Sujet : poésies courtes, poésie de cour, quatrain, moyen français, humour, science, pouvoir, argent. Période : XVIe s, renaissance, hiver du Moyen Âge Auteur : Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558) Ouvrage : Œuvres poétiques de Mellin de S. Gelais (1719)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partageons un nouveau quatrain de Melin de Saint-Gelais pour mettre un peu d’esprit et de réflexion dans votre journée. À cheval sur le Moyen Âge et la renaissance, ce poète de cour de la génération de Clément Marot et qui a même reçu quelques éloges poétiques de ce dernier, a brillé par son esprit, son style et son sens de la chute. On le retrouve, ici, dans une pièce courte et mâtinée d’ironie sur les savants et leur relation aux puissants et aux nantis.
« Dy moy, ami, que vaut-il mieux avoir, Beaucoup de biens, ou beaucoup de savoir ? Je n’en say rien, mais les savans je voy Faire la cour à ceux qui ont dequoy. » Melin de Saint-Gelais – Quatrain
Difficile de reconstruire le contexte historique de ce quatrain. Les lieux de pouvoir et d’argent sont toujours le théâtre de bien des doléances et sollicitudes. Au vue du contexte, c’est d’ailleurs plutôt la résonnance actuelle de ces quatre vers qui aurait tendance à nous interpeller. Ceux qui ont suivi, depuis plus d’un an, les développements autour de ce qu’est devenue une partie de la science médicale ne manqueront peut-être pas, à leur tour, de juger d’une certaine ironie de leur actualité. Disant cela, on ne pense pas, bien sûr, aux personnels soignants, à leur courage et leurs grandes difficultés de moyens, ni aux médecins qui font encore, en leur âme et conscience, leur travail de prescription, mais plutôt à une certaine science « de couloir », mêlée d’intérêts privés, un peu plus haute, un peu plus distante, un peu plus proche du pouvoir et des deniers aussi, quand ce n’est pas des deux.
Dans la même veine, on pense aussi (comment s’en empêcher ?) aux enjeux touchant aux conflits d’intérêt et aux innombrables défilés médiatiques des « experts médicaux » arrosés ou sponsorisés qui, et c’est bien le problème, avancent à couvert avec la complicité, passive ou non, de leurs hôtes. Viennent encore à l’esprit, certaines opérations boursières de 2020 rondement menées, les sommes gigantesques engagées, cette course lucrative aux nouvelles molécules, revendues à prix d’or, et qui sème, dans son sillage, l’opprobre sur toute autre solution expérimentée ici ou là. Enfin, pour compléter le tableau, ajoutons l’achat massif (et inconsidéré ?) par la commission européenne d’un traitement déclaré inefficace le jour d’après, si ce n’est l’avant-veille, ou encore les révélations entendues lors de certaines commissions d’assemblées… Le tout dans un contexte, saupoudré de tacles et d’obstruction à la prescription médicale, de tri sélectif dans les études, et encore d’arbitraire et de répression dont nous sommes nombreux, aujourd’hui, à ne plus lire clairement les soubassements.
Bref c’est à sortir du cadre médiéval et on est tenté de lire, non sans grincer, dans ce quatrain de Melin de Saint-Gelais, un peu plus qu’une note d’humour d’époque, une réalité bien actuelle.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âgee sous toutes ses formes.
NB : la miniature ayant servi à l’image d’en-tête est tirée du très beau Psautier latin dit de Saint Louis et de Blanche de Castille. Ce manuscrit médiéval, daté des débuts du XIIIe siècle et référencé Ms-1186, est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal et consultable sur Gallica.
Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson médiévale, poésie, occitan médiéval, catalan, pastourelle, chanson nouvelle Période : Moyen Âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « A la fontana del vergier» Interprètes : Maria Del Mar Bonet Album : Breviari D’Amor (1982)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons direction le XIIe siècle et le pays d’oc médiéval avec une nouvelle chanson du troubadour Marcabru. Il s’agit d’une pièce bien plus accessible si on la compare à certaines autres auxquelles cet expert du trobar clus nous a habitué.
Cette chanson a pour titre A la fontana del vergier (À la fontaine du verger) et nous aurons l’occasion de la commenter et de la traduire pour vous. Cette fois, pour son interprétation, nous avons choisi de faire un détour du côté de la Catalogne avec une superbe version vocale de María del Mar Bonet, sur une musique composée et arrangée par le pianiste Jordi Sabatés et des paroles adaptées de l’occitan médiéval au catalan, de manière très réussie, par Toni Moreno.
Pastourelle, chanson de toile : l’univers de référence de cette pièce médiévale
Les érudits, médiévistes ou romanistes, soucieux de taxinomie et de classement, ont pu quelquefois hésiter, face à cette composition de Marcabru : chanson de toile ou pastourelle ? Il faut dire que le cadre bucolique et champêtre, ce temps au renouveau printanier et cette rencontre « fortuite » entre le poète et la jeune fille sont trompeurs. Pourtant, même si le départ de cette poésie pourrait nous engager à la rapprocher d’une pastourelle, elle évolue ensuite vers toute autre chose. La jeune fille est noble et si elle fait l’objet du désir (non partagé) du poète, en fait de se rapprocher, ce dernier se tiendra sur la réserve face à la tournure prise par les événements. Pleurant sur son ami parti à la croisade, la belle donnera, en effet, à cette pièce quelques allures de chansons de toile (ou, dans une genre plus hispanisant et tardif, de cantigas de amigo) sans en adopter, non plus, tous les codes.
Contre l’appel à la croisade ?
Loin du cadre de l’un ou de l’autre genre, Marcabru donnera encore à sa chanson un tour assez caustique et presque subversif, en nous présentant une jeune fille quelque peu « remontée » contre le Christ et les appels de ce dernier envers tous les hommes du siècle pour le servir (en l’occurrence en terre sainte et par les armes). Dans son chagrin, elle ira même jusqu’à vilipender directement (sinon même maudire) le roi de France, Louis, pour ses exhortations à la croisade. En rapprochant les dates, il ne peut que s’agir de Louis VII et de l’appel à la deuxième croisade (1147-1149). Le poète essaiera alors de consoler la jeune fille, en la ramenant à la raison ; « Dieu peut tout, même lui redonner de la joie ». Elle n’ira pas jusqu’à renier sa foi, mais en guise de réponse, elle restera amère et triste face à ce sort funeste qui lui aura arraché l’être aimé.
Sur le fond, on n’est ici aux antipodes de la chanson de Marcabru Les vers du lavoir, appel retentissant à la croisade fait, par ailleurs, par le troubadour. Faut-il seulement voir ici, de la part de ce dernier, une volonté de mettre l’emphase sur la grande détresse de la jeune fille, plutôt que l’intention de s’élever indirectement contre la croisade et ses conséquences ? Le cas échéant, il lui aurait été facile d’éviter de prendre aussi directement à partie le roi en le citant, même par l’intermédiaire de la jeune fille. Autre temps, autres priorités ? Un décalage de quelques années ou mois entre les deux textes peut, peut-être, suffire à expliquer cela.
Au delà de ces questions, et en écoutant cette chanson au tout premier degré, on se trouve face à une poésie très accessible et qui fait mouche, tant par son style que par l’émotion qui s’en dégage.
Marcabru, de la Gascogne médiévale à la Catalogne du XXe siècle
Ce n’est pas la première fois que nous présentons ici une pièce en langue catalane (voir nos articles sur la question). Pour qui s’intéresse de près aux langues romanes, certaines parentés et rapprochements entre la chanson du jour et le provençal, le français, l’italien et l’espagnol sauteront, sans doute, aux yeux. La prononciation peut paraître distante mais tant de racines communes nous sont familières.
Au Moyen Âge central, il existe une convergence culturelle indéniable entre le sud de la France et le nord de l’Espagne et même de l’Italie. Certains troubadours notoires du pays d’oc et de Provence ont d’ailleurs passé allégrement les frontières pour voyager jusqu’à des cours princières ou royales de la péninsule ibérique et nous ont laissé des textes pour en témoigner. Aujourd’hui, le catalan est une langue bien vivante, plus encore du côté espagnol (en Catalogne, dans le pays valencien, dans les îles baléares).
A la fontana del verger – Maria del Mar Bonet – Jordi Sabatés
Le Breviari d’Amor de Maria Del Mar Bonet
Au début des années 80, le pianiste et compositeur Jordi Sabatés et le parolier Toni Moreno s’associaient autour d’un projet visant à proposer des chansons de troubadours provençaux et catalans médiévaux, en catalan moderne. Toni Moreno se chargea de traduire et d’adapter les paroles des poésies d’époque. De son côté, en repartant des manuscrits et des mélodies anciennes, Jordi Sabatés décida de les arranger pour les mettre au goût d’un public plus contemporain.
De cette collaboration résulta 14 compositions. Il en ressortit une sélection de 9 chansons qui donna lieu à un album au titre évocateur de Breviari d’amor. Cette production sera enregistrée en 1981 et c’est la chanteuse catalane María del Mar Bonet qui lui prêtera sa belle voix.
Des Troubadours occitans et catalans
On retrouvera dans ses 9 pièces revisitées de grands noms de la chanson médiévale occitane et provençale : Marcabru, avec la pièce du jour. Guilhem de Poitiers et son « Vers de rens« . Raimbaut de Vaqueiras et ses Altas undas que venez suz la mar, le Reis glorios de Guiraut de Bornelh. S’y ajouteront encore deux chansons de Béatrice de Dia, une de Raimon Jordan et deux compositions des troubadours catalans Cerverí de Girona et Guillem de Berguedà.
Cet album n’est pas toujours évident à trouver au format CD, mais on peut le trouver au format Mp3 sur quelques sites spécialisés. Notons que quelques années plus tard, à l’aube des années 90, Jordi Sabatès présentera le même programme en concert, accompagné cette fois de Laura Simó. Cette chanteuse catalane aux intonations de voix très chaudes et qui avait fait ses classes dans l’univers du Jazz démontrera, à son tour, une aisance et une virtuosité impressionnante dans ce répertoire.
A la fontana del verger en catalan moderne
A la fontana del verger, on l’herba creix fins al roquer, a l’ombra d’un dolç taronger -el seu voltant tot ple de flors i d’un ocell viu i lleuger-, la vaig trobar sens pretendent la qui refusa el meu solaç.
Era donzella de cos bell, filla del noble del castell, i quan vaig creure que l’ocell, les flors i l’aigua i el cel blau feien feliç son cor novell i escoltaria el meu consell, va canviar de tarannà.
Son plor arribà fins a la font, els seus sospirs trenquen el cor: « Jesús -diu ella-, rei del món!, per Vós augmenta el meu dolor, car el desig vostre em confon, vist que els joves de tot el món estan servint-vos perquè us plau. »
« Per Vós és fora el meu amic, el bell, el noble, el més gentil, i aquí coman mon cor patint, mon desconsol i el meu desig. Maleït sia el rei Lluís, que donà ordres i predics i omplí de gran dol el meu pit. »
Veient-la així desconhortar li dic suaument vora el riu clar: « Ja n’hi ha prou de tant plorar: marceix la cara i el color, i no us cal desesperar, que Déu que fa els arbres fruitar, us pot donar consol i amor. »
« Senyor -diu ella-, és veritat que en el cel Déu s’apiadarà del meu cor trist i enamorat. Serà, però, a l’altra vida; en canvi ara m’ha deixat sense l’amor de l’estimat, i l’ha portat ben lluny de mi. »
A la Fontana del vergier de l’occitan médiéval au français moderne
NB : pour la traduction en français, nous avons suivi à l’habitude l’ouvrage de JML Dejeanne (Poésies complètes du Troubadour Marcabru, 1909) en complétant notre approche du texte avec des recherches personnelles (dictionnaire d’occitan médiéval, traductions comparées en provenance de divers romanistes et en langues diverses, …)
I A la fontana del vergier, On l’erb’ es vertz josta-I gravier, A l’ombra d’un fust domesgier, En aiziment de blancas flors E de no.velh chant costumier, Trobey sola, ses companhier, Selha que no vol mon solatz.
A la fontaine du verger, Où l’herbe est verte, près du gravier (Dejeanne : de la grève) A l’ombre d’un arbre fruitier, Garni de belles et blanches fleurs Et au son du chant habituel de la nouvelle saison, Je trouvai seule, sans compagnie, Celle qui ne veut pas mon bonheur.
II So fon donzelh’ab son cors belh Filha d’un senhor de castell; E quant ieu cugey que l’auzelh Li fesson joy e la verdors, E pel dous termini novelh, E quez entendes mon favelh, Tost li fon sos afars camjatz.
C’était une demoiselle au corps très beau (gent), Fille d’un seigneur de château. Et au moment où je pensais que les oiseaux, comme la verdure, lui donnaient de la joie, Ainsi que la douceur du temps nouveau, Et qu’elle voudrait entendre mes paroles, Elle changea totalement de conduite (attitude, contenance).
III Dels huelhs ploret josta la fon E del cor sospiret preon. « Ihesus », dis elha, reys del mon, Per vos mi creys ma grans dolors, Quar vostra anta mi cofon, Quar li mellor de tot est mon Vos van servir, mas a vos platz.
Ses yeux pleuraient, tout près de la fontaine, Et son cœur s’épanchait en de profonds soupirs. « Jésus », dit-elle, roi du monde, Par vous s’accroît ma grande douleur, Car votre outrage cause ma perte, Puisque les meilleurs de tout cet univers Vont vous servir, car tel est votre plaisir.
IV Ab vos s’en vai lo meus amicx, Lo belhs e-I gens e-I pros e-I ricx; Sai m’en reman lo grans destricx, Lo deziriers soven e-I plors. Ay mala fos reys Lozoicx Que fay los mans e los prezicx Per que-l dois m’es en cor intratz !
Avec vous s’en va mon ami, Le beau, le gent, le preux et le puissant Et ici, il ne me reste que grande détresse, Le désir souvent et les pleurs. Aie ! Maudit soit le roi Louis (Dejeanne : la male heure soit ) Qui a donné ces ordres et fait ces exhortations (à la croisade) Par lesquels le deuil est entré en mon cœur !
V Quant ieu l’auzi desconortar, Ves lieys vengui josta-l riu clar « Belha, fi-m ieu, per trop plorar Afolha cara e colors; E no vos cal dezesperar, Que selh qui fai lo bosc fulhar, Vos pot donar de joy assatz. »
Et quand je l’entendis se lamenter ainsi Je vins vers elle tout près du clair ruisseau « Belle, lui dis-je, à trop pleurer Flétrissent le visage et ses couleurs; Et il ne vous faut point désespérer, Car celui qui fait fleurir et refeuillir les bois Peut vous donner beaucoup de joie.«
VI Senher, dis elha, ben o crey Que Deus aya de mi mercey En l’autre segle per jassey, Quon assatz d’autres peccadors Mas say mi tolh aquelha rey Don joys mi crec mas pauc mi tey Que trop s’es de mi alonhatz.
Seigneur, dit-elle, je crois bien Que Dieu aura merci de moi dans l’autre monde et pour toujours, Comme de nombreux autres pécheurs. Mais ici il m’enlève cet être précieux (rey roi, res chose) Qui a accru ma joie, mais qui tient peu à moi, Puisqu’il s’est trop éloigné de moi.
En vous souhaitant une agréable journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : l’image d’en-tête est tirée du Manuscrit médiéval Français 12473 ou chansonnier provençal K (consultable sur Gallica).
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, Espagne médiévale. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Compilateur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 7 « Santa Maria amar » Interprètes : Ensemble Apotropaïk Concert : Générations France Musique (2019)
Bonjour à tous,
Au XIIIe siècle, à la cour d’Alphonse X de Castille, on compile et on réunit des miracles et des chants autour du culte marial. L’œuvre et le corpus prendront le nom des Cantigas de Santa Maria. Sur moyenagepassion, nous sommes partis en quête de ces œuvres depuis quelques années. Comme elles sont originellement en galaïco-portugais, nous nous efforçons de les commenter et de les traduire. Nous en profitons, au passage, pour vous présenter de grands ensembles de la scène médiévale actuelle qui se sont attelés à leur interprétation.
La Cantiga de Santa Maria 7 ou l’absolution d’une abbesse piégée par le démon
Nous vous avons présenté cette cantiga de Santa Maria 7, dans le détail, il y a déjà quelque temps. Pour en redire un mot, ce miracle relate l’histoire d’une abbesse. Poussée à la faute par le diable nous dit la Cantiga, cette dernière s’était retrouvée enceinte de son intendant, un homme de Bologne.
Bientôt, la religieuse fut dénoncée auprès de l’évêque par ses nonnes empressées d’infliger une leçon à leur supérieure. Le dignitaire se déplaça donc pour la confondre, mais c’était sans compter sur l’apparition de la vierge à laquelle l’abbesse était particulièrement dévote. La sainte répondit, en effet, à ses appels de détresse et apparut pour la délivrer en songe de l’enfant qui fut envoyé à Soissons afin d’y être élevé. La religieuse s’éveilla donc, blanche comme neige et innocente comme au premier jour. Pour conclure, le chant marial nous conte que l’évêque n’ayant rien trouvé en l’examinant, il n’eut d’autres choix que de laisser tomber toute charge contre elle, non sans avoir blâmé au passage les nonnes accusatrices.
Aujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle interprétation de cette cantiga par l’ensemble médiéval Apotropaïk. Nous vous avions déjà présenté cette jeune formation, à l’occasion d’un concert donné au Musée de Cluny en 2018. C’est avec plaisir que nous la retrouvons, cette fois, dans le cadre d’un programme-événement Générations France Musique, le live organisé par France Musique en janvier 2019. La valeur n’attend pas le nombre des années, dit l’adage. Clémence Niclas et ses complices font justice à cette pièce médiévale en la servant avec tout le sérieux et le talent qu’on pouvait en attendre.
Membres de l’Ensemble Apotropaïk : Clémence Niclas (voix), Marie-Domitille Murez (harpe gothique), Louise Bouedo-Mallet (vièle), Clément Stagnol (luth)
Vous pouvez retrouver le détail de la Cantiga de Santa Maria 7, en galaïco-portugais, ainsi que sa traduction en français moderne à la page suivante : la cantiga de Santa Maria 7 par le menu.
En vous souhaitant une belle journée! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, courtoisie, rondeau, manuscrit ancien. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Vivre du sien et non nuire a autrui» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome IV, Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons au Moyen Âge tardif et à Eustache Deschamps, avec une poésie courte. Ce rondel s’inscrit dans la partie plus morale de l’œuvre de cet auteur médiéval. On se souvient qu’Eustache nous a légué un grand nombre de « ballades de moralité » sur fond de valeurs chrétiennes médiévales (voir, par exemple, sa ballade sur les 7 péchés capitaux, sa ballade sur l’humilité, ou encore celle sur la gloutonnerie et l’avidité).
Contre la convoitise et pour la loyauté
Le rondel d’Eustache dans le MS Français 840
Au Moyen Âge, le « convoiteux » ne trouve ni grâce, ni salut au regard des valeurs chrétiennes (c’est encore la cas aujourd’hui, du reste). La poésie du jour traite de cela et d’une loyauté comprise comme une probité et une droiture en toute circonstance. Eustache fut, à la fois, un homme de loi (il sera bailli) et un homme d’armes à la cour. En plus d’une morale chrétienne dont il s’est souvent fait l’écho, on retrouve bien chez lui, ce côté droit et légaliste.
Du point de vue des sources, on pourra retrouver ce texte au côté de nombreux autres signés de sa plume d’Eustache, dans le manuscrit médiéval Français 840 conservé précieusement à la BnF et consultable sur gallica.fr.
Convoitise et cupidité
« Nul ne tend qu’à remplir son sac« nous disait Eustache Deschamps dans une autre ballade. Pour illustrer le rondel du jour (image en-tête d’article), nous avons privilégié l’angle de l’avidité et même d’une cupidité monétaire plus moderne. Si la notion de convoitise ne s’y limite pas, dans ce rondel, l’auteur nous précise tout de même juger la pauvreté moins dommageable que la convoitise comprise comme celle liée à l’accumulation de richesses, d’or ou d’avoirs : « A homme vault moult nette povreté , Convoitise fait souvent trop d ‘anui ». Cupidité, convoitise, avarice, la ligne entre tous ces travers était déjà ténue dans cet extrait du Roman de la Rose, bien antérieur à la poésie d’Eustache mais qui met bien en valeur la parenté de définition entre les deux textes.
« Après fu painte Coveitise : C’est cele qui les gens atise De prendre et de noient donner, Et les grans avoirs aüner. C’est cele qui fait à usure, Prester mainspor la grant ardare D’avoir conquerre et assembler. C’est celle qui semont d’embler Les larrons et les ribaudiaus. »
Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris et Jean de Meung (XIIIe s)
« Après fut décrit convoitise : c’est celle qui incite(exciter, attiser) les gens à prendre et jamais rien donner, et à amasser de grands avoirs. C’est celle qui fait à l’usure prêter moins par la grande ardeur (le désir brûlant) de conquérir et d’amasser. C’est celle qui invite les larrons et les débauchés à voler. »
« Vivre du sien et non nuire a autrui, » un rondel de Eustache Deschamps
Il n’est chose qui vaille loiauté(1), Vivre du sien et non nuire a autrui, Selon la loy, et sans hair nullui.
A homme vault moult nette povreté , Convoitise fait souvent trop d ‘anui : Il n ‘est chose qui vaille loiauté , Vivre du sien et non nuire a autrui.
Par convoitier ont maint honnis esté Et en la fin musis (moisi), comme je lui (j’ai lu) , Destruit et mat (2) ; qui bien pense a cestui, Il n’est chose qui vaille loiauté, Vivre du sien et non nuire a autrui, Selon la loy, et sans hair nullui.
Mieux vaut ne rien posséder qu’être obsédé par la possession du bien d’autrui et, pire encore, chercher à lui nuire. À plus de 600 ans de ce rondel, les paroles de sagesse d’Eustache continuent de résonner tandis que les formes modernes les plus extrêmes de convoitise nous sautent encore aux yeux.
On pense, bien sûr, à certaines violences délinquantes perpétuées au quotidien et, notamment, à la sauvagerie de certaines agressions récentes. À un autre niveau, des exactions d’envergure, plus feutrées et plus massivement létales, n’ont rien à leur envier si elles ne les dédouanent pas. Passons sur les guerres d’intérêts géostratégiques et économiques sur fond moralisateur. D’une certaine façon, elles n’ont rien de bien nouveau. Régulièrement, les conséquences de certaines prédations financières mettent des milliers de personnes à la rue, sans guère se soucier de leur devenir. Ailleurs, des manœuvres semblables sur le fond ont déjà ruiné des nations entières en spéculant sur leur dette ou en les aidant à la creuser. Enfin, pour prendre un dernier exemple, on a vu certains parias en col blanc, jouer à la hausse sur le cours des matières de première nécessité, en mettant en péril la vie de centaines de milliers d’hommes, femmes et enfants des pays en voie de développement. Le tout sans un scrupule, ni même un haussement de sourcil.
Dans un monde de plus en plus dématérialisé (y compris du point de vue monétaire), les actionnaires ou les spéculateurs n’ont pas de visage et, c’est bien connu, encore moins de responsabilités. Après tout, ce ne sont pas eux qui font les règles. D’ailleurs y en a-t-il seulement ?
Les horreurs du présent à l’aulne du passé
L’argent aurait-il de moins en moins d’odeur ? Quoiqu’on en dise, il existe pourtant bien une relation directe entre recherche outrancière et obsessionnelle d’enrichissement et convoitise. Dans un monde où tout est en interrelation, la création de richesses ex nihilo n’est qu’une vue de l’esprit. La règle demeure la prédation.
Et puisque nous nous évertuons, si souvent, à juger les hommes du Moyen Âge à l’aulne de notre glorieux présent, en projetant sur eux des visions goguenardes, ou selon, condescendantes ou horrifiées, on peut se demander, à l’inverse, comment ces derniers pourraient bien juger notre modernité ou même plutôt, « nous » juger pour de tels faits ? Avouons que l’exercice serait assez cocasse dans un XXIe siècle qui ne cesse de vouloir faire le procès les hommes du passé à la lueur de certaines projections présentes, tout en demandant, de surcroît, aux hommes du présent, de rendre des comptes sur ce passé. Etrange folie des temps… Quoi qu’il en soit et pour répondre à la question, non sans un brin de provocation : il n’est pas certain qu’un certain sens moral partagé des hommes de la France médiévale n’entrave leur compréhension de certaines de nos formes modernes les plus barbares de convoitise évoquées plus haut.
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration du gros prédateur en col blanc qui se gave de monnaie papier, est contemporaine. Comme vous l’avez compris, à la lumière de l’article, son anachronisme est tout à fait assumé. Quant à son arrière plan (présent également sur le visuel en milieu d’article), il s’agit d’une miniature tirée du superbe manuscrit médiéval : Compost et calendrier des bergers. Elle représente le supplice réservé aux avaricieux. Daté de 1493, cet ouvrage est conservé sous la cote impr. Rés. SA 3390, à la Bibliothèque municipale d’Angers.