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Le dernier duel judiciaire français par Ridley Scott

Sujet : justice médiévale, duel judiciaire, justice divine, film, cinéma, ordalie, duel ordalique.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Film : Le Dernier Duel, (The Last Duel) Ridley Scott
Adaptation du livre le Dernier Duel de Eric Jager
Date de sortie : octobre 2021

Bonjour à tous,

otre rubrique cinéma pâtit souvent du peu de temps que nous avons à lui consacrer mais, à la faveur des fêtes, nous avons eu l’occasion de voir Le dernier duel de Ridley Scott et cela va nous fournir l’occasion d’un petit rattrapage.

Ridley Scott en terres de France

Affiche du film "le dernier duel" de Ridley Scott

Quand un grand nom du cinéma anglo-américain comme Ridley Scott s’attaque à un sujet, le résultat laisse rarement indifférent. Le réalisateur a, dans son parcours, des films qui ont marqué à jamais l’histoire du 7eme art dans des registres aussi différents que les thrillers, la science fiction ou même les films sur fonds historiques.

Cette fois-ci, ce n’est pas dans l’espace profond qu’il nous entraîne à la recherche du huitième passager, ni même dans la forêt de Sherwood à la poursuite de Robin de bois, mais bel et bien, au temps médiévaux et, qui plus est, sur le sol de France. Ce dernier duel, sorti en octobre dernier dans les salles, nous invite donc à le suivre sur les traces du dernier duel judiciaire par ordalie de l’histoire française : celui qui vit s’affronter les nobles Jean de Carrouges et Jacques le gris, par un jour froid de décembre 1386. La joute impitoyable eut lieu dans le champ clos du monastère de Saint-Martin, à Paris. L’événement rameuta les foules et Jean Froissart, avant un grand nombre d’autres écrivains et historiens, le commenta largement dans ses chroniques.

L’histoire du dernier duel et son contexte

Historiquement, ce duel du XIVe siècle est assez bien documenté entre registres judiciaires et les chroniques. De notre côté et pour ceux qui nous suivent, nous avions déjà mentionné ce duel historique, il y a quelques années, à l’occasion d’un article sur les duels judiciaires et les jugements par ordalie au Moyen Âge.

Manuscrit médiéval présentant le dernier duel de Jean IV de Carrouges et Jacques le gris

Le film Le dernier duel est tiré du livre du même titre de Eric Jager, professeur de littérature médiévale et critique littéraire américain (2004). Pour poser le cadre, en essayant de ne pas trop en dévoiler, le dernier duel judiciaire français a opposé deux nobles normands : Jean IV de Carrouges , homme d’armes à la longue carrière qui avait notamment combattu aux cotés de Duguesclin et, face à lui, Jacques le gris, écuyer de son état et de moins grand nom mais puissant, semble-t-il, par ses possessions et richesses. Les deux hommes avaient été, par le passé, assez proches et même amis. Le premier était vassal et chambellan de Pierre II de Valois, comte d’Alençon. L’autre était le protégé de ce dernier et même son écuyer. Une suite de circonstances et de tensions ont pourtant éloigner les deux hommes. Il est question d’un incident sur un terrain promis en dot à Carrouges et qui sera, malgré les engagements du père de la futur épouse, repris par le comte d’Alençon pour être offert à Le gris. Le point culminant n’est cependant pas celui-ci mais l’accusation bien plus grave portée par l’épouse de Carrouges, Marguerite de Thibouville à l’encontre de l’écuyer du comte. Elle affirma, en effet, qu’après s’être fait ouvert la porte avec l’aide d’un complice, l’homme avait abusé d’elle et l’avait violée, en profitant de l’absence de son mari et de sa belle mère. Carrouges, revenu d’un voyage à Paris et rentré dans ses foyers, trouva sa femme en grand trouble et la questionna. L’histoire dit qu’elle lui confia alors les faits, en demandant à son époux d’en obtenir réparation en son nom.

Confondu, Le Gris refusa catégoriquement d’admettre l’accusation. Il dit même ne pas s’être trouvé sur place. Devant son obstination à nier, Jacques de Carrouges décida d’invoquer le duel judiciaire par ordalie. Il demanda donc, devant le parlement de Paris et le roi de France, de concéder l’organisation d’un combat, en bonne et due forme, pour permettre à la justice divine de trancher. En cas de victoire, le duel laverait son honneur et celui de sa femme. En cas de défaite, celle-ci serait brûlée, lui occis et leurs deux noms salis à jamais. La requête de Carrouges fut finalement acceptée malgré les gages donnés par le comte d’Alençon et ses intercessions en faveur de son protégé ; le parlement et le roi statuèrent loin de son influence.

Enluminure du dernier duel judiciaire dans les  chroniques d'Angleterre de Jehan de Wavrin
Le dernier duel judiciairedans les Anciennes et nouvelles chroniques d’Angleterre, Jehan de Wavrin

Trois partitions pour un même drame

Le film met en opposition un Jacques de Carrouges, guerrier et chevalier loyal trempé de courage, un peu rustre (voire lourdaud et peu cultivé suivant les points de vues) contre un Jacques Le gris plus lettré et sophistiqué ; ce dernier nous est présenté comme un homme de cour à qui tout ou presque est concédé par sa simple proximité d’avec le comte. C’est aussi un coureur invétéré de jupons.

Côté scénario, Ridley Scott a fait le choix de livrer les trois partitions : celle de l’épouse, celle du mari, celle de Le Gris. Certaines critiques ont pu trouver le procédé un peu redondant en cela que les histoires comprennent de nombreuses convergences mais le réalisateur connait son affaire et arrive à les mettre au service de son récit. Les acteurs le servent parfaitement dans son entreprise avec un casting de haut vol. Jodie Comer est juste et superbe dans le rôle de Marguerite. Matt Damon, dans la peau de ce Jacques de Carrouges ombrageux et plein de ressentiment et Adam Driver dans le rôle d’un Le gris sur le fil, entre amitié sincère et perfidie, sont, eux-aussi, excellents. Pierre II de Valois, campé parfaitement par Ben Affeck, est présenté comme un personnage jouisseur et plutôt méprisable. Cette partie semble spéculative. Le scénario lui fait aussi jouer un rôle assez trouble dans les intrigues entre les deux hommes et, malgré la loyauté de Carrouges à son encontre, le comte d’Alençon et du Perche semble lui vouer quelque rancœur presque atavique.

Histoire médiévale et regards modernes

Acteurs principaux du dernier duel de Ridley Scott

Sur le fond, la vision de Ridley Scott n’est pas exempte de parti-pris. Même s’il présente trois versions, avec ce dernier duel, lui et ses scénaristes ont choisi, à l’évidence, de nous conter la leur ; elle suit, d’ailleurs, de près la conviction de l’auteur du livre qui accrédite la version de l’épouse de Jacques de Carrouges. Disant cela, gardons en tête que l’ histoire n’a jamais su trancher objectivement sur ce qui est survenu ce jour là, ni sur les relations exactes qui ont lié ces trois personnages. Factuellement, Le Gris n’a jamais reconnu son crime même si, au vu du risque pris par Marguerite de Carrouges en exposant publiquement son infortune, on a, un peu, peine à imaginer qu’elle ait pu tout inventer. Froissard la décrit ainsi au moment du duel :

« Et vous dy qu’elle estoit en grans transses et n’estoit pas asseuree de sa vie. Car se la chose tournoit a desconfiture sus son mary, il en estoit sentencié que sans remedde on l’eust arse, et son mary pendu. »
Jehan Froissart – Chroniques

Pour infirmer sa version, il faudrait lui prêter une confiance aveugle dans la capacité de son époux à triompher de Le gris sans quoi elle se serait trouvée condamnée au bûcher. L’affaire se complique d’autant qu’elle est tombée enceinte, apparemment suite aux faits. Y-a-t-il pu avoir une sorte de complicité entre les deux époux pour occire Le Gris ? C’est une autre hypothèse qui suppose là encore la certitude de vaincre. Par ailleurs, si l’enfant avait été de Carrouges, les époux auraient-ils pris le risque de le faire passer pour un bâtard en ourdissant un plan scabreux afin d’occire Le gris ? A tout cela, il faut encore ajouter les menaces proférées par le violeur après son forfait et portées par la plaignante au registre. Cela n’engage que nous mais elles nous semblent particulièrement criantes de vérité. Toutes ces hypothèses vous donnent une idée des spéculations sur lesquels les auteurs n’ont pas tari depuis. Dans la dernière version de ses chroniques, Froissart penche, lui aussi, en faveur de la version de Marguerite (1).

Dernier duel ou première #MeToo ?

Le titre peut prêter à sourire mais on n’a pas manqué de trouver, dans le film de Ridley Scott, des références directes à des idées qui semblent tomber à pic dans une actualité assez récente. Pour le réalisateur, il s’est agi indubitablement de traiter les deux sujets et il nous présente un peu Marguerite de Carrouges comme une des premières femmes de l’Histoire à s’être dressée contre l’abus sexuel. En tout état de cause, la volonté du réalisateur de transposer son regard actuel jusque dans l’histoire médiévale ou, au moins, d’y trouver de fortes résonnances est manifeste. Interrogés à la Mostra de Venise, lui et ses scénaristes (Matt DamonBen Affleck et Nicole Holofcener) ont d’ailleurs totalement assumés leur intention de se servir de la superproduction pour faire avancer les consciences modernes en matière de féminisme.

Au delà même de l’intrigue et dans ce même esprit, le film nous montrera encore une jeune femme esseulée et opprimée en train de se démener à grand peine, contre les mâles et la société patriarcale qui l’entourent : bringuebalée entre les jeux de pouvoir, troquée par son père contre des biens et des terres et pour un meilleur nom (dans une scène franchement digne d’un échange de rues et de gares au Monopoly), on la verra usée jusqu’à la corde par la gente masculine (le père, le mari, le prétendant). Elle sera encore violentée en permanence par un mari brutal, disons même bestial, et inculte incapable, à l’évidence, de lui donner du plaisir. Enfin, on la découvrira écrasée sous le poids de ses devoirs à l’égard du lignage ( injonction de fertilité, mépris, cf aussi la relation à la belle-mère, …). Au paroxysme de cette instrumentalisation, elle sera même (présentée comme) susceptible de se retrouver immolée sur un bûcher simplement pour permettre à son mari de laver son propre nom et honneur d’homme (2). C’est ce qu’on appelle la totale.

Un léger surdosage pour les besoins de la cause ?

En bref, femme spoliée, femme objet, femme ventre, femme chosifiée, femme sacrifiée, femme trahie jusque par ses amies (d’ailleurs, elle n’en a pas). Etre violée n’était pas suffisant. Il fallait décidément qu’il ne subsiste aucune lueur dans la vie de la Marguerite de Carrouges de ce Dernier duel. Les besoins de la construction dramatique peuvent, sans doute, en expliquer les raisons. Mais on peut, quand même, se demander si les scénaristes américains ne sont pas tombés un peu dans le Netflix : autrement dit, dans la tentation d’en étaler un peu trop, pour servir leur propos, au risque de verser dans une vision un brin caricaturale et victimaire plutôt tendance et, pour le coup, assez loin des réalités et des mentalités médiévales (« de l’instrumentalisation idéologique de l’Histoire », vous avez 2 heures). Au passage, tout cela nous fait inévitablement retomber dans cette vision habituelle et rabattue de la femme tout au long du Moyen Âge (quand ce n’est pas tout au long de l’Histoire). La médiéviste Régine Pernoud n’en aurait, sans doute, pas été ravie, elle qui avait œuvré, durant sa longue carrière, pour montrer, entre autre chose, la grandeur et le pouvoir des femmes durant cette longue période.

Bien sûr, me direz-vous, Ridley Scott n’avait sûrement pas la prétention de refléter toute la réalité du Moyen Âge dans son film, mais c’est un peu le problème des surproductions. En donnant l’impression d’illustrer des vérités immuables plutôt que ce qu’elles sont le plus souvent : des points de vue, elles finissent, quelquefois, par gommer les nuances. C’est un effet des idéologies distillées dans les films ou les séries qui a été, plus d’une fois, mis à profit. On sait que ce type de fiction peut finir par être maladroitement, interprété ou généralisé pour laisser, à sa traîne, des perceptions un peu simplistes de la réalité, voire des aprioris (cf le film Le Nom le Rose et l’inquisition médiévale). Tout ça est donc à prendre avec un peu de recul et, disons-le, même si cela parait évident : ce film n’est pas sorti d’un laboratoire de recherche et n’est pas non plus un documentaire. Pour le dire autrement, toutes les femmes du Moyen Âge n’étaient pas des Marguerite de Carrouges à la façon de Ridley Scott.

photo extraite du film le dernier duel

Un ensemble relativement réussi
malgré le fond idéologique un peu lourd

Si le box office n’a pas rendu justice à ce long métrage d’un point vue financier, cet insuccès est largement démérité. Il faut espérer que son thème historique n’en est pas la cause et aussi se souvenir qu’en son temps Blade Runner, du même réalisateur, s’était fait descendre par les critiques avant de devenir un film SF culte. Boudé par le grand public, dans les salles, Le Dernier duel est pourtant un bon Ridley Scott. L’ensemble est contrasté, épique, mené à bon rythme, même si, disons-le pour les âmes sensibles, certaines scènes de combats et de bataille sont violentes. Pour que ce soit moyenâgeux, il fallait bien que cela tranche un peu et cela donne aussi à l’ensemble un côté réaliste : de l’abus subi par l’épouse de Carrouges à la vie militaire de son guerrier d’époux et ses épopées sanglantes en terrain ennemi, Scott nous dépeint un monde rude et sans concession.

photo extraite du film le dernier duel 2

Est-ce encore un monde d’hommes avec sa réalité barbare (guerroyer, occire ou se vautrer dans le stupre) qu’il a cherché à suggérer, par contraste, avec les espaces silencieux et feutrés de la femme et de son attente (voir le Brécheliant de Annick Le Scoëzec Masson) ? Quoi qu’il en soit, sa plongée dans le monde médiéval est assez réussie et, d’un point de vue historique, on aimerait voir cette qualité au rendez-vous plus souvent ; la rigueur n’étouffe pas, en général, le cinéma outre-Atlantique quand il s’attaque à la période médiévale. Il a même plus souvent tendance à se retrancher dans le médiéval fantasy, ce qui vaut toujours mieux qu’une référence historique ratée et sans recherche sérieuse, même si cela fournit très souvent le prétexte aux pires scénarios (voire âneries).

Pour conclure, on ne peut pas s’empêcher de se dire que cette histoire qui s’est déroulée sur notre sol devait sans doute passer par un auteur et un réalisateur étranger pour susciter un intérêt cinématographique. Apparemment, Martin Scorsese avait aussi louché dessus, un peu après la sortie du livre, mais finalement sans s’y atteler. Mais va ! Consolons-nous. Si on aurait rêvé de voir ce film médiéval réalisé localement, avec de vrais moyens, Ridley Scott l’a servi avec tout son talent. L’histoire de ce dernier duel judiciaire le valait bien et il y a suffisamment peu de films intéressants sur la période médiévale pour ne pas bouder notre plaisir et même en redemander.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’enluminure de l’image d’en-tête est tirée du Royal MS 14 E IV de la British Library. Ce manuscrit de la fin du XVe est le troisième tome des Anciennes et nouvelles chroniques d’Angleterre de Jehan de Wavrin. Il peut être consulté en ligne au lien suivant. Au premier plan de l’image vous aurez reconnu l’actrice Jodie Comer qui incarne Marguerite de Carrouges dans le film de Ridley Scott.

Notes

(1) Voir Au-delà des apparences : Jean Froissart et l’affaire de la dame de Carrouges, Peter Ainsworth, dans Le droit et son écriture, La médiatisation du fait judiciaire dans la littérature médiévale, ouvrage collectif, 2013

(2) Attention divulgâchage : il y a, du reste, un renversement assez paradoxal opéré par les scénaristes à un moment donné. Marguerite est présentée, tout du long, comme fortement déterminée à laver son propre nom et à prouver qu’elle dit bien la vérité. C’est même elle qui pousse largement son époux à tout faire pour cela. En revanche, quand elle comprend que le duel à mort présente non seulement pour son époux le risque de périr mais aussi pour elle (elle sera exécutée s’il perd), elle lui reproche d’avoir mis sa vie à elle en danger et de l’avoir instrumentalisée.

chant royal : Le devoir de vérité de l’honnête homme dans un monde en chute libre

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen français, manuscrit ancien, poésie, poésie morale, franchise, vérité, chant royal. valeurs chrétiennes.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Que nulz prodoms ne doit taire le voir»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T III,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

a poésie morale historique a ceci d’intéressant qu’elle parvient, quelquefois, à traverser le temps pour continuer de faire sens des siècles après son écriture. Pour y parvenir, il faut qu’elle porte en elle un brin d’universalité, et se penche sur les travers des hommes et de leur nature ; d’Esope à Phèdre, en passant par les Ysopets du Moyen Âge de Marie de France et les grandes envolées stylistiques de Jean de La Fontaine, de nombreuses fables en sont de parfaits exemples.

Poésie morale et résonnances éthiques

D’autres fois, si la poésie morale ou même la satire continuent de nous parler, c’est qu’une certaine réalité mais aussi un certain socle de valeurs éthiques, religieuses ou sociales continuent d’être à l’œuvre pour nous, comme elles l’étaient pour les auteurs qui nous les ont transmises. Dans ces cas là, on peut faire le constat que nous sommes restés, à certains égards et pour certaines principes au moins, sur une même ligne éthique, voire civilisationnelle. Au passage, cela nous fournit l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’Histoire et sur nous-mêmes, tout en s’apercevant qu’il n’y a pas nécessairement de nouveauté dans tout ; ce qu’on croyait typique de notre temps a déjà pu être énoncé des siècles auparavant et, ce, en dépit d’une différence supposée de contexte, de pressions ou de normes sociales. Le temps a passé. Pourtant si certaines normes sociales, idéologies, discours, nous semblaient avoir changé en surface, certaines valeurs éthiques perdurent. Quelquefois même, c’est un peu l’inverse qui se produit. On se rend compte alors que l’idéal un peu figé, que l’on pouvait avoir été tenté de projeter sur le passé, n’était pas non plus si tranché. Rien de nouveau : des écarts subsistent toujours entre norme officielle déclarée (et même intériorisée) et comportements mais c’est un moyen de le réaliser.

Moyen Âge et valeurs chrétiennes médiévales

Quand cette poésie morale qui fait écho provient du Moyen Âge, elle emporte donc, elle aussi, une double leçon. La première (on le savait déjà) : malgré sa prégnance et son pouvoir social, spirituel, politique durant la période médiévale, le christianisme et ses valeurs n’étaient pas hégémoniques au point de freiner totalement la nature des hommes, leur cupidité, leur ambition de posséder, leur volonté de transgression. ie : la présence du dogme partagé et même intériorisé, comme les interdits ou les peurs associés, ne suffisaient pas à les contenir.

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La littérature de cette période comme la réalité des faits historiques nous montrent que cette société pourtant toute chrétienne (y compris, et peut-être plus encore, ses instances représentantes politiques et religieuses) étaient en tension permanente entre idéal chrétien (christique ?) et tentations d’enrichissement, d’appropriation, de conquête et de développement. Bien sûr, cela ne veut pas dire que le contexte éthique et normatif ou les institutions n’influaient en rien sur les comportements. Tout le monde s’accordera sur l’évidence qu’ils les atermoyaient*. Le propos n’est ici que de montrer comment la satire ou la poésie morale peuvent nuancer notre vision d’un monde médiéval trempé d’idéal et de normes morales et sociales chrétiennes, mais qui leur connaissait aussi, dans les faits, des entorses, des arrangements ou des aménagements.

* On pourrait aisément s’étaler sur cette question, mais on citera, en unique exemple, les incidences fortes du christianisme médiéval sur la circulation des richesses, au moment du face à face avec l’au-delà justement voir éloge du dépouillement avec J Le Goff).

Effet miroir, modernité, normes intériorisées

La deuxième leçon que nous fournit la poésie morale médiévale, quand elle résonne en nous, est plus actuelle. Contre les apparences ou même certaines affirmations à l’emporte-pièce, elle peut nous montrer, si l’on en doutait, à quel point cette société chrétienne, fondatrice de notre civilisation, n’est pas tout à fait enterrée. On peut même en faire directement l’expérience en soi et, ce, que l’on se réclame ou non de la religion chrétienne. Pour être plus concret : le culte obsessionnel de l’avoir et de la richesse comme unique idéal de vie, le règne du consumérisme et de l’individu roi, le constat des abus des puissants sur les miséreux ou les populations, on pourrait encore allonger la liste mais toutes ces choses peuvent parler à certains d’entre nous de la pire des manières. Dès lors, de la même façon que la poésie morale nous avait conduit à nuancer l’adhésion supposée totale aux valeurs chrétiennes, au Moyen Âge, on pourra, cette fois-ci, faire le chemin inverse.

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Malgré le matraquage constant de nouvelles normes, de nature économique, au détriment de toutes les autres — argent roi, sacralisation de l’individualisme, glorification de la consommation débridée et de l’accumulation d’avoirs, ultra-libéralisme et permissivité sans borne, normalisation de la prédation intra-espèce… — et d’une éloge du vide, dont nous sommes nombreux à constater qu’elle ne cache que de nouvelles formes d’aliénation, quelque chose en nous demeure profondément ancré à certaines valeurs chrétiennes ; en dépit du contexte idéologique, elles continuent de faire sens. Certaines fois même, elles sont toujours à l’œuvre mais on les a grimées d’autres visages. Rêvons un peu. Peut-être qu’en devenant plus discrètes, elles finiront par passer de normes sociales officielles à une forme de résistance invisible à l’invasion complète de certains paradigmes modernes creux de sens et sans lendemain…

Ce long détour et toutes ces réflexions faites sur le double éclairage de la poésie morale, nous allons recroiser quelques-unes de ses valeurs chrétiennes médiévales, dans l’étude qui suit. Nous y serons en bonne compagnie, celle d’Eustache Deschamps. Chrétien ou non, à vous de décider si cette poésie vous parle et en quoi.

E. Deschamps, l’honnête homme et la vérité

Un Chant royal de Eustache Deschamps illustré avec enluminure

Nous voilà donc reparti pour le XIVe siècle pour découvrir une nouvelle poésie morale d’Eustache Deschamps. Si cet auteur médiéval s’est distingué par son œuvre conséquente, entre tous ses thèmes de prédilection, il a aussi copieusement souligné les travers de ses contemporains, en relation avec les valeurs chrétiennes de son temps. La poésie du jour s’inscrit dans cette veine. Avec pour titre «Que nulz prodoms ne doit taire le voir» (nul homme honnête et instruit ne doit taire la vérité), il s’agit d’une de ses ballades de moralité.

Dès l’introduction de cette poésie, Eustache nous confiera que sa liberté de ton et ses jugements critiques à l’égard de ses contemporains lui ont été souvent reprochés ; c’est même pour prendre le contrepied de cela qu’il rédigera sa ballade. Tout au long de son plaidoyer, il fustigera les faux, les cupides, les avides, les menteurs tout autant que les tièdes, les passifs et les lâches. Au final, le coupable sera désigné : ce monde autour, avec son obsession des richesses ne fait qu’encourager les déviances et la lâcheté ambiante. Tout est perverti, on ne juge même plus les malfaiteurs. Les valeurs chrétiennes sont en recul. Qui reste encore debout pour défendre la (leur) vérité ? Pour Eustache, voilà une raison de plus pour ne pas se soustraire. Contre la déliquescence du monde, il fait l’éloge d’une forme quotidienne de résistance par le dire. Pas de politiquement correct, ni d’auto-censure ici. Le devoir est celui du courage et de la franchise. Le poète l’affirme haut et fort : aucun prud’homme véritable (l’homme probe et sage authentique) ne saurait éviter de dire le vrai, ni de monter au créneau pour défendre les valeurs justes. Être couard n’est pas une option. Se taire c’est se faire complice de cette déroute généralisée.

Les héros et conquérants du passé

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Sur la fin de sa ballade, l’auteur nous gratifiera encore d’une allusion aux héros du passé — conquérants, chevaliers ou croisés — qui avaient, selon notre auteur, les valeurs et la conviction bien plus chevillées au cœur que ses contemporains. Nous sommes au XIVe siècle ou peut-être au début du XVe. Pourtant, on constate bien, ici encore, combien de nombreux auteurs des Moyen Âge central et tardif n’ont eu de cesse de poursuivre une chevalerie ou un temps des héros (antiques, chevaleresques, « charlemanesques », arthuriens) révolus et qui n’en finit pas de glisser, pour sembler, toujours, n’appartenir au passé. Tout se passe comme si, en un temps qui est encore celui de la chevalerie, celle-ci n’est jamais tout à fait digne de son ancêtre mythique, passée ou fantasmée. Elle ne semble, en tout cas, la rejoindre que très rarement avec de grands hommes reconnus de leur temps (Duguesclin, Bayard, etc…).

Pour boucler la boucle sur l’effet de résonnance, on notera d’ailleurs que cette nostalgie d’une certaine chevalerie, ses valeurs et ses héros perdus — chose que Cervantes, au XVIIe s, finira par définitivement entériner, à sa manière et non sans tendresse, avec son Don Quichotte — est encore, assez fréquemment, évoquée à notre époque. Nous ne parlons pas ici que de certains passionnés de Moyen Âge ou de Béhourd qui s’y réfèrent encore avec les yeux pleins de rêves. De nos jours, quand on se réfère à la détermination, la combativité, au panache ou encore à certaines formes d’abnégation, la référence à l’idéal et au courage chevaleresque médiéval ne manque pas d’être citée. On n’a même pu l’entendre évoquée, parfois, pour pointer du doigt la faiblesse, la passivité de l’homme moderne, à 500 ans du chant royal d’Eustache et de la même façon qu’il y avait fustigé ses contemporains.

Sources manuscrites et modernes

Du point vue des sources, on pourra retrouver cette poésie d’Eustache Deschamps dans le très complet Français 840. Ce manuscrit médiéval, conservé au Département de la BnF, contient l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. Pour la graphie moderne de ce texte, nous avons utilisé le tome III des Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps,  par le  Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878).

Enfin, pour la compréhension de cette pièce du moyen français au français actuel, nous avons opté pour les clefs de vocabulaire plutôt qu’une traduction ou une adaptation.


« Que nulz prodoms ne doit taire le voir« 
dans le moyen français du Moyen Âge tardif

Aucuns dient que je suis trop hardis
Et que je parle un pou trop largement
En reprouvant les vices par mes dis
Et ceuls qui font les maulx villainement.
Mais leur grace sauve
(sauf leur respect) certainement,
Verité faiz en general scavoir
Sanz nul nommer
(sans nommer personne)
fors que generalment
Que nulz prodoms ne doit taire le voir.

L’en pugnissoit les maufaicteurs jadis
Et rendoit l’en partout vray jugement
Et Veritez qui vint de paradis
Blasmoit chascun qui ouvrait
(oeuvrait) laidement;
Par ce vivoit le monde honnestement.
Mais nul ne fait fors l’autre decevoir,
Mentir, flater dont je dy vrayement
Que nulz prodoms ne doit taire le voir.

Par pechié voy les grans acouardiz
(rendus lâches)
Et les saiges gouverner sotement,
Riches avers
(avares), larges atruandiz (et hommes généreux tombés dans la misère),
Nobles villains
(rustres), jeune gouvernement,
Avoir aux vieulx et jeunes ensement
(pareillement)
D’eulx presumer car trop cuident
(pensent) valoir.
Se j’en parle c’est pour enseignement
Que nulz prodoms ne doit taire le voir.

Les mauvès sont blasmez par leurs mesdis
En l’escripture et ou viel testament
Et pour leurs maulx les dampnent touz edis
Que l’en souloit
(avait l’habitude de) garder estroictement.
Mais aujourd’ hui verité taist et ment;
Ce monde cy qui ne quiert
(cherche) que l’avoir (les possessions).
Coupable en est qui telz maulx ne reprant
Que nulz prodoms ne doit taire le voir.

Les bons n’orent pas les cuers effadis (mous, lâches)
Dont le renom yert pardurablement,
Qui conquirent terres, villes, pais,
Juif, Sarrazin, et crestienne gent,
Qui aux vertus furent si diligent
Que des vices ne vouldrent nulz avoir;
Blasmons les maulx, fi d’or et fi d’argent !
Que nulz prodoms ne doit taire le voir.


L’envoy

Princes, je traiz (1) en hault hardiement,
Sanz nul ferir s’entechié ne se sent
(2)
Et que sur lui laist mon carrel cheoir,
Dont il se puet garder legierement
(qu’il peut éviter facilement)
Par le fuir; et dy, en concluent.
Que nulz preudoms ne doit taire le voir.

(1) Lancer un trait de flèche
(2) Sans blesser personne, ni que que personne ne se sente attaqué ?


Du même auteur et dans l’esprit de cette ballade médiévale, voir aussi :

En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : les enluminures sur image d’en-tête, ainsi que celle de l’illustration représentent un pèlerin sur sa route et sa rencontre avec Convoitise. Elle sont tirées du manuscrit ms 1130 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris : Les trois pèlerinages et le Pèlerinage de la Vie Humaine de Guillaume de Digulleville (moine et poète français du Moyen Âge central (1295-1360). Ce manuscrit de la deuxième moitié du XIVe peut être consulté en ligne ici.

EUSTACHE DESCHAMPS : une Ballade médiévale sur HEUR & Malheur

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, pauvreté.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Ja sur mon corps n’en cherroit une goute»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T IV,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

u Moyen Âge tardif, Eustache Deschamps nous a laissé plus d’un millier de poésies entre ballades, rondeaux, chants royaux,… mais aussi des écrits sur l’art de versifier. Fin observateur des mœurs de son temps, sa longue carrière et sa plume prolifique lui ont permis d’écrire sur pratiquement tous les sujets : voyages, vie militaire, mœurs de cour, arts de la table, médecine, courtoisie, valeurs éthiques et dévoiement,…

Tantôt légère ou grinçante, tantôt drôle, tantôt désespérée, souvent morale, sa poésie reste un legs important pour la connaissance de la deuxième moitié du XIVe siècle et les débuts du XVe siècle. Elle continue d’ailleurs d’être décortiquée ou utilisée par les médiévistes pour sa richesse descriptive et historique. D’un point de vue stylistique, si elle ne peut avoir, tout du long, les envolées ou l’intensité vibrante de celle d’un François Villon, on la découvre toujours avec plaisir. Eustache Deschamps a travaillé son art avec sérieux et il reste un maître de la ballade.

Eustache Deschamps : poésie médiéval illustrée avec enluminure

Etats d’âme, déconvenues et malchance

Dans l’ensemble des thèmes traités, ses propres déconvenues n’ont pas échappé à sa plume. Il les a même placées souvent au centre de sa poésie, en étalant des humeurs ou des griefs qui vont de l’agacement et la grogne jusqu’à la révolte ou au désarroi. Sans tomber dans l’exposé systématique de ses misères (un peu comme Rutebeuf avait pu le faire), il nous a, ainsi, légué un grand nombre de ballades sur sa propre condition : déboires et déceptions, ingratitude des puissants à son encontre, petits malheurs, pauvreté, santé déclinante, affres de l’âge. Sur les aspects les plus rudes, il faut dire que sa relative longévité l’a vu passer par bien des épreuves, des mises à l’écart du pouvoir aux vicissitudes de la vieillesse, en passant par les grands maux de son siècle (guerre de cent ans, épidémies de peste, etc…).

Aujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle ballade dans cette veine ou plutôt même cette déveine. L’auteur médiéval y affirme qu’il est si déshérité que même si une pluie miraculeuse faisait tomber sur la terre, or fin, trésors, joyaux et florins, pas une seule goutte de tout cela ne choirait sur lui : Ja sur mon corps n’en cherroit une goute. De la même façon, bienfaits, bonheur, largesse à son égard ne sont pas au programme et le bon côté du destin ou de « fortune » semble avoir l’oublié en chemin. Tout au long de la ballade, le propos demeure générique ; Eustache se plaint mais il ne nous donne aucun fait à nous mettre sous la dent pour étayer son humeur, et encore moins pour la contextualiser historiquement.

Sources médiévales & historiques manuscrites

Manuscrit médiéval des œuvres d'Eustache Deschamps (MS Fr 840)
Cette Ballade d’Eustatche dans le MS Fr 840

Vous pourrez retrouver cette ballade dans le Manuscrit Français 840 de la BnF. Cet ouvrage du XVe siècle contient principalement l’œuvre d’Eustache Deschamps, soit un total vertigineux de 1500 pièces. Ce manuscrit est même, sans doute, l’un des premiers à avoir consigné l’œuvre du poète médiéval de manière aussi complète. Chichement orné mais d’une écriture appliquée, il a été copié à plusieurs mains dont la principale est celle de Raoul Tainguy. (1)

Pour la transcription en graphie moderne de cette ballade, vous pouvez vous reporter aux Œuvres complètes d’Eustache Deschamps citées en tête d’article. C’est la version que nous avons utilisée.


Ja sur mon corps n’en cherroit une goute

Se tout li cielz estoit de fueilles d’or,
Et li airs fust estellez
(constellées, étoilées) d’argent fin,
Et tous les vens fussent plains de tresor,
Et les goutes fussent toutes flourin
D’eaue de mer, et pleust soir et matin
Richesces, biens, honeurs, joyauls, argent,
Tant que remplie en feust toute la gent,
La terre aussi en fust moilliée toute,
Et fusse nuz, de tel pluie et tel vent
Ja sur mon corps n’en cherroit une goute.

Et qui pis est, vous puis bien dire encor
Que qui donrroit trestout l’avoir du Rin
(Rhin),
Et fusse la, vaillant un harenc sor
(hareng saur)
N’en venrroit pas vers moy vif un frelin
(menue monnaie);
Onques ne fuy de nul donneur a fin;
Biens me default, tout mal me vient souvent;
(a)
Se j’ay mestier de rien
(si j’ai besoin de quelque chose)
, on le me vent
Plus qu’il ne vault, de ce ne faictes doubte.
Se beneurté
(si le bonheur) plouvoit du firmament
Ja sur mon corps n’en cherroit une goute.

Et se je pers
(quelque chose), ja n’en aray restor (réparation);
Quant rien requier, on chante de Basin;
(b)
Se je faiz bien, neant plus que d’un tor
N’est congneu
(c); tousjours sui je Martin (celui qu’on accable)
Qui coste avoit, chaperon et roucin,
Pain et paine, congnoissance ensement
(également),
Son temps usa, mais trop dolentement
(tristement),
Car plus povre n’ot de lui en sa route
(sa bande).
Je sui cellui que s’il plouvoit pyment
(vin épicé)
Ja sur mon corps n’en cherroit une goute.

L’envoy

Princes, ii poins
(choses) font ou riche ou meschant (misérable):
Eur et meseur, l’un aime et l’autre doubte ;
(d)
Car s’il [povoit] plouvoir mondainement
(des biens en abondance),
Ja sur mon corps n’en cherroit une goute.

(a) Biens me default, tout mal me vient souvent : les biens me manquent mais j’attire le malheur plus souvent qu’à mon tour.
(b) Quant rien requier, on chante de Basin : quand j’ai besoin de quelque chose, c‘est toujours la même rengaine.
(c) Se je faiz bien, neant plus que d’un tor N’est congneu : si je fais le bien, peu s’en faut qu’on n’en retienne que le pire ? Si je fais le bien on ne me traite pas mieux que si c’était un crime ?
(d Eur et meseur, l’un aime et l’autre doubte : heur (chance, ce qui rend heureux) et malheur, j’aime l’un et je crains l’autre.


Voir les articles suivants sur le sujet de fortune et sa roue.

En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

(1) Pour plus de détail sur le MS Français 840, consulter l’article très complet de Clotilde Dauphant : L’organisation du manuscrit des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps par Raoul Tainguy

NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit simplement de la page de la ballade d’Eustache dans le Français 840 (consultable ici sur gallica). Quant à la roue de fortune de l’illustration, elle provient du Manuscrit MS Français 130 de la BnF : Jean Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes (De casibus virorum illustrium).

Citation : Bâtisseurs du Moyen Âge, La Cathédrale de la mer

Livre La Cathédrale de la Mer d'Ildefonso Falcones

Sujet : extrait, citation, roman médiéval, roman historique, culte marial, bâtisseurs médiévaux. fiction médiévale, cathédrale Santa Maria del Mar, Barcelone, Catalogne médiévale, Espagne médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Titre : La Cathédrale de la Mer (2006)
Auteur : Ildefonso Falcones.

Bonjour à tous,

Nous partageons, aujourd’hui, une nouvelle citation inspirée du Moyen Âge tardif, celui qu’a reconstitué pour nous l’auteur Ildefonso Falcones dans son grand roman historique : La Cathédrale de la Mer. Datée de 2006, cette fiction médiévale se déroule au XIVe siècle. Sur fond de Moyen Âge réaliste, elle conte la fuite d’un serf catalan, Arnau d’Estanyol, désireux d’échapper à sa condition et de s’affranchir. Pour tenter sa chance, le jeune paysan rejoindra Barcelone. À l’époque, la grande cité a besoin de bras et une loi y prévoit que certains asservis puissent y devenir des hommes libres.

Un beau voyage dans la Barcelone du XIVe s

Toute une vie d’aventure attendra le fugitif dans une capitale catalane fourmillante qui bat au rythme de ses activités portuaires mais aussi de l’immense projet de construction de sa Cathédrale Santa Maria del Mar. En véritable orfèvre, Ildefonso Falcones reconstitue sous nos yeux des myriades de détails d’époque et il réussit le tour de force de nous immerger totalement au cœur de cette Barcelone médiévale et de ses dimensions économiques, religieuses et sociales. Son talent et son souci du réalisme feront de son roman un succès mondial.

L’ouvrage sera traduit en de nombreuses langues et, en 2018, il donnera même lieu à la production d’un série télévisée co-produite par Netflix. Le format proposera une saison de 8 épisodes. Depuis ce fantastique best- seller, l’avocat catalan a écrit d’autres ouvrages. En 2020, on a même appris que son quatrième roman Los Herederos de la tierra (les Héritiers de la terre) devrait, lui aussi, être adapté pour le petit écran. Daté de 2016, cette fiction se déroule quelques années après l’intrigue de La Cathédral de la Mer et en reprend le fil. En attendant cette sortie, on pourra toujours lire ou relire le premier opus qui a révélé l’auteur au public.

Citation illustrée du Livre "La Cathédrale de la Mer" d'Ildefonso Falcones

Extrait de La Cathédrale de la Mer,
de Ildefonso Falcones

Un bâtisseur apparut chargé d’une pierre. Peu avait survécu à la peste. Son propre beau-père Ramon et d’autres étaient tombés en grand nombre. Arnau les avait pleuré sur la plage avec ses anciens compagnons.
— Sébastien, murmura-t-il en reconnaissant le bâtisseur.
— Que dis-tu ? lui demanda Guillem qui se tenait derrière lui, en l’entendant.
— Sébastien, répéta-t-il. Cet homme, celui qui porte la pierre, s’appelle Sébastien.
Sébastien le salua en passant à côté de lui, sans tourner la tête, en continuant de regarder face à lui, les lèvres serrées sous le poids de la pierre.
— Pendant de nombreuses années, j’ai fait pareil, continua Arnau, la voix entrecoupée. Guillem ne fit aucun commentaire.
À ce moment là, passa un autre porteur. Arnau le salua. J’ai cru que j’allais me séparer en deux, j’ai cru qui mon échine allait se rompre, pourtant, Dieu ! Quelle satisfaction je ressentis en arrivant.
—Votre vierge doit certainement avoir quelque chose de bon pour que les gens se sacrifient pour elle de telle manière. Entendit-il dire au maure.
Par la suite, les deux conservèrent le silence tandis que la procession de porteurs de pierre passait devant d’eux.

Version originale espagnole de cette citation

Apareció un bastaix cargado con un piedra. Pocas habían sobrevivido a la plaga. Su propio suergro, Ramon y muchos más habian fallecido. Arnayh habia llorado en la playa junto a sus antiguos compañeros.
— Sebastià — murmuró al reconocer el bastaix
— Que dices — oyó que preguntaba Guillem a sus espaldas. Arnau no ese volvió.
— Sebastià — repitió — . Ese hombre, el que carga la piedra, se llama Sebastià.
— Sebastià lo saludó al pasar po delante de él, sin volver la cabeza, con la vista al frente y los labios apretados bajo el peso de la piedra.
— Durante muchos años yo hice lo mismo — continuó Arnau con voz entrecortada. Guillem no hizo ningún comentario. Solo tenía catorce años cuando llevé mi primera piedra à la virgen. — En aquel momento pasó otro bastaix. Arnau lo saludo — . Creía que me iba a partir por la mitad, que se me iba a romper el espinazo, pero la satisfacción que sentí al llegar… Dios!
— Algo buneo debera de tener vuestra Virgen para que la gente se sacrifique por ella de esta manera – oyó que le decía el moro.
Luego, los dos guardaron silencio mientras la procesión de bastaixos pasaba por delante de ellos.


Désormais, vous pouvez vous procurer cet ouvrage au format pocket ou même au format kindle. Ne vous en privez pas, il est excellent.

En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : au premier plan, sur l’image d’en-tête, on peut voir le personnage d’Arnau Estanyol incarné par Aitor Luna dans la série La Catedral del mar (Cathedral of the sea) de Netflix en 2018. L’enluminure, en arrière plan, est tirée du Codice Bodmer 181, superbe manuscrit du XVe siècle. Elle représente des bâtisseurs à l’œuvre pour la construction du temple de Salomon et est une reproduction d’une enluminure de Jean Fouquet. Le manuscrit est digitalisé est consultable en ligne ici. On retrouve ce même acteur sur l’image reprenant la citation.