Sujet : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’Oil, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval, convoitise Période : XIIe siècle, moyen-âge central. Titre : Dou lièvre et dou Cers Auteur : Marie de France (1160-1210) Ouvrage : Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici une nouvelle fable médiévale de Marie de France. auteur et poétesse anglo-normande de la fin du XIIe siècle. A l’image du cheval qui « louchait » sur l’herbe du pré voisin, c’est encore la convoitise qui est, ici, montrée du doigt et la morale élargit même à la cupidité et à l’avidité.
Le lièvre et le cerf
Voyant la belle ramure d’un cerf, un lièvre se prit à rêver d’en posséder une semblable. Ayant étudié son sujet et vu que nul n’était doté, par Mère nature, de tels bois, il alla voir la destinée, pour lui demander quelques comptes et obtenir, à son tour, qu’on lui offre ces beaux atours. La déesse ayant rétorqué qu’il ne saurait, s’il en avait, en faire usage ni les porter, l’animal se montra têtu, et par force persévérance, vit son souhait exhaussé, au sortir de l’entrevue. Las!, il découvrit, un peu tard, qu’il ne pouvait lever le chef, ni même aller par les chemins, tant la ramure était pesante : « car il avait plus qu’il devait et qu’il convenait à sa grandeur« . Moralité ?
« Par cet exemple on veut montrer Que l’homme riche et l’homme avide* Veulent toujours trop convoiter Et s’ils se voient exhausser; Ils prennent tant pour leur usage Que leur honneur en prend dommage. »
* « aver » à le double sens d’avare et d’avide
Dou lièvre et dou Cers
Uns lièvres vit un Cerf ester Ses cornes se prist à esgarder, Mult li senla bele sa teste; Plus se tint vix que nul beste, Quand autresi n’esteit cornuz, E qu’il esteit si poi créuz. A la Divesse ala paller, Si li cumnece à demander Pur-coi ne l’ot si huneré, E de cornes si aturné Cume li Cers k’il ot véu. La Destinée a respundu : Tais toi, fet-ele, lai ester, Tu nès purreies guverner; Si ferai bien, il li respunt. Dunt eut cornes el chief à-munt Mais nés pooit mie porter, Ne ne pooit à tot aler; Qar plus aveit q’il ne déust E qu’à sa grandur n’estéut.
Moralité
Par cest essample woel mustrer Que li rique hume et li aver Vuelent tuz-jurs trop cuvietier, E si vuelent eshaucier; Tant emprennent par lor ustraige Que lor honur turne à damaige.
n ne peut manquer de se souvenir ici de la fable du cerf d’Esope, reprise par Jean De La Fontaine. L’animal se mirant dans l’eau, lamentait la disproportion de ses jambes et tirait gloire de ses bois, pour se voir finalement condamner par eux.
«Quelle proportion de mes pieds à ma tête? Disait-il en voyant leur ombre avec douleur : Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte; Mes pieds ne me font point d’honneur.» Le cerf se mirant dans l’eau,Jean de la Fontaine (1621 – 1695)
Dans notre fable médiévale du jour, ce n’est, cette fois, pas lui qui en sera la victime mais leur beauté excitera la convoitise d’un ambitieux lièvre qui finira par en faire les frais. On croise de très près le thème de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf.
Convoitise, cupidité, avidité conduisent à l’impasse et même au déshonneur et ces travers viennent encore, dans la morale de cette fable, s’inscrire en miroir du manque de charité.
Quant aux ramures du cerf, sont-elles tout à la fois ici symbole de beauté, de prestige ou de pouvoir ? Remis en perspective sociologiquement, on peut se demander si, à travers la symbolique de ce glorieux « chef », un certain cloisonnement social n’est pas également suggéré entre les lignes, un peu comme c’était le cas entre la fable de la puce et du chameau. La destinée (fortune encore elle ?) a donné à chacun une place « avec raison » et il convient de savoir l’occuper. S’il n’est même pas ici question de dépréciation « à chacun sa grandeur« , une chose demeure certaine, avoirs et pouvoir ne sont pas synonymes, encore moins quand l’avidité s’en mêle.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, chansonnier Clairambault Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Titre: A la douçor de la bele saison Auteur : Gace Brulé (1160/70 -1215) Interprète : Paul Hillier, Andrew Lawrence-King Album: Chansons de trouvères (1997) Harmonia Mundi
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de découvrir une autre poésie et chanson médiévale du chevalier trouvère Gace Brûlé auquel nous avons dédié précédemment une biographie détaillée.
Chansons de Trouvères,
de Paul Hillier & Andrew Lawrence King
Cette fois-ci, la pièce est interprétée par le baryton et directeur d’orchestre anglais Paul Hillier dans un album, sorti en 1997, chez Harmonia Mundi, sur le thème des trouvères français du moyen-âge central.
Le très célèbre et très primé chanteur londonien, installé depuis longtemps déjà aux Etats-Unis y était accompagné de Andrew Lawrence-King musicien britannique également harpiste, organiste mais aussi directeur de l’orchestre de Guernesey. Nous sommes donc, avec cet album, face à deux grands maîtres et experts de la musique ancienne.
Pas de grande orchestration ici, mais une production qui entendait privilégier l’essentiel et restituer au plus près ce que pouvait être l’art des trouvères médiévaux. On y retrouvait en tout neuf pièces dont deux de Gace Brûlé. Hormis deux chansons anonymes, les autres étaient signés de Thibaut de Champagne, Colin Muset et Moniot d’Arras.
Cet album se trouve encore en ligne, notamment sur Amazon, sous plusieurs formes : des versions neuves importées un peu plus onéreuses, mais aussi quelques occasions forcément moins coûteuses. En voici le lien, si vous êtes intéressés: Chansons De Trouvères.
A la douçor de la bele saison par Paul Hillier & Andrew Lawrence-King
« A la douceur de la belle saison »
Les paroles de Gace Brûlé en vieux-français
On peut retrouver cette chanson de Gace Brûlé dans le Chansonnier Clairambault(voir image ci-dessous) aux côtés de quelques quarante-cinq autres qui lui sont attribuées.
Du point de vue du contenu, c’est encore une pièce de lyrique courtoise. Elle commence par la belle saison et son renouveau. Tous ont laissé l’amour et il est lui, le seul, le véritable amant courtois, qui s’y adonne encore. On l’a accusé faussement, on lui a fait du tort. L’a-t-on conspué pour cet amour auquel il fait allusion ici ou pour d’autres raisons ? Quoiqu’il en soit, il lui reste l’amour de sa dame et sa loyauté pour elle comme refuge. Et il prie qu’elle continue de lui accorder ses faveurs car il ne pourra lui, tant il en est épris et en parfait amant courtois, se délier de sa loyauté envers elle.
A la douçor de la bele seson, Que toute riens* (toutes choses) se resplent en verdor, Que sont biau pré et vergier et buisson Et li oisel chantent deseur la flor, Lors sui joianz quant tuit lessent amor, Qu’ami loial n’i voi mes se moi non. Seus vueil amer et seus vueil cest honor.
Mult m’ont grevé* (de grever : nuire) li tricheor felon, Mes il ont droit, c’onques ne·s amai jor. Leur deviner et leur fausse acheson* (accusation) Fist ja cuidier que je fusse des lor ; Joie en perdi, si en crut ma dolor, Car ne m’i soi garder de traïson ; Oncore en dout* (de douter : craindre) felon et menteor.
Entor tel gent ne me sai maintenir Qui tout honor lessent a leur pouoir : Tant com je m’aim, les me couvient haïr Ou je faudrai a ma grant joie avoir. C’est granz ennuis que d’aus amentevoir*(se remémorer quelqu’un), Mes tant les hé* (de haïr) que ne m’en puis tenir ; Ja leur mestier ne leront decheoir. (1)
Or me dont Deus ma dame si servir Q’il aient duel de ma joie veoir. Bien me devroit vers li grant lieu tenir Ma loiauté, qui ne puet remanoir ; Mes je ne puis oncore apercevoir Qu’ele des biens me vuelle nus merir* (*récompenser) Dont j’ai sousfert les maus en bon espoir.
Je n’en puis mes se ma dame consent En ceste amour son honme a engingnier* (tromper), Car j’ai apris a amer loiaument, Ne ja nul jour repentir ne m’en qier ; Si me devroit a son pouoir aidier Ce que je l’aim si amoureusement, N’autre ne puis ne amer ne proier* (courtiser).
Li quens Jofroiz, (2) qui me doit consoillier, Dist qu’il n’est pas amis entierement Qui nule foiz pense a amour laissier.
NOTES
(1) ils n’abandonneront jamais leurs mauvaises manières, habitudes.
(2) on peut supposer que le trouvère fait référence ici à Geoffroi II (Geoffroy Plantagenêt), comte de Bretagne, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : chanson de geste, poésie, littérature médiévale, Charlemagne, Roland, Croisades, livres, moyen-âge chrétien. Période : moyen-âge central, XIe siècle Auteur (supposé) : Turold Manuscrit ancien : Manuscrit d’Oxford , Titre : La chanson de Roland Intervenants : Jean Dufournet, Abdelwahab Meddeb Programme : Cultures d’Islam, France Culture (2008)
Bonjour à tous,
n 2008, dans le cadre de son programme Cultures d’Islam, France Culture et l’écrivain, poète et érudit tunisien Abdelwahab Meddeb (1946-2014) recevaient l’historien, médiéviste et romaniste Jean Dufournet (1933-2012) autour de la Chanson de Roland. Dans la continuité de notre article précédent sur la geste médiévale et son importance/influence sur l’Europe médiévale. nous vous proposons donc de découvrir ici cet échange.
Mise en contexte de la chanson de Roland
Après un mot sur les anciens manuscrits, Jean Dufournet nous parlera de la chanson de geste, supposée écrite par le clerc Turold, en la remettant dans son contexte littéraire, mais surtout historique et politique. On découvrira ainsi comment trois siècles après les faits et l’épopée de Charlemagne, la Chanson de Roland fut instrumentalisée par son époque pour mettre en valeur la royauté, mais également pour renforcer idéologiquement l’ardeur des croisés. Le médiéviste et son interlocuteur feront aussi quelques intéressants détours pour mettre en valeur les parentés, les similitudes et les divergences entre les deux cultures chevaleresques et religieuses.
Sur ces aspects de récupération « idéologique », en l’occurrence à des fins religieuses,, soulignons, comme les deux interlocuteurs en présence ont la finesse de le faire eux-même, qu’il ne s’agit nullement ici et après coup d’en faire le procès, ni de la fustiger et encore moins de l’encenser. L’analyse critique et contextuelle de Jean Dufournet sur le sujet dépasse, par ailleurs et de loin, les simples visées liées à la croisade : les conflits internes et sociaux, les relations de vassalité du monde féodal et bien d’autres aspects conflictuels et complexes du monde médiéval ne sont pas développés ici pour des raisons éditoriales. Au final, être conscient du soubassement politique de l’oeuvre devrait donc plutôt permettre de transcender ces aspects pour la replacer dans sa réalité médiévale mais aussi pour aller à ses qualités littéraires, c’est en tout cas le voeu formé par le médiéviste, une fois démêlé les aspects idéologiques. L’intention est-elle paradoxale ? Si le chemin est difficile, la démarche est, à tout le moins, hautement louable, intellectuellement parlant.
Pour le reste, ajoutons que l’instrumentalisation de la littérature à des fins stratégiques a existé de tout temps et plus encore quand ses auteurs dépendaient du pouvoir politique ou religieux pour s’alimenter, On pourrait, comme le disait ici très justement Abdelwahab Meddeb trouver sans peine des exemples de ce procédé de l’autre côté des rives de la croisade ou même en d’autres temps. Rien n’est vraiment nouveau sous le soleil quand il s’agit de motiver les hommes ou les troupes à guerroyer…
Pour clore sur l’aperçu de ce programme, on y survolera encore quelques idées intéressantes : interpénétration, reprise ou réinterprétation des traditions païennes et guerrières dans le cadre chrétien, relation et interdépendance encore du combattant et son épée (pas de Roland sans Durandal, pas de Durandal sans Roland) qui a peut-être même, selon Jean Dufournet, influencé la matière arthurienne. De fait et comme ce dernier le mentionnera encore au passage, la Chanson de Roland a eu une incidence sur la littérature médiévale, bien au delà de son temps.
Un échange autour de la chanson de Roland avec Jean Dufournet
NB ; pour des raisons techniques le son se trouve indisponible sur la page de France Culture et nous rendons grâce ici à la chaîne youtube Eclair Brut d’avoir pu le préserver et le mettre en ligne. Lien originel du programme sur France Culture (Fichier son indisponible pour le moment).
Le manuscrit MS Digby 23
de la bibliothèque bodléienne d’Oxford
Bien qu’on connaisse un certain nombre de manuscrits anciens contenant la Chanson de Roland, le manuscrit anglo-normand de la fin du XIIe siècle MS Digby 23, conservé à la Bodleian Libraryd’Oxford semble faire autorité en la matière auprès des experts, depuis un certain temps déjà.
Nous disons « semble » parce que pour être le plus ancien, dans le courant du XIXe et une partie du XXe, les médiévistes ont largement débattu sur la question de la méthodologie permettant d’apporter au public la plus juste restitution de cette chanson de geste. Fallait-il reprendre mot pour mot le manuscrit d’Oxford ou lui préférer une synthèse comparative entre les différentes sources ? A lire les critiques sur les différentes traductions parues autour de la Chanson de Roland, rares furent en tout cas, celles qui firent l’unanimité mais il faut dire que, pour des raisons de contenu, de datation, autant pour sa résonance médiévale, ce texte littéraire demeure un objet d’étude central (et donc sensible) pour bien des historiens médiévaux et romanistes.
La chanson de Roland en Ligne,
quelques références
En 1993, Jean Dufournet, grand spécialiste de la question comme on l’aura compris, faisait paraître une traduction de la Chanson de Roland, basée sur ce manuscrit d’Oxford. qui fournit la substance de cet échange organisé par France Culture. L’ouvrage est toujours disponible en format poche chez Flammarion. En voici les liens si le sujet vous intéresse.La chanson de Roland : Edition bilingue français-ancien français
Voici quelques autres liens utiles vers des manuscrits anciens ou vers des oeuvres plus récentes :
Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, scandinavie, Norvège médiévale, Charlemagne, Roland, Haakon V, littérature courtoise, ballade folklorique, chanson traditionnelle, folk médiéval. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Anonyme Titre : Rolandskvadet, la chanson de Roland Interprètes : Trio Mediaeval Album : Folk Songs (2007)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous voyageons vers le nord de l’Europe et les terres scandinaves à la découverte d’une version toute récente de la chanson de Roland qui nous provient de manière presque inattendue, tout au moins en apparence, de Norvège.
Par quel curieux mystère l’histoire et la fin tragique du plus fidèle et héroïque guerrier de Charlemagne peut-elle aujourd’hui se retrouver chantée par un trio originaire de Scandinavie dans un album qui met en exergue les chansons traditionnelles et folkloriques de Norvège ? C’est ce que nous allons nous proposer de vous expliquer dans cet article, en remontant le fil de l’Histoire jusqu’au moyen-âge central.
La Karlamagnùs Saga, la geste de Charlemagne en terres noiroises
la fin du XIIIe siècle et sous le règne de Haakon Vde Norvège (1270-1319) parut en vieux norrois (le norvégien ancien devenu aujourd’hui l’Islandais), la Karlamagnùs Saga. Le récit contait l’épopée du grand empereur Charlemagne et la chanson de Roland y avait, bien entendu, sa place. A la même époque et sans doute à l’initiative du souverain, de source sûre et documentée, une quarantaine d’autres récits, romans ou poésies français furent traduits au coté de cette saga. Il y a pu en avoir plus, mais si c’est le cas, ils se sont perdus en cours de route.
Selon la romaniste et médiéviste danoise Jonna Kjaer (1), les traductions sous Haakon V de cette littérature médiévale française participait d’une volonté du souverain « demettre la Norvège à la hauteur de la civilisation européenne contemporaine« . Pour être plus spécifique, il était notamment question pour lui d’introduire et de promouvoir à sa cour et « dans son entourage », les moeurs courtoises.
Les textes ont sans doute et en partie transités par l’Angleterre même si les échanges culturels entre la France et la Norvège, dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, sont des faits établis, notamment à travers certaines abbayes (Saint Victor à Paris) mais encore par des clercs norvégiens venus se former à l’Université de Paris. Parmi les oeuvres concernées, outre la saga de Charlemagne, on retrouvait aussi des chansons de gestes, des pièces courtoises et encore trois romans arthuriens de Chrétien de Troyes.
Bien entendu, pour des raisons sans doute autant liées à la difficulté de transposer mot pour mot l’univers et le contexte historique français dans lesquels baignait la plupart de ces textes (et notamment les chansons de Geste), autant que pour des raisons idéologiques et politiques, les textes une fois traduits n’étaient pas tout à fait les mêmes que les originaux. On notera, par exemple, avec Jonna Kjaer (opus cité), que le peu de goût pour les croisades du souverain norrois l’ont sans doute conduit à en gommer quelque peu l’ardeur dans les versions traduites. (pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’excellent article de la romaniste cité en sources)
Plus tard, au moyen-âge tardif et dans le courant du XVe siècle, un auteur danois vint encore recompiler la Karlamagnus saga pour en produire une version d’un usage plus populaire, en s’aidant aussi d’autres poésies médiévales françaises. Au XIXe siècle, des versions adaptées de cet ouvrage circulaient encore dans les campagnes islandaises ou danoises. Nous trouvons ces faits exposés très clairement dans l’introduction de La chanson de Roland, de l’historien et chartiste Léon Gauthier, datant de 1876(2).
Rolandskvadet, aux origines de la Chanson
et ballade Norvégienne sur Roland
out cela démontre donc, sans conteste, une réelle popularité de cette saga de Charlemagne en terres scandinaves et, avec elle, la partie qui concerne le chant de Roland de Roncevaux. Cette popularité a perduré au fil des siècles et, de fait, on comprend mieux pourquoi et comment on peut encore, de nos jours, retrouver une chanson norvégienne sur le sujet; l’intérêt que cette dernière démontre pour l’histoire franque et ses héros vient de très loin.
Si elle fut bien inspirée de la Karlamagnus Saga, cette ballade ayant originellement pour titre Roland og Magnus kongen (Roland et le Roi Magnus), a été recueillie au début du XIXe siècle par les folkloristes norvégiens. Il semble qu’elle ait été collectée directement auprès des chanteurs populaires issus de la longue tradition des bardes nordiques. Son auteur s’est perdu dans les méandres de la transmission et de la culture orales et nous ne savons pas non plus la dater précisément mais il ne fait aucun doute qu’indirectement au moins elle prend ses racines dans le lointain passé médiéval auquel nous faisions référence plus haut. Depuis, elle a connu de nombreuses variantes; les versions originelles qui comptaient entre 27 et 31 strophes (!) sont quelquefois tronquées, comme c’est le cas de l’adaptation que nous en propose aujourd’hui le Trio Mediaeval.
La Gloire de Roland et de Charlemagne dans l’Europe médiévale
« Roland est un des héros dont la gloire a été le plus oecuménique, et il n’est peut-être pas de popularité égale à sa popularité »
Léon Gauthier la Chanson de Roland
Pour élargir, il est indéniable que la popularité de Roland fut grande, en Scandinavie, comme en de nombreux autres endroits de l’Europe médiévale : Allemagne, Angleterre, Italie, Hollande, … Au moment où les romanciers et poètes du moyen-âge central avaient commencé à donner à la mythologie arthurienne ses premières lettres de noblesse, le roi celte et breton était pourtant loin de rallier tous les esprits à sa cause et à sa référence. Une bonne dose d’imaginaire entourait aussi les récits arthuriens et si on les considérait « plaisants » avec Jean Bodel : « Li conte de Bretaigne si sont vain et plaisant », on savait, par ailleurs, que leur nature était, en grande partie, fictionnelle. Et même si le roi Edouard 1er d’Angleterre dans le courant du XIIIe siècle, se piqua d’intérêt pour l’histoire du roi breton, il fallut compter tout de même sur de notables efforts de l’Abbaye de Glastonburypour tenter de donner à la légende des chevaliers de la table ronde un fond plus solide de véracité ou au moins de vraisemblance historique.
De son côté, pour romancée, magnifiée ou même encore instrumentalisée que pouvait être l’histoire de Charlemagne et de Roland, ces derniers demeuraient des personnages historiques bien réels et les faits de Charlemagne, grand empereur unificateur, restaient établis à l’échelle européenne. Dans les XIIe et XIIIe siècles et longtemps loin devant Arthur, l’empereur et son fidèle Roland comptaient indéniablement parmi les héros qui faisaient rêver les rois et chanter les bardes jusqu’aux confins des terres de l’Europe médiévale.
La chanson de Roland par le Trio Mediaeval
Le Trio Mediaeval
ondée à Oslo dans les années 1997 par l’artiste Linn Andrea Fuglseth, la formation vocale norvégienne Trio Mediaeval s’est donnée comme ambition de faire revivre les chants monodiques ou polyphoniques sacrés de l’Italie, l’Angleterre et la France médiévales, mais encore d’y adjoindre des ballades ou chansons plus traditionnelles (ou folk) en provenance des répertoires norvégiens, suédois ou islandais, et réarrangées par leurs soins.
Vingt ans après sa création, le trio féminin continue de se produire activement. Sa fondatrice et directrice est aujourd’hui entourée de Anna Maria Friman et Berit Opheim, cette dernière ayant remplacée Torunn Østrem Ossum qui faisait partie de la formation des origines et l’a quitté depuis. En scène ou sur leurs albums, on peut retrouver les trois chanteuses en trio simple ou accompagnées de divers artistes, ceci pouvant aller jusqu’à des formations et orchestrations plus conséquentes.
uatrième album du trio, Folk Songs entendait renouer avec les racines traditionnelles et anciennes de la musique norvégienne. Trio Mediaeval faisait appel ici à l’artiste Birger Mistereggen spécialiste des percussions dans la pure tradition norvégienne et signait un album résolument folk et 100% nordique.
Si l’album vous intéresse ou même simplement quelques unes de ses pièces, vous pourrez le trouver au lien suivant en format CD ou en format dématérialisé MP3 : Folk Songs du Trio Mediaeval
Les paroles de Rolandskvadet du Trio Medioeval & leur traduction française
NB : mon norrois étant aussi pauvre que la misère sur un jour sans pain, la version française des paroles est adaptée par mes soins à partir de leur traduction anglaise. Elle en a donc clairement des limites, mais elle a au moins le mérite de nous permettre d’approcher le texte original.
Seks mine sveinar heime vera Og gjøyme det gullet balde; Dei andre seks på heidningslando Gjøyme dei jarni kalde.
Six hommes restèrent à l’arrière Pour garder leur or; Les six autres au coeur de la lande Brandirent l’acier froid.
Ria dei ut or Franklandet Med dyre dros i sadel. Blæs i luren, Olifant, På Ronsarvollen.
Ils sont sortis des terres franques Avec des butins dans leurs selles. Souffle dans ta corne, Olifant, À Roncevaux.
Slogest dei ut på Ronsarvollen I dagane två og trio; Då fekk’kje soli skine bjart For røykjen av manneblodet.
Ils se battirent à Roncevaux Pour deux jours, sinon trois; Et le soleil était obscurci Par la puanteur du sang des hommes.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
Roland sette luren for blodiga mundi Blæs han i med vreide. Då rivna jord og jardarstein I trio døger av leide.
Roland porta son cor à sa bouche ensanglantée Et souffla dedans de toute sa volonté La terre trembla et les montagnes résonèrent Durant trois jours et trois nuits.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
‘est un fait, de nos jours, une certaine littérature, des mouvements musicaux ou même encore de nombreuses troupes médiévales de reconstituteurs sont fortement attirés par les légendes ou la mythologie nordiques ou par l’histoire de ces vikings qui, venant de leurs terres froides, s’installèrent dans le nord de la France entre la fin du haut moyen-âge et le début du moyen-âge central. Pour autant, on s’en souvient sans doute moins, mais il est amusant de constater qu’à une période médiévale un peu plus tardive, les légendes et l’histoire de Charlemagne en provenance des terres franques, autant que la poésie et les chansons de geste françaises qui les vantaient, influençaient grandement la littérature et les esprits du côté de la Norvège et de la Scandinavie.
Sous la pression même de leurs couronnes, on voyait alors dans ces oeuvres littéraires le moyen d’introduire des « éléments civilisationnels » en provenance de l’Europe, autrement dit (pour ne pas entrer dans le difficile débat qui consiste à définir ce qu’est exactement une civilisation) des « choses culturelles » auxquelles on prêtait suffisamment de reconnaissance et de crédit, pour vouloir les voir diffuser au sein de son propre territoire, Contre les conquêtes et les grandes expéditions du haut moyen-âge, la courtoisie et ses valeurs étaient, semble-t-il, devenues les signes d’une certaine modernité, une norme, en somme, qu’on cherchait même à importer, dusse-t-elle être au passage adaptée et quelque peu remaniée.
Pour parenthèse, on notera encore que cette popularité du thème de Roland est encore relativement présente en Norvège puisque cette chanson a connu plus de sept enregistrements par des groupes folk locaux différents, depuis le milieu du XXe siècle. Dans le même temps, en France, nos chansons sur Charlemagne se réduisent à peu près à une contine pour enfants sur l’invention de l’école, reprise par France Gall dans les années soixante et écrite par son père Robert, parolier et chanteur, un peu avant. Sauf tout le respect dû à la mémoire de l’auteur autant qu’à sa belle et talentueuse interprète, disparue récemment et puisqu’il ne s’agit pas de cela, on conviendra tout de même que du point de vue de notre Histoire, nous avons perdu quelques billes en cours de route… Il fallait bien, semble-t-il quelques norroises passionnées de musiques médiévales et anciennes pour venir nous rappeler les glorieux héros de notre moyen-âge.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.