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Chanson médiévale : « Amigo, queredes vos ir ? » une cantiga du Roi Denis du Portugal

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet    :  troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de amor, galicien-portugais, musique médiévale
Période  : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe
Titre :  Amigo, queredes vos ir ?
Auteur    : Denis 1er du portugal  (1261-1325)
Interprète    : Paulina Ceremuzynska
Album : Cantigas de amor y de amigo, 2004

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu Moyen Âge central,  de nombreux  seigneurs et même rois se sont adonnés à l’art  des  troubadours et à l’exercice de la poésie courtoise.  On en trouve de célèbres dans le sud, comme dans le nord de la France, mais de nombreux autres pays d’Europe ne sont pas en reste.  C’est notamment le cas de la péninsule ibérique.

En Espagne, on connaîtra des lignées de grands rois et seigneurs, grand amoureux de littérature et  férus de  rimes,  dont Alphonse X de Castille n’est pas le moindre, bien sûr. Quant au  Portugal des XIIIe et XIVe siècles,  il léguera aussi de beaux auteurs et troubadours à la postérité, dont l’un des plus célèbres  n’est autre qu’un monarque du Portugal lui-même : Dom Dinis,  connu encore  sous le nom de Denis 1er du portugal, grand roi laboureur, fin politique,  homme de lettres et poète  à ses heures qui laissera de très belles pièces courtoises. C’est donc une d’entre elles que  nous vous présentons aujourd’hui, et sa belle interprétation par la talentueuse  Paulina Ceremuzynska.   Cette chanson d’amour médiévale a pour titre   « Amigo, queredes vos ir ? » : Ami, (ainsi) vous voulez partir ? »

Une cantiga de amor

Cantiga de amor plus que cantiga de amigo,   en fait de belle esseulée chantant l’absence de son  amant,  le Roi Denis nous propose plutôt ici un dialogue  entre un amant courtois et sa dame. Sur le thème de la séparation et du déchirement, on  peut lire entre ses rimes   ce qui pourrait être  une situation digne de   celle de Tristan et Yseult :   amour interdit ou illégitime  qui semble même  peut être déjà consommé ?  La cantiga-amor-roi-denis-musique-chanson-medievale-chansonnier-vaticanliaison qui sous-tend cette pièce poétique est, en tout cas, réciproque et bien engagée mais elle doit se terminer à l’initiative de l’amant.

On peut trouver notamment cette pièce dans le Cancioneiro da Vaticana. Cet impressionnant manuscrit du XVIe siècle  est  la copie d’un original daté du XIIIe-XIVe siècle. Il contient plus de 1200 cantigas, pour près d’une centaine d’auteurs. Voir également cet article.

Bien qu’à la torture, ce dernier prend en effet sur lui de   se « départir » de la dame.  Dut-il en mourir, il lui faut  s’en aller pour la sauver, elle ou sa réputation.  L’amour impossible, illicite,   trouve ici   ses limites et découvre toute l’étendue de son drame.

Du point de vue du style, le choix des mots reste celui de la simplicité comme c’est presque toujours le cas dans le genre des cantigas de amigo ou de amor espagnoles et portugaises. En fait de refrain formel, c’est le thème de la mort qui vient ici  scander cette poésie,  en faisant planer sa menace sur les deux amants meurtris d’avance à l’idée de la séparation.

 Amigo, queredes vos ir  par   Paulina Ceremuzynska

Cantigas de amor y de amigo
l’album de   Paulina Ceremuzynska

En 2004,       Paulina Ceremuzynska   sortait un superbe album   sur le thème  des    Cantigas de amor y de amigo du Moyen Âge central qu’elle affectionne particulièrement.  On se souvient, en effet,  que  cette  talentueuse chanteuse soprano et musicologue portugaise s’est installée à Santiago de Compostelle  où elle a eu l’occasion d’étudier de près la musique ancienne et les manuscrits du Portugal et de l’Espagne médiévale.
chanson-medievale-cantiga-amigo-roi-denis-album-Paulina-Ceremuzynska-moyen-ageCet album présente treize pièces superbement interprétées : neuf cantigas sont issues du répertoire de Don Denis du Portugal.  Quatre autres proviennent de celui du célèbre troubadour Martin  Codax.

A ce jour,  cette production  ne semble pas avoir été rééditée. Les seuls exemplaires qui se trouvaient disponibles à l’import  sur Amazon, sont, à date de cet article, écoulés : voir cantigas de Amor e Amigo.    On pourra peut-être la retrouver sur quelques plateformes dématérialisées légales mais il faut espérer qu’il sera également disponible à nouveau au format CD : la voix et les performances de Paulina Ceremuzynska ont toujours quelque chose de très spéciale et de très pur et,  à l’image de son travail, cet album est un véritable réussite.


« Amigo, queredes vos ir ? »    du roi Denis
traduit en français moderne

Amigo, queredes vos ir?
Si, mia senhor, ca nom poss’al
fazer, ca seria meu mal
e vosso; por end’a partir
mi convem d’aqueste logar;
mais que gram coita d’endurar
me será, pois m’é sem vós vir!

– Mon ami,   vous voulez partir ?
– Oui, ma dame, puisque je ne peux
faire autrement, car rester serait mon malheur
et le vôtre : c’est pourquoi il convient,
pour finir,   
que je quitte cet endroit.

Mais quel grand malheur vais-je devoir endurer
Puisque je ne vous verrai plus !

Amigu’, e de mim que será?
Bem, senhor bõa e de prez;
e pois m’eu fôr daquesta vez,
o vosso mui bem se passará;
mais morte m’é de m’alongar
de vós e ir-m’alhur morar.
Mais pois é vós ũa vez ja!

– Mon ami, et de moi qu’adviendra-t-il ?
– Et bien, belle dame de grande valeur
Quand je serais parti, cette fois
Votre bonheur disparaîtra,
Mais m’éloigner de vous me tuera,
Et pourtant il me faut m’éloigner
Même si c’est pour vous que je le fais!

Amigu’, eu sem vós morrerei.
– Nom querrá Deus esso, senhor;
mais pois u vós fôrdes, nom fôr
o que morrerá, eu serei;
mais quer’eu ant’o meu passar
ca assi do voss’aventurar,
ca eu sem vós de morrer hei!

Queredes-m’, amigo, matar?
Nom, mia senhor, mais por guardar
vós, mato-mi que m’o busquei.

– Mon ami, moi sans vous, je mourrai
– Je ne veux pas cela, madame,
Mais puisque là où vous irez, je ne pourrais aller,
Celui qui mourra, ce sera moi
Mais je veux mourir avant
De vous causer des mésaventures 
Car sans vous je mourrais.

– Ami, vous voulez-me tuer ?
–    Non ma dame, mais pour vous protéger
C’est moi que je cherche à tuer (c’est moi que je veux tuer puisque je l’ai mérité).

Note :   cette traduction mériterait quelques vérifications aussi  disons que c’est une premier jet.


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Diex comment porroie » au XIIIe siècle, un rondeau courtois du trouvère Adam de la Halle

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :    musique, chanson médiévale, vieux français, trouvères d’Arras,  rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :     Adam de la Halle (1235-1285)
Titre :    Diex  comment porroie
Interprète  :  Ensemble Sequentia
Album  : Trouvères (1984)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionotre  vaisseau continue de voguer, toutes voiles dehors, sur les eaux du passé et du monde médiéval.  Aujourd’hui, c’est au XIIIe siècle que nous vous entraînons, au nord de la France et dans   une province qui a vu  naître de très grands auteurs du Moyen Âge central : celle d’Arras.

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Tiré des Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle (poésie et musique), Edmond de Coussemaker (1872)

Parmi  eux,   dans la famille des trouvères,   Adam de la Halle ou Adam le bossu est, sans doute, demeuré l’un des plus célèbres. Il faut dire que l’oeuvre de celui que l’on a appelé, parfois, le dernier trouvère, est particulièrement prolifique. À la lisière des compositions monodiques et des premiers envols de la musique polyphonique, il  nous a légué de nombreuses compositions et chansons :  motets et rondeaux, mais aussi pièces de théâtre aux thèmes variés,   pastourelles, congés, …, trempées de lyrisme et de courtoisie mais aussi, quelquefois, de notes plus  satiriques.

Le Ms Français 25566  ou  chansonnier français W

adam-de-la-halle-rondeau-chanson-medievale-diex-coment-porroie-ms-français-25566-moyen-age-sOn peut trouver les œuvres d’Adam de la Halle dans plusieurs sources d’époque, mais nous profitons de ce rondeau pour vous parler du manuscrit Français 25566 de la BnF, également connu sous le nom de Chansonnier  français W (consultable sur Gallica au lien suivant).

Daté du XIIIe siècle, ce beau manuscrit médiéval enluminé,  plutôt bien conservé, est donc sous bonne garde au département des manuscrits de la BnF.   Ses 283 feuillets comprennent de nombreuses œuvres de la province d’Arras, entre chansons, poésies et pièces  littéraires. Pour n’en citer que quelques auteurs, on y retrouve Jean bodel et ses célèbres « congiés », des pièces de Huon de Mery, Richard de Fournival, Baudouin de Condé  et encore d’autres auteurs du cru ou des alentours. Quant à Adam de la halle, entre rondeaux, motets et pièces plus étoffées, il s’y trouve clairement à l’honneur. Ce manuscrit médiéval contient, en effet, l’essentiel de son legs.

« Diex comment porroie » avec l’Ensemble médiéval Sequentia

Trouvères : chansons d’amour courtois du nord de la France

« Trouvères : Hofische Liebeslieder Aus Nordfrankreich« . En 1984  l’Ensemble Sequentia signait un triple album monumental  sur le thème des trouvères du nord de la France médiévale. Trois ans plus tard, l’oeuvre était rééditée sous forme de double album , avec pas moins album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralde 43 pièces   finement  interprétées, sous la direction de Benjamin Bagby.  

Pour qui s’intéresse de près à la musique des trouvères   du Moyen Âge central ou même à la langue d’oïl, cet album demeure  incontournable. On le trouve encore à la vente, sous forme CD ou MP3, au lien suivant   :  Trouvères : Chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl.


« Diex comment porroie » :   de la langue d’oïl
d’Adam de la halle  au français moderne

Diex, coment porroie
Sans cheli durer (résister, endurer, poursuivre, durer)
Qui me tient en joie ? (joie, amour)
Elle est simple et coie (calme, tranquille),
Diex coment porroie, etc.

Ne m’en partiroie (séparer),
Pour les iex (yeux) crever,
Se s’amours n’avoie.
Diex, coment porroie
Sans cheli durer
Qui me tient en joie.

Dieu comment pourrais-je
Résister  sans celle
Que me tient en joie.
Elle est simple et tranquille
Dieu comment pourrais-je
Résister sans celle
Que me tient en joie.

Ne m’en séparerais,
Dût-on me crever les yeux
Pour que je n’ai plus son amour.
Dieu comment pourrais-je
Résister    sans celle
Que me tient en joie.


En vous souhaitant une fort belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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La Cantiga de Santa Maria 140 : chant de louange à la Vierge et culte marial médiéval

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet  : musique médiévale,  Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, louange, Sainte-Marie,  vierge, miséricorde
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Titre :  Cantiga de Santa Maria 140    « Sean dados honrados »
Auteur
: Alphonse X  (1221-1284)
Ensemble :  Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic 
Album :  Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria (1999)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous  revenons, aujourd’hui, à l’Espagne médiévale d’Alphonse le Savant avec une  Cantiga de  Santa Maria. Nous avons, jusque là, étudié de nombreux miracles  issus de ce corpus du roi de Castille du XIVe siècle.   Cette fois-ci, pour varier un peu, la pièce que nous vous proposons, la cantiga  140 est un chant de louange. Elle alimentera également,   nos autres articles au  sujet du culte marial et son importance au Moyen Âge central.

Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic

Theatrum  Instrumentorum   &  Aleksandar Sasha Karlic 

La formation Theatrum  Instrumentorum fut fondée  au milieu des années 90  et dirigée par   Aleksandar Sasha Karlic.  La passion de ce musicien yougoslave pour les musiques anciennes ou encore ethniques, n’était pas nouvelle.  Installé en Italie, il y  avait suivi le conservatoire de Milan et de Parme. Plus tard, il avait également collaboré avec quelques grands noms de la scène locale des musiques anciennes et traditionnelles. En plus de ses talents  de directeur, Aleksandar Sasha Karlic  est aussi  joueur de luth , de oud, de  percussions et il également doté de talents vocaux.

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Aleksandar Sasha Karlic et la passion des musiques traditionnelles et anciennes

Sous sa houlette, la formation  Theatrum Instrumentorum   s’est faite connaître dans le domaine des musiques anciennes et médiévales,  en Italie,  mais aussi dans d’autres pays d’Europe. Du point de vue discographique, elle a légué 6 albums qui furent tous  bien accueillis par la critique.   En plus de la Cantiga de Santa Maria qui fait l’objet de cet article et d’autres encore, on peut y trouver les Carmina Burana, le Llibre Vermell de Montserrat, mais encore des Chants grégoriens et religieux de Giovanni Pierluigi da Palestrina en provenance du XVIe siècle.

Sauf erreur, Theatrum Instrumentorum n’est plus actif depuis longtemps déjà et on ne trouve plus grand chose à son sujet sur le net.  Quant à son directeur, en 2004, il a fondé, toujours en Italie,   Balkan Blues, une nouvelle formation autour des musiques des Balkans qu’il affectionne particulièrement depuis ses débuts de carrière.  Parallèlement, il a  continué de laisser vibrer sa passion pour les musiques anciennes et traditionnelles du berceau méditerranéen, en étant encore largement salué par la critique pour ses travaux dans ce domaine.

Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria

En 1999,   Theatrum Instrumentorum sortait un album   autour des Cantigas d’Alphonse X de Castille.  On peut y trouver 12 pièces  d’exception qui laissent une large  place  à  l’interprétation vocale.

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Alfonso el Sabio, Cantigas de Santa Maria, l’album

Cet album est toujours disponible à la distribution. Le CD ne semble pas avoir été réédité, ces dernières années ; Il peut donc s’avérer difficile à débusquer ou être mis en vente à des prix un peu hors de portée. En revanche,  les pièces qui le composent sont disponibles à la vente et au téléchargement, au format MP3, sur divers sites internet. A toutes fins utiles, voici le lien correspondant sur Amazon : Alfonso X « El Sabio »: cantigas de Santa Maria by Theatrum Instrumentorum.


La Cantiga de Santa Maria 140
du  galaïco-portugais  au français moderne

Esta es de loor de Santa María.

Celle-ci (cette cantiga) est en louanges à Sainte Marie

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Qu’à Sainte-Marie soient faites
des louanges respectueuses.
(Que soit louée avec respect Sainte Marie)

Loemos a sa mesura,
seu prez, e ssa apostura,
e seu sen, e ssa cordura,
mui mais ca cen mil vegadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa mesure,
Son prestige et son intégrité (maintien)
Son bon jugement et sa raison,
Bien plus  de cent mille fois.

refrain.

Loemos a ssa nobressa,
sa onrra e ssa alteza,
sa mercee e ssa franqueza,
e sas vertudes preçadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa noblesse,
son honneur et son altesse (élévation, noblesse des valeurs)
Sa miséricorde, sa franchise
Et ses précieuses vertus.

refrain.

Loemos sa lealdade,
seu conort’ e ssa bondade,
seu accorr’ e ssa verdade,
con loores mui cantadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons sa loyauté,
Sa consolation (ou confort : dans le sens de conforter) et sa bonté,
Son secours et sa vérité
Avec des louanges bien chantées.

refrain.

Loemos seu cousimento,
conssell’ e castigamento,
seu ben, seu enssinamento,
e sass graças mui grãadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Louons son attention,
Son conseil et ses mises en garde,
Son bien, ses enseignements,
Et ses grâces très prisées.

refrain.

Loando-a, que nos valla,
lle roguemos na batalla
do mundo que nos traballa,
e do dem’ a donodadas.

A Santa Maria dadas
sejan loores onrradas.

Et la louant, nous la prions,
qu’elle nous prête courage dans la bataille
Contre le monde qui nous tourmente
Et contre le démon.


Vous pourrez trouver ici les Cantigas de Santa Maria traduites et étudiées  avec leurs sources anciennes et leur interprétation par les plus grandes formations de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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« Baros de mon dan covit » l’amour courtois et la grandiloquence de Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, fine amor, fine amant, chansonnier provençal E
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre :  Baros de mon dan covit
Interprète  :  Musica Historica
Evénement : concert pour les 20 ans de l’ensemble  à Budapest (2008)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous retournons aux siècles des premiers troubadours du pays d’Oc avec Peire Vidal. Grandiloquent, tonitruant, claironnant presque,   le poète provençal se pose, une fois encore, en chevalier émérite, « fine » amant d’exception,  et même grand séducteur fatal et renommé. Pour un peu,  il serait presque l’égal des  rois si ceux-là ne finissaient par l’envier.  Quant  à ceux qui le raillent et le critiquent, la couleur est annoncée d’emblée, notre troubadour les salue de son mépris. Là  encore, le fameux thème des « déloyaux » et « médisants », récurrent dans la courtoisie, refait surface (voir autre article sur ce sujet).

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La chanson de Peire vidal dans le Chansonnier Provençal E de la BnF (1270-1350) Manuscrit  Français 1749 – Consulter ce manuscrit médiéval ici

Pour le reste, faut-il prendre Peire Vidal  au sérieux dans ses grandes envolées lyriques et « superlatives » ? Le ton finit par devenir humoristique et on serait presque tenter d’y voir, par endroits, une sorte de Don Quichotte avant l’heure ? A l’évidence, le troubadour ne craint pas non plus d’enchaîner les contradictions. Ainsi, les dames sont à ses pieds. Il folâtre même avec toutes, nous dit-il, tout en s’affirmant, dans le même temps, comme amant parfait au service d’une seule.  Quoiqu’il en soit, par son style, son  ton libre et cette façon unique de   se mettre en avant, il demeure un troubadour tout à fait particulier (et plaisant), de cette période du Moyen Âge.

Pour finir sur l’approche de cette chanson,  notons qu’on y retrouve également son grand goût du voyage. Il l’exprime même ici comme un des traits qui aurait fait partie intégrante de sa réputation : une forme de nécessité de mouvement qui lui était propre et qui aurait presque pu paraître, à ses propres yeux, comme une fâcheuse habitude,  et peut-être même une « maladie » (malavei).

Pour découvrir cette belle pièce occitane médiévale, nous vous proposons l’interprétation de Musica Historica.

« Baron de mon dan covit » de Peire Vidal avec Musica Historica

L’ensemble Musica Historica

Fondé en 1988 à Budapest, l’ensemble Musica Historica s’est doté d’un répertoire assez large qui part de la période médiévale pour s’étendre jusqu’à des musiques plus folkloriques et populaires des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Du point de vue des aires géographiques, on retrouve, chez eux, des compositions en provenance de l’Europe de l’ouest même si leur terrain de prédilection  se situe plutôt en  Europe de l’est.

Rumen István Csörsz, le fondateur du groupe (au centre de  la photo ci-dessous) est aussi celui qui prête sa voix à la pièce de Peire Vidal que nous présentons aujourd’hui. En plus d’une solide formation en musique classique, ce multi-instrumentiste et directeur a également longuement étudié l’histoire, la poésie et la littérature Hongroise, notamment sa relation avec les musiques folk et populaire des XVIIIe et XIXe siècles. Ceci explique la forte empreinte de ces thématiques sur le répertoire du groupe.

musique-ancienne-peire-vidal-ensemble-musica-historica-moyen-age

Discographie et concerts

Musica Historica ne semble quasiment jamais se produire en France. On  retrouve bien plus la formation en Hongrie, Autriche et Slovakie mais encore en Allemagne et Italie.  Sa discographie est riche d’une dizaine d’albums, dont la majeure partie est centrée sur le répertoire hongrois ancien, comme nous le mentionnions plus haut.  Au delà de la scène, les membres du groupes, accompagnés d’autres collaborateurs ont également fondé en 1997, la Musica Historica Cultural Association, dont la vocation s’étend de la promotion d’événements autour de la musique ancienne à son enseignement.

Site web du groupe –   Page Facebook


« Baros de mon dan covit »
De l’occitan au français moderne

Note sur la traduction : nous suivons encore de près , ici,  les travaux du philologue et romaniste   Joseph Anglade  (1868-1930) dans son ouvrage les  poésies de Peire Vidal   (1913).

I
Baros de mon dan covit,
Fals lauzengiers desleials,
Qu’en tal domna ai chauzit,
On es fis pretz naturals.
Et eu am la de fin cor, ses bauzia,
E sui totz seus, quora qu’ilh sia mia,
Quar sa beutatz e sa valors pareis,
Qu’en leis amar fora honratz us reis,
Per qu’eu sui rics sol que’m denh dire d’oc.

Je méprise les seigneurs
qui sont de faux et déloyaux médisants, (1 !)
car j’ai choisi une dame
où la distinction parfaite est une qualité innée.
Et je l’aime d’amour parfait, sans fausseté,
et je suis tout à elle, quel que soit le moment où elle voudra être mienne ;
car sa beauté et sa valeur sont si manifestes
Qu’en l’aimant un roi serait honoré ;
aussi, suis-je riche pourvu qu’elle daigne me dire oui.

II
Que res tan no m’abelit
Com sos adreitz cors leials,
On son tug bon aip complit
E tug ben senes totz mals.
Pos tot i es quan tanh a drudaria,
Ben sui astrucs, sol que mos cors lai sia ;
E si merces, per que totz bos aips creis
Mi val ab leis, bems pose dir ses tot neis,
Qu’anc ab amor tant ajudar no’m poc.

Car rien ne me charme plus
Que son cœur  droit et loyal
Dans lequel sont réunis toutes les vertus 
Et tout le bien sans aucune trace de mal.
Puisqu’elle a tout ce qui convient à l’amour,
Je serai heureux, pourvu que je sois à ses côtés ;
Et si la pitié, en laquelle résident toutes les bonnes qualités,
M’est de quelque  valeur  auprès d’elle, je puis bien vous dire  encore (2)
Que jamais  en amour, elle ne pourra  m’être  d’un  plus grand secours.

III
Chant e solatz vei falhit,
Cortz e dos e bels hostals,
E domnei no vei grazit,
Si’lh domn’ e-l drutz non es fals.
Aquel n’a mais que plus soven galia.
Non dirai plus, mas com si volha sia.
Mas peza me quar ades non esteis
premiers fals que comenset anceis :
E fora dreitz, qu’avol eissemple moc.

Je vois les chants et les divertissements faire défaut  (3)
Les réunions, la bonne hospitalité et la libéralité;
La courtoisie (Anglade : galanterie) n’est plus honorée,
A  moins que dame et amant ne soient faux (Anglade : fourbes).
Celui-là a la plus belle récompense qui trompe le plus ;
Je n’en dirai pas plus, mais qu’il en soit ainsi (4).
Mais ce qui me chagrine c’est qu’il n’ait pas disparu sur le champ :
Le premier fourbe qui débuta cela (5)
Ce serait juste, car il montra un bien mauvais exemple.

IV 
Mon cor sent alegrezit,
Quar me cobrara’N    Barrals.
Ben aja cel que’m noirit
E Deus ! quar eu sui aitals;
Que mil salutz me venon cascun dia
De Catalonha e de Lombardia,
Quar a totz jorns poja mos pretz e creis.
Quar per un pauc no mor d’enveja’l reis,
Quar ab domnas fauc mon trep e mon joc.

Je sens mon cœur  réjoui,
Car Barral (6) m’aura de nouveau.
Heureux celui qui m’a élevé
Et que Dieu le protège ! Car je suis si connu
Que mille salutations  m’arrivent  chaque jour
De Catalogne et de Lombardie ;
Car tous les jours montent et grandit ma renommée.
Au point que, pour un  peu, le roi en mourrait d’envie,
Car je fais mes folâtreries et mes jeux avec les dames.

V
Ben es proat et auzit
Com eu sui pros e cabals,
E pos Deus m’a enriquit,
No-s tanh qu’eu sia venals.
Cen domnas sai que cascuna’m volria
Tener ab se, si aver me podia.
Mas eu sui cel qu’anc no-m gabei ni-m feis
Ni volgui trop parlar de mi mezeis,
Mas domnas bais e cavaliers desroc.

Ma vaillance et ma supériorité 
Sont choses connues et prouvées (7);
Puisque Dieu m’a enrichi,
Il ne convient pas que je sois vénal.
Je connais cent femmes dont chacune voudrait
Me   tenir auprès d’elle, si elle le pouvait m’avoir.
Mais je suis celui qui, jamais, ne parle pour ne rien dire, ni n’affabule (ni n’est   vaniteux)      
(8)
Je n’ai jamais trop voulu parler de moi-même,
Mais j’embrasse les dames et met à terre les cavaliers. (Anglade : renverse)

VI 
Maint bon tornei ai partit
Pels colps qu’eu fier tan mortals,
Qu’en loc no vau qu’om no crit :
 »    So es En Peire Vidais,
 »  Cel qui mante domnei e drudaria
 » E fa que pros per amor de s’amia,
 » Et ama mais batalhas e torneis
  » Que monges patz, e sembla-l malaveis
 »  Trop sojornar et estar en un loc. »

J’ai mis fin à maints bons tournois
Par les coups mortels que j’ai porté ;
De sorte qu’il n’est d’endroits où j’aille où on ne s’écrit : 
« Voilà messire Peire Vidal,
Celui qui maintient courtoisie et galanterie,
Qui agit en vaillant homme (avec mérite) pour l’amour de sa mie,
Et aime mieux batailles et tournois
Qu’un moine n’aime la paix et  pour qui semble une maladie
De séjourner et de rester trop longtemps dans un même lieu. »

VII
Plus que no pot ses aiga viure-l peis,
No pot esser ses lauzengier domneis,
Per qu’amador compron trop car lor joc.

Pas plus que le poisson ne peut vivre sans eau,
La Courtoisie ne peut vivre sans médisants :
C’est pourquoi    les amants payent bien cher leur joie.  

Notes

(1)   Peire Vidal a-t-il vraiment donné, dans cette chanson, le visage des puissants aux médisants  comme l’a traduit   Joseph Langlade  en son temps ?  « Baros de mon dan covit » : « je méprise les seigneurs faux et desloyaux ».   Ou faut-il plutôt y  voir une adresse, une virgule absente et traduire   « Seigneurs, Barons,  je méprise les  médisants et les déloyaux » ? Cela semblerait plus plausible et, en tout cas, largement moins provocateur comme entrée en matière.
(2) Anglade :  « je puis bien vous dire  sans hésitation, sans mensonge »
(3) Anglade : « je vois la poésie en décadence, ainsi que les joyeux entretiens »
(4) Anglade :  « que les choses aillent comme elles voudront »
(5) Anglade : « celui qui commença à être fourbe »
(6) Barral : Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, un des protecteurs de  Peire Vidal
(7)  Cette fois,  je laisse la version d’Anglade mais je mets ici une alternative de notre cru parce que les adjectifs « pros » et « cabals » sont tout de même  à tiroirs :  il est bien connu et établi combien je suis valeureux (méritant, bon)  et puissant (excellent, juste, loyal).
(8)  Anglade :  « Mais je suis d’un naturel à ne jamais faire le fanfaron »


Au sujet de la courtoisie, vous pouvez également consulter cet article   :   réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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