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Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (3) : Christine de Pizan, la championne des dames

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII. auteur médiéval
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Christine de Pizan (1364-1430)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2021)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la troisième : Christine de Pizan.


a guerre de Cent Ans ne fut pas qu’une période sombre. Le XVe siècle voyait aussi l’émergence de la première femme de lettres française : Christine de Pizan. Grâce au soutien des plus hauts personnages du royaume, à commencer par la reine Isabelle de Bavière, cette femme engagée a pu produire une œuvre extraordinairement éclectique ; et qui nous surprend encore par sa modernité.

Une chef de famille

Fille d’un médecin italien appelé auprès de Charles V, Christine de Pizan est une française d’adoption. Mais qui deviendra rapidement très parisienne. Bénéficiant de l’enseignement de son père et de la fréquentation du milieu de la chancellerie royale, elle baigne d’emblée dans un milieu intellectuel très actif et ne quittera quasiment jamais la capitale.

Christine de Pizan, Cent balades et œuvres diverses, miniature du MS Français 835, BnF (début XVe s)

A 23 ans, la mort prématurée de son mari la plonge dans la tourmente : elle doit faire face à de lourdes dettes alors que ses trois filles, une nièce et sa mère dépendent entièrement d’elle. Christine entreprend alors de faire valoir ses droits par la voie judiciaire. Un combat de plusieurs années qui lui vaudra quelques victoires, mais ne réglera pas pour autant tous ses problèmes d’argent. Si bien qu’après les procès, Christine de Pizan prend une nouvelle décision courageuse : celle de gagner sa vie à la pointe de sa plume.

Il s’agira d’abord de poèmes amoureux et de compositions religieuses, puis d’œuvres morales, enfin de traités historiques et politiques. Ainsi se fera-t-elle repérer par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, oncle de Charles VI, qui lui demandera de rédiger une vie de son frère Charles V. Avant que le frère du roi et régent du royaume, Louis d’Orléans, ne la présente à la reine Isabelle de Bavière. Christine de Pizan lui dédiera bientôt une Epître, ce qui lui vaudra de devenir l’une de ses dames de compagnie et de recevoir une pension de « chambrière ».

Dès lors, sa carrière est lancée. Christine de Pizan enchaîne les œuvres pour le compte des Puissants, qui en retour la gratifieront de sommes d’argent, d’objets précieux, d’immeubles, de pensions ou d’offices. Les droits d’auteur n’existant pas encore, ce système de mécénat se révélera essentiel au soutien de sa famille.

Christine de Pizan cité des dames, miniature médiévale
Ms Français 1178, BnF, département des manuscrits. Prudence, Justice et Rectitude apparaissent à Christine de Pizan et lui suggèrent l’écriture de sa “Cité des Dames” qu’elle entreprend d’édifier.

Dès lors, que peut-on retenir de son œuvre ?

D’abord, son éclectisme. Ce qui frappe chez Christine de Pizan, c’est sa curiosité d’esprit. Du règne de Charles V au panégyrique de Jeanne d’Arc à l’art de chevalerie ou encore au récit de sa propre vie, elle semble vouloir s’exprimer sur tous les sujets. Et à chaque fois, avec talent. À tel point que c’est son Livre des faits d’armes et de chevalerie qui servira de modèle à la réorganisation de l’armée de Charles VII. On en retrouvera même un exemplaire, quelques 400 ans plus tard, dans la bibliothèque de l’aide-de-camp de l’empereur Napoléon Ier. Mais ce qui marquera surtout l’histoire, c’est La Cité des Dames. Dans ce qui est devenu un grand classique de la littérature féminine, Christine de Pizan s’engage dans la « querelle des femmes » qui bat alors son plein pour affirmer leur rôle dans la société et critiquer la misogynie. Or, il est frappant de constater à quel point certains passages de cette œuvre n’ont pas pris une ride.

Au nom des femmes

C de Pizan présentant un ouvrage à Isabelle de Bavière, Harley MS 4431, British Library.

Pour Christine, les femmes ne sont pas ces êtres dangereux dont les hommes doivent se méfier. Ce sont au contraire des créatures pleines de vertus inspirées par la Raison, la Droiture et la Justice. Et l’écrivain d’insister sur le rôle moteur que doit jouer pour elles l’éducation. « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et toutes les sciences tout aussi bien qu’eux », soutient-elle. L’auteur encourage ses semblables à toujours apprendre pour, comme elle l’a fait elle-même, s’élever dans la hiérarchie sociale et devenir l’égale des hommes. Elle insiste également pour que les femmes soient très tôt associées aux affaires de leurs maris sous peine, comme elle a pu en faire elle-même la douloureuse expérience, de se retrouver le moment venu fort démunies.

Mais son plaidoyer ne se limite pas à ces questions. Christine de Pizan revendique également le droit des femmes à gouverner et n’hésite pas à aborder la question du viol, et donc de la sexualité. Elle se déclare « navrée et outrée d’entendre que les femmes veulent être violées et qui ne leur déplait point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut. » Christine prend au contraire l’exemple d’Hippo, une femme grecque faite prisonnière par des pirates, qui, « ne pouvant se soustraire au viol, préféra mourir que de subir un outrage si ignominieux », ou encore de, Polyxène, la fille cadette du roi Priam, qui choisit la mort plutôt que d’être réduite à l’esclavage.

Ms Français nouv Acq 25636 Le Livre des III Vertus à l’enseignement des dames – Miniature des 3 vertus apparaissant à l’auteure pour lui suggérer la rédaction de cet ouvrage à l’attention des dames.

Gardons-nous toutefois de tout anachronisme. Christine de Pizan n’est pas une féministe au sens moderne du terme, c’est-à-dire considérant que c’est la liberté sexuelle qui conduira les femmes à l’émancipation. Au contraire, explique l’auteur du Livre des Trois Vertus, « il n’est rien en ce bas monde qu’il faut fuir davantage, pour dire la stricte vérité, que la femme de mauvaise vie, dissolue et perverse. C’est une chose monstrueuse, une contrefaçon, car la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête. » Le mode de vie que recommande Christine aux châtelaines, qui impose de veiller au ravitaillement du château tout en se rendant sur le terrain pour choisir ses fermiers ou superviser la tonte des brebis, est d’ailleurs extrêmement exigeant. Il nécessite de solides qualités d’organisatrice et un travail de tous les instants. Une fois l’avenir de ses filles assurée, notre pamphlétaire s’empressera d’ailleurs de se retirer au monastère de Poissy. Bref, pour les autres comme pour elle-même, Christine de Pizan prône travail et vertu. Une émancipation féminine, donc, mais empreinte de l’idéal chrétien.

À l’ombre des Puissants

Christine de Pizan n’aurait toutefois pu mener une telle carrière sans un sens aigu de la vie de cour. Car si notre « championne des dames » a réussi à vivre de sa plume, c’est aussi en s’efforçant sans cesse d’attirer l’attention des Puissants ; quitte, pour ce faire, à jouer habilement du contenu de ses compositions. Il lui suffisait pour cela d’en adapter le prologue ou d’en modifier quelques passages afin de pouvoir dédicacer une même œuvre à plusieurs personnages. Mais de l’habilité à la versatilité il n’y a qu’un pas que Christine de Pizan a pu parfois franchir.

Christine de Pizan présentant son Livre des III vertus à Marguerite de Bourgogne, duchesse de Guienne, Français 1177, BnF (XVe)

Qu’on en juge plutôt. Durant de longues années, la « demoiselle » se met au service de la Maison de Bourgogne : le duc Philippe Hardi, et après lui son fils Jean Sans Peur, figureront parmi ses plus généreux mécènes. 20 écus en 1403, 100 francs en juin 1408, 50 francs en décembre 1412… la comptabilité du duc de Bourgogne prouve d’ailleurs que non seulement il appréciait ses écrits, mais qu’il n’était pas insensible à la fragilité de sa situation. Pour preuve, son receveur général de finances qui enregistre un paiement fait « à demoiselle Christine de Pizan, veuve de maître Etienne de Castel, pour et en récompense de deux livres qu’elles a présentés… et aussi par compassion et en aumône pour employer au mariage d’une sienne pauvre nièce qu’elle a mariée ». Reste que le moment venu, Christine de Pizan n’hésitera pas à tourner le dos au duc de Bourgogne. Dès lors que Jean Sans Peur perd le pouvoir à Paris, elle passe du côté des Armagnacs, ses ennemis intimes. Ce qui la conduira ainsi à critiquer celui qui aura pourtant été l’un de ses plus généreux mécènes.

Mais sans doute était-ce là le prix à payer pour survivre à une période si agitée. Sa vie durant, guerres, massacres et meurtres politiques se seront succédé… jusqu’à ce que Jeanne d’Arc sonne le début de la reconquête, ce que Christine de Pizan, au travers de son Ditié de Jehanne d’Arc, sa dernière composition, sera l’une des premières à reconnaître. Et puis, ne faisons pas les difficiles. Son formidable instinct de survie nous vaut de pouvoir profiter d’une œuvre abondante, dont plus de 160 manuscrits ont subsisté. Grâce à eux, grâce à elle, nous savons au moins deux choses : que les femmes n’ont pas attendu l’ère moderne pour s’exprimer dans la sphère publique et que les débats relatifs à leur condition n’étaient pas moins virulents à la fin du Moyen Âge qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.

Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur : Yolande d’Aragon, la reine de fer. –  Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente – Les illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Jean Sans Peur, Le prince meurtrier, Bertrand Schnerb, Payot.
Le livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pizan et ses adaptations anglaise et haut-alémanique, Compte rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 2011
La vie des femmes au Moyen Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet, Editions Ouest-France
Le Paris du Moyen Âge, sous la direction de Boris Bove et Claude Gauvard, Belin.
1328-1453 Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

NB ; sur l’image d’en-tête, en premier plan, la photo est tirée du film « Christine, Cristina« , réalisé par Stefania Sandrelli et co-produit par la Rai Cinema, Cinemaundici et Diva. Dans ce biopic italien de 2009, c’est la très belle Amanda Sandrelli (en photo ici) qui incarnait le rôle de la poétesse médiévale. En arrière plan, la miniature est tirée du manuscrit médiéval Français 1177 conservé à la BnF. Elle représente Raison, Droiture et Justice apparaissant à l’auteur(e) médiévale alors qu’elle est assoupie à son pupitre. Cet ouvrage daté du XVe siècle contient Le Livre de la cité des dames de Christine de Pizan, ainsi que son Livre des trois vertus à l’enseignement des dames. Vous pouvez le consulter en ligne ici.

Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (2) : Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII.
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Isabelle de Bavière (1370-1435)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2020)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la seconde : Isabelle de Bavière.


u tribunal de l’histoire, la reine de France Isabelle de Bavière apparaît coupable d’une double trahison : trahison à son époux Charles VI, qu’elle aurait allègrement trompé, mais aussi trahison à son royaume, de par la signature du « honteux » traité de Troyes livrant la France aux Anglais. Pour autant, cette reine allemande mérite-t-elle vraiment sa légende noire ?

L’entrée de la reine Isabelle de Bavière à Paris, en 1389, entourée des princes du sang, Miniature du MS Harley 4379, British Library (Chroniques de Froissart, Bruges, vers 1470)

Une reine cupide et adultère ?

Isabelle de Bavière n’aurait sûrement jamais atteint une telle renommée si Charles VI n’était tombé fou. Car lorsqu’il devient clair à tous que le roi de France, qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la démence, ne reviendra jamais à son état normal, Isabelle de Bavière se voit attribuer la régence du royaume. Seulement voilà, cette souveraine se désintéresse de la politique. Raison pour laquelle elle s’empresse de confier à son beau-frère, le beau et séduisant Louis d’Orléans, les rênes du gouvernement. Dès lors, ces deux-là ne se quitteront plus. Selon toute vraisemblance, ils deviendront même amants. C’est en tout cas ce qu’en pensaient leurs contemporains, qui s’étonnaient de les voir longuement deviser ensemble au château de Saint-Germain-en-Laye, dans le logis royal, ou au couvent des Célestins. Mais ce n’est pas là le seul reproche fait à la reine.

Son infidélité au roi se doublerait d’un goût du luxe et de l’argent. Au point qu’on écrira sur elle dans Le Songe véritable, pamphlet politique de l’époque, que « tout ce qu’elle veut est d’en prendre tant qu’elle peut mais non pas tant comme elle veut ». Au point qu’à compter de cette époque, ses détracteurs ne la désigneront plus que sous le sobriquet d’« Isabeau ». Le cas de la reine s’aggrave encore lorsqu’elle consent à ce qu’une jeune concubine soit donnée au roi pour combler son absence dans le lit conjugal. Odette de Champdivers, cette maîtresse officielle dénommée la « petite reine », donnera même un enfant au roi. Et un moine augustin invité à prêcher à l’occasion des fêtes de la Pentecôte d’oser lancer à Charles VI que « la déesse Venus règne toute seule à votre cour… ».

Mais très vite, les choses vont se gâter. C’est d’abord le duc d’Orléans qui se fait assassiner en plein Paris sous les ordres de son cousin Jean Sans Peur, le duc de Bourgogne. C’est ensuite un royaume divisé entre Armagnacs et Bourguignons qui plonge dans la guerre civile, puis les chevaliers français qui se feront exterminés à la bataille d’Azincourt. C’est enfin Jean Sans Peur qui se fera tuer à son tour sur le pont de Montereau, privant ainsi la France du seul prince capable de s’opposer à l’appétit de conquête d’Henri V, le roi d’Angleterre.

Après la disparition de Louis d’Orléans

La reine se consolera de la disparition de Louis d’Orléans dans les bras d’autres amants, parmi lesquels un certain chevalier de Boisrédon. S’inspirant probablement des écrits du marquis de Sade, l’historien Philippe Erlanger dépeindra lsabelle de Bavière, à l’automne de sa vie, envahie de graisse, submergée, déformée au point que ne pouvant marcher, elle se faisait traîner dans une chaise roulante. « Jamais cependant, écrit-il encore, la colossale matrone, soufflante et gouteuse, n’avait tant aimé le faste et les plaisirs. Elle se soignait en absorbant de l’or potable… Immobile dans sa cathèdre, le chef écrasé sous le poids du hennin, le corps surchargé d’étoffes orfévrées, l’étrange dame présidait inlassablement aux ébats de la cour ».

Détail Français 2646, Chroniques Froissart, BnF, Arrivée et bon accueil de la Royne dans Paris (Bourgogne, vers 1475)

Mais il ne s’agit pas seulement de sa vie personnelle. Pour les historiens, Isabelle de Bavière est surtout coupable d’avoir négocié le traité de Troyes. L’accord qui livre le royaume aux Anglais, celui par lequel Charles VI déshérite le Dauphin, son fils unique, et donne sa fille en mariage au roi d’Angleterre Henri V, faisant de celui-ci l’héritier de la couronne et le régent du royaume. Animée, selon l’histoire Edouard Perroy, d’une « haine atroce » envers le futur Charles VII, Isabelle de Bavière se serait laissée acheter par l’Anglais pour renier son fils et lui livrer sa fille. De tous les désastres connus par la France au cours de son histoire, celui-là est sans doute l’un des plus graves : l’instauration d’une double monarchie sous égide anglaise, une capitulation en bonne et due forme. Or rien n’aurait pu se faire sans qu’Isabelle de Bavière l’étrangère, Isabelle l’allemande, ne renie préalablement son fils et avoue par là-même qu’il n’était qu’un bâtard.

Nous avons donc là le portrait d’une femme infidèle et cupide, voire débauchée, mauvaise mère, traître à son pays. Avouez qu’à ce prix-là, Isabelle de Bavière aurait plus encore que Marie-Antoinette mérité de voir sa tête rouler sur le billot. Seulement voilà, il s’agit là d’un portrait au vitriol. Car à y regarder de plus près, la reine de France bénéficie de circonstances atténuantes.

Une vie d’épreuves

Détail Harley 4380, Chroniques Froissart, BnF, Signature du traité de Troyes avec Charles VI ( (Bruges – vers 1475)

On ne saurait comprendre la conduite d’Isabelle de Bavière sans rendre compte de ce que son mari, à son corps défendant, lui a fait subir. A compter de 1392 et de sa première crise dans la forêt du Mans, le roi de France est schizophrène. Il s’agit donc d’une folie intermittente, qui le voit alterner les périodes de rémission avec les périodes de démence. Il devient alors incontrôlable, voire violent. Pris d’accès maniaques, il refuse de se laver, de se raser et se prend pour un chevalier vengeur, un certain « Georges ». Charles VI crie et hurle « comme s’il était piqué de mille pointes de fer ».

Le Religieux de Saint-Denis raconte ainsi que lorsque la reine Isabelle s’approchait de lui, «  le roi la repoussait en disant à ses gens : « Quelle est cette femme dont la vue m’obsède ? Sachez si elle a besoin de quelque chose et délivrez-moi comme vous pourrez de ses persécutions et des importunités afin qu’elle ne s’attache pas ainsi à mes pas. » Il prétendait n’être pas marié et n’avoir jamais eu d’enfants…  Lorsqu’il apercevait ses armes ou celles de la reine gravée sur sa vaisselle d’or ou ailleurs, il les effaçait avec fureur ». Parfois même, le roi de France menaçait de s’en prendre à son épouse. Ce qui ne pouvait qu’inquiéter, attendu que lors de sa première crise dans la forêt du Mans, Charles VI avait tué quatre de ses gardes coup sur coup… Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Isabelle de Bavière aura décidé de quitter le logis royal pour emménager dans l’hôtel Barbette, emportant avec elle tous ses enfants. Ce qui n’empêchera pas le sort de s’acharner sur la reine de France, qui perdra successivement ses deux fils aînés, les Dauphins Louis et Jean, morts tous deux de maladie dans les dix-huit mois suivant le désastre d’Azincourt.

Une amoureuse des arts

Le-cheval-d-or-Altötting commandé par la reine Isabelle, grand chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale

Il est toutefois remarquable qu’au milieu de ces désastres, la reine Isabelle de Bavière ait conservé un intérêt marqué pour les choses de l’esprit. Ainsi la voit-on mécène de l’écrivaine Christine de Pizan, première femme de lettres française, féministe avant l’heure, qui lui dédiera ses « Epîtres du Débat sur le Roman de la Rose » et composera même une « Epître à Isabelle de Bavière ».

Les comptes de la reine montrent d’ailleurs qu’elle faisait partie des plus importants mécènes de son temps et aimait beaucoup plus les livres que son royal époux. Ainsi la voit-on offrir à Charles VI « Le Petit Cheval d’or », sculpture en or émaillé et argent doré, ornée de saphirs, de rubis et de perles représentant la Vierge à l’enfant, véritable chef d’œuvre de l’orfèvrerie médiévale qui figure aujourd’hui parmi le trésor de la collégiale d’Altötting, en Bavière. Ainsi découvre-t-on une reine bien plus intelligente et cultivée que ne le laisserait suggérer sa légende noire. Si elle a beaucoup dépensé, c’est aussi en proportion de son amour du Beau.

Une reine objet de tous les désirs

Isabelle de Bavière aura été, sa vie durant, une reine sous influence. Qu’il s’agisse de son amant le duc Louis d’Orléans, de son « beau cousin » de Bourgogne, Jean Sans Peur, ou du roi d’Angleterre Henri V, chacun aura cherché à se servir de son statut de reine pour accéder au pouvoir. Aussi par comparaison avec la « reine de fer » Yolande d’Aragon et la sainte de Domrémy, la Bavaroise fait-elle pâle figure. Elle aura même contribué, par sa parfaite incarnation de la pécheresse, à faire de Jeanne d’Arc cette nouvelle Eve, cette Marie lavant le royaume de France de ses péchés sans nombre.

Mais il faut admettre que la vie n’aura pas épargné cette princesse arrivée en France à l’âge de 14 ans sans parler un mot de français. Et que le désespoir l’aura sans doute étreint plus d’une fois, comme en cette nuit du 23 novembre 1407 où Louis d’Orléans, son amant passionnément aimé, périra sous les coups de haches quelques minutes seulement après l’avoir quittée.

De par ses multiples fragilités, Isabelle de Bavière n’en est que plus humaine et je dirais même, plus touchante. C’est pourquoi si elle ne mérite pas les lauriers de la gloire, il serait sans doute injuste de la jeter au bûché de l’histoire.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.


Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur :Yolande d’Aragon, la reine de fer – Christine de Pizanchampionne des damesLes illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Atlas de Paris au Moyen Âge, Philippe Lorentz et Dany Sandron, Parigrame.
Charles VII et son mystère, Philippe Erlanger, Gallimard.
Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Chronique du Religieux de Saint-Denys contenant le règne de Charles VI, de 1380 à 1422, publiée en latin et traduite par M.L Bellaguet, imprimerie de Crapelet.
1328-1453, Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

Note Moyenagepassion : la miniature ayant servi de fond à l’image d’en-tête représente Christine de Pisan tendant un de ses ouvrages à la reine Isabelle de Bavière. Cette illustration est issue du manuscrit médiéval Harley ms 4431, intitulé The book of the Queen. Daté des débuts du XVe siècle, cet ouvrage est conservé à la British Library et consultable en ligne à l’adresse suivante. Au premier plan, le buste de la reine est, quant à lui, issu de la photo d’une œuvre de Guy de Dammartin (1365-1404). Cette sculpture est encore exposée au Palais de Justice de Poitiers. En 2001, elle a également servi à la couverture d’un ouvrage de Jean Verdon au sujet de Isabeau de Bavière.

Qui était Giraut de Bornelh ? A la découverte du « maître » des troubadours

Sujet  : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, biographie, vida, razo, manuscrit médiéval, chansons, occitan, langue d’oc, trobar leu
Période : Moyen Âge central, XIIe & XIIIe s
Auteur :  Giraut de Borneil, Guiraut de Bornelh Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous ne sommes partis en direction du pays d’Oc médiéval, à la découverte de nouveaux troubadours, mais il est temps de rattraper cela. Aujourd’hui, nos pas vont nous entraîner à l’ère « classique » des premiers troubadour occitans. Nous sommes donc au Moyen Âge central, entre les deux derniers tiers du XIIe et les premières années du XIIIe siècle et le poète que nous vous présentons se nomme Guiraut de Borneill ou Bornelh. C’est un grand de sa génération et Dante l’a même classé parmi ses troubadour favoris, après Arnaut Daniel, en le qualifiant même (dans son De Vulgari eloquentia), de “poète de la rectitude“.

D’aprés les chronologies usuelles, Guiraut de Bornelh aurait vécu entre 1138 et 1215. Pour le situer, il arrive un peu après Guillaume IX d’Aquitaine. Le très talentueux Marcabru, maître du trobar clus, le précède également dans le temps. Même si les dates suggèrent qu’ils ont pu être contemporains, Guiraut n’a pas encore engagé sa carrière quand Marcabru termine la sienne. Il est donc plus de la génération d’un Bernard de Ventadorn. Chez les trouvères qui commencent déjà à répandre, traduire ou s’inspirer de l’art musical et poétique occitan, des poètes comme Gace Brûlé ou Blondel de Nesle ont officié en même temps que lui.

La biographie de Guiraut de Bornelh suivant les vidas et les razos.

Avec toutes les réserves qu’on doit y mettre, sa vida, ainsi que quelques razos nous content quelques éléments supposés de sa vie. Comme tous les récits de cette famille, ceux de Guiraut de Borneill ne peuvent guère être étayés par des documents et des sources historiques avérées. De fait, rédigés longtemps après la vie de troubadours, vidas et razos sont, bien souvent, basés, en grande partie, sur le contenu des poésies de leurs auteurs.


Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure du manuscrit Français 854, chansonnier A (retouchée par nos soins).

« Guiraut de Bornelh si fo de Limozí, de l’encontrada d’Esiduòlh, d’un ric castèl del viscomte de Lemòtges. E fo òm de bas afar, mas savis òm fo de letras e de sen natural. E fo mèlher trobaire que negús d’aquels qu’èron estat denan ni foron après lui ; per que fo apelatz maestre dels trobadors, et es ancar per totz aquels que ben entendon subtils ditz ni ben pausats d’amor ni de sen. Fòrt fo onratz per los valentz òmes e per los entendenz e per las dòmnas qu’entendian los sieus maestrals ditz de las sous chansos. E la soa vida èra aitals que tot l’invern estava en escòla et aprendia letras, e tota la estat anava per cortz e menava ab se dos cantadors que cantavon las soas chansos. Non volc mais mulhèr, e tot çò qu’el gazanhava dava a sos paubres parenz e a la eglesia de la vila on el nasquèt, la quals glesia avia nom, et a encara, Saint Gervàs. « 

La Biographie des troubadours en Langue Provençale – Camille Chabaneau – Editeur Edouard Privat, Toulouse (1885) (1)


Lettré, sage et talentueux : le « maître » des troubadours selon son biographe médiéval

Suivant sa vida, Guiraut naquit, donc à Excideuil, en Limousin, dans l’actuel département de la Dordogne, à moins que, comme l’a fait remarquer le romaniste et philologue Jean-Pierre Chambon, il ne s’agisse, plus vraisemblablement d’Exideuil, dans le canton de Chabanais, en Charente (2). On ne connait pas grand chose de l’enfance de ce troubadour mais pour ce qui est de sa condition, son biographe médiéval nous le présente comme un homme de modeste extraction, plein de sagesse, lettré et de “bon sens” (ou doté naturellement d’intelligence et de raison, si l’on préfère).

Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure Ms Français 12473 – Chansonnier provençal K – Bnf, dept des manuscrits

A propos des talents du poète, l’auteur de sa vida n’hésite pas à qualifier Giraut de Borneil de « meilleur des troubadours » pas seulement auprès de ses contemporains mais également de ses prédécesseurs. Il nous dit même encore qu’il fut appelé « maître des troubadours ». Quant à sa postérité du temps de sa vida, elle se poursuit dans la même veine puisque « tout ceux qui, de nos jours, comprennent les paroles subtiles et bien agencées à propos d’amour et de bons sens (jugement, raison, intelligence » continuent, de le considérer comme un maître.

Certains linguistes et experts semblent être de l’avis que ce « maître » pourrait designer la profession de Giraut plutôt qu’une supériorité absolue sur ces pairs : maître de rhétorique ou maître dans le sens d’enseignant ? (3) Cela nous parait un peu surprenant, au vue du contexte et du ton général de cette vida, d’autant que dans la continuité de ce grand éloge, on trouve encore la phrase suivante : “Il fut aussi fort honoré ( apprécié, loué) par les hommes nobles de son temps et par les dames qui comprenaient les paroles magistrales de ses chansons.”. Bref, selon l’auteur de cette biographie tardive, nous avons affaire à un troubadour hors du commun.

Cette vida nous dit encore que, l’hiver, Giraut enseignait les lettres et était à l’école et que l’été il se rendait auprès des cours, “emmenant avec lui ses deux chanteurs qui chantaient et jouaient ses compositions”. Cela semble assez étonnant mais explique que, sur un certain nombre de miniatures de manuscrit médiéval, on le voie accompagné de près d’autres personnages. Ainsi, on devine quelqu’un derrière lui sur l’enluminure du MS 854 que nous nous sommes permis de rafraîchir un peu (plus haut dans l’article). Quant à l’enluminure du MS 12473 (ci-dessus également), cette fois, Giraut de Borneil y est bien suivi de deux personnes qui ne peuvent que correspondre à ces « assistants » jongleurs et chanteurs.

Quelques éléments supplémentaires sur sa vie

Il n’est pas rare que les vidas des troubadours nous content des romances entre les poètes occitans et des dames, voire même de grandes dames. Celle de Giraut de Borneil y fait exception. Elle nous dépeint, en effet, un homme qui « jamais ne voulut se marier et qui donnait tout l’argent qu’il gagnait à ses pauvres parents, mais encore à l’église de sa ville de naissance, qu’on nommait et qu’on nomme toujours Saint Gervais.

Il faut chercher dans les 6 razos qu’on trouve encore sur lui pour débusquer un peu plus d’éléments sur ses histoires de cœur (op cité Chabaneau). Dans certains d’entre eux, il est notamment fait allusion à une dame de Gascogne : Alamanda d’Estanc, « dame très prisée pour son intelligence, sa beauté et sa valeur« . Las, l’histoire s’est, semble-t-il, mal finie et les razos nous disent que le poète en souffrit beaucoup.

Pour finir le tour de ces éléments de biographie, un autre razo nous conte que Guiraut partit avec Richard Coeur de Lion pour la 3ème croisade et au siège d’Acre. Dans ses autres protecteurs, ces mêmes sources et ses poésies mentionnent encore Alfonse VIII de Castille : ce dernier, avec d’autres nobles de sa cour, lui auraient même fait cadeau d’un palefroi ferré ainsi que d’autres riches présents« . On peut aussi y ajouter des personnages tels que Aimar vicomte de Limoges, vraisemblablement Adémar V (1138 1199), le dauphin d’Auvergne, un comte de Toulouse, sans doute Raimon V selon Alfred Jeanroy (4) et Boemond III, Prince d’Antioche. Enfin, dans ces mêmes sources, on trouve encore mentionnés Raimbaut d’Orange et Ramons Bernartz de Rovigna (Raymond Bernat de Rouvenac ?).

Sources manuscrites : Mss 854 et Mss 12473 deux chansonniers du XIIIe siècle

Manuscrit médiéval Guiraut de Bornelh

On citera les deux manuscrits déjà mentionnés à propos des enluminures. Tous deux sont conservés à la BnF et consultables en ligne sur le site de Gallica. Le premier, le Ms Français 854 est également connu sous le nom de Chansonnier provençal A. Daté du XIIIe siècle, ce manuscrit médiéval, d’origine italienne, contient vidas et razos de troubadours, ainsi que leurs oeuvres, dont celles de Guiraut de Borneill.

Dans le même registre, le manuscrit médiéval MS Français 12473 est, sans doute, encore plus célèbre. Connu sous le nom de Chansonnier provençal ou Chansonnier K, il est daté de la deuxième partie du XIIIe siècle et présente également un large nombre de troubadours et poètes de langue occitane médiévale avec leurs biographies tardives. Copié en Italie, cet ouvrage, richement illuminé, se tint longtemps à la Bibliothèque du Vatican (cote Vat. 3204), avant de revenir à la BnF où il se trouve actuellement conservé.

Au vu des similitudes entre les deux manuscrits, les conservateurs et archivistes de la BnF ont conclu qu’ils furent probablement réalisés dans le même atelier italien (Marie-Pierre Laffitte archives et manuscrits sur bnf.fr).

Legs poétique et oeuvre de Giraut de Bornelh

Giraut de Bornelh a laissé un legs poétique assez conséquent : plus de 80 pièces dont un très petit nombre seulement sont notées musicalement. Son oeuvre contient, en majeure partie, des compositions profanes : poésies, chansons, sirvantois et pièces satiriques, pastourelle, etc… Sur un plan plus liturgique, on retiendra une composition religieuse et deux chansons d’appel à la croisade.

D’abord versé dans le Trobar clus à la façon d’un Marcabru, Giraut finit par privilégier, dans ses compositions, un style plus clair et accessible : Trobar leu (léger, ouvert). De fait, il le mit en avant et le défendit de telle manière, qu’on en a parfois fait l’inventeur ou, à tout le moins, le défenseur. Dans de prochains articles, nous aurons l’occasion, de présenter son oeuvre et certaines de ses pièces plus en détail.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Sources & notes

(1) La biographie des troubadours en langue provençale – Camille Chabaneau (1885)
(2) Sur le lieu de naissance de Guiraut de Bornelh. Jean-Pierre Chambon Romania, tome 101 n°404, 1980
(3) La literatura en la corte de Alfonso VIII de Castilla – Antonio Sánchez Jiménez (2001)
(4) La poésie lyrique des troubadours – Alfred Jeanroy – T2-(1934)

Le Villon de jean favier et 5 médiévisteS pour un programme d’exception signé france culture

Sujet  : poésie médiévale, moyen-français,  historiens médiévistes, littérature médiévale, biographie.
Auteur : François Villon    (1431-?1463)
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre Les Lundis de l’Histoire, France Culture
Ouvrage :  François Villon, Jean Favier, Fayard (1982)

Bonjour à tous,

e 1966 à 2014, France Culture a présenté, chaque début de semaine, en milieu d’après-midi, un programme dédié à la passion de l’Histoire et à ses plus grands auteurs et chercheurs. Cette émission d’anthologie avait pour titre Les Lundis de l’Histoire. Las ! après une longue aventure de presque 50 ans, elle s’est finalement, arrêtée avec le décès de Jacques le Goff qui l’avait animée, de son brillant esprit, dès 1968.

Cinq experts pour éclairer la biographie et l’oeuvre de François Villon

Actuellement, on peut trouver, sur le site de France Culture, un nombre important de podcasts des Lundis de l’Histoire. Ils couvrent une période allant de 2005 à 2014. Pourtant, à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait d’archives publiques sur les éditions précédentes de cette grande émission. Tout en étant heureux de retrouver déjà près de 400 opus sur le site de la radio, on peut le déplorer, en espérant que le futur verra naître un tel projet. En près d’un demi-siècle, ce programme radiophonique a, en effet, vu passer, sous la houlette du médiéviste Jacques Le Goff, les plus prestigieux historiens et esprits du temps ; elle a aussi traité tous les thèmes, finissant, par entrer, à son tour, dans l’Histoire, mais aussi dans l’Histoire de l’Histoire, soit l’Historiographie.

Dans l’attente de voir, peut-être un jour, des archives complètes, aujourd’hui, il nous faut rendre grâce à la très littéraire chaîne Youtube Eclair Brut de Arthur Yasmine (jeune auteur qui a, par ailleurs, déjà fait publier plusieurs ouvrages de poésies) pour être parvenue, une fois de plus, à débusquer une pièce rare. Issue d’une édition des Lundis de l’histoire diffusée à l’automne 1982, ce programme réunit quatre éminents experts du moyen âge, auxquels on ajoutera, bien sûr, l’animateur lui même : l’historien Jacques le Goff. Le thème de cette émission nous est cher puisqu’elle traite de François de Montcorbier, que nous connaissons tous mieux sous le nom de François Villon ; ce programme d’exception fut enregistré à l’occasion de la sortie, cette même année 1982, par Jean Favier (lui-même grand historien de la période médiévale) de son ouvrage : « François Villon » chez Fayard.

Villon, son oeuvre et sa vie, sous l’œil de grands chercheurs et historiens du XXe siècle

Un Villon plus réel que jamais

« Des écoles aux tavernes, du port en Grève au cimetière des Innocents, de la cour chevaleresque du roi René au bouge de la Grosse Margot, les véritables héros de ce livre sont la vie et la mort, Dieu et la Fortune, l’amour et la haine, la justice et la misère. Mais l’oeil du poète est malicieux, et il a cent facettes. »

François Villon, Jean Favier ( Fayard, 1982)

Plus qu’un tour complet de l’œuvre de Villon, on abordera, dans ce programme, des éléments au plus près de la vie de cet auteur du Moyen Âge tardif. C’est même d’ailleurs tout l’intérêt de cette émission même si, bien entendu, les deux ne peuvent être démêlées si facilement : comme pour bien des auteurs de cette période, l’œuvre alimente nécessairement une partie de ce que les historiens tentent de déduire de sa biographie, même en y mettant, bien sûr, tous les guillemets que cela suppose. Sur Villon, il existe heureusement quelques sources historiques et juridiques sur lesquels on peut s’appuyer pour effectuer quelques croisements supplémentaires.

Loin des caricatures faciles

On le doit sans nul doute aux esprits éclairés qui l’ont animé voilà près de 40 ans, mais un des atouts majeurs de ce programme est de soulever des questions tout à fait ouvertes sur la vie véritable de Villon. Pour peu, on y découvre presque un nouveau Villon, petit clerc, qui pourrait bien s’être démené pour tenter de devenir un auteur suffisamment reconnu pour en vivre. Aurait-il conçu son testament comme une sorte de book ? Angles nouveaux, hypothèses plus qu’affirmations, discussions et réflexions nourries en tout cas. On n’y tombe jamais dans la caricature facile et un peu romanesque d’un Villon repris à la sauce du XXe siècle : mauvais garçon, poète maudit, fornicateur et jouisseur patenté, voleur, criminel notoire, peut-être même coquillard, etc… Le tableau est impressionniste, il se découvre par petites touches entre ombre et lumière.

Au sortir, vous en apprendrez sur Villon dans cette émission qui remet un peu les pendules à l’heure, tout en se défendant de trancher aveuglément. On s’y posera des questions sur l’itinéraire professionnel comme sur les errances de Villon. On interrogera aussi, au passage, cette Ballade contre les ennemis de la France que nous avons déjà abondamment commentée. Était-elle une commande ou plutôt l’oeuvre spontanée d’un Villon naturellement attaché aux valeurs de la France ? Elle laissera nos intervenants un peu désaccordés aux portes du mystère. On y fera encore de belles incursions dans le Paris du milieu du XVe siècle et dans le cœur de ses tavernes.

De la vulgarisation en histoire

Au sortir de cette approche tout en nuances, qui ne craindra pas de laisser en chemin de belles interrogations et quelques espaces vides habités de mystère, on ne pourra s’empêcher de se dire que Jacques le Goff faisait encore, ici, la démonstration d’une chose : on pouvait (et on peut sans doute toujours) réunir autour d’une table d’excellents chercheurs universitaires et de brillants historiens tout en réussissant à faire une émission qui s’adresse à tout le monde, au public averti comme au grand public. Le tout sans tomber dans une histoire schématique, simplifiée, ni dans une sorte de « vulgate » narrative à un seul degré. Et s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation » (concept un peu fourre-tout dont il faut quelquefois se défier en ce qu’il commence à la sortie des laboratoires pour finir on ne sait où, et quelquefois jusque dans des productions à des lieues des vérités historiques sous prétexte de les mettre à portée), mais, soit, s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation », disais-je, alors elle devrait donner le La ou au moins de vraies lettres de noblesses à sa définition.

Jean Favier : grand historien-archiviste des XXeme-XXIeme siècle

Eléments de biographie

Jean Favier (1932-2014) est un historien archiviste chartiste des XXe et XXIe siècles. Egalement agrégé d’histoire, il suivit une brillante carrière universitaire débuté à Rennes puis Rouen et qui le conduisit finalement à être directeur d’Etudes à la prestigieuse Ecole Pratiques des Hautes Etudes. Il y officia de longues années, avant d’aller enseigner la Paléographie médiévale à la Sorbonne.

Au cours de son parcours, il a également été très actif dans le domaine de la culture ; il a notamment conduit, pendant plus de 20 ans, de grandes œuvres et travaux pour les archives nationales. Entre autres fonctions notables, on le retrouvera également président de l’Académie des Belles Lettres et, dans le domaine de la publication, directeur de la Revue Historique pendant 25 ans. Son action dans le domaine de la Culture, de l’Histoire et des Archives lui ont valu de nombreux titres honorifiques. Pour l’ensemble de son parcours et de ses contributions, Jean Favier est à juste titre, reconnu, à la fois comme un grand historien médiéviste et comme un grand serviteur de l’Etat.

L’ouvrage de Jean Favier sur François Villon

Ce livre est encore édité chez Fayard au format broché. Voici un lien utile pour plus d’informations : François Villon

Quelques autres publications

Si les contributions et publications de Jean Favier ne se sont pas cantonnées au Moyen Âge, il a tout de même produit un nombre considérable d’ouvrages dans ce domaine. Citons pour exemple : Philippe le Bel (1978, Fayard), La Guerre de Cent Ans (sorti chez Fayard en 1980 et qui lui vaudra plusieurs prix), La France féodale (1995, GLM ). Sur les circuits des affaires et le monde économique médiéval, on pourra également lire De l’Or et des épices : naissance de l’homme d’affaires au Moyen Âge (1987, Fayard), ou encore le Bourgeois de Paris au Moyen Âge (2012, Tallandier). Enfin, on pourra compléter cette esquisse de bibliographie par des ouvrages comme Louis XI (2001, Fayard) ou Les Plantagenêts  : origines et destin d’un empire (2004, Fayard), et on mentionnera encore son impressionnant Dictionnaire de la France Médiévale, sorti en 1993, chez Fayard également.

Les autres intervenants de cette émission

Philippe Contamine grand historien et universitaire, longtemps enseignant d’histoire du Moyen Âge à Paris X, puis à Paris V (voir son excellente conférence sur les Français aux temps médiévaux)

Félix Lecoy (1903-1997): philologue, romaniste et universitaire, spécialisé en littérature médiévale. Enseignant au Collège de France (chaire de langue et littérature française du Moyen Âge).

Bernard Guénée (1927-2010) : enseignant-chercheur, académicien et historien français, normalien, professeur émérite d’Histoire médiévale à La Sorbonne, directeur d’études  à l’EPHE.

Jacques le Goff (1924-2014) : historien-médiéviste, directeur de l’EPHE, co-directeur de la revue Les Annales, co-producteur et présentateur de l’émission les Lundis de l’Histoire. A l’image des trois autres, il est difficile de résumer son parcours en 2 phrases, mais disons que dans la ligne de la Nouvelle histoire, il a fait de l’histoire des mentalités du Moyen Âge et de l’anthropologie historique de l’Occident médiéval ses grandes spécialités. (voir d’autres articles à son sujet sur le site)

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.