LES GRANDES DAMES DE LA GUERRE DE CENT ANS (5) : Colette de Corbie, une grande mystique au service de la cause française

Enluminure de Sainte Colette de Corbie

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, Jeanne d’Arc, Marguerite de Bavière, sainte chrétienne.
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Colette de Corbie (1381-1447)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrages : Les Trois pouvoirs, Editions La Ravinière (2019-2021)


Au cœur de la guerre de Cent Ans et du Moyen Âge tardif, le destin de grandes dames a croisé et marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle sur ses dames de cent ans, signé de la plume de l’auteur et éditeur Xavier Leloup, nous vous proposons de découvrir les plus marquantes d’entre elles. Aujourd’hui, nous poursuivons avec l’Abbesse et Sainte Colette de Corbie.


énitente, thaumaturge, mystique, réformatrice, Colette de Corbie constitue sous bien des aspects un modèle de sainteté. Mais ce que l’on sait peut-être moins de cette grande Sainte du Moyen Âge, c’est l’influence spirituelle qu’elle aura exercée sur les grands seigneurs de son époque. Au point d’avoir contribué, aux côtés de Jeanne d’Arc, au relèvement de la France.

Une pénitente …

Aucune possession. Aucune distraction. Aucune parole non plus, à l’intérieur du cloître. A certaines périodes de l’année seulement, le parloir, à condition que la mère abbesse en ait autorisé l’accès. Jamais de viande, même à Noël. Et bien sûr, le voile, qui doit couvrir une bonne partie du visage afin d’empêcher celui-ci d’être jamais vu entièrement.

Telles sont quelques-unes des règles instituées par Saint Colette de Corbie dans sa réforme de l’ordre des Clarisses. Des règles ascétiques, implacables, mais des règles de foi. Et que la religieuse picarde ne couchera sur le parchemin qu’après les avoir personnellement éprouvées elle qui, été comme hiver, n’aura jamais arpenté les routes que pieds nus, établissant partout des maisons de prières et de pénitence. Mais avant les œuvres, il y avait eu l’isolement. À 21 ans, la jeune Colette Boëllet prend l’habit du Tiers-Ordre franciscain et entre en « reclusage ». Quatre années d’une vie sobre et âpre passées dans une logette adossée à l’église Saint-Etienne de Corbie pour s’adonner entièrement à la prière, et dont on ne communique avec l’extérieur qu’au travers d’un guichet. C’est par cette ouverture qu’elle apportera conseil aux malheureux, recevra de quoi vivre et surtout, recevra la Sainte Eucharistie.

Une grande mystique…

Vitrail médiéval de Sainte Colette de Corbie
Sainte Colette de Corbie
Notre Dame du Rosaire, Saint-Ouen

Mais Saint Colette de Corbie n’est pas qu’une pénitente. C’est aussi une grande mystique, un être d’exception témoin de visions surnaturelles. Dès ses neuf ans, elle reçoit révélation de la nécessité de réformer l’ordre de Saint François. Adolescente, elle obtient la grâce de pouvoir abandonner la petite taille qui désespérait son père pour atteindre en quelques mois 1 mètre 79. Et quand elle prend conscience de sa grande beauté, elle obtient du Très-Haut que les merveilleuses couleurs de son visage s’effacent au profit d’une pâleur qui la mettra à l’abris des séductions du monde. Dès lors, toute sa vie sera marquée par le sceau du miracle, tels la résurrection d’une sœur morte en état de péché pour lui épargner la damnation éternelle, la guérison de malades ou encore la découverte miraculeuse d’une source pour alimenter en eau claire le nouveau monastère de Poligny.

Au crépuscule de sa vie, le 6 mars 1447, la religieuse picarde aura fondé 18 couvents et donné par toute l’Europe une impulsion nouvelle à la dévotion féminine. Mais elle aura aussi œuvré à la renaissance de tout l’ordre de Saint-François, dont plusieurs couvents masculins adoptèrent la règle. Saint Colette de Corbie figure parmi ces grandes réformatrices qui, par la vertu de l’exemple et de la dévotion, aura réussi à rallumer la foi de ses contemporains ; au point que son œuvre survit encore de nos jours dans le monde entier.

doublée d’une politique

Pour autant, Colette de Corbie ne demeura pas totalement à l’écart des affaires temporelles. Au vu des tribulations de l’époque, il aurait été d’ailleurs difficile pour elle de s’en désintéresser. En plus de la guerre entre les royaumes de France et d’Angleterre, des ravages commis par les routiers, du retour épisodique de la peste, de la misère, l’Eglise elle-même se divise entre plusieurs papes : l’un siégeant à Rome, l’autre en Avignon et jusqu’à troisième dans la ville de Pise. Mais il en faudrait davantage pour arrêter l’apostolat de notre grande mystique. Une fois libérée de ses vœux de réclusion, Colette n’aura de cesse de voyager entre royaume de France et duché de Bourgogne pour obtenir des Puissants de tous bords la permission d’établir des couvents. Selon toute vraisemblance, Sainte Colette de Corbie aurait même croisé la route de Jehanne d’Arc.

Un rôle de médiatrice entre les maisons de Bourgogne et de France

Statut de Colette de Corbie

En ce début de XVe siècle, le royaume de France n’est pas seulement en guerre contre le royaume d’Angleterre, il est aussi en guerre contre lui-même : les clans des Armagnacs et des Bourguignons profitent de la « folie » du roi Charles VI pour se disputer le pouvoir, ajoutant les troubles de la guerre civile aux affres de la guerre contre l’Anglais. Des années durant, Paris arborera ainsi le violet, couleur des Armagnacs, ou le blanc, couleur des Bourguignons, selon qu’un camp aura momentanément triomphé de l’autre. Or dans ce conflit, Saint Colette de Corbie réalisera la prouesse de se ménager des alliés parmi les deux camps.

La franciscaine va d’abord se faire l’intime de Marguerite de Bavière. Il s’agit là de la duchesse de Bourgogne, l’épouse du terrible Jean Sans Peur. Ce fameux duc de Bourgogne qui avait fait assassiner son cousin Louis d’Orléans, tenté de s’emparer de la personne du roi, et utilisé la corporation des bouchers parisiens pour mettre Paris à feu et à sang. Des crimes qui mortifient son épouse, retirée dans son château de Rouvre près de Dijon. Colette de Corbie deviendra sa mère spirituelle. À plusieurs reprises, elle lui enjoint de visiter ses religieuses et lui envoie des lettres de consolation. Conséquence de cette sollicitude, quatre couvents franciscains seront établis au sein du duché de Bourgogne, deux pour les filles réformées de Saint Claire, et deux pour les Frères Mineurs.

L’amitié de Marguerite de Bavière est d’autant plus remarquable que, dans le même temps, Colette de Corbie entretient les liens les plus étroits avec la maison d’Orléans, ennemie jurée de la Bourgogne. Et il ne s’agit pas là seulement de simple mondanité. Sous l’instigation de Colette de Corbie, six princes de la famille des Bourbons Armagnacs décideront d’embrasser la vie religieuse franciscaine ou de s’engager dans sa puissante branche laïque, le Tiers-Ordre Franciscain. Un couvent sera également fondé à Castres, un autre restauré à Lézignan. Et c’est là que les choses deviennent vraiment intéressantes. Car ce fameux Tiers-Ordre franciscain va jouer un rôle clef dans la régénération spirituelle et patriotique qui marquera le règne de Charles VII. Au point, dit-on, d’avoir compté parmi ses membres une certaine… Jehanne d’Arc. Plusieurs éléments plaident en effet en faveur de cette thèse.

Une rencontre historique avec Jehanne d’Arc

D’abord l’apparence physique, à savoir les cheveux coupés en rond de la Pucelle, une pratique imposée par Saint François lui-même pour les postulantes reçues chez les Clarisses. Ensuite son costume de « gros gris » noir à l’allure masculine sur laquelle les juges de Rouen ont tant de fois insisté, mais qui correspond aux prescriptions vestimentaires faites aux membres du Tiers-Ordre. Et puis il y a la dévotion de Jehanne, son assiduité à la messe et à la confession, ses jeûnes, son aversion pour toutes formes de jurement qui caractérisent l’âme et les œuvres des tertiaires franciscaines. Mais surtout, il y a sa dévotion au nom de Jésus. Comme Sainte Colette, la libératrice d’Orléans avait pour habitude de faire apposer la mention JHESUS MARIA sur chacune de ses lettres. Une inscription qui se retrouvera d’ailleurs en bonne place sur son étendard, la fameuse bannière de couleur azur à laquelle Jehanne d’Arc attribuait ses victoires et que ses voix lui avaient enjoint de prendre « de par le Roy du Ciel ». « J’aime mieux voir quarante fois plus ma bannière que mon épée », déclarera-t-elle durant son procès.

Autre vitrail de Saint Colette, cathédrale médiévale
Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans
Notre Dame du Rosaire, Saint-Ouen

Selon un récit ancien, Sainte Colette aurait même visité Jehanne d’Arc alors qu’elle se trouvait encore au berceau afin de lui faire don d’un anneau d’or marqué de trois croix et des noms de JHESUS MARIA, le fameux anneau qu’elle porta durant ses campagnes. Mais on frise ici la légende. Si Sainte Colette de Corbie a pu s’arrêter à Domrémy, rien ne prouve qu’elle ait adoubé la Pucelle. Ce que l’on peut toutefois affirmer, c’est que les routes de deux saintes se sont croisées.

Au début du mois de novembre 1429, Colette se trouve à Moulins, à prier au milieu de ses filles. Jehanne d’Arc, elle, y prépare la campagne qui la mènera à Saint-Pierre-le-Moûtier et à la Charité-sur-Loire. « Est-il vraisemblable que Jehanne, alors surtout qu’elle était accompagnée par frère Richard [un moine franciscain] ait oublié de venir prier dans la chapelle des pauvres Clarisses, et solliciter une entrevue avec la célèbre réformatrice ? », se demande ainsi le l’historien Siméon Luce. Et le médiéviste du XIXe siècle d’affirmer : « Colette Boëllet et Jehanne d’Arc ont dû se rencontrer ». Colette aurait aussi envoyé un message à Saint-Pierre-le-Moûtier pour s’enquérir de l’armée de Jehanne. Une hypothèse d’autant plus vraisemblable que les deux femmes s’étaient trouvé une protectrice commune en la personne de Marie de Berry, la duchesse de Bourbon. Bref, tout concorde.

Le Tiers-Ordre franciscain dans le relèvement du royaume de France et la mission johannique

Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Car au-delà de la rencontre entre les deux saintes ou de la possible appartenance de Jehanne d’Arc au Tiers-Ordre Franciscain, c’est bien la question de l’influence de l’ordre de Saint François sur la nature de sa mission qu’il convient de se poser et partant, le rôle que cet ordre mendiant a joué dans la défense de la cause nationale.

Comme l’explique Siméon Luce, « à l’époque de Jehanne d’Arc, les Frères Mineurs, surtout les frères Mineurs de l’Observance, étaient les plus ardents défenseurs de l’indépendance française ; ils prêchaient et organisaient, de toute part, une vaste croisade contre les envahisseurs de notre pays» Ce furent d’ailleurs des Frères Mineurs qui allèrent recueillir en Lorraine des témoignages sur la mission et les mœurs de la Pucelle pour le compte du roi Charles VII, comme ce furent encore des Frères Mineurs qui, depuis son départ de Vaucouleurs jusqu’à sa mort, la conseillèrent, l’escortèrent ou la soutinrent, au grand dam des Dominicains qui organisèrent son procès. Ce furent enfin les Franciscains qui non seulement pesèrent de tout leur poids lors du procès de réhabilitation de Jehanne d’Arc, mais prirent en main sa cause 400 ans plus tard. Ainsi de Léon XIII qui pose la cause de sa béatification avant que Saint Pie X, un autre pape tertiaire, ne la mène à son terme.

Citons aussi le frère Richard, contemporain de Jehanne et célèbre prêcheur franciscain partisan des Armagnacs. Dans l’une de ses interminables prédications, il déclarera que la Pucelle avait pénétré les secrets de Dieu seulement connus des grands saints au paradis. Et le prêcheur d’affirmer encore, pour mieux persuader les habitants de Troyes d’ouvrir les portes de leur ville à l’armée royale s’en allant vers Reims que la guerrière était capable de s’élever dans les airs avec l’armée de Charles VII pour s’introduire chez eux par-dessus les remparts…

Ainsi donc, Colette de Corbie n’aura pas seulement réussi à réformer l’ordre de Saint-François. Elle aura aussi impulsé un grand mouvement de régénération spirituelle qui accompagna Jehanne d’Arc tout au long de sa mission.


Xavier Leloup, auteur de roman historique

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs » et créateur des Editions La Ravinière (2021)
Découvrir son dernier interview exclusif ici.

Découvrir les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans : 


Bibliographie

H. de Barenton, Jeanne d’Arc Franciscaine. Paris « Action Franciscaine » 117, Brd. Raspail. Coubin Maison Saint Roch (Belgique). 1909.
Pascal-Raphaël Ambrogi, Dominique le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc. Editions Desclée de Brouwer, 10, rue Mercoeur, 75011 Paris. 2017
Jeanne d’Arc à Domremy : recherches critiques sur les origines de la mission de la Pucelle, accompagnées de pièces justificatives, Paris, Honoré Champion, 1886, CCCXIX-416 p., In-8

NB mpassion : sur limage d’en-tête, la statue au premier plan est tirée d’un retable de l’église Sainte-Colette à Gand. A l’arrière plan, on peut voir un détail d’enluminure représentant Colette de Corbie (Nicolette Boellet) rencontrant le pape. Cette illustration est tirée du manuscrit enluminé la Vie de Colette par Pierre de Vaux (ms8), également connu comme manuscrit de Gand.

Ballade Des vices qui peuvent perdre un prince

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Pour ce, fait bon telz vices remouvoir»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

ans le contexte mouvementé du XIVe siècle, Eustache Deschamps mène sa barque de petit noble et officier de cour en semant des rimes, dans son sillage. Au terme de son existence, il laissera la quantité impressionnante de plus de 80 000 vers de poésie.

Ballades, virelais, rondeaux, complaintes, chants royaux,… Toutes les formes poétiques y sont passées mais aussi tous les sujets : courtoisie, alimentation, voyages, politique, vie curiale, tournois, chevalerie, mœurs de son temps. En soixante ans, Eustache a été témoin, tout à la fois, des guerres, des pillages des campagnes, des épidémies de peste, des luttes de pouvoir, les abus des princes. Il a même été contemporain d’un roi devenu fou. Il a aussi connu l’amour, les désillusions, les affres de la maladie et de l’âge, des années d’opulence et d’autres moins heureuses et tout cela, il l’a couché sur le papier et mis en rime comme tout le reste.

Poésie satirique  : une ballade  médiévale d'Eustache Dechamps avec enluminure

Aux sources de l’œuvre d’Eustache

Dans la première moitié du XIXe siècle, l’écrivain et imprimeur Georges-Adrien Crapelet fera paraître une première sélection de poésies morales et politiques d’Eustache. Elle contribuera à attirer l’attention d’autres historiens et imprimeurs sur l’auteur médiéval. Quelques années plus tard, l’archéologue et historien Louis Hardouin Prosper Tarbé fera, à son tour, paraître deux tomes de nouvelles œuvres inédites d’Eustache. Enfin, dans la dernière partie de ce même siècle et jusqu’au début du XXe siècle, deux éminents médiévistes, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, puis Gaston Raynaud  se relaieront pour publier les œuvres complètes d’Eustache Deschamps. On y comptera pas moins de 11 tomes entre notes diverses, éléments de biographie et poésies. À lui tout seul, Eustache nous a presque légué une encyclopédie poétique.

Si tous ses vers n’ont pas accédé au panthéon de la rime et de la poésie, loin s’en faut, son legs est d’un grand intérêt à plus d’un titre. Les amateurs de poésie peuvent l’explorer tout à loisir pour y chercher quelques pépites ou parfaire leur connaissance de l’ancien français. Les spécialistes de littérature médiévale, les philologues, historiens du Moyen Âge et autres universitaires y puisent aussi abondamment pour alimenter leur connaissance des mœurs et usages de cette période et approcher aussi de près les mentalités médiévales. Du point de vue des sources historiques, le manuscrit médiéval Ms français 840, conservé à la BnF contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps, soit le chiffre vertigineux de 1500 pièces.

Pour ce qui est de la ballade du jour, elle est dans la veine de ses poésies les plus politiques et morales sur les devoirs des Princes et même les vices dont ceux-ci doivent se tenir éloignés au risque de se faire honnir de leur peuple.


Des six choses qui perdent le Prince
une ballade d’Eustache Deschamps

Six choses sont qui font prince exillier,
Perdre s’onneur et haine encourir :
Trop longuement sa guerre conseillier,
Estre orgueilleus , son convent non tenir
(1),
Trop convoiter, ses subgiez asservir,
Paresce ès fais qu’om doit hastis avoir
(2) ;
Par ces six poins se puet prince honnir
(deshonorer) :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir
(écarter).

Par longs conseilz
(décision, délibération) puet terre périllier,
Et la puet lors l’ennemi conquérir,
Et par orgueil se fait prince laissier,
Et si acquiert déshoneur par mentir;
Par convoiter, se fait partout haïr;
Par asservir, ses subgiez esmouvoir;
Par paresce, du tout anientir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

Conseil
se doit briefment expédier,
C’est ce qui fait la guerre secourir;
Humilité souffisance traittier
(3),
Franchise amer, vérité soustenir,
Diligence en tous cas maintenir ;
Car tous ces poins doit tous bons princes sçavoir,
Règnes en puet par les autres fenir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

(1) Tenir son convent : tenir ses engagements.
(2) Paresse dans les choses qui doivent être accomplis rapidement.
(3) Traitier : traiter, parler de, s’occuper d’humilité de manière suffisante


En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : l’enluminure sur image d’en-tête ainsi que sur l’illustration représente un pèlerin médiéval croisant sur sa route Flatterie et orgueil. Elle provient du manuscrit ms 1130 : Les trois pèlerinages et le Pèlerinage de la Vie Humaine de Guillaume de Digulleville (moine et poète français du Moyen Âge central (1295-1360). Ce manuscrit de la deuxième moitié du XIVe peut être consulté en ligne ici. Il est conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Le médiéviste Philippe contamine nous a quitté

Bonjour à tous,

‘historien médiéviste Philippe Contamine vient de nous quitter à l’âge de 89 ans. Plutôt discret auprès du grand public, cet enseignant et chercheur à la très prestigieuse carrière avait occupé de nombreuses chaires universitaires dont Paris-Sorbonne ainsi que des fonctions importantes dans de nombreux comités scientifiques, académiques et historiques, en France comme à l’étranger. Il était également membre, depuis 1990, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Il laisse derrière lui de très nombreuses publications sur la société médiévale au sens large. On relèvera des thèmes privilégiés comme la noblesse, le pouvoir mais encore l’histoire militaire et les guerres au Moyen Âge, dont notamment des ouvrages sur la guerre de cent ans, sur Azincourt ou encore Jeanne d’Arc. Il y a, quelque temps, nous avions eu l’occasion de partager sur nos pages une excellente conférence de l’historien donné à l’Ecole des Chartes au sujet de la France et les français aux temps médiévaux.

Nous lui rendons ici hommage. Qu’il repose en paix.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure en arrière plan, sur l’image d’en-tête, représente la bataille d’Azincourt autour de laquelle Philippe Contamine avait fait paraître l’ouvrage « Azincourt » (Gallimard, 2013). Cette illustration provient du manuscrit médiéval ms 2680 (Abrégé de la Chronique d’Enguerran de Monstrelet) actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter sur Gallica).

La terre n’était pas plate au moyen âge mais elle est en train de le redevenir

podcast médiéval

Sujet : terre plate, terre ronde, science, histoire médiévale, idées reçues, préjugés, actualité.
Période : Moyen Âge.
Média  : podcast décembre 2021
Titre : La terre était-elle plate au Moyen âge ?
Intervenants : Christophe Dickès, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony.

Bonjour à tous,

ous avions été contacté, il y a quelques années, par un auteur illustrateur. Assez sympathique, il nous avait dit faire des petits cahiers ludiques pour les enfants et pour une petite maison d’édition. L’un deux, déjà paru, portait sur le Moyen Âge. Il espérait que nous soyons intéressés et puissions en parler dans nos pages. Très honnêtement, l’idée nous a ravi. Hélas, en consultant le document, assez bien illustré, nous avons trouvé de nombreuses idées fausses sur le monde médiéval entre lesquelles la suivante, énoncée laconiquement : « Au Moyen Âge, l’Eglise et les gens pensaient que la terre était plate « . La messe était dite…

Actualité de la terre plate

Aujourd’hui encore, ce préjugé est, sans doute, celui qui résume le mieux les idées reçues sur le monde médiéval et ses mentalités. Il fait encore sourire, voir pouffer, d’un air entendu. « La Terre était considérée comme plate au Moyen Âge« . Si les médiévistes ne pouffent pas, de nouveaux publics se joignent, désormais, à eux pour des raisons différentes. À l’heure d’internet, tout devient possible et depuis quelque temps, les affirmations autour de la terre plate reviennent, en effet, au goût du jour. Cela fait lever les yeux au ciel à tous les astronomes, scientifiques, physiciens, astronomes amateurs, de la terre entière et même quelques milliards d’autres personnes. Pourtant, en janvier 2018, un sondage de l’IFOP établissait que près de 9% des français pensaient cette théorie possible : 2% en étaient totalement convaincus, 7% la jugeaient probables. C’est un peu plus qu’une sorte de « pourquoi pas ? » face à l’idée. Beaucoup de regards se sont alors tournés vers l’éducation et certains ont pu avoir une pensée émue pour la crédibilité accordée aux enseignements scolaires, autant que pour l’éducation scientifique.

À date, une brève requête faite sur google en langue française vous fera apparaître près de 46 200 000 résultats sur « terre plate ». Si vous la tentez en anglais (« flat earth »), le nombre vertigineux de 1 230 000 000 résultats s’affichera. Sur youtube, les vidéos sur le sujet sont également innombrables même si (rappelons-le) pour y poster, il ne faut pas nécessairement un doctorat en physique, ni même des études poussées en Astronomie ; une webcam et un soft de montage vidéo suffisent. En dehors de quelques pédagogues qui s’escriment à réhabiliter le bon vieux globe terrestre, si le courage vous en dit (personnellement, j’ai un peu passé mon tour), vous assisterez aux échafaudages les plus hardis visant à démontrer la platitude de notre bonne vieille « Plan-ète » .

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est deco-terre-plate-.jpg.

La plupart ne tiendrait sans doute pas 5 minutes face à un Hubert Reeves. Ils n’auraient pas, non plus, été approuvés par un regretté Haroun Tazieff ni un Albert Einstein et même votre prof de physique de collège pourrait les démonter, mais qui sont tous ces prétendus experts après tout ? Quelle légitimité réelle pourraient-ils bien avoir face à des millions d’opinions et de bouches grandes ouvertes en ligne ? Deux ou trois voix de plus dans l’arène, d’où qu’elles viennent, ne font pas une vérité, pas vrai ? Je plaisante à demi. La nouvelle barbarie dont Alessandro Baricco nous avait dit un mot est dans la place. À chacun sa vérité et sa panoplie d’experts. Le plus étonnant reste, sans doute, le niveau d’élaboration de certains de ces contenus et les efforts qui peuvent y être portés. Au final, tout ça viendra allégrement alimenter la définition de la complosphère et jeter le discrédit sur tout ce qu’on peut trouver en ligne. Les vrais lanceurs d’alerte noyés dans une mer où surnagent toutes les vérités et leur exact contraire. Pas terrible…

Points de vue et motivations

Illustration d'une théorie de la terre plate

Pour revenir à la terre plate, nous aurait-on menti ? Vivons-nous, sans le savoir sur un plan, un monde plus plat que la Belgique de la chanson de Brel ? Une sorte de théâtre à la Trueman show ? Certains se posent la question, d’autres s’en laissent convaincre. Nous n’allons pas passer en revue ici toutes les théories qui mettent du baume au cœur des « platistes », ni même nous aventurer à juger ces derniers. Pourtant, il est permis de se demander comment des allégations venues contredire des siècles, et même des millénaires de cosmologie, peuvent parvenir à se propager au XXIe siècle ? (même si cela reste très relativement, n’exagérons rien). À l’heure des stations spatiales, des satellites, de Hubble, des exoplanètes, de l’exploration martienne, comment le niveau de connaissances que nous avons atteint sur l’univers peut-il laisser la place à de telles affirmations ?

S’il y a de quoi se frotter les mains pour ceux qui voient un complotiste derrière chaque arbre, on se demande sur quel terrain ces croyances peuvent bien faire leur nid. Au delà des certitudes qu’a pu nous laisser (ou non, la preuve !) l’éducation scientifique, faut-il simplement y voir un besoin de poésie, d’excitation, de rêve ? Le philosophe physicien Etienne Klein bondirait peut-être sur sa chaise en lisant ces lignes, lui qui prêche « le goût du vrai » et ne cache pas ses inquiétudes sur le peu de place fait à la science dans l’information. Si vous avez eu l’occasion de voir certaines de ses conférences sur youtube (justement), notamment celle sur la définition d’ultracrépidarianisme, vous savez déjà qu’il plaide pour un retour des véritables experts scientifiques dans le champ médiatique. Quant au goût du rêve, les amoureux de science ne sont pas souvent pas obtus, ni même scientistes. Certains d’entre eux vous affirmeront que l’univers et le cosmos tels que la science actuelle conservent, même ainsi, leur charge de mystère et de poésie.

Croire, ne pas croire ? Débattre ou non ? Dans un autre registre, interrogé, il y a quelques années, sur un complot possible au sujet de l’alunissage des américains en 1969, Alexandre Astier auteur du spectacle l’Exoconférence (2014) répondait simplement : « je n’ai pas besoin de ça« . En un mot, s’il faisait le constat que ce type de choses parlait à certains et pouvait même, peut-être, correspondre à un certain besoin pour eux, il n’entrait simplement pas dans le débat. « Je n’ai pas besoin de ça ». Pas de jugement, juste un constat pour lui-même. C’est sans doute la meilleure attitude. On ne peut pas être en croisade sur tous les sujets et laisser justement cela aux experts et enseignants des domaines concernés. Connaissant la goût de l’auteur de Kaamelott pour l’astronomie, il serait, toutefois, intéressant de connaître sa position au sujet de cette théorie de la terre plate qui demeure, quand de même, d’un autre niveau que l’alunissage américain.

Tout cela étant dit, la question des causes et des motivations reste ouverte. Nous n’avons pas, ici, la prétention de la trancher. Au moment de ces lignes et en regardant de près ce résultat google, une chose demeure troublante, pourtant. Certains défenseurs de cette théorie de la terre plate sont en train d’acheter de la publicité sur le moteur de recherche pour la propager. La publicité redirige sur un site qui parle uniquement de ce sujet. On y plaide même la renaissance d’une certaine foi « contre les mensonges de la laïcité ». Plutôt étonnant comme croisade. On se demande franchement à qui elle profite et qui peut investir ses deniers pour la mener.

L’homme médiéval face à la terre plate

Ces quelques réflexions posées sur cette étrange théorie de la terre plate au XXIe siècle, revenons sur la croyance supposée que cette idée était commune et admise durant le Moyen Âge. Précisons que nous avions déjà abordé ce sujet, il y a quelques années, avec le support d’une conférence de Jean-Marc Mandosio, enseignant à l’École pratique des hautes études (EPHE). Ce dernier établissait clairement que ce préjugé de terre plane aux temps médiévaux avait été faussement colporté durant des siècles.

un podcast de Storia Voce

Livre : La terre plate par une scientifique et une médiéviste

Preuve que ce thème est encore d’actualité, tout récemment encore, deux éminentes chercheuses et enseignantes universitaires, l’une historienne, Violaine Giacomotto-Charra, l’autre physicienne Sylvie Nony se sont penchées, elles-aussi, sur le sujet. Leur collaboration a donné lieu à l’ouvrage « La terre plate, généalogie d’une idée fausse » paru aux Belles Lettres en 2021.

À cette occasion, les deux auteurs ont été également les invitées d’un podcast de StoriaVoce. Cela va nous fournir enfin l’opportunité de vous dire un mot de cette excellente radio web. Très orientée sur l’histoire et son enseignement, ce média est présenté et animé par l’historien et journaliste Christophe Dickès. Depuis sa création en 2016, il y passe en revue de nombreux sujets historiques entourés de nombreux et prestigieux invités. Les programmes de Storia Voce couvrent toutes les périodes et sont d’un niveau soutenu. Ils sont aussi très variés avec une fréquence de 6 à 8 podcasts mensuels depuis 5 ans,

Comme on le verra dans ce très complet programme audio, non seulement le Moyen Âge ne croyait pas en la terre plate mais la science et les grecs avaient affirmé, bien longtemps avant lui, que la terre était ronde. On la pensait immobile et statique, au centre de l’univers, mais elle était déjà considérée comme un globe. On y découvrira encore qu’après Voltaire, elle a même continué d’être propagée dans certains manuels scolaires jusqu’après le milieu du XXe siècle ! C’est dire toute la considération des éditeurs de manuel d’histoire pour le Moyen Âge et toute la rigueur de certains rédacteurs d’alors.

En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée.
Fred F
Pour moyenagepassion.com
À la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une gravure publiée en 1888 par Camille Flammarion. Cette illustration du XIXe siècle représente un homme regardant par delà le bord du ciel ou l’atmosphère pour essayer d’y découvrir l’espace profond. Ouvrage de référence : L’atmosphère: météorologie populaire.

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