Sujet : troubadour, galaïco-portugais, cantigas de amor, cantigas de amigo, chanson médiévale, lyrique courtoise, amour courtois. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Bernal de Bonaval (12..) Titre : os meus olhos nom dormirám Interprète : Emilio Arias Martinez
Bonjour à tous,
ous vous invitons, aujourd’hui, dans la province de Saint-Jacques de Compostelle à la découverte d’une chanson courtoise de Bernal de Bonaval. Troubadour du Moyen Âge central et contemporain des débuts du XIIIe siècle, cet auteur nous a laissé quelques 19 pièces en galaïco-portugais entre cantigas de amigo, cantigas de amor, mais également une tenson (tençón).
Une chanson courtoise toute en grâce au moment de l’éloignement
Natif de Bonaval, dans la banlieue de Saint-Jacques de Compostelle, ce poète et compositeur médiéval se fit connaître pour ses compositions, jusque dans les cours des rois. Dans une de ses propres chansons, Alphonse X de Castille scella étrangement la renommée de Bernal de Bonaval et son entrée dans la postérité en le citant comme un troubadour guère conventionnel (voir notre biographie de Bernal). Le souverain comparait alors son art à l’école provençale qu’il jugeait plus « naturelle ».
On notera à nouveau, dans cette pièce, la finesse de la lyrique courtoise galaïco-portugaise dans le domaine des cantigas de amor et des cantigas de amigo. Les mots choisis restent très simples. Le refrain crée la montée en tension. La répétition est aussi fréquente que subtile. Elle est modulée pour que les émotions montent en puissance au fil de la poésie.
Sources historiques et manuscrites
On peut retrouver cette cantiga de Bernal de Bernaval dans deux chansonniers galaïco-portugais d’époque : le Cancioneiro da Biblioteca Nacional. Connu encore sous le nom de codice ou Chansonnier Colocci Brancuti, ce chansonnier est actuellement conservé à la bibliothèque nationale de Lisbonne (photo ci-contre). Il est daté du premier tiers du XVIe siècle. Cette pièce du troubadour est également présente dans le Cancionero de la Biblioteca Vaticana qui date de la même période que le premier manuscrit cité.
La partition musicale de cette cantiga de amor du troubadour ne nous est pas parvenu mais un compositeur moderne espagnol s’est fendu d’une interprétation que nous vous proposons de découvrir ci-dessous. C’est très sobre et d’une grande simplicité, mais, personnellement, nous trouvons que cela touche au but. Puissent ces jolis vers de Bernal et cette version vous toucher au delà de la barrière de la langue même si, rassurez-vous, nous vous en fournissons une traduction plus bas dans cet article.
Emilio Arias, luthier et troubadour
La version de la chanson médiévale du jour nous vient d’un luthier, chanteur et musicien espagnol du nom de Emilio Arias Martinez. Il en a composé la musique et il la chante de sa voix bien ancrée qui donne à l’ensemble des tons réalistes et une sincérité touchante.
Le « luthier et troubadour », comme il s’est baptisé lui même, est très actif culturellement et musicalement dans la région de Navarre et autour de Pampelune où il est installé. Il y expose ses instruments et donne aussi des concerts-conférences sur la musique médiévale, ses instruments et sur les troubadours anciens. Sur sa chaîne youtube, le musicien propose également de nombreux morceaux et concerts du répertoire médiéval. On y retrouvera des cantigas de amigo comme celle du jour, mais aussi des cantigas de Santa Maria d’Alphonse X et d’autres chansons en référence au chemin de pèlerinage de Compostelle.
Emilio Arias Martinez enrichit encore son répertoire de pièces de troubadours occitans et de nombreuses autres pièces médiévales mais aussi renaissantes. L’avantage avec lui, outre qu’il soit multi-instrumentiste et chanteur, c’est que, non seulement il crée ses propres instruments, mais quand les textes n’ont pas de partitions, il n’hésite pas à les mettre lui-même en musique.
A Bonaval de Bernal de Bonaval en galaïco-portugais et en français actuel
A Bonaval quer’eu, mia senhor, ir e des quand’eu ora de vós partir os meus olhos nom dormirám.
Ir-m’-ei, pero m’é grave de fazer; e des quand’eu ora de vós tolher os meus olhos nom dormirám.
Todavia bem será de provar de m’ir; mais des quand’eu de vós quitar os meus olhos nom dormirám.
A Bonaval, ma dame, je veux aller, Et dès que viendra l’heure de vous laisser Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil.
M’en aller, je dois, mais il m’est douloureux de le faire Car dès qu’il sera temps de me séparer de vous Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil. Cependant, il serait bon que j’essaye De m’en aller, mais dès que je devrais me défaire de vous Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver la couverture du codice Colocci Brancuti ainsi que le feuillet sur lequel se trouve la chanson de Bernal de Bonaval du jour. Nous avons retouché légèrement ce dernier pour ôter la surimpression des textes du verso qu’on note sur l’original et qui compliquent un peu la lisibilité, ainsi que quelques tâches de vieillissement. N’oublions pas que ce noble manuscrit médiéval à tout de même prés de 500 ans. A toutes fins utiles, vous pouvez retrouver cet ouvrage en ligne à l’adresse suivante.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Be.m pac d’ivern e d’estiu Interprète : Flor Enversa Evénement : Festival Troberea 2010
Bonjour à tous
ujourd’hui, nos pas nous ramènent du côté de la Provence médiévale en compagnie de Peire Vidal. Nous y découvrirons une nouvelle chanson du grand troubadour du XIIe-XIIIe siècle par le menu : sa traduction en français moderne, ses sources manuscrites, le tout accompagné d’une belle version servie par l’ensemble de musiques médiévales Flor Enversa.
Une chanson médiévale en forme de louange courtoise
On retrouvera, dans la chanson du jour, un Peire Vidal, grandiloquent et énergique à son habitude. Cette fois, il mettra toute sa verve au service non pas de ses hauts faits, mais de la nouvelle grande dame qu’il a élue ; Elle est, d’après ce qu’il nous confie, sise à Montesquieu, en Nouvelle-Aquitaine. Tout au long de ses strophes, il lui fera des louanges sans réserve tout en fustigeant ouvertement les adversaires de cette dernière. Au passage, le troubadour toulousain nous gratifiera de quelques purs joyaux de poésie occitane médiévale comme ces deux vers, par exemple, qu’on a presque peine à traduire tant cela fait peu justice à la langue d’origine :
Paro.m rozas entre gel E clars temps ab trebol cel.
Des roses m’apparaissent au milieu de la glace, Et un temps clair par un ciel obscur.
Pour bien donner la mesure de son immense admiration pour la dame et du lien qui l’unit à elle, le troubadour fait aussi le choix de terminer la plupart de ses strophes par de grandes références bibliques, en invoquant aussi les saints et les anges. Dans son voyage poétique, il fera encore quelques détours vers d’autres destinations : l’un d’eux par Montoliu en Occitanie, un autre par la Castille et l’Espagne qui lui sont chères (dans ses pérégrinations, il a séjourné au cour de Castille et d’Aragon). Enfin, il citera également l’empire de « Manuel ». Il s’agit, sans grande doute, de Manuel Ier Comnène, empereur byzantin du XIIe siècle. Contemporain de Peire Vidal, ce souverain connut un long règne de 37 ans et fut très apprécié du monde chrétien occidental pour son soutien au royaume de Jérusalem.
En dehors de cela et même après traduction, ce texte ne livre pas tous ses secrets. Certaines références contextuelles demeurent obscures, leurs secrets engloutis dans le fleuve du temps mais il fallait bien que la poésies du troubadour voyageur conserve aussi ce charme.
Sources historiques et médiévales
Pour les sources historiques, Be.m pac d’ivern e d’estiu est présente dans une grand nombre d’ouvrages datés du Moyen Âge central à tardif et consacrés aux troubadours occitans. On pourra citer, par exemple, le chansonnier provençal K, référencé ms fr 12473 ou encore le fr 12474 de le BnF, ou même le canzionere provenzale de la bibliothèque d’Estense. Aujourd’hui, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’on peut la trouver dans le Ms Français 854 (voir image un peu plus haut dans cet article). Ce manuscrit médiéval, daté du XIIIe siècle et également connu sous le nom de Chansonnier occitan I, contient, sur un peu plus de 400 feuillets, de nombreuses poésies de troubadours. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et peut-être consulté sur Gallica.
Une interprétation du duo Flor Enversa
Nous retrouvons, aujourd’hui, le duo médiéval occitan Flor Enversa. Nous avions déjà eu l’occasion de vous parler de cette formation à l’occasion de l’étude d’une chanson du troubadour Marcabru (revoir l’article et la bio de Flor Enversa). Ce duo, formé en 2006, prend l’occitan médiéval et les troubadours du Moyen Âge central, très au sérieux ; ils ont déjà produit 5 albums sur ce sujet, en s’entourant au besoin d’autres musiciens et collaborateurs.
L’art des troubadours provençaux, l’album
La version de la chanson de Peire Vidal que nous vous proposons ici est extraite d’un concert donné à l’occasion du Festival Trobarea 2010. Cependant, vous pourrez également la retrouver dans un double album de Flor Enversa, sorti en 2018, et ayant pour titre L’Art des Troubadours Provençaux des XIIème et XIIIème siècles. Avec une durée total de 104 minutes d’écoute et au long de 21 pièces, ce double CD propose un très large voyage au temps des troubadours occitans du Moyen Âge.
On y retrouve des noms célèbres tels que la Comtessa de Dia, Raimbaut de Vaqueiras, Raimbaut d’Aurenga et bien sûr Peire Vidal, mais ils sont également entourés d’une foule d’autres troubadours d’époque un peu moins reconnus mais tout aussi intéressants. Au passage, la formation occitane nous gratifie de quelques contrafactum originaux qui fournissent l’occasion de découvrir de nouveaux textes et poésies. Nous vous proposons de retrouver cet album sur le site officiel de Flor enversa aux côtés de l’ensemble de leur discographie.
Membres du groupe Flor Enversa
Thierry Cornillon (chant, rote, flûtes, harpe, psaltérion…) et Domitille Vigneron (chant, vièles à archet). A l’occasion de cet album, les duettistes de Flor Enversa se sont aussi accompagnés du musicien David Zubeldia.
Be.m pac d’ivern e d’estiu de Peire Vidal, en occitan médiéval et en français moderne
NB : pour cette traduction en français actuel, nous avons utilisé amplement le travail de Joseph Anglade (les poésies de Peire Vidal, 1913). Toutefois, nous nous sommes permis de le revisiter aux moyens de recherches complémentaires et de tournures plus personnelles.
I Be -m pac d’ivern e d’estiu E de fretz e de calors, Et am neus aitan com flors E pro mort mais qu’avol viu : Qu’enaissi m ten esforsiu E gai Jovens et Amors. Equar am domna novela, Sobravinen e plus bêla, Paro.m rozas entre gel E clars temps ab trebol cel.
Je me délecte ( je me repais, j’apprécie) d’hiver et d’été Et de froid et de chaleur, Et j’aime la neige autant que les fleurs Et un preux mort plus qu’un vil lâche : Ainsi je me tiens avec force En gaîté, Jeunesse et Amour. Pareillement, comme j’aime une nouvelle dame, Gracieuse et belle plus que toute autre, je vois des roses au sein de la glace et un temps clair dans un ciel obscur.
II Ma domn’ a pretz soloriu Denan mil combatedors, E contra.ls fals fenhedors Ten establit Montesquiu : Per qu’al seu ric senhoriu Lauzengiers no pot far cors, Que sens e pretz la capdela, E quan respon ni apela, Sei dig an sabor de mel, Don sembla Sant Gabriel.
Ma dame a un mérite unique Face à mille combattants Et contre les faux hypocrites Elle tient Montesquieu fortifié ; C’est pour cela qu’à sa puissante seigneurie Aucun médisant ne peut s’attaquer, Car la raison et l’honneur la guident Et quand elle répond ou appelle, Ses paroles ont saveur de miel, Qui la font sembler à Saint-Gabriel.
III E fai.s plus temer de griu A vilas domnejadors, Et als fis conoissedors A solatz tant agradiu, Qu’al partir quecs jur’ e pliu Que domn’ es de las melhors : Per que – m trahin’ e.m cembela E.m tra.l cor de sotz l’aissela, E a.m leial e fizel E just plus que Deus Abel
Et elle se fait plus redouter qu’un griffon Des galants méprisables Et pour les fins connaisseurs (de l’amour ajoute Anglade) Elle est d’une compagnie si charmante Qu’en s’en séparant d’elle, chacun d’eux jure et assure Qu’elle est une des meilleures dames qui soit ; Pour tout cela, elle m’entraîne et m’attire Et elle me tire le cœur de sous l’aisselle ; Et je lui suis loyal et fidèle, Et plus juste qu’Abel envers Dieu.
IV Del ric pretz nominatiu Creis tan sa fina valors Que no pot sofrir lauzors La gran forsa del ver briu. Sei enemic son caitiu E sei amie ric e sors. Olh, front, nas, boch’ e maissela, Blanc peitz ab dura mamela, Del talh dels filhs d’Israël Et es colomba ses fel.
De son précieux et remarquable mérite S’accroît tant sa valeur parfaite Que l’éloge ne peut exprimer La grande force de sa valeur véritable. Ses ennemis sont chétifs et misérables, Et ses amis puissants et élevés. Yeux, front, nez, bouche et menton, blanche poitrine aux seins durs, Elle est du même bois que les fils d’Israël Et elle est colombe sans fiel.
V Lo cor tenh morn e pensiu, Aitan quant estauc alhors ; Pois creis m’en gaugz e doussors, Quan del seu gen cors m’aiziu. Qu’aissi com de recaliu Ar m’en ve fregz, ar calors ; E quar es gai’ et isnela E de totz mals aibs piucela, L’am mais per Sant Raphaël, Que Jacobs no fetz Rachel.
J’ai le cœur morne et pensif Autant que je suis éloigné d’elle, Puis ma joie et ma douceur augmentent Quand je me rapproche de son corps gracieux. Et ainsi comme lors d’une fièvre, Tantôt me vient le froid, tantôt la chaleur. Et parce qu’elle est gaie et joyeuse Et vierge de tous vices, Je l’aime d’avantage, par Saint Raphaël, Que Jacob ne le fit de Rachel.
VI Vers, vai t’en ves Montoliu E di m’a las très serors, Que tan mi platz lor amors, Qu’ins en mon cor las escriu ; Ves totas très m’umiliu ; E.n fatz domnas e senhors. E plagra.m mais de Castela Una pauca jovensela, Que d’aur cargat mil camel Ab l’emperi Manuel.
Vers, allez vers Montolieu Et dites aux trois sœurs Que tant me plaisent leurs amours Qu’au dedans de mon cœur je les ai gravées ; Envers toutes trois, je m’incline ; Et j’en fais mes dames et seigneuresses. Et je préfère bien mieux de Castille une modeste jouvencelle Que mille chameaux chargés d’or Et tout l’empire de Manuel.
VII Qu’en Fransa et en Beriu Et a Peiteu et a Tors Quer Nostre Senher socors Pels Turcs que.l tenon faidiu, Car tout l’an los vaus e.l riu On anavo.lh pechadors ; E totz hom que no-s revella Contr’aquesta gen fradella Mal me sembla Daniel Que.l dragon destruis a bel.
Qu’en France et en Berry, Et à Poitiers et à Tours, Notre Seigneur cherche secours Contre les Turcs qui le tiennent banni, Puisqu’ils lui ont enlevé les vallons et le ruisseau Où se rendaientles pécheurs ; Et tout homme qui ne se réveille pas Contre cette gent scélérate Me parait bien dissemblable à Daniel Qui tua le dragon de Bel.
VIII Per Sant Jacme qu’om apela L’apostol de Compostela, En Luzi’ a tal Miquel Que.m val mais que cel del cel.
Par Saint Jacques qu’on appelle L’apôtre de Compostelle, A Luzia, il y a un Michel Qui, pour moi, vaut mieux que celui du ciel.
IX Francs reis, Proensa.us apella, Qu’en Sancho la.us desclavella, Qu’el en trai la cer’ e.l mel E sai trametvos lo fel.
Nobles Rois, la Provence vous appelle ; Que Don Sanche la détache de vous, Car il en tire la cire et le miel Et, ici, ne vous transmet que le fiel.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : sur l’image d’en-tête nous avons simplement repris et retouché légèrement l’enluminure et le portrait de Peire Vidal qu’on trouve, en dessous de sa Vida, dans le Manuscrit 654 de la BnF.
Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, ars nova, chanson médiévale, amour courtois. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Francesco Landini ( ? 1325-1397) Titre : L’alma mie piang’ e mai non può aver pace Interprètes : Chominciamento di Gioia et Camerata Nova Album : Francesco Landini, Ballate (2000)
Bonjour à tous,
u XIVe siècle, l’organiste, poète et compositeur italien Francesco Landini se pose comme un grand chef de file de l’école Florentine et de l’Ars Nova italien. Il nous a laissé une œuvre renaissante faite de belles et nombreuses pièces polyphoniques. Celles qui nous sont parvenues sont, en majorité, profanes et centrées sur la lyrique courtoise, entre ballate et madrigaux.
Un maître de musique délaissé par sa dame
La chanson du jour est une « ballata » à trois voix. Elle est adressée à une dame. Sur fond courtois, le maître de musique du trecento nous conte combien il souffre les plus grandes des peines depuis qu’elle s’est détournée de lui.
Du point de vue des sources historiques, on peut notamment retrouver l’œuvre de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi (Med. Pal. 87). On l’y trouve même représenté avec son organetto (voir image en-tête d’article). Ce manuscrit ancien, daté du XVe siècle, est un témoignage majeur de l’Ars Nova italien de cette période. Il contient pas moins de 216 feuillets notés et quelques belles enluminures de compositeurs d’époque. Avec près de 150 pièces, Francesco Landini y dépasse de très loin les autres compositeurs présents. Ce codex est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, en Italie.
Ballate un album autour du trecento
L’interprétation que nous avons choisie de vous présenter pour cette pièce du jour est tirée d’un l’album intitulé Francesco Landini Ballate. Il fut enregistré en 1999 sous la houlette du grand directeur et chef d’orchestre Luigi Taglioni, en collaboration avec deux formations italiennes : l’ensemble vocal Camerata Nova et l’ensemble instrumental Chominciamento di Gioia.
Centré sur le thème du trecento italien, l’album propose un total de 18 pièces sur un peu moins de 60 minutes de durée. Il alterne les compositions de Francesco Landini avec d’autres pièces anonymes tirés du Codex Faenza. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle, conservé à la Bibliothèque de Faenza en Italie, contient des partitions datées du milieu du XIVe siècle.
L’album Francesco Landini, Ballate s’est fait largement remarquer sur la scène des musiques anciennes et médiévales, au moment de sa sortie. Malgrès cela et pour l’instant au moins, il ne semble avoir été réédité. Pour le trouver en format CD, il vous faudra donc tenter votre chance chez les disquaires de musiques anciennes. Si la forme dématérialisée vous convient, vous pourrez aussi essayer du côté des plateformes de musique web.
Musiciens et artistes ayant participé à cet album
Direction Luigi Taglioni. Voix : Antonella Marotta (contralto), Matelda Viola (soprano), Paola Ronchetti (soprano), Fabrizio Scipioni (tenor), Instruments : Olga Ercoli (harpe), Elisabetta di Franco (psaltérion, percussion), Giovanni Caruso (luth), Gianfranco Russo (vielle), Luigi Polsini (vielle, luth).
L’alma mie piang’ e mai non può aver pace
L’alma mie piang’e mai non può aver pace da poi che tolto m’hai, donna, ’l vago mirar di ch’i ’nfiammai. Fu di tanto piacer la dolce vista ch’innamorai nel tuo primo guardare, sperando aver la grazia che s’aquista ispesse volte per virtù d’amare. Pur veggio la sperança mia mancare, ché ’l viso non mi fai che tu solevi, ond’io sto in pene e in guai. L’alma mie piang’e mai non può aver pace…
Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix Depuis que tu m’as privé, Dame, du doux regard par lequel tu m’avais enflammé. Ta douce apparition m’avait procuré, alors, tant de plaisir Que je me suis épris de toi dès ton premier regard, Espérant recevoir la grâce qui s’acquiert Souventes fois par la vertu d’aimer. Mais voilà que mon espérance se dérobe, Car tu ne tournes plus ton visage vers moi Comme tu le faisais, d’où je suis en grande peine et en tourments. Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix…
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, amour courtois. Période : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s Auteur : Guiraut de Bornelh, de Borneil (?1138-?1215) Titre : No posc sofrir c’ a la dolor Interprète : Maria Lafitte, Unicorn, Oni Wytars Album : Music of the Troubadours (1996)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous avons le plaisir de vous entraîner au XIIe, XIIIe siècles et en pays d’oc, pour découvrir une nouvelle pièce de Giraut de Bornelh, troubadour que les razos et vidas des siècles suivants sa venue en ce bas-monde ont largement encensé.
Comme une large partie du reste de son œuvre, la chanson du jour est une pièce courtoise et, bien sûr aussi, en occitan médiéval et ancien. A l’habitude, nous dirons un mot de son contenu, de ses sources médiévales. Nous aurons aussi l’occasion d’entendre cette chanson médiévale avec une interprétation des Ensembles Unicorn et Oni Wytars, accompagnés de la voix de Maria Dolors Laffitte. A l’habitude, nous vous en proposerons aussi une traduction en français actuel.
Un songe d’amour pour une belle convoitée
Cette chanson commence un peu étrangement et non sans humour, avec un poète qui compare son entrain et sa joie à l’arrivée de la saison nouvelle, au va et vient irrépressible que ferait sa langue sur un dent douloureuse. Autrement dit, l’attraction pour le printemps est plus forte que tout et la belle nature déjà domestiquée avec ses bocages, ses prairies, ses vergers, ses oisillons et ses fleurs le met en joie : renouvel, renouveau, saison printanière, le départ se situe (à une dent près) dans la lyrique courtoise.
Par la suite, le troubadour nous entraînera vers un rêve lui aussi printanier (il le précise) : celui d’un jeune épervier sauvage, venu se poser sur lui et qu’il parviendra à force de patience, à dompter. Frappé par cette vision nocturne, Giraut la confiera à son seigneur et protecteur du moment (il en a eu plusieurs – voir sa biographie). Selon le confident, il n’est point question de fauconnerie, ni de chasse ici. Le songe et sa symbolique seront interprétés d’une toute autre façon. Il s’agirait, en fait, d’un rêve pour le guider sur les chemins amoureux. Le troubadour peut convoiter la belle qu’il désire même si elle est de plus haut lignage, mais il devra y mettre de grands efforts s’il veut aboutir. D’abord circonspect et un peu honteux devant ce songe et sa convoitise insensée (on imagine une dame de très haut rang), notre Giraut finira par s’enhardir en décidant de faire porter ses rimes vers la lointaine élue. La chanson est donc présentée comme un premier pas amoureux ou au moins une avancée, destinée à divertir la Dame.
Au passage, on verra le poète médiéval monter au créneau pour marquer sa volonté de s’inscrire dans le Trobar leu. Il l’avait déjà fait dans Leu chansonet’e vil et il le réaffirme ici. Fini le Trobar clus et ses chansons pleines d’allusions énigmatiques et absconses, il veut désormais être clair et compris de son audience. Malgré toute sa bonne volonté et après nous être attelé à la traduction de la pièce du jour, nous serions enclins à mettre un tout petit bémol à son objectif à 800 ans de là (humour).
Aux sources manuscrites de cette chanson
Du point de vue des sources, la chanson se trouve dans de très nombreux manuscrits. Sauf erreur et à date, on ne lui connaît pas de mélodie propre. Nous vous présentons (photo ci-dessus) sa version dans le Canzoniere provenzale estense de la Bibliothèque Universitaire d’Estense en Italie (cote alfa.r.4.4). Ce manuscrit médiéval est connu également en France sous le nom de Chansonnier provençal D ou même Chansonnier occitan D. Il présente, sur 345 feuillets, un grand nombre de sirventes, tensons et chansons de troubadours du Moyen Âge.
Music of the troubadours, l’album
Music of the Troubadours fut proposé au public en 1996. Il s’agit d’un album studio de 12 pièces pour un peu moins de 70 minutes d’écoute. On y trouve présenté huit troubadours : Giraut de Bornelh, Peire Cardenal, Raimon de Miraval, Ramon de Llul, Berenguier de Paloun, Guiraut Riquier, Bernart de Ventadorn, Jaufre Rudel, aux côtés de quelques pièces anonymes. En réalité, deux d’entre eux se partagent la vedette ; la pièce du jour de Giraut de Bornelh n’ayant pas de notation musicale d’époque, c’est la chanson Ar me puesc de Peire Cardenal qui lui a servi de mélodie selon le procédé du contrafactum.
L’ensemble Unicorn, Oni Wytars & Maria Laffitte
Sous la direction de Michael Posch, Music of the Troubadours est le fruit d’une collaboration entre les ensembles Unicorn et Oni Wytars et Maria Dolors Laffitte. Nous avons dit un mot ici de ces deux ensembles. Le premier est autrichien, l’autre est italo-allemand et on leur doit un certain nombre de productions musicales communes. Quant à Maria Dolors Laffitte i Masjoan (1949-2008), elle vient prêter sa voix à cet album en lui impulsant une vraie énergie.
Un mot de Maria Dolors Laffitte
Pour dire un mot de cette chanteuse et musicienne d’origine occitane, elle a fait partie de ces générations de la fin des années soixante qui se prirent d’envie de renouer avec les musiques anciennes et traditionnelles et même le folk.
De 1968 à 2001, elle a ainsi exploré un répertoire assez large qui va de chansons médiévales occitanes à des chansons traditionnelles catalanes, des chants séfardis ou même encore des chansons d’auteurs et des chansons pour enfants. Entre autres activités, elle s’est inscrite dans le mouvement Nova Cançó (chanson nouvelle) qui s’éleva durant les années franquistes, pour défendre la normalisation de l’usage du catalan dans les chansons et les productions culturelles. Elle est aussi connue pour son activité militante en matière d’écologie. D’un point de vue musical, elle a eu l’occasion de participer à de nombreux groupes, dont la formation Els Trobadors qu’elle fonda en 1991.
Informations complémentaires
Pour ceux que cet album intéresserait, il est encore disponible et on peut encore le débusquer en ligne, notamment, au format CD, Mp3 ou même encore en streaming illimité. Voici un lien utile pour plus d’informations : Music of The Troubadours.
Musiciens ayant participé à cet album
Ensemble Unicorn & Oni Wytars, Maria D. Laffitte, Thomas Wimmer (violon, laúd), Riccardo Delfino (harpe gothique, vielle à roue, cornemuse), Peter Rabanser (gaida, oud, nay, saz), Katharina Dustmann (percussions orientales), Wolfgang Reithofer (percussions), Marco Ambrosini (violon, nyckelharpa, chalemie ), Michael Posch (direction et flûte à bec, flûte de roseau
No posc sofrir c’ a la dolor, giraut de Bornelh de l’occitan médiéval au français actuel
I. No posc sofrir c’ a la dolor De la den la lenga no vir E ‘l cor ab la novela flor, Lancan vei los ramels florir E ‘Ih chan son pel boschatge Dels auzeletz enamoratz, E si tot m’estauc apensatz Ni pres per malauratge, Can vei chans e vergers e pratz, Eu renovel e m’assolatz.
Je ne peux m’abstenir quand j’ai une douleur de dent que ma langue n’y revienne sans cesse Et, de la même façon, je ne peux éviter que mon cœur ne soit touché par la fleur nouvelle, Lorsque je vois les rameaux fleurir Et que j’entends le chant mélodieux dans le bosquet (1) Des oisillons enamourés, Et si je suis préoccupé Et pris dans mes propres malheurs Quand je vois ces chants, ces vergers et ces prairies, Je me sens régénéré et réconforté (je me sens renouvelé et je me console)
II. Qu’ eu no m’esfortz d’altre labor Mas de chantar e d’esjauzir; C’ una noch somnav’ en pascor Tal somnhe que « m fetz esbaudir D’ un esparver ramatge Que m’ era sus el ponh pauzatz E si ‘m semblav’ adomesgatz, Anc no vi tan salvatge, Mas pois fo maners e privatz E de bos getz apreizonatz.
Car je ne m’applique à d’autre travail Que celui de chanter et me réjouir ; Un nuit de printemps, je rêvais Ce songe qui me mis en joie, D’un épervier branchier (2) Qui était venu se poser sur mon poing Et, il me sembla bien domestiqué Bien que jamais je n’en vis d’aussi sauvage, Mais par la suite, il fut apprivoisé et familiarisé Et maintenu prisonnier par un lien à la patte,
III. Lo somnhe comtei mo senhor, Ca son amic lo deu om dir, E narret lo ‘m tot en amor E dis me que no ‘m pot falhir Que d’oltra mo paratge No m’aia tal ami’ en patz, Can m’ en serai pro trebalhatz, C’anc om de mo linhatge Ni d’ oltra ma valor assatz Non amet tal ni ‘n fon amatz.
J’ai conté ce songe à mon seigneur, Car à un ami, on doit dire ces choses, Et il l’a interprété pour moi sous l’angle de l’amour En me disant que je ne pouvais échouer (faillir) A ce que, au delà de mon rang, Une telle amie ne soit mienne Après que je m’en serais diligemment occupé Car jamais homme de mon lignage Ni de plus grand mérite N’a aimé de telle façon et n’en fut aimé.
IV. Era n’ ai vergonh’ e paor E ‘m n’esvelh e n planh e ‘n sospir E ‘l somnhe tenli a gran folor E no eut posch’ endevenir; Pero d’un fat coratge No pot partir us rics pensatz Orgollios e desmezuratz C’apres nostre passatge Sai que ‘l sornnhes sera vertatz Aissi drech com me fo narratz.
A présent, j’en ressens de la honte (vergogne) et de la peur Je m’éveille en soupir et en lamentation Et je tiens ce songe pour grande folie Qui ne pourra jamais advenir. Pourtant, un désir sot (insensé), Ne peut être séparé, ni venir à bout de remarquables (hautes, nobles) pensées Orgueilleuses et démesurées, De sorte qu’après notre traversée (croisade)(3) Je sais que le songe deviendra vrai Aussi vrai qu’il me fut conté.
V. E pois auziretz chantador E chansos anar e venir ! Qu’era, can re no sai m’ assor, Me volh un pauc plus enardir D’ enviar mo messatge Que ‘ns porte nostras amistatz. Que sai n’es facha la meitatz, Mas de leis no n’ai gatge E ja no cut si’ achabatz Nuls afars, tro qu’es comensatz.
Et, après cela vous entendrez un chanteur Et ses chansons aller et venir ! Car, désormais, puisque rien ne m’y pousse ici-bas, Je veux un peu plus m’enhardir Pour envoyer mon message Afin qu’il emporte nos salutations d’amours. Car jusqu’à présent, n’est faite ni la moitié. Jamais je n’ai reçu de gage d’elle, Et ça n’arrivera assurément jamais si rien n’est engagé Aucune entreprise n’existe qui n’est d’abord commencé.
VI. Qu’eu ai vist acomensar tor D’una sola peir’ al bastir E cada pauc levar alsor Tan josca c’om la poc garnir. Per qu’eu tenli vassalatge D’aitan, si m’o aconselhatz, E i vers, pos er ben assonatz, Trametrai el viatge, Si trop qui lai lo ‘m guit viatz Ab que ‘s deport e’s do solatz.
Parce que j’ai vu débuter la construction d’une tour Par une seule pièrre Et peu à peu, s’élever plus haut, Jusqu’à ce qu’on puisse la doter d’une garnison. C’est pourquoi je maintiens les valeurs chevaleresques, Avec un si grand soin ; ainsi que vous me le conseillez, Et mes vers, une fois bien accordés (assonants, mis en musique) Je les enverrai en voyage Si je trouve quelqu’un qui sache les conduire promptement Pour qu’elle s’en réjouisse et s’en divertisse.
VII. E s’eu ja vas emperador Ni vas rei vauc, si ‘m vol grazir Tot aissi com al seu trachor Que no ‘l sap ni no ‘l pot gandir Ni mantener, ostatge Me lonh en us estranhs renhatz ! Cais si serai justiziatz E fis de gran damnatge, Si ‘l seus gens cors blancs e prezatz M’es estranhs ni m’ estai iratz.
Et si jamais j’allais chez un empereur Ou un roi, et qu’il veuille m’accueillir Toute à la façon d’un traitre Qui ne saurait, ni ne pourrait le protéger, Ni même le soutenir, Et qu’il m’envoie comme un otage vivre en des contrées lointaines ! Alors, je serais puni de la même manière Et je souffrirais un aussi grand dommage Que si celle, si gracieuse et estimée, M’éloignait d’elle ou se montrait fâchée à mon endroit.
VIII. E vos entendetz e veiatz Que sabetz mo lengatge, S’anc fis motz cobertz ni serratz, S’era no’Is fatz ben esclairatz.
IX. E sui m’en per so esforsatz Qu’entendatz cals chansos eu fatz.
Et vous qui entendez et voyez Et connaissez ma langue, Si jamais j’ai usé de mots couverts et obscurs (trobar clus) Désormais, je les choisis bien clairs (trobar leu).
Et j’ai mis tant d’efforts en cela que vous comprendrez les chansons que j’ai faites.
(1) boscatge : bois, bocage
(2) Littré. Oiseau branchier : terme de fauconnerie, jeune oiseau qui, n’ayant point encore de force, vole de branche en branche en sortant du nid. Historique XIVe s . L’esprevier est dit branchier ou ramage, pour ce que, quant il soit pris, il vole sur les rainceaux ou sur les branches.
(3)Passatge : traversée, mais peut être aussi utilisé en relation à la croisade. S’il s’agit bien de cela, ce que nous croyons, on peut rattaché cette allusion au razo qui nous conte que Giraut de Bornelh partit, aux côtés de Richard Coeur de Lion, pour la 3ème croisade et le siège d’Acre.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : l’image en tête d’article est un montage. On y voit l’enluminure de Giraut de Bornelh du Manuscrit Français 12473 (retouchée par nos soins) ainsi que le début de page correspondant dans l’ouvrage. Conservé au département des manuscrits de la BnF, ce manuscrit médiéval, daté de la deuxième moitié du XIIIe s, est encore connu sous le nom de Chansonnier provençal K ou même plus laconiquement Chansonnier K ( à consulter sur Gallica) .