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.

Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Rosa de beldad’ e de parecer
e Fror d’alegria e de prazer,
Dona en mui piadosa ser
Sennor en toller coitas e doores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose de beauté et belle apparence
Et fleur de joie et de plaisir.
Dame de grande piété (miséricorde)
Reine pour ôter peines et douleurs
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Atal Sennor dev’ ome muit’ amar,
que de todo mal o pode guardar;
e pode-ll’ os peccados perdõar,
que faz no mundo per maos sabores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer
Qui de tout le mal nous peut préserver
Et peut pardonner pour tous les péchés
Qu’on fait dans le monde  par mauvais goût ( à mauvais escient)
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Devemo-la muit’ amar e servir,
ca punna de nos guardar de falir;
des i dos erros nos faz repentir,
que nos fazemos come pecadores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir
Car elle peut nous garder des fautes
Et  nous faire repentir des erreurs
Que nous commettons, nous, pécheurs,
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Esta dona que tenno por Sennore
de que quero seer trobador,
se eu per ren poss’ aver seu amor,
dou ao demo os outros amores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Cette dame là que je tiens pour reine
et dont je veux être le troubadour
Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour
Je laisserai au démon tous les autres amours
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

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Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse

A_lettrine_moyen_age_passionvec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable »  toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.

A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse cantiga_de_santa_maria_10_rosa_das_rosas_culte_mariale_partition_musique_chanson_medievale_XIIIe_siecle« politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église.  Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles  de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs  (1).

Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées par nos soins, et présentées par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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(1) Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’oeuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010  par Jean-Louis Benoit  dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »

Martin Codax, troubadour médiéval et la Cantiga de Amigo V par Montserrat Figueras

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet : amour courtois, musique, poésie médiévale,  Cantigas de amigo V, galaïco-portugais, troubadour.
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Auteur : Martín (ou Martim) Codax
Titre:  Quantas Sabedes Amar Amigo
Interprètes :  Montserrat Figueras, Jordi Savall, Ferran et Arianna Savall
Album :  Du temps & de l’instant  (2005)

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiarobablement natif de la Province de Vigo en Gallice qu’on retrouve présente dans nombre de ses chansons, Martín Codax fut un troubadour galaïco-portugais du moyen-âge central. Bien qu’il soit indéniablement l’un des poètes les plus connus et les plus diffusés de la littérature médiévale  galaïco-portugaise (« profane ») nous n’avons pas la date précise de sa naissance ou de sa mort et nous connaissons de sa vie, comme beaucoup de troubadours, uniquement ce que ses poésies nous en apprennent, c’est à dire presque rien. On situe, en général, ses activités artistiques entre le milieu du XIIIe et les débuts du XIVe siècle.

Le Parchemin Vindel

parchemin_vindel_troubadour_chanson_poesie_medieval_martin_codax_moyen-age_central_XIIIeSes oeuvres nous sont connues par les chansonniers et manuscrits anciens de lyrique galaïco-portugais ou même encore par le Parchemin Vindel. C’est d’ailleurs grâce à ce dernier document, découvert totalement par hasard au début du XXe siècle dans un exemplaire de l’ouvrage De Officiis de Cicéron  que l’on a pu retrouver les notations musicales des  chansons du poète. Le parchemin daté du milieu du XIIIe siècle et composé de plusieurs feuillets, avait vraisemblablement servi plus tardivement à un moine pour effectuer la reliure de l’ouvrage politique de l’homme d’Etat romain. C’est un libraire madrilène du nom de Pedro Vindel qui fit cette découverte en 1914. Aujourd’hui, le précieux document est conservé aux Etats-Unis, à la Morgan Library & Museum, de New York.

Ajoutons encore qu’à ce jour, le Parchemin Vindel et le Parchemin Sharrer (lui aussi découvert très tardivement, vers la fin du XXe siècle), sont les deux seuls documents anciens ayant permis de retrouver les compositions musicales originales des Cantigas de Amigo.

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Le legs et les chansons de Martín Codax

Les chansons de Martín Codax sont toutes regroupées sous le genre des Cantigas de amigo ou chansons pour l’être aimé et nous sommes donc clairement ici dans le registre lyrique de l’amour courtois.

Les oeuvres léguées par le poète galaïco-portugais sont peu nombreuses ;  sept chansons ont été mises à jour pour l’instant et le parchemin Vindel a permis de retrouver la musique de six d’entre elles. Jusqu’à encore récemment le succès de ce troubadour médiéval a largement débordé la péninsule ibérique et on le trouve repris par un nombre incalculable de formations spécialisées dans les musiques anciennes, à travers l’Europe et même au delà. La musicalité de la langue galaïco-portugaise autant que la pureté et la simplicité de sa poésie y sont indéniablement pour beaucoup. Les chansons de Martin Codax les plus souvent reprises mettent en scène la mer de Vigo et ses vagues évocatrices de contemplation et de poésieC’est le cas de celle du jour à laquelle la talentueuse chanteuse lyrique soprano Montserrat Figueras prêtait son talent dans les années 2000.

Quantas sabedes amar amigo, par Montserrat Figueras

Du temps & de l’instant

Pour l’interprétation de la Cantiga de Amigo du jour, la V, nous avons donc choisi l’envoûtante interprétation de Montserrat Figueras  accompagnée de Jordi Savall, de leurs deux martin_codax_troubadour_gallaico-portugais_cantiga_de_amigo_temps_et_instant_montserrat_figueras_jordi_savall_chanson_musique_medievale_XIIIeenfants Ferran et Arianna et du percussionniste Pedro Estevan.

L’enregistrement date de 2005 et il est tiré de l’album au titre français : Du temps & de l’instant.  Les artistes catalans signaient là une production familiale et intimiste présentant une sélection de pièces allant du moyen-âge central à des siècles plus récents (XVIIIe et au-delà). Ils y visitaient au passage l’Espagne, la Catalogne, l’Orient et même encore la Grèce et le mexique. L’album est toujours disponible à la vente sur le site officiel d’Alia Vox, leur maison de distribution.


Les Paroles de la Cantiga de Amigo V
et leur traduction, adaptation en français

Dans les chansons issues de Cantigas de Amigo, le troubadour met en général ses mots dans la bouche d’une demoiselle parlant de l’être aimé, le louant ou l’attendant. C’est le cas ici.

Quantas sabedes amar amigo
treydes comig’ a lo mar de Vigo:
E banhar-nos-emos nas ondas!

Jusqu’à quel point sais-tu aimer un ami (mon ami?)*
Viens avec moi à la mer de Vigo :
Et nous nous baignerons dans les vagues !

Quantas sabedes amar amado
treydes comig’ a lo mar levado:
E banhar-nos-emos nas ondas!

Jusqu’à quel point sais-tu aimer  l’être aimé (mon aimé?)
Viens avec moi à la mer de Vigo :
Et nous nous baignerons dans les vagues !

Treydes comig’ a lo mar de Vigo
e veeremo’ lo meu amigo:
E banhar-nos-emos nas ondas!

Viens avec moi à la mer de Vigo
Et nous verrons mon ami :
Et nous nous baignerons dans les vagues !

Treydes comig’ a lo mar levado
e veeremo’ lo meu amado:
E banhar-nos-emos nas ondas!

Viens avec moi dans la mer agitée
Et nous verrons mon aimé :
Et nous nous baignerons dans les vagues !


* Notez que nous traduisons  « Quantas sabedes amar »  comme « Jusqu’à quel point (COMBIEN) sais-tu aimer » ce qui me parait le plus littéral et logique même si c’est une traduction totalement hispanisante que j’assume : « Cuantas Sabeis amar… »

L’absence de ponctuation laisse à penser que « Combien sais-tu aimer, ami » sous entendu « mon ami, mon aimé » peut-être sujette à caution, ce qui pourtant serait, là encore en espagnol contemporain, sans doute plus correct et donnerait en plus à la chanson un sens différent certes, mais peut-être plus logique ou « coulant ». Comme on trouve de nombreuses traductions espagnoles à la ronde qui ajoutent l’article indéfini « UN ». « Combien sais-tu aimer UN ami ou l’être aimé » Dans le doute, je le laisse donc et garde la porte ouverte aux deux options, même si je ne suis convaincu qu’à moitié et lui préfère largement la première :  la jeune fille parlant à son propre amoureux, le « défiant » gentiment et l’invitant à la rejoindre dans les vagues. On retrouve encore et quelquefois cette phrase traduite comme « Toi qui sais aimer un ami » mais dans ce cas-là le « Quantas » est occulté et cela me semble encore moins  correct.

En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.