Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

« Qui d’amours se plaint » au XIIIe siècle, fine amor et motet du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Qui d’amours se plaint,  Lux magna
Auteur :   
 Anonyme
Interprète :  Anonymous 4
Album :   
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century    (1993-94)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionelui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?

Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué,  peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet.  Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante   de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il  n’en serait pas digne et son  cœur ne serait pas assez grand.

La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales

Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde  médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.

deco_medievale_enluminures_trouvere_On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute :  le chevalier amoureux de la reine,  le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu,  le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec  la belle de son suzerain ou  qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.

A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le  sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial  cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur  vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs  ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.

 Aujourd’hui,  c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin.  Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles  de   Gaston Raynaud  (1881).

La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier

chansonnier-montellier-motets-amour-courtois-moyen-age-central-XXXe-siecle-anonymes_s

Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier  H196    chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes  et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne).  La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise.  On verra que le poète  y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites,  il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.

« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4

Love’s Illusion ou le chansonnier    de Montpellier  par le quatuor féminin Anonymous 4

chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-ageNous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production  faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces  toutes issues   du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute,   Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles  a été réédité en   2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours   disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.

Membres de la formation Anonymous 4  :   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose


« Qui d’amours se plaint »  ,  paroles en vieux français et clés de vocabulaire

NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .   

Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama  (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra  (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra,  (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira   (se séparer,   s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

On ne récolte que ce qu’on a semé : la sagesse et les contes de Mocharrafoddin Saadi

saadi_mocharrafoddin_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe_siecleSujet : citations médiévales, sagesse persane,  morale miroirs des princes, sagesse politique,   bien, mal,
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  : Le Boustan  (Bustan) ou Verger,  traduction de  Charles Barbier de Meynard   (1880)


« Deux sortes de gens, les uns bienfaisants, les autres pervers, creusent des puits pour leurs semblables : les premiers afin de désaltérer les lèvres desséchées du voyageur, les seconds pour enfouir leurs victimes. Si tu fais le mal, ne compte pas sur le bien, autant vaudrait demander au tamaris le doux fruit de la vigne. « 

Une citation médiévale de   Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan


Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passioni les contes de Mocharrafoddin Saadi nous accompagnent, souvent, dans notre exploration du monde médiéval, c’est qu’ils ont traversé le temps pour  continuer de résonner jusqu’à nous, 800 ans après leur auteur. Morale éternelle ou grande modernité ? D’aucuns pourront les trouver quelquefois anecdotiques,   légers même peut-être ?  On ferait, pourtant, une erreur à confondre simplicité  et trivialité.

citation-Saadi-boustan-sagesse-persane-conte-moral-monde-medieval-moyen-age

Un adage vieux comme le monde

Dans les contes moraux ou spirituels, chez Saadi comme chez d’autres, la sagesse la plus profonde se drape souvent de la plus grande simplicité ; de même qu’on doit savoir différencier compréhension et expérience, la difficulté,  dans la parole du sage, ne réside jamais dans son intellectualisation mais dans son actualisation  et sa mise en pratique.

Quant à la dimension culturelle de l’adage du jour, du  biblique    « Ils deco-monde-medieval-saadi-moyen-age-passionsèment le vent, ils récolteront la tempête »  de l’Ancien testament au  « On ne récolte que ce qu’on a semé »   de Saadi,  sa morale causale est vieille comme le monde. Elle est aussi connue  de la perse du XIIIe que du Moyen Âge occidental. Durant ces mêmes siècles, en faisant une incursion du côté de l’Asie,   un maître Chán chinois comme un maître de zen Rinzaï japonais auraient pu, eux aussi, en faire une énigme profonde ou un grand Koan à l’attention de leurs disciples :  comment arrêter la roue du Karma ?   

Ajoutons que, comme souvent dans  le  Verger de Saadi, le conte et l’adage se teintent d’une dimension politique : c’est, en effet, encore un seigneur et un homme de pouvoir tyrannique  qui est la cible de  son histoire. La fin pourtant s’élargit de manière explicite et le message est clair : nous pouvons tous valablement tendre l’oreille aux leçons du poète médiéval.


L’homme tombé dans le puits


« Un seigneur de village dont la cruauté eût fait trembler le lion le plus féroce vint à tomber dans  un puits : digne châtiment de ses méfaits. Il se lamenta comme le plus malheureux des hommes et passa toute la nuit à gémir. Un passant survint et lui jeta une lourde pierre sur la tète en disant:

—  A toi qui n’as été secourable pour personne, espères-tu qu’on viendra maintenant à ton secours ? Tu as semé  partout le crime et l’iniquité, voilà les fruits que tu devais inévitablement recueillir. Qui songerait à guérir     tes blessures, lorsque les cœurs souffrent encore de celles que ta lance leur à faites ? Tu creusais des  fosses sous nos pas, il est juste que tu y tombes à ton tour.

Deux sortes de gens, les uns bienfaisants,  les autres pervers, creusent des puits pour leurs semblables : les premiers afin de désaltérer les lèvres desséchées du voyageur, les seconds pour enfouir leurs victimes. Si tu fais le mal, ne compte pas sur le bien, autant vaudrait demander au tamaris le doux fruit de la vigne. Tu as semé de l’orge en automne, je ne   pense pas que tu récoltes du froment pendant la moisson ; tu as cultivé avec sollicitude la plante du Zakoum (1), ne compte pas qu’elle produira des fruits, pas plus qu’une branche de laurier rose ne peut produire des dattes. Je te le dis encore, on ne récolte que ce qu’on a semé. »

Mocharrafoddin Saadi   – Le Boustan  (Bustan) ou verger
traduction de  Charles Barbier de Meynard   
(1880)

(1)  Zakoum :  famille d’arbres ou d’arbustes des régions tropicales auxquels appartient également dont le dattier du désert ; D’après Charles Barbier de Meynard (op cité) :  « pour les exégètes du Koran et les poètes, c’est une plante infernale qui sert à la nourriture des damnés. » Voir également Description géographique, historique et archéologique de la Palestine   de Victor Guérin


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

En tos tens que vente bise, une chanson médiévale courtoise de Blondel de Nesle

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet :   musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :   XIIe siècle,  XIIIe, Moyen Âge central
Titre :   
En tos tens que vente bise
Auteur :    
Blondel de Nesle (1155 – 1202)
Manuscrit :
MS Français 844, Manuscrit du roi (BnF départements des manuscrits)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu coeur du XIIe siècle, à l’unisson des premiers trouvères, Blondel de Nesle chante la courtoisie en tout temps. Dans ce nouvel échantillon de sa poésie, il nous entraînera, en effet, loin du « renouvel » printanier, au cœur de la saison froide et sous le souffle du vent. Pour le reste : souffrance, affres du doute et douleur du rejet, un bon nombre d’ingrédients habituels de la lyrique courtoise seront au rendez-vous pour accorder l’humeur du trouvère avec ce climat  hostile. On y trouvera aussi  la dimension sociale ascendante  qui traverse, plus souvent qu’à son tour,  l’amour courtois ; le poète nous  l’affirmera, la dame visée par sa flamme est de meilleure lignage et de plus haute condition que lui.

Aux sources  historiques   de cette chanson

Blondel-de-Nesle-poesie-chanson-medievale-MS-francais-844-BnF_sCette chanson médiévale est attribuée à Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits. Nous avons choisi de vous faire découvrir, ci-contre, la version du MS Français 844 de la Bnf,   plus  connu  encore sous le nom de Manuscrit ou Chansonnier du Roi. Daté du XIIIe siècle,  sous  la plume de Lambert l’Aveugle, ce précieux témoin de la poésie et de la musique du Moyen Âge central contient près de  225  feuillets pour un large nombre d’auteurs et de chansons annotées. On y retrouve pèle-mêle troubadours  et trouvères célèbres mais aussi auteurs anonymes, pour un total de près de 600 pièces.

Pour la transcription moderne de la pièce du jour, nous  avons suivi  la version de Prosper Tarbé   dans son ouvrage  Les œuvres de Blondel de  Néele, collection les poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle (  1862). Quant à son interprétation moderne, nous nous sommes laissés entraînés outre-manche à la découverte d’une formation exceptionnelle : les Gothic Voices.  Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un extrait.

Un extrait de cette chanson    de Blondel par l’ensemble Gothic Voices

Gothic Voices & Christopher Page

christopher-page-passion-musiques-medievales-gothic-voicesC’est en 1980, sous la houlette de Christopher Page, que s’est formé cet ensemble originaire du Royaume-Uni. Expert des musiques anciennes et du répertoire  médiéval,  cet instrumentiste, guitariste, universitaire et musicologue  anglais  n’est plus à présenter de l’autre côté de la Manche. En plus de ses nombreuses contributions musicales, sa longue carrière lui a permis de se signaler également par  de  nombreuses études sur l’histoire de la guitare en Angleterre (de la renaissance au XIXe siècle). On lui doit encore un nombre significatif de publications sur les instruments et la musique du Moyen Âge ; autant dire que nous sommes en présence d’un érudit, passionné de musique autant que d’ethnomusicologie.

Gothic Voices – discographie et carrière

Sous la direction de Christopher page, l’ensemble Gothic Voices a enregistré prés de 25  albums, sur une longue carrière de 40 ans. Les thèmes abordés sont d’une grande variété, avec un fort centre de gravité autour de l’Europe médiévale. La grande majorité de leurs productions couvre une période qui va des trouvères du XIIIe siècle,  jusqu’au Moyen Âge tardif et au XVe siècle. On y trouvera des pièces issues du répertoire français, anglais, mais encore italien ou rhénan avec des incursions du côté de l’œuvre musicale  de Hildegarde de Bingen.

gothic-voices-ensemble-medieval-discographie-presentation-christopher-page

Au delà de leur succès auprès du public, les contributions de Gothic Voices ont été largement saluées mais aussi récompensées par la critique. Ils ont notamment reçu  des gramophones d’or pour trois de leurs albums.  Côté agenda, l’ensemble est toujours actif sur la scène musicale anglaise. Vous pourrez retrouver plus d’information sur son actualité sur son site web (en anglais) au lien suivant.

Membres  actuels   :   Catherine King (mezzo-soprano), Steven Harrold (tenor), Julian Podger (tenor), Stephen Charlesworth (bariton)

L’album : le Mariage du Ciel et de l’enfer,
Motets  & chansons du XIIIe siècle  en France

En  1991, la formation britannique partait à la  rencontre  du XIIIe siècle français avec une belle sélection de chansons et de motets d’époque. « The   marriage    of Heaven and Hell « ,   sous un titre qu’on pourrait être tenté d’associer plus aux poésies de  William Blake qu’au Moyen Âge central français, l’album présentait dix-sept pièces   dont la grande majorité   était d’origine anonyme.   Entre ces dernières musique-medievale-album-trouvere-Blondel-de-Nesle-Gothic-voices-Christopher-page-Moyen-ageon trouvait la pièce du jour de Blondel, mais aussi une pièce de  Colin Muset, une autre signée de la main de Gauthier d’Argies, et même encore une incursion du côté des troubadours avec la célèbre chanson  « Quan vei la lauzeta mover » de Bernard  de Ventadour.

Cet album, originellement sorti chez Hypérion Records a été réédité en 2007 chez Helios. On le trouve  encore disponible à la vente au format CD ou MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations  à ce sujet : The of Heaven and Hell : Le Mariage du Ciel et de l’enfer


En tos tens que vente bise
dans le vieux-français de Blondel de Nesle

NB : pour cette traduction  (assez ardue) du vieux-français vers le français moderne, nous nous sommes appuyé sur des recherches  habituelles dans les sources  et les dictionnaires auxquelles il nous faut ajouter l’aide, plus que précieuse, de   Yvan G Lepage et de son ouvrage : l’Oeuvre lyrique de Blondel de Nesle, sorti chez Honoré Champion en 1994.

En tos tens que vente bise,
Pour cele, dont sui sorpris,
Qui n’est pas de moi sorprise,
Devient mes cuers noirs et bis.
De fine amour l’ai requise,
Qui cuer et cors m’a espris,
Et s’ele n’en est esprise,
Por mon grant mal la requis.

En  cette saison où la bise souffle
Pour celle  que je désire (dont je suis  épris)
Et qui ne  me désire pas
Devient mon cœur   noir et sombre.
D’un  loyal amour,  je l’ai   requise
Elle qui m’a conquis tout entier (cœur  et corps, corps et âme)
Et si  elle   ne s’éprend pas de moi à son tour
Je  l’aurais  priée pour  mon plus grand malheur.

Mais la dolors me devise ,
Qu’à la millor me sui pris,
Qu’ains fut en cest mond prise,
Sé j’estoie à son devis
Tort a mes cuers, qui s’en prise (proisier, preisier) ;
Car ne sui pas si eslis,
S’ele eslit, qu’ele m’eslise :
Trop seroie de haut pris.

Mais la douleur me souffle (deviser, diviser ou tirailler ?)
Que    je me serais épris de la meilleure
Qui fut jamais aimée en ce monde
Si j’étais  soumis à sa volonté !
Tort  à mon cœur, qui s’en vante
Car je ne suis pas si distingué (éligible, parfait)
Si elle choisit jamais, pour qu’elle me choisisse :
Je serais pris de trop haut (ce serait m’élever plus que je le mérite)

Et nequedent  destinée
Done à la gent maint pensé.
Tost i metra sa pensee,
S’Amors li a destinée.
Je vis ja telle dame amée
D’hom de leur bas parenté,
Qui miex iert emparentée,
Et si l’avoit bien amé.

Et cependant la destinée
Donne aux gens de quoi réfléchir
Et elle aura tôt fait d’y mettre sa pensée
Si l’Amour l’y a destiné.
J’ai déjà vu telle dame aimer
Homme de plus basse parenté (lignage)
Alors qu’elle était mieux née que lui
Et pourtant, elle l’avait aimé de belle façon (entièrement, courtoisement).

Por c’est droit , s’Amors m*agrée,
Que mon cuer li ai doné ;
Se s’amors ne m’a donée ,
Tant la servirai à gré.
S’il plaist à la désirée,
Un dols baisier a celée
Aurai de li à celé ,
Que je tant ai désiré.

Pour cela il est juste, si l’Amour m’agrée,
Que je lui ai donné mon cœur,
Et  si elle ne m’a donné son amour
Je la servirai tant à sa guise
Que, s’il plait à la désirée,
Un doux baiser  caché 
Elle me donnera en secret 
Que j’ai tant désiré.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Plaisirs de table et du vin, un rondeau léger d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature,  auteur médiéval,  moyen-français, poésie , rondeau,   vin, plaisirs de table.
Période : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle
Auteur :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Jamais a table ne serrai.»
Ouvrage  :    Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, par G .A Crapelet  (1832)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous prenons la direction du Moyen Âge tardif pour un rondeau « de table » d’Eustache Deschamps. Si le petit employé de cour du XIVe siècle, qui fut aussi bailli de Senlis, nous a  gratifié d’un grand nombre de poésies moralistes,  il en a aussi laissé d’autres largement plus légères. Il faut dire que notre auteur est prolifique ; il a versifié à peu prés sur tout et, dans son legs de  plus de mille ballades, on en trouve un certain nombre sur le thème du jour : plaisirs de la table,  mets variés et  bonne chère, qui, pour lui, ne vont jamais sans le vin, comme il l’affirmera encore dans ce rondeau.

eustache-deschamps-poesie-medievale-rondeau-plaisirs-de-table-vin-boisson-moyen-age

Source historique de ce « rondeau de table »

On peut trouver ces vers d’Eustache Deschamps aux côtés de   quantités d’autres dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF.   Vous  trouverez de nombreuses références à cet ouvrage en consultant nos pages sur cet auteur médiéval.   Daté du XVe siècle, le MS Français 840 est accessible en ligne dans son entier. Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale a eu, en effet, la bonne idée de le numériser (  à consulter ici sur Gallica ).

poesie-medievale-manuscrit-840-Eustache-deschamps-rondeau-vin-boisson-moyen-age-tardif_sPour ce qui est de la transcription en graphie moderne de ce rondeau, on pourra la retrouver dans un grand nombre d’éditions consacrées à Eustache, depuis le XIXe siècle. Nous avons choisi de  citer, ici, l’une des premières d’entre elles : celle de Georges Adrien   Crapelet (Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps  ).      Dans le premier tiers du XIXe siècle, cette imprimeur et auteur parisien    fit beaucoup  pour faire connaître et diffuser le legs du poète du Moyen Âge.

Concernant son langage et son vocabulaire,  cette poésie courte en moyen-français ne présente pas de difficultés particulières. Pour l’éclairer, nous ne donnons donc que quelques clés.


« Jamais a table ne serray » dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Jamais a table ne serray
Si je ne voy le vin tout prest
Pour boire et verser sanz arrest.

Au premier morsel (morceau, bouchée) tel soif ay
Que mort suy se boire n’y est ;
Jamais a table ne serray, 
Si je ne voy le vin tout prest.

Comment il m’en va, bien le scay ;
Rolant en mourut (1); si me plest
Boire tost puisque vin me pest  (de pestre : paître, nourrir, réconforter);

Jamais a table ne serray
Si je ne voy le vin tout prest
Pour boire et verser sanz arrest.

(1) Certaines versions de la chanson de Roland font allusion à une grande chaleur et au fait que la soif avait contribué  à emporter ce dernier.   De fait, l’expression « mourir de la mort Roland », encore en usage au XVe siècle, signifie « mourir de soif » (à ce sujet voir   « La voix du cor: la relique de Roncevaux et l’origine d’un motif dans la littérature du Moyen Age, XIIe-XIVe siècles » ,  Ásdís R. Magnúsdóttir 1998).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.