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« Douce dame, grez et grâces… » une chanson courtoise du trouvère Gace Brulé

enluminure médiévale troubadour

Sujet : musique médiévale, chanson médiévale,  poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français,  fine amant, fine amor, chansonnier du Roy, manuscrit ancien
Période :  XIIe s,  XIIIe s, Moyen Âge central
Titre: Douce dame, grez et grâces vos rent 
Auteur :  Gace Brûlé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Gilles Binchois.
Album: Les Escholiers de Paris (Alba, 1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’une nouvelle chanson médiévale de Gace Brûlé (Gace Brulé, Gaces Brullez). Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, ce trouvère et chevalier a produit une œuvre abondante qui n’a pas manqué d’inspirer des auteurs de sa génération et même de la suivante, comme Thibaut de Champagne. Sa poésie s’épanouit, principalement, dans le registre de la lyrique courtoise et la pièce que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, n’y déroge pas.

L’exercice de courtoisie d’un trouvère épris

Chanson annotée de Gace Brulé dans un Manuscrit médiéval

La chanson du jour annonce le thème de l’amour courtois dès ses premiers vers : Douce dame, grez et grâces vos rent. Gace chante pour obtenir un signe favorable de la belle qu’il convoite. Comme il nous l’expliquera, s’il aime cette dernière trop fort ou trop haut, il ne faut pas l’en blâmer. Le seul coupable c’est « amour », le grand maître des horloges émotionnelles et sentimentales. Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? La dame est si belle, si gracieuse et emplie de bienfaits que le loyal amant mourrait plutôt que de s’en séparer. Il ne lui reste donc plus qu’à patienter, implorer merci et que cette dernière le prenne en pitié. C’est un classique de la lyrique courtoise.

Comme on le verra, dans les deux dernières strophes de sa chanson, Gace Brulé s’adresse à deux personnages : Gilet et Renalt qu’on retrouve, par ailleurs, mentionnés en d’autres endroits de son œuvre. Ici, il les fustige tous deux d’avoir tourné le dos à « amour » que l’on est enclin à comprendre comme l’exercice de la poésie courtoise. Si quelques érudits se sont perdus en conjectures sur l’identité réelle de ces deux hommes, rien d’évident ne semble en être ressorti. Il a pu s’agir de poètes de l’entourage du trouvère ayant délaissé la plume, peut être au profit des croisades. Selon Gaston Paris, il pourrait s’agir de Hugon et Gautier de Saint-Denis (voir Les chansons de Gace Brulé, Gédéon Huet,1902).

Sources manuscrites médiévales

On peut retrouver cette chanson du trouvère Gace Brûlé dans un nombre important de manuscrits médiévaux. Dans l’image du dessus, vous la retrouverez, avec sa partition annotée, telle qu’elle se présente dans le Ms Français 844 de la BnF, encore connu sous le nom de chansonnier ou manuscrit du roy. De manière non exhaustive, on pourrait encore citer le Français 845 (utilisé pour l’image d’en-tête), le français 20050 dit Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés ou même encore le Chansonnier Cangé ou Ms Français 846.

Pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Gédéon Huet (op cité). Ci-dessous, nous vous proposons de la découvrir en musique avec une version polyphonique originale de l’Ensemble Gilles de Binchois.

Gilles Binchois & Les Escholiers de Paris

En 1992, l’Ensemble Gilles Binchois, sous la houlette de Dominique Vellard, proposait au public son album : Les Escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle. Avec 20 pièces présentées, pour un peu plus de soixante minutes de durée, cette production fut largement saluée par la scène des musiques anciennes et médiévales.

Les Escholiers de Paris - Album de musique médiévale

Comme l’indique le sous-titre de cet album qui rend hommage au Paris étudiant et fourmillant du XIIIe siècle, l’ensemble médiéval et son directeur ont fait le choix d’y proposer un nombre important de motets et de pièces polyphoniques. On y trouvera des pièces anonymes du codex de Montpellier, mais aussi des chansons d’auteurs comme Thibaut de Champagne, Gillebert de Berneville, et, bien sûr, Gace Brulé. Ils y côtoient quelques danses et estampies enlevées. S’y est ajouté le parti-pris original de reprendre à plusieurs voix, quelques chansons monophoniques de cette période. C’est le cas de celle du jour, revisitée ainsi pour le plus grand plaisir du public (voir notre article précédent sur cet album).

Cet album de musique médiévale a été réédité depuis sa sortie. On peut encore le trouver chez tout bon disquaire mais aussi à la vente en ligne, au format CD comme au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Escholiers de Paris, Ensemble Gilles Binchois, l’album.

Artistes ayant participé à cet album

Emmanuel Bonnardot (voix, rebec, vièle), Randall Cook (vièle, chalemie, recorder), Pierre Hamon (flute, cornemuses, percussion), Anne-Marie Lablaude (voix, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Susanne Norin (voix), Dominique Vellard (voix, cistre, direction), Willem de Waal (voix),


Douce dame, grez et grâces vos rent
en langue d’oïl avec aide à la traduction

Note sur la traduction : pour percer les mystères de la langue d’oïl de Gace Brulé, nous avons fait le choix, cette fois, de vous fournir plutôt quelques clefs de vocabulaire en français actuel. Pour le reste, ce sera donc à vous de jouer.

I
Douce dame, grez et grâces vos rent.
Quant il vos plaist que je soie envoisiez
* (content) ;
Atendu ai vostre comandement,
Si chanterai por vos joianz et liez
* (gaité),
Et, s’il vos plaist, de moi merci aiez.
En tel guise vos en praigne pitiez
Qu’il ne vos poist
* (pèse) se j’aim si hautement.

II
Je sai de voir
* (vraiment) que resons me defent
Si haute amor se vos ne l’otroiez;
Mais haut et bas sont d’un contenement
* (contenance),
Qu’amor les a a son talent jugiez;
Siens est li bas qui por li est hauciez.
Et siens li hauz qui s’en est abaissiez;
Qu’a son voloir les monte et les descent.

III
Je ne di pas que nus aint
* (aime) bassement.
Puis que d’amor est sorpris
* (désireux) et liiez* (joyeux) ,
Honorer doit la joie qu’il atent,
S’il estoit rois, et ele ert
* (de estre, était) a ses piez.
Mais je sui, las, sor toz autres puiez
* (élevé),
De hautement amer
(aimer) a mort jugiez* (condamner à mort);
Mes moût muert bel qui fait tel hardement.
(1)

IV
Par Dieu, dame, l’amors de vos m’esprent
* (éprendre, embraser),
Qui m’occira, se vos ne m’en aidiez.
El ne fait mes qu’a son comandement,
Si li ert bel se por li m’ociez
* (de occire).
Et s’endroit vos
* (quant à vous) est vaincue pitiez,
Moie ert la perte, et vostres li péchiez,
Que dou partir de vos n’i a nient.
(2)

V
Fine biauté plesant et cors très gent
* (gracieux, joli)
Vos dona Dieus, dont il soit merciez.
Nus ne porroit loer si finement
Voz granz valors con vos les mostreriez,
En touz bienfèz et en toz biens proisiez
* (de proisier : prisées, estimées);
Et s’il vos plaist honorez n’essaussiez
* (ni élever ou exhalter)
N’iert ja a droit qui d’amor ne l’atent
(3).

VI
Chantez, Renalt, ki antan amïez ;
Or m’est avis que vos en retraiez
* (retirez).
Se del partir estes apareilliez
* (vous vous apprêtez),
Ja onques Deus oan
(désormais) ne vos ament.


VII

Par Dieu, Gilet, faus amanz desloiez* (faux amant déloyal),
Qui d’amor s’est partiz
* (séparé) et esloigniez,
Vaut assez plus qu’uns autres enragiez ;
Chastoiez
en vos* (réprimandez-vous en) et l’autre dolent* (s’en afflige).

(1) Mais il meurt de fort belle manière celui qui le fait si hardiment.
(2) Car il n’y a aucun moyen de se séparer de vous
(3) Il n’est jamais juste celui qui ne l’attend de l’amour.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : Sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Dominique Vellard, vous pourrez voir la page du manuscrit Ms Français 845 où l’on peut trouver cette même chanson de Gace Brulé. Cet ouvrage du XIIIe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.

Tout un bestiaire médiéval à l’encontre d’un amant courtois

Enluminure médiévale de Guillaume de Machaut

Sujet  : musique médiévale, chanson médiévale, maître de musique, chanson, amour courtois, chant polyphonique, ballade, bestiaire médiéval, moyen-français, manuscrit médiéval.
Titre  : «En cuer ma dame une vipère maint»
Auteur  :  Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprète  :  Ensemble Ferrara
Album  : Machaut, Mercy ou mort. Chansons et motets d’amour (1998)

Bonjour à tous,

ans un précédent article, nous vous parlions d’un concert de musique médiévale qui se donnera, prochainement, à la tour Jean-sans-Peur de Paris. Pour faire suite à ce billet, nous approcherons, aujourd’hui, dans le détail, une des pièces mises à l’honneur dans ce concert. Il s’agit d’une chanson courtoise de Guillaume de Machaut sur le thème du bestiaire médiéval et ayant pour titre : « En cuer ma dame une vipère maint« .

Une vipère au cœur d’une dame indifférente

Ce chant polyphonique du maître de musique du Moyen Âge tardif est une ballade à 3 voix dans le pur style de l’Ars nova. En bon amant courtois, le poète désespère et se meurt devant l’indifférence de sa dame tout en lui restant attaché et loyal. Pour invoquer la dureté de cette dernière envers lui et l’étendue de ses propres souffrances, le compositeur n’hésitera pas à faire appel au bestiaire médiéval et, notamment, aux plus terribles animaux venimeux et à sang froid qui soient : la vipère, le scorpion ou encore le basilic.

Si l’on connait bien les dangers des deux premiers, le basilic peut nous être moins familier. Créature mythique redoutée, ce monstre reptilien possède un corps de serpent avec une tête d’oiseau et on le trouve même représenté avec des pattes. Extraordinairement venimeux, il peut, dit-on, d’un seul regard endormir ses proies, voir les occire à distance. Contre toute attente, le seul animal capable de le vaincre serait la « redoutable » belette (dans les bestiaires médiévaux, le lapin des Monty Python ne semble jamais très loin). Cet atavisme entre la belette et le basilic vous explique l’enluminure en tête de cet article. On y découvre, en effet, un basilic ayant endormi ou empoisonné une victime, troublé dans sa quiétude par une téméraire belette.

Pour revenir au contenu de cette chanson tirée de La Louange des Dames de Guillaume de Machaut, si l’on connait assez bien les souffrances habituelles de l’amant courtois face à l’indifférence ou au manque d’empathie de son élue, il faut avouer que l’auteur médiéval nous met, ici, face à une description sentimentale aussi éloquente que cruelle. Toute proportion gardée, sa soumission affichée face à ses douloureuses déconvenues pourrait presque friser une forme de « masochisme » si on la transposait de manière moderne. On pense notamment à des phrases comme « Et son Regard se rie et éprouve une grande joie de voir mon cœur qui fond et frit et brûle« . Est-ce le regard de « Refus » personnifié ou celui de la dame ? Sans doute appartient-il plus à cette dernière. Dans tous les cas, cela nous emmène, un peu plus loin, que de la simple l’abnégation de la part du loyal amant.

Aux sources manuscrites de cette chanson

Manuscrit médiéval de la chanson "En cuer ma dame une vipère maint" de Guillaume de Machaut

On peut retrouver cette ballade de Guillaume de Machaut dans un certain nombre de manuscrits médiévaux ou renaissants. Pour vous en fournir la partition, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’on la trouve dans le manuscrit médiéval Français 9221 (photo ci-dessus). Daté de la toute fin du XIVe siècle, cet ouvrage contient une grande partie de l’œuvre du compositeur et poète, sur 243 feuillets. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (consulter en ligne).

Pour la transcription de cette chanson médiévale en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Guillaume de Machaut Poésies lyriques de Vladimir Chichmaref, paru chez Honoré Champion au début du XXème siècle (1909). Ci-dessous, nous vous en proposons une interprétation par l’Ensemble médiéval Ferrara.

L’ensemble médiéval Ferrara à la découverte
de l’Europe musicale médiévale

L’ensemble Ferrara s’est formé au début des années 80, dans la ville de Bâle. On le sait, la cité est privilégiée sur la scène médiévale grâce à sa prestigieuse Schola Cantorum Basiliensis, école spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes. Il n’y a guère de coïncidence dans tout cela puisque le directeur et fondateur de l’ensemble Ferrara, Robert Crawford Young y a enseigné le luth et la musicologie, dès l’année 1982, après avoir lui-même suivi, un cursus au conservatoire de Boston. Installés dans ce cadre privilégié, cette formation médiévale et son fondateur ont pu puiser dans une grande réserve de musiciens, issus eux-mêmes de l’école suisse.

Robert Crawford Young - directeur de l'ensemble médiéval Ferrara et du Project Ars Nova

En terme de contribution à la scène des musiques anciennes, on peut encore ajouter au crédit de ce pédagogue doublé d’un talentueux joueur de luth et d’instruments à cordes, la création de l’ensemble Project Ars Nova (PAN) dont nous vous avions déjà dit un mot dans un article précédent. En réalité, les deux formations médiévales PAN et Ferrara ont été formées pratiquement simultanément par Crawford Young et s’intéressent toutes deux à un répertoire à la lisière de la renaissance et du Moyen Âge tardif.

L’ensemble Ferrara a été particulièrement actif de 1988 à 2010, en matière de discographie. Il a laissé, pour l’instant, à la postérité 10 albums et 2 compilations. Sa période de prédilection s’étend du XIVe au XVe siècle et couvre une zone aussi large que la France, l’Angleterre et l’Italie et même l’Allemagne médiévale.

Guillaume de Machaut, Mercy ou mort, l’album

Album de musique médiéval sur Guillaume de Machaut

L’album dont est tiré la chanson du jour date de 1998. Il a pour titre : Guillaume de Machaut, Machaut, Mercy ou mort. Chansons et motets d’amour. Entièrement dédié au célèbre compositeur médiéval, il propose, sur un peu plus de 1 heure 15 de durée, 20 pièces de Guillaume de Machaut entre ballades, motets, rondeaux et virelais. Originellement édité chez Arcana, on peut encore en trouver quelques exemplaires à la vente. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens ayant participé à cet album

Kathleen Dineen (soprano, harpe), Lena Susanne Norin (alto), Eric Mentzel (ténor), Stephen Grant (basse), Karl Heinz Schickhaus (dulcimer), Randall Cook (vielle, chifonie), Crawford Young (guiterne)


En cuer ma dame une vipère maint
en moyen-français avec traduction

En cuer ma dame une vipère maint
Qui estoupe de sa queue s’oreille
Qu’elle n’oie mon doleureus complaint :
Ad ce, sans plus, toudis gaite et oreille.
Et en sa bouche ne dort
L’escorpion qui point mon cuer à mort ;
Un basilique a en son dous regart.
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Dans le cœur de ma dame, une vipère demeure,
Qui, de sa queue, bouche son oreille,
Afin qu’elle ne puisse entendre ma dolente complainte :
Voilà, sans plus, ce qui la tient toujours en alerte.
Et, dans sa bouche, jamais ne dort
Le scorpion qui perce mon cœur à mort ;
Et un basilic repose, encore, dans son doux regard.
Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.

Quant en plourant li depri qu’elle m’aint,
Desdains ne puet souffrir qu’oir me vueille,
Et s’elle en croit mon cuer, quant il se plaint,
En sa bouche Refus pas ne sommeille,
Eins me point au cuer trop fort ;
Et son regart rit et a grant deport,
Quant mon cuer voit qui font et frit et art.
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Quand en pleurs je la supplie de m’aimer,
Dédain ne peut admettre qu’elle veuille m’écouter,
Et si elle prête foi à mon cœur, lorsqu’il se plaint,
Dans sa bouche, Refus ne sommeille jamais,
Ainsi me perce-t-il le cœur avec force ;
Et son Regard se rit et éprouve une grande joie
De voir mon cœur qui fond et frit et brûle.

Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.

Amours, tu scez qu’elle m’a fait mal maint
Et que siens sui toudis, vueille ou ne vueille.
Mais quant tu fuis et Loyautés se feint
Et Pitez n’a talent qu’elle s’esveille,
Je n’y voy autre confort
Com tost morir ; car en grant desconfort
Desdains, Refus, regars qui mon cuer part,
Cil troy m’ont mort et elle que Dieus gart.

Amour, tu sais qu’elle m’a fait maintes maux
Et que je lui appartiens pour toujours, que je le veuille ou non,
Mais quand tu fuis et que Loyauté se dissimule
tandis que Pitié n’a aucune envie qu’elle s’éveille,
Je ne trouve d’autre consolation
Que de mourir au plus vite ; car, à mon grand découragement,
Dédain, Refus et Regard me brisent le cœur,
Ces trois là m’ont tué, quant à elle que Dieu la garde.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure en en-tête représente un basilic. Elle provient du manuscrit Royal MS 12 C XIX Bestiarum uocabulum proprie conuenit Incipit : liber de naturis bestiarum et earum significationibusCe superbe bestiaire médiéval est conservé à la British Library (à consulter en ligne ici). Il est daté du tout début du XIIIe siècle.

Manseliña sur la piste de María la Balteira

Enluminure Alphonse X, espagne médiévale

Sujet :  musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Espagne médiévale.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur : João Vasques de Talaveira
Titre:  O que veer quiser 
Interprète  : Manseliña
Album :  Maria Pérez se maenfestou  (2021)

Bonjour à tous,

eux qui nous lisent le plus régulièrement se souviennent peut-être de la présentation que nous avions faite, il y a quelque temps, du jeune ensemble médiéval Manseliña. Depuis notre article, la formation galicienne passionnée de musiques anciennes a poursuivi ses recherches et son chemin artistique autour des cantigas de la péninsule ibérique et de l’Espagne médiévale. Elle nous propose même un nouvel album plutôt ambitieux comme nous allons le voir.

Maria Pérez, un personnage haut en couleur
à la cour des grands

Si le terrain d’exploration de Manseliña reste la poésie du Moyen Âge central, l’ensemble musical nous entraîne, cette fois-ci, du côté des chansons satiriques galaïco-portugaises : les « cantigas de escarnio” ou “cantigas de maldizer” sont, en effet, ces chansons humoristiques et pleines de moqueries (« médire » « médisances »). Avec leurs sous-entendus persifleurs et leurs railleries, elles évoquent un peu nos sirventès du pays d’Oc. Selon certaines hypothèses, elles pourraient même en avoir dérivé tout comme les serventois du nord de France l’ont fait.

Une cantiga de Maldizer tiré du nouvel album de Manseliña
Enluminure médiévale sur une danseuse et artiste du Moyen Âge

Cantigas de Escarnio et de maldizer au programme donc, mais ce n’est pas tout. Ce nouvel album se concentre également sur un personnage haut en couleur des cours de l’Espagne médiévale : María Pérez, encore connue sous le surnom de María la Balteira.

Ci contre, l’incroyable enluminure utilisée pour la pochette de cet album de Manseliña. Elle est tirée du Psautier doré de Munich (XIIIe siècle, Angleterre) actuellement conservé à la Bibliothèque d’État de Berlin, à Munich.

Du point de vue du statut, Maria était une « soldadeira ». Les définitions de ce terme sont assez variables et même confuses suivant les sources. Si l’on s’en tient à la Real Academia Galega, il correspond à des artistes féminines qui faisaient des numéros ou qui dansaient durant les prestations des troubadours et des jongleurs. En d’autres endroits, on trouve une définition associée à des femmes accompagnant des soldats pour les divertir en chantant et dansant et en percevant, elles aussi, une « solde ». Dans la lyrique galaïco-portugaise, les soldadeiras occupent un rôle assez complexe et elles font souvent l’objet de cantigas humoristiques et satiriques (1).

Eléments de biographie

Enluminure de troubadours et musicien autour d'Alphonse X de Castille
La cour d’Alphonse X et ses troubadours dans le Codice Rico de l’Escorial

Au XIIIe siècle, María la Balteira connut une popularité certaine à la cour de Fernando III, mais surtout, plus tard, à celle d’Alphonse X de Castille. Le nombre de troubadours lui ayant consacré des chansons ou ayant écrit des poésies, à son sujet, en témoignent. On compte même, parmi eux, le roi Alphonse le Sage en personne. D’après le peu que l’on en sait, cette femme de caractère serait issue d’une famille noble et native de Betanzos, dans la province de la Corogne, en Galice. Etonnement, il semble que le désir de liberté l’appela assez tôt au point qu’elle décida de se soustraire aux obligations du mariage et aux contraintes d’une vie toute tracée. Elle lui préféra donc une vie de musique de danse et de chant à la solde des princes et des rois et c’est dans leurs cours qu’elle exerça ses talents. Précisons encore que certaines cantigas de Escarnio autour des soldadeiras pouvaient verser dans des allusions assez grivoises. En fonction des médiévistes, ces dernières ont pu être, ou non, prises au pied de la lettre pour juger hâtivement la légèreté (voir la fonction professionnelle) de celles à qui elles étaient adressées. María la Balteira n’a pas échappé à cela et ce fut même l’occasion d’un débat d’experts. Les derniers d’entre eux semblent avoir tranché en faveur du deuxième degré (2).

En dehors des poésies qui la chantent, un document atteste de l’existence d’un María Perez dans sa Galice d’origine. En 1257, elle signa en effet, au monastère cistercien de Sobrado dos Monxes ce qui s’apparente à un document de cession d’un bien et d’échange de services contre quoi les moines s’engageait à prendre soin de son salut. Autrement dit, prier pour elle et l’enterrer auprès d’eux en terre chrétienne. On y trouvait également un engagement de prendre la croix pour aller combattre en terre sainte. Pour combattre ou suivre les troupes ? On ne le sait pas, pas d’avantage qu’on ne sait si elle put s’y rendre, ni, le cas échéant, ce qu’il y survint. Les médiévistes se perdent aussi en conjecture pour savoir s’il s’agit bien d’elle ou plutôt d’un homonyme.

Réalité ou métaphore ?

monastère cistercien de Sobrado dos Monxes

D’une manière générale, il est difficile de trier le vrai du faux au sujet de María la Balteira mais les cantigas lui associent tout un tas de pratiques qui sonnent aussi étonnantes que « garçonnes » : compétitions de tir à l’arbalète, jeux de dés à grand renfort de jurons. Tout ceci ne lui aurait d’ailleurs pas empêché de s’attirer les nombreuses faveurs de courtisans et troubadours à en juger toujours par le contenu de certaines poésies à son encontre. D’autres histoires encore plus surprenantes content même qu’elle aurait pu être agent secret du roi Alphonse X auprès d’autres souverains chrétiens mais aussi musulmans.

Que les exploits qu’on lui prête soient avérés ou non, les chansons à son sujet ne tournent jamais en dérision ses talents artistiques. Cela semble renforcer la reconnaissance de ses qualités auprès de ses paires et des cours qu’elle a fréquentées. Pour ses vieux jours, il semble que Maria Perez se retira dans sa province d’origine. Elle est probablement décédée après l’an 1257 et elle fut enterrée au monastère de Sobrado. Avec un tel itinéraire, on comprend aisément comment ce personnage féminin détonnant a pu susciter l’intérêt de Manseliña au point de lui consacrer un album.

Maria Pérez se maenfestou, l’album de Manseliña

« Maria Pérez se maenfestou, cantigas de escarnio a María Balteira » est donc le second album de l’ensemble médiéval. Le premier « Sedia la Fremosa » était consacré aux cantigas de amigo galaïco-portugaises. De l’aveu même de María Giménez, co-fondatrice de la formation, il aura fallu plusieurs années et de sérieuses recherches pour finaliser cette nouvelle production. Comme María la Balteira n’a pas composé directement (ce n’est pas un trobairitz), on y trouvera réuni les cantigas de escarnio et chansons satiriques que les troubadours de l’époque lui consacrèrent.

Album de musique médiévale sur Maria Perez de l'ensemble Manseliña

Avec près d’une heure d’écoute, l’album propose 16 cantigas dont 14 gravitent autour du personnage de María Pérez. Aucune notation musicale n’ayant subsisté pour accompagner ces pièces, la formation médiévale s’est exercée à l’art du contrafactum. Les mélodies utilisées pour mettre ces textes en musique proviennent donc d’origines diverses : les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X mais aussi des compositions de troubadours français ou des cantigas traditionnelles de Galice et du Portugal. Pour la chanson proposée aujourd’hui, c’est la CSM 170 (Cantiga de Santa Maria) qui a été utilisée.

Vous pouvez vous procurer cet album au format digital sur Spotify. Il est également disponible en ligne. Voir le lien suivant pour plus d’informations : Maria Pérez se maenfestou.

Artistes ayant participé à cet album

María Giménez (voix, vièle, percussions), Tin Novio (luth), Pablo Carpintero. (voix, instruments à vent et percussions).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
de João Vasques de Talaveira

La chanson médiévale du jour a été attribuée à la plume de João Vasques de Talaveira. Troubadour du XIIIe siècle, il était probablement natif de la région de Tolède. Pour le reste, son legs et ses cantigas semblent établir qu’il était bien introduit dans le cercle des troubadours entourant Alphonse X de Castille. Il nous a laissé autour d’une vingtaine de pièces dont des Cantigas de escarnio y maldizer, des Cantigas de amor et des Cantigas de amigo, mais encore des tensons ou tençons (ces joutes verbales poétiques très appréciées des troubadours du Moyen Âge central).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
Maria Pérez, leve algum dinheiro,
senom nom poderá i adubar prol.


Ah Messires ! Ceux qui veulent voir
Maria Perez, doivent avoir de l’argent
Sans quoi ils n’obtiendront rien.


Quen’a veer quiser ao serão,
Maria Pérez, lev’alg’em sa mão,
senom nom poderá i adubar prol.

Ceux qui pour le spectacle (la soirée) veulent voir
Maria Perez, ne doivent pas venir les mains vides
Sinon, ils n’obtiendront rien.


Tod’home que a ir queira veer suso,
Maria Pérez, lev’algo de juso,
senom nom poderá i adubar prol.

Quiconque veut aller, en-haut, pour voir
Maria Perez, doit porter quelque chose en-bas,
sinon, ils n’obtiendront rien.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête on peut voir la formation Manseliña et, à l’arrière plan, une belle enluminure du Códice Rico des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XIIIe siècle (1280-1284), est actuellement conservé à la Bibliothèque royale du monastère de l’Escorial à Madrid, Espagne. Il est consultable en ligne ici.

Notes

(1)Vós, que conhecedes a mim tam bem…” – as soldadeiras, Márcio Ricardo Coelho Muniz·
(2) O contrato de María Pérez Balteira con Sobrado, Joaquim Ventura, GRIAL, revista Gallega de Cultura (numero 215 sept 2017) et

« Je Sui Aussi… », courtoisie et sentiment amoureux au temps de Guillaume de Machaut

Sujet  : musique médiévale, chanson médiévale, maître de musique, chanson, amour courtois, chant polyphonique, ballade.
Titre  : «Je sui aussi com cils qui est ravis»
Auteur  :  Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprète   :  Duo Misericordia
Album  : Passion, Pestilence & polyphony  (2006), Ed Magnitude.

Bonjour à tous,

n route pour le XIVe siècle, en compagnie du maître de musique Guillaume de Machaut (Machault). Nous le retrouvons ici dans une nouvelle pièce sentimentale et courtoise. Pour la mise en musique, nous avons choisi la version du duo médiéval Misericordia, ce qui nous fournira l’occasion de vous le présenter.

Amour, éloignement, douleur et langueur

Cette ballade polyphonique médiévale de Guillaume de Machaut a pour titre «Je sui aussi com cils qui est ravis» et reprend en partie les codes de la lyrique courtoise. Le poète s’y dépeint dans la posture de l’amant désemparé. Consumé par son amour, il brûle et ne tient plus en place. Bien incapable d’ôter de son esprit l’objet de son désir, il souffre dans la distance comme dans la proximité. Et ce seul refuge qu’est devenue sa pensée en la dame de ses désirs est aussi ce qui le torture et le rend presque étranger à lui-même.

Aux sources manuscrites de cette chanson

Chanson et musique médiévale avec partition de Guillaume de Machaut : je suis aussi comme cils

Du point de vue des sources médiévales et historiques, on pourra, retrouver cette ballade de Guillaume de Machaut et sa notation musicale dans le manuscrit médiéval Français 1586 dont nous avons déjà abondamment parlé. Contemporain de l’auteur-compositeur, cet ouvrage est à remarquer particulièrement parce qu’il est l’un des plus ancien répertoriés de ses œuvres. On suppose même que le maître de musique a pu y être directement associé de son vivant. La BnF a digitalisé ce très beau manuscrit médiéval et l’a mis à disposition du public. Vous pouvez donc le consulter sur Gallica.

La version de cette ballade par la formation Misericordia

Misericordia : musiques anciennes et médiévales mâtinées de folk et d’improvisation

L'ensemble de musique Duo Miséricordia

Misericordia est un duo anglais fondé aux débuts des années 1990 par Anne Marie Summers et Stephen Tyler. Depuis sa formation, cet ensemble s’est employé à faire revivre les musiques anciennes et médiévales, tout en s’autorisant des emprunts et enrichissements du côté de musiques plus folks et traditionnelles. Avec un terrain d’inspiration qui puise largement dans l’Europe du Moyen Âge, Misericordia s’est également fait remarquer pour son goût particulier de l’improvisation. Ces deux musiciens et artistes sont aussi multi-instrumentistes et ils font appel à de nombreux instruments anciens : cornemuses, vielle à roue, chalemie, flûtes, harpe, luth oriental, percussions diverses…

La discographie de Misericordia

Côté programme et enregistrement, l’ensemble a laissé à la postérité autour de 5 albums. Le duo fondateur y fait appel à divers invités et collaborations pour compléter ses orchestrations. Pour en faire un tour rapide du point de vue thématique, on trouvera des pièces du XIIIe siècle français avec l’album Robin M’aime. On pourra encore citer The olde Daunce, un album instrumental dédié aux danses médiévales et anciennes, Tempus Est Iocundum qui s’étire du côté du Codex Buranus et un premier album précoce Medieval Instrumental Music. La discographie de Misericordia s’étale de 1993 à 2006. Après cela, l’activité du duo semble un peu passée sous les radars. L’ensemble n’est du reste pas présent sur les réseaux et son site web a disparu.

L’album « Passion, Pestilence et Polyphony« 

Album de musique médiévale du Duo Misericordia sur Guillaume de Machaut

L’album Passion, Pestilence & polyphony est paru en 2006. A son occasion, les deux duettistes s’étaient entourés de la collaboration de Helen Barber et Terry Mann. L’ambition de cette production était d’être une incursion dans les musiques et chansons d’un XIVe siècle présenté comme « Dark and troubled ». à l’écouter, cette « pestilence » n’est pourtant pas ce qui saute le plus aux yeux. L’ensemble Misericordia y explore le répertoire qui passe par l’Italie, la France et encore l’Angleterre médiévale et offre 17 pièces assez variées. La polyphonie y tient un place majeure et Guillaume de Machaut y est plutôt à l’honneur avec entre autres pièces : douce dame jolie, je suis aussi, puisqu’en oubli, J’aime sans penser, Donnez Signeurs … Il côtoie aussi sur l’album Francesco Landini et d’autres auteurs, ainsi que des pièces instrumentales (trottos et istampittas). Misericordia ne faillit pas, ici à sa réputation puisqu’on retrouve, par endroits, leur goût de l’improvisation.

Cet album peut encore être trouvé à la distribution sous forme CD. En ligne, on trouve également sa version dématérialisée : Passion, Pestilence and Polyphony

Artistes ayant participé à cet album

Anne Marie Summers (cornemuse, voix, flûte à bec, vielle à roue, harpe) – Steve Tyler ( vielle à roue, harpe gothique, citole, dulcimer) – Helen Barber (voix) – Terry Mann (voix, percussions, davul, darabouka, riqq, …)


« Je suis aussi… » de Guillaume de Machaut
Paroles en moyen-français & traduction

Je sui aussi com cils qui est ravis,
Qui n’a vertu, sens ne entendement,
Car je ne suis a nulle riens pensis,
Jour ne demi, temps heure ne moment,
Fors seulement a m’amour
Et sans partir en ce pencer demour
Soit contre moy ; soit pour moy, tout oubli fors
Li qu’aim mieus cent mille fois que mi.

Je suis aussi comme celui qui est en extase (1)
Qui n’a ni vertu, ni raison, ni entendement,
Car je suis incapable de penser à rien,
ni un Jour, ni la moitié d’un, en aucune saison, heure, ni moment
A rien d’autre qu’à mon amour.
Et sans m’en séparer, je demeure en cette pensée
Soit contre moi, soit pour moi, j’oublie tout sauf
Que je l’aime cent mille fois plus que moi.

Quant je la voy, mes cuers est si espris
Qu’il art et frit si amoureusement
Qu’a ma manière appert et a mon vis;
Et quant loing sui de son viaire gent,
Je languis à grant dolour:
Tant ay désir de veoir sa valour.
Riens ne me plaist; tout fui, tout ay guerpi
Fors li qu’aim mieus cent mille fois que mi.

Quand je la vois, mon cœur est tant épris
Qu’il brûle et frissonne si amoureusement
Que cela se voit sur ma conduite et mon visage
Et quand je suis loin de son gentil visage
Je languis à grande douleur
Tant j’ai le désir de voir ses vertus
(d’être sa présence de)
Rien ne me va, je fuis tout, je rejette tout,
Sauf elle que m’aime cent mille fois plus que moi.

Einsi lonteins et pres langui toudis,
Dont changiés sui et muez tellement
Que je me doubt que n’en soie enhaïs
De meinte gent et de li proprement.
Et c’est toute ma paour;
Car je n’i sçay moien, voie ne tour,
Ne riens n’i puet valoir n’aidier aussi
Fors li qu’aim mieus cent mille fois que mi.

Ainsi, lointain ou proche, je languis toujours,
Ce qui m’a changé
(fig perdre la tête) et transformé grandement
De sorte que je ne doute pas que j’en sois haï
De maintes gens et d’elle aussi;
Et c’est ma grande crainte;
Car je ne connais ni le moyen, ni ne voit de tour (
de façon)
Ni rien qui puisse venir à mon secours,
Sauf elle que m’aime cent fois plus que moi.

(1) dictionnaire Godefroy court : « pris de rage » – Littré : moderne, Malherbe : « saisi d’un transport qui absorbe toutes les facultés de l’âme« 


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure utilisée pour l’image en-tête d’article est tirée du même manuscrit français 1586. Elle fait même l’ouverture de l’ouvrage qui débute par la pièce le Temps pascour ou Le jugement du roi de Bohème (dit Jugement du roi de Behaigne) de Guillaume de Machaut.