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l’Histoire « éclairée » de Claire : interview exclusive d’une vraie passionnée de patrimoine et d’histoire vivante

Sujet : patrimoine, histoire vivante, reconstitution historique, visites guidés, interview, conférences, animations médiévales,
Période : Moyen Âge central à tardif
Intervenante : Claire Barbier, conférencière, intervenante, guide professionnelle, doctorante en histoire de l’Art.
Site web : eclairerlhistoire.fr

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous n’avions eu l’occasion de vous proposer un portrait de passionné de Moyen Âge. Nous en sommes d’autant plus heureux que la personne qui fait l’objet de ce portrait, cumule des compétences qu’il est rare de trouver réunies en un même profil.

Jugez plutôt : chercheuse en histoire de l’Art spécialisée dans la période médiévale (actuellement en doctorat et déjà mastérante de la Sorbonne), guide touristique professionnelle pour le compte de lieux patrimoniaux prestigieux (ville de Chartres, centre historique, cathédrale, musée et centre du vitrail, château de Châteaudun, …) mais encore conférencière et intervenante en présentiel ou à distance en Histoire. Et si cela ne suffisait pas elle est encore reconstitutrice passionnée de confection de costumes médiévaux au plus près de leur réalité et elle n’hésite pas à les revêtir pour donner une touche unique à certaines de ses visites ou de ses activités ! Alors, quand le goût du patrimoine se met à rimer avec Histoire vivante et pédagogie, tout en conservant la rigueur de l’approche historique, qui pourrait y résister ? Certainement pas nous et c’est donc avec grand plaisir nous vous proposons de découvrir ci-dessous, une interview exclusive de la pétillante et dynamique Claire Barbier de Eclairer l’histoire.

L’interview de Claire Barbier
de Eclairer L’histoire

Claire Barbier, une passionnée d'Histoire et de Patrimoine

Itinéraire & parcours

Mpassion : Bonjour Claire. Nous sommes ravis de vous recevoir, aujourd’hui, pour parler de vos nombreuses activités dans le domaine du patrimoine, de l’enseignement et même des animations médiévales. Ce n’est pas si souvent que nous avons l’occasion de rencontrer une passionnée d’histoire aussi active et qui soit à l’intersection d’autant de domaines. Pour commencer, peut-être pourriez-vous présenter un peu votre parcours atypique à nos lecteurs ?

Claire B : Bonjour, je suis également ravie de partager avec vous les différents aspects de ma vie qui sont, comme vous l’avez souligné, animés par ma passion de l’Histoire et du Patrimoine. Pour moi, tout a commencé lorsque j’avais 6-7 ans : j’allais chez mes grands-parents et je leur posais des questions sur les objets qu’ils avaient rapportés de leurs différents voyages à l’étranger (notamment les sculptures et papyrus égyptiens). De là est née ma passion et mon admiration pour l’Egypte Antique qui m’ont poussée à faire l’Ecole du Louvre pour devenir archéologue. Par la suite, différents évènements dans ma vie m’ont obligé à changer de voie : j’ai donc engagé un BTS Tourisme que j’ai obtenu en 2010, en travaillant en même temps au Château d’Angers et dans les musées de la ville d’Angers. J’y ai alors appris le métier de guide et médiateur du patrimoine. J’ai ensuite obtenu une Licence Arts, Lettres et Langues à la Sorbonne, en faisant des petits boulots alimentaires pour subvenir à mes besoins.

Visite de lieux patrimoniaux, cathédrales, musées et châteaux

A l’époque, les Masters à distance n’étaient pas encore tellement développés, et j’ai dû abandonner momentanément l’idée d’aller plus loin dans mes études. J’ai travaillé plusieurs années dans un groupe de communication à Paris où j’ai appris plusieurs métiers (assistante commerciale, chargée de développement et de prospection, etc…) mais le sentiment de plaisir, d’échange, et de passion que j’avais lorsque je faisais des visites guidées au château d’Angers me manquaient énormément. J’ai alors quitté mon travail et, ayant déménagé à Chartres, j’ai commencé à travailler en tant que guide avec les visites de la crypte de la cathédrale, puis les visites de la cathédrale et de la ville. Après quelques années, j’ai développé de nouveaux thèmes et on m’a proposé également de travailler, ponctuellement, pour le musée du vitrail, le château de Villebon, le château de Châteaudun, la ville de Bonneval, les tours de la cathédrale de Chartres…

Mpassion : Voilà de belles références patrimoniales. Et pour le côté histoire vivante ?

Claire B : En parallèle, je faisais de la reconstitution historique depuis près de 10 ans. J’ai tellement d’objets et de vêtements de reconstitution que je pourrais vivre complètement avec mes seules affaires médiévales ! Avec la crise Covid, les écoles ne pouvant pas faire de sorties scolaires, j’ai eu l’idée de proposer aux établissements de mon département d’aller en classe pour parler du Moyen Age aux enfants et échanger avec eux. J’ai eu du succès dès la première année ! J’ai fait la même chose avec les centres de loisirs et je participe également à des projets avec des classes de collège. Je propose aussi des visites de lieux patrimoniaux, vêtue comme au Moyen Age, pour les enfants comme pour les adultes (et même en nocturne !). Pour finir, je donne des cours et des conférences pour les adultes sur des thèmes de l’Histoire et d’Histoire de l’Art. Et lorsque j’ai un peu de temps libre, je travaille sur ma thèse. J’ai donc réussi à lier un travail qui me passionne à ma passion pour la reconstitution, ce qui donne cette touche d’originalité à mon travail.

Pourquoi le Moyen Âge ?

Mpassion : A voir votre succès sur les réseaux et les retours de vos audiences, tout le monde y trouve son compte. Partant de cet intérêt général pour l’histoire et le patrimoine, comment en êtes-vous venus au Moyen-Âge ?

Claire B : Mon intérêt pour l’Histoire et le Patrimoine est lié à mon histoire personnelle (intérêt de mes grands-parents) et mes parents m’emmenaient souvent dans des musées et des expositions. Comme je voulais assez tôt être archéologue ou égyptologue, je me suis fortement intéressée à l’Egypte Antique. J’étais même amoureuse d’un pharaon quasi-inconnu lorsque j’étais enfant (Didoufri, fils de Khéops) ! Donc, cette période était ma favorite. Le Moyen Age est arrivé un peu plus tard, il y a 10 ans, lorsque mon compagnon qui faisait partie d’une association de reconstitution médiévale m’a transmis son intérêt pour cette période. Ensuite, travaillant à la cathédrale de Chartres, on ne peut que tomber en amour devant cet édifice, et vouloir en apprendre davantage sur la période qui l’a créée !

Mpassion : On le comprend aisément. La cathédrale de Chartres regorge de trésors. Dans un autre registre qui touche peut-être plus la perception du Moyen Âge par le grand public, quel est votre point de vue sur la vision actuelle de la période médiévale ? Certains préjugés continuent-ils d’être résolument ancrés dans l’esprit des gens ou a-t-on un peu avancé ? Je pense à des poncifs comme le manque d’hygiène ou l’ignorance de l’homme médiéval, ce genre de choses ou même encore la vision d’un Moyen Âge foncièrement obscurantiste, etc…

Claire B : J’ai l’impression que toutes les tranches d’âges ont encore beaucoup de clichés sur le Moyen Age. Mais j’ai tout de même le sentiment que ça va dans le bon sens : avec les vidéos de vulgarisateurs ou certains reportages à la télévision, on commence à avoir des pans de la population qui s’intéressent à cette période, et qui peuvent plus facilement trouver des réponses ou s’informer sur ce qu’ils ont vu dans des séries ou des films qui se veulent «fidèles historiquement ».

Visites animées et histoire vivante

Mpassion : Pour revenir à vos activités sur le terrain patrimonial et touristique, pour l’instant un nombre important d’entre elles se centre sur Chartres : conférences, enseignement au centre du vitrail, visites des grands lieux historiques de la ville, etc… Pourquoi cette ville ? C’est un coup de cœur ? Y a-t-il quelque chose qui vous touche particulièrement dans son patrimoine et son histoire ?

Passion reconstitution historique et costumes du Moyen Âge

Claire B : J’ai vécu plusieurs années près de Chartres (entre 6 ans et 16 ans) en étant au collège et au lycée dans cette ville. J’en suis partie en 2005. La vie a fait que mon conjoint a trouvé du travail à Chartres en 2015. Nous sommes donc venus nous installer ici. C’est donc un hasard mais heureux. J’ai toujours adoré la cathédrale qui est la mieux conservée de France. Elle n’a pas subi de dégâts trop importants pendant la Révolution française ou les 2 guerres mondiales et elle a aussi la plus grande collection de vitraux du Moyen Age du monde entier ! C’est une vraie splendeur qui ne finit pas de m’impressionner. Et même si je pourrais tenir plusieurs dizaines d’heures de visite (littéralement), j’en apprends encore tous les jours !

Mpassion : Du fait de vos nombreuses casquettes, vous pourriez être ce que l’on appelle une « historienne de labo », puisque vous êtes désormais une brillante universitaire, avec un master en poche et un doctorat bien engagé. Pourtant, vous continuez de cultiver ce véritable intérêt pour le tourisme, le patrimoine et l’histoire vivante. Vous semblez même tenir à opérer une fusion unique entre transmission, animation et découverte patrimoniale. Parlez nous un peu de ces formules originales que vous êtes la seule à proposer ? Comment ces idées vous sont-elles venues ? Comment le public a-t-il accueilli le concept ? On imagine que certains ont dû être surpris.

Claire B : Oui ! Alors d’abord, merci pour les compliments. J’ai la chance d’avoir des intérêts divers et variés mais qui me passionnent tous ! Comme j’ai la particularité d’être la seule guide à faire de la reconstitution médiévale et à faire un doctorat, j’ai pu créer des produits touristiques uniques avec un vrai parti pris de qualité ! Et donc me voici, à présent, à proposer des visites guidées en costume (en journée ou la nuit) à partir du résultats de mes recherches sur la vie quotidienne au Moyen Age à Chartres, ou à organiser des visites-enquêtes pour les scolaires comme pour les familles et adultes ! Je suis également la seule à ma connaissance qui sois guide professionnelle mais qui propose aux établissements scolaires de me déplacer en costume médiéval sourcé pour faire découvrir le Moyen Age aux enfants, et sous forme d’échanges et d’interactions.

Comme je le disais, j’ai pensé à proposer ces interventions médiévales en établissements scolaires avec la crise Covid, même si j’avais en tête de faire des visites guidées en costume avant cela (sans l’avoir encore mis en place). Cette idée de visites en tenues médiévales est venue notamment du fait que parfois, lors d’une visite, j’avais envie de montrer concrètement aux gens ce à quoi pouvait ressembler une robe au 15e siècle par exemple (la forme, la matière, le poids ! etc…) et la différence entre le sous-vêtement et la robe… C’est plus parlant lorsqu’on a l’objet sous les yeux ! Idem pour les lanternes, les pièces de monnaie, etc. De nombreux locaux sont habitués maintenant à me voir déambuler en ville, mais je croise encore souvent (en visite ou en dehors de visite), des personnes très interloquées de me voir ainsi vêtue ! (rires)

Fête médiévales et reconstitution

Mpassion : Cela n’est pas surprenant ! (rires) Ce n’est pas quelque chose de très habituel hors des fêtes médiévales. Justement en parlant de cela, dans vos activités vous semblez tout faire vous-même et en solitaire : confection de costumes, personnages, écriture et scénarisation de vos visités animées et même de vos activités ludiques. Avez-vous aussi le goût des fêtes médiévales ? Est-ce un endroit où on peut vous croiser ? Faites vous également partie d’une troupe de reconstituteurs ?

Visites nocturnes ou en journée de monuments patrimoniaux avec Claire Barbier

Claire B : C’est justement parce que j’ai commencé à apprécier le Moyen Age par le biais de la reconstitution historique (et donc temps passé en fêtes médiévales) que j’ai eu l’idée d’intégrer cet aspect dans mes visites. Depuis plusieurs années, je fais partie de l’association La Massenie Saint Michel 1473 et nous allons dans des châteaux et autres abbayes, sites patrimoniaux de Bretagne en Allemagne, de Dordogne en Belgique. Nous sommes reconnus dans le milieu de la reconstitution par les institutions pour refléter une image de qualité de la société médiévale de la fin du 15e siècle ! Pour le reste, effectivement, je réalise tous mes costumes moi-même depuis près de 10 ans, je me suis découvert une passion pour la couture à la main ! — et je crée toutes mes visites moi-même également. Pour les livrets des visites-enquête, je demande à ma meilleure amie qui est infographiste de se charger des visuels et de la mise en page.

Mpassion : Quand nous disions en préambule que vous étiez une passionnée très active et dynamique dans ses champs d’intervention, nos lecteurs doivent, maintenant, bien mesurer à quel point. Dans ce monde des animations dites médiévales justement, une des dernières questions que j’aurais souhaité vous poser est votre sentiment sur ce Moyen Âge un peu fourre-tout qu’on voit prendre forme, de plus en plus, y compris dans des fêtes qui, auparavant, se voulaient plus historiques. On pense à l’ajout de fantasy, de cosplay, de fantastique, etc… A votre avis c’est un phénomène comme le décrivait Georges Duby ? Le Moyen Âge est devenu ce « western » dont il parlait ? Une sorte de territoire imaginaire où toutes les projections sont permises ? Ou c’est plutôt un phénomène d’acculturation permanent sous la pression de la culture anglosaxonne et particulièrement américaine littérature, cinéma, jeux de rôles, jeux vidéo , avec un Moyen Âge fantastique/fantasmagorique encore véhiculé par des œuvres comme celle de Tolkien et d’autres auteurs ? Pour poser la question de manière un peu abrupt, pensez-vous qu’on aura, d’ici quelques années, des Fêtes de Jeanne d’Arc « Steampunk » ou des Fêtes de la Saint Louis avec des nuées virevoltantes de costumes de trolls et d’elfes ? Dit encore autrement : Moyen Âge historique, restitué, rigoureux d’un côté et totalement fantaisie et imaginaire de l’autre, est-ce que tout cela peut coexister ? Ou est-ce qu’il faut œuvrer à préserver un peu de réalisme historique et quelques lignes de démarcation ? Et surtout, est-ce que l’historien a aussi un rôle d’éducation à jouer sur ces terrains-là ?

Claire B : C’est vrai que c’est un sujet un peu compliqué… Comme la barrière entre le Moyen Age et l’univers fantasy/fantastique est très mince, cela peut créer des clichés sur le Moyen Age historique ! Typiquement, on va être persuadé que les vikings avaient des casques à corne ou portaient des manteaux en peaux de bêtes, qu’en France on avait des vêtements en cuir ou des capes à capuches… Tout cela vient de ce qu’on a pu voir en BD, films, séries, etc…, depuis plusieurs dizaines d’années ! Je dois avouer que c’est un peu mon objectif également (en plus de me faire plaisir dans ce que je fais et de faire passer des bons moments aux gens) : casser les clichés qu’on a sur le Moyen Age et expliquer comment trouver les bonnes informations si le sujet nous intéresse ! Donc oui, ce sera à nous, historiens mais surtout guides et médiateurs du patrimoine, de profiter de ces instants privilégiés avec le public pour leur faire entrevoir la réalité historique derrière l’imaginaire collectif.

Où et comment contacter Claire ?

Claire Barbier, entre la passion du patrimoine, de l'histoire et de l'histoire vivante

Mpassion : Voilà une noble mission et une belle direction pour l’avenir ! Pour finir, où est-ce que nos lecteurs peuvent vous contacter pour suivre vos aventures patrimoniales et y participer, voire encore assister à vos conférences ou étudier avec vous la possibilité d’une intervention en milieu scolaire ou autre ? Des nouveaux projets 2022-2023 en vue ?

Claire B : Oui ! J’ai une page Facebook et Instagram professionnelle « Eclairer l’Histoire » (j’ai fait un jeu de mot avec mon prénom) sur laquelle je publie des informations sur l’Histoire, le Moyen Age, la cathédrale de Chartres, la reconstitution historique, mes visites à venir, des photos des lieux que je fais visiter, etc. Depuis peu, j’ai également rajouté une billetterie en ligne sur mon site internet www.eclairerlhistoire.fr qui permet à qui veut de se rajouter à une visite guidée ou de suivre mes cours en visio-conférence, par exemple.

Pour l’année 2022-2023, j’ai mis en place une nouvelle visite de la cathédrale et des cryptes « Légendes et secrets de la cathédrale », et je compte en proposer deux nouvelles sur le thème « Codes et symboles médiévaux dans la cathédrale » et « Anges et Démons à la cathédrale ». Et je vais essayer de prendre quelques jours de vacances à l’occasion, ça ne m’est pas arrivé depuis plusieurs années !

Mpassion : C’est plutôt un indicateur de succès même si, de temps en temps, il faut savoir lever le pied ! Merci beaucoup pour toutes vos réponses, en tout cas, Claire ! De notre côté, on espère vous retrouver bientôt, peut-être à l’occasion d’une visite à Chartres, ou même pourquoi pas, à l’occasion d’un article dans nos colonnes ? Ce sera avec grand plaisir.

Claire B : Merci à vous !


Voilà pour cette interview, mes amis. En espérant qu’elle vous ait autant plu qu’il nous a été plaisant de la conduire. En dehors de ses visites guidées, de ses activités en milieu scolaire, et des aspects de reconstitution historique de son travail sur lequel nous avons particulièrement mis l’accent ici, Claire donne aussi des cours et des conférences. Les thèmes abordés sont aussi variés que le costume civil et militaire du Xe au XVe siècle, l’hygiène au Moyen Âge, l’histoire et les merveilles de la cathédrale de Chartres ou encore la représentation de l’Arche d’Alliance au Moyen Âge. Les sujets sont traités sous forme de cycles ou de conférences uniques. Pour suivre ces interventions, vous pouvez retrouver Claire au Centre international du vitrail de Chartres, mais aussi la joindre directement sur son site pour des sessions à distance sur internet.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : toutes les photos de cet article proviennent de la page Facebook de Claire, à l’adresse : Eclairer l’histoire.

Au XIVe siècle, une fable contre les abus financiers du pouvoir

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, chant royal, impôts, taxation, poésie morale, poésie politique, satire.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers !»
Ouvrage  :  Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, T I   Prosper Tarbé (1849)

Bonjour à tous,

otre périple, d’aujourd’hui, nous entraîne vers la fin du XIVe siècle pour y retrouver une nouvelle poésie politique et satirique d’Eustache Deschamps. Comme on le verra, elle prendra la forme d’une fable singulière dans laquelle le poète médiéval montera à nouveau à l’assaut du pouvoir et de la cour pour mettre en garde la couronne contre les trop lourds charges et impôts qu’on fait alors peser sur les populations.

Les peuples tondus par leurs Etats

A chaque reprise des hostilités, la guerre de cent ans coûte cher et les princes de part et d’autre, en font, inévitablement, supporter le poids à leur peuple. Il en va toujours ainsi, avec ou sans argent magique sorti d’une planche à billet aux rotatives bien huilées, c’est toujours lui qui finit par payer le plus cher les prix des conflits entre nations.

Dans le chant royal du jour, Eustache Deschamps se servira d’animaux familiers de nos campagnes pour faire toucher du doigt les lourdes charges que la couronne fait peser sur les petites gens à la fin du XIVe siècle. L’auteur du Moyen Âge tardif n’a jamais hésité à user de sa poésie comme d’une arme pour tenter de raisonner les puissants et, une fois de plus, il ne mâchera pas ses mots. « Pour ce vous prie, gardez vous des barbiers » scandera-t-il dans le refrain de ce chant royal. Autrement dit, méfiez-vous ou prenez-garde de ceux qui ne pensent qu’à vous tondre et vous prendre vos deniers.

Aux sources historiques de cette ballade

D’un point de vue historique, et sous des airs qui pourraient vous paraître déjà-vus, ce chant royal était, plus particulièrement, destiné au roi Charles VI. Depuis 1384, ce dernier a, en effet, mis en place une nouvelle taxe : « la taille ». Au départ, cet impôt direct avait pour vocation le financement d’une opération militaire particulière contre l’anglais mais comme la règle le veut presque toujours en matière fiscale, la mesure se verra répétée. Ainsi, dans les années suivantes, à chaque nouvel effort de guerre, le souverain français se tournera vers le peuple pour le ponctionner lourdement (voir notamment Les finances royales sous Charles VI (1388-1413), Perrin Charles-Edmond, Journal des savants, 1967).

En ce qui concerne les sources, vous pourrez retrouver ce chant royal dans le manuscrit médiéval référencé MS français 840. Cet ouvrage que nous avons déjà abondamment cité, qui contient les œuvres complètes d’Eustache Deschamps. La poésie du jour se trouve au feuillet 103v et 104r, et à nouveau, un peu plus loin dans le manuscrit au feuillet 135v et suivant. Pour sa graphie en français moderne, nous nous sommes appuyés sur le Tome 1 des Œuvres inédites de Eustache Deschamps par Prosper Tarbé (1849). Pour ne citer que cette autre source du XIXe, notez que cette poésie politique est aussi présente dans les Œuvres complètes d’Eustache Deschamps par le marquis de Queux de Saint Hilaire et Gaston Raynaud.


Le chant royal d’Eustache
« sur les impôts excessifs mis sur la nation »

NB : le titre « sur les impôts excessifs…  » vient de Prosper Barbé, le manuscrit 840 n’en mentionne pas.

Une brebis, une chièvre, un cheval,
Qui charruioient
(labourer) en une grant arée (terre de labour),
Et deux grans buefs qui tirent en un val
Pierre qu’on ot d’un hault mont descavée
(extraite),
Une vache sans let, moult décharnée,
Un povre asne qui ses crochès portoit
S’encontrèrent là et aux besles disoit :
Je vien de court. Mais là est uns mestiers
Qui tond et rest
(rase) les bestes trop estroit (fig : court):
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers !

Lors li chevaulx dist : trop m’ont fait de mal,
Jusques aux os m’ont la char entamée :
Soufrir
(supporter) ne puis cuillier (collier, harnais), ne poitral.
Les buefs dient : nostre pel est pelée.
La chièvre dit : je suis toute affolée.
Et la vache de son véel
(veau) se plaingnoit,
Que mangié ont. — Et la brebis disoit :
Pandus soit-il qui fist forcés premiers
(1) ;
Car trois fois l’an n’est pas de tondre droit
(droit : justement).
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers!

Ou temps passé tuit li occidental
Orent long poil et grant barbe mellée.
Une fois l’an tondirent leur bestal,
Et conquistrent mainte terre à l’espée.
Une fois l’an firent fauchier la prée :
Eulz, le bestail, la terre grasse estoit
En cet estat : et chascuns labouroit.
Aise furent lors nos pères premiers.
Autrement va chascuns tout ce qu’il voit
(2):
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers.

Et l’asne dit: qui pert le principal
Et c’est le cuir, sa rente est mal fondée :
La besle meurt ; riens ne demeure ou pal
Dont la terre puist lors estre admandée.
Le labour fault
(fait defaut, manque) : plus ne convient qu’om rée (tarde).
Et si faut-il labourer qui que soit ;
Ou les barbiers de famine mourroit.
Mais joie font des peaulx les peletiers ;
Deuil feroient, qui les écorcheroit
(3):
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers.

La chièvre adonc respondit : à estal
(étable)
Singes et loups ont ceste loy trouvée,
Et ces gros ours du lion curial
Que de no poil ont la gueule estoupée
(bouchée, pleine).
Trop souvent est nostre barbe couppée
Et nostre poil, dont nous avons plus froit.
Rère
(raser, tondre) trop près fait le cuir estre roit (dur) :
Ainsi vivons envix ou voulentiers.
Vive qui puet : trop sommes à destroit
(détresse, difficulté) :
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers.

L’envoy.

Noble lion, qui bien s’adviseroit,
Que par raison son bestail ne tondroit,
Quant il seroit lieux et temps et mestiers.
Qui trop le tond, il se gaste et déçoit,
Et au besoing nulle rien ne reçoit :
Pour ce vous pri, gardez-vous des barbiers  !

Notes
(1) Pandus soit-il qui fist forcés premiers : pendu soit celui qui, le premier, se procura les ciseaux.
(2) Autrement va chascuns tout ce qu’il voit : les choses en vont bien autrement désormais
(3) Deuil feroient, qui les écorcheroit : ils (les pelletiers) seraient en liesse si on les écorchait


La défiance d’Eustache Deschamps
envers les abus financiers des princes

Ce chant royal ne sera pas l’unique occasion donnée à Eustache Deschamps de mettre en garde les princes contre leurs abus financiers à l’égard des petites gens. Il a adressé dans plus d’une poésie, le sujet des dépenses des puissants comme il a souvent montré du doigt leur rapacité ou leur trop grande convoitise.

Comme toujours, quand il le fait, il se place en conseiller moral et, s’il se tourne vers le pouvoir, c’est d’abord dans le souci de lui faire entendre raison. N’oublions pas qu’il sert ces mêmes princes. Son intention est donc d’appeler à plus de justice sociale pour les gens du peuple, mais aussi de permettre de maintenir la système monarchique en place et sa stabilité. Pour qu’on le situe bien, il n’est pas question pour lui d’allumer les feux de la révolte même si cela n’enlève rien à son engagement, ni à son courage.

Une opposition de fond

« La nécessité d’une utilisation plus modérée des ressources du royaume pour assurer sa pérennité est un thème majeur de la poésie de Deschamps. « 

Poésie et persuasion politique : le cas d’Eustache Deschamps, Laura  Kendrick, De Dante à Rubens, l’artiste engagé, Éditions Sorbonne (2020).

En suivant les pas de l’historienne : sur la question de la taxation, Eustache se situe en droite ligne d’une Ecole de pensée qui se défie de l’usage outrancier de l’impôt comme moyen de pourvoir aux besoins de la couronne et de l’administration du royaume. D’entre tous les savants apparentés à ces idées, on retiendra des noms comme Nicolas Oresme, Philippe de Mézières, ou encore Évrard de Trémaugon.

Dans cette continuité et pour notre poète, la condition d’un royaume stable et florissant demeure, en premier lieu, un « peuple productif et prospère » et non un roi replet entouré d’une administration roulant sur l’or, au détriment du bien commun. Au delà du fond philosophique et pour faire une parenthèse, ajoutons que la longue carrière d’Eustache près de la cour n’a, sans doute, rien fait pour changer ses vues sur ces questions. Bien loin de toute frugalité, il y fut, en effet, témoin de fastes, d’excès et de travers sur lesquels il s’est largement épanché (voir, par exemple, une ballade acerbe sur les jeux de cour) .

Les financiers contre les sachants

Corollaire de cet abus de taxation et d’une gestion dispendieuse, Eustache se défie également d’une nouvelle classe de financiers qui émergent et qui prend de plus en plus d’importance dans l’administration du royaume et les décisions prises. Comme Laura Kendrick le souligne encore :

« (…) Mais il y a aussi un côté auto-défensif et partisan dans la véritable guerre verbale que Deschamps a menée, à travers ses ballades et chansons royales, non seulement contre cette taxation injuste et gaspilleuse des ressources du royaume, mais aussi contre la montée en puissance des officiers et personnels chargés des finances du royaume. Les deux maux vont de pair. Deschamps s’en prend surtout aux hommes nouveaux sachant peu sauf «  compter, getter et mannier argent »  ; grâce à cette compétence limitée, ils deviennent plus importants et plus respectés que les «  sages preudommes  » ayant fait de longues études de textes d’autorité. Il critique le prince qui élève ces « nonsaichants » et appelle à la diminution de leur nombre. »

Laura  Kendrick (op cité).

Il est extrêmement intéressant de constater qu’avec la centralisation étatique de l’impôt nait, aussi, une caste financière qui prend, peu à peu, l’ascendant sur des vues plus profondes, voir plus philosophiques et morales, dans la conduite des affaires de l’Etat. Pour le reste, nous ne pouvons que vous inviter à consulter cet excellent article de Laura Kendrick sur l’engagement politique d’Eustache Deschamps sur toutes ces questions.

Pour élargir, rappelons que ce dernier a beaucoup écrit sur la thématique de l’obsession de l’avoir ou de l’argent contre un peu de mesure, des valeurs plus charitables et plus, généralement, un sens de la vie plus conforme aux valeurs chrétiennes médiévales. A ce sujet, on pourra se reporter, par exemple, aux ballades : « Car Nul ne pense qu’à remplir son sac« , « mieux vaut honneur que honteuse richesse » ou encore « ça de l’argent » (cette dernière mettant en scène, comme celle du jour, des animaux).

Derrière la biquette, collecte d’impôt – Français 9608 BnF – Mélanges théologiques (XVe s)

Révoltes fiscales et opacité des finances

Bien avant le mouvement des gilets jaunes dont l’augmentation d’une taxe et, finalement, d’un impôt indirect avait été le détonateur social, les abus fiscaux ont été la source de nombreuses contestations à travers l’histoire française. Selon les deux économistes et universitaires Jean-Édouard Colliard et Claire Montialoux, au delà du principe même de l’impôt et de ses augmentations intempestives, le manque de clarté sur la destination réelle des fonds resterait, à travers l’histoire depuis le XIIIe siècle, une des causes majeures de soulèvements sociaux ou de mécontentement.

« En dehors de ces circonstances exceptionnelles (victoire de Charles VII) où la survie de la communauté est en jeu, les prélèvements sont considérés comme abusifs. Les révoltes fiscales parsèment ainsi l’Histoire de France jusqu’au XVIIIe siècle. Quand le roi décide à la fin du XIIIe siècle d’imposer un impôt sur chaque marchandise vendue, le tollé est si grand que le monarque est contraint d’en revenir aux aides. (…) Plus que le principe même de la levée des impôts, c’est donc l’arbitraire et l’opacité des finances royales qui nuisent à leur légitimité. »

Une brève histoire de l’impôt , Regards croisés sur l’économie 2007/1.
Jean-Édouard Colliard et Claire Montialoux

Résonnances actuelles

L’article des deux économistes montre également assez bien les changements des représentations sur l’impôt d’Etat au cours de son histoire : « l’impôt est un véritable palimpseste où s’écrivent les tensions et les accords d’une société avec le corps qui la représente  et les voies de réforme sont complexes, par paliers, tant son histoire est foisonnante, et chargée de consensus passés.« 

On y voit, notamment, que son principe est désormais bien accepté. Le peuple français a, de longtemps, admis l’idée d’un effort individuel en contrepartie d’avantages sociaux et collectifs. Cependant, sans prendre de raccourci, les réticences eu égard à son opacité ne semblent guère avoir changé sur le fond. Certes, on peut constater, avec les auteurs, que les finances sont désormais publiques et donc supposément moins opaques, mais il reste difficile de ne pas souligner que leur niveau de complexité et d’empilement bureaucratique les rendent tout aussi abscons et inaccessibles pour le citoyen.

Aujourd’hui comme hier, ce manque de clarté continue d’alimenter les contestations autant que les suspicions. Et la grogne semble même s’accentuer plus encore à l’heure où les services publics continuent d’être démantelés ou privatisés, face à des taux de prélèvement fiscaux qui restent, dans le même temps, record ; la France est, en effet, en tête de classement dans les premiers pays européens en terme de taux d’imposition. « Où va le pognon » ? La bonne vieille question populaire semble toujours un peu triviale mais elle a la vie dure. Quant à la réponse qu’on lui fait, elle tient souvent en quelques mots qui continuent d’alimenter les interrogations : « C’est compliqué ».

Face à tout cela, un peu plus de lisibilité, de pédagogie et peut-être aussi (soyons fous), de démocratie participative ne seraient pas malvenus, particulièrement dans le contexte d’une dette française qui a littéralement explosé au cours des dernières décennies et, plus encore, ces dernières années.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : concernant les enluminures de cet article, elles sont tirées de diverses sources. Le fond arboré provient du Livre de chasse de Gaston Phébus, de la BnF (Français 616 -XVe siècle). Concernant les animaux, ils proviennent tous du bestiaire du Royal MS 12 C XIX de la British Library (vers 1210), à l’exception de la chèvre extraite du manuscrit MS Bodley 764 de la Bodleian Library.

La terre n’était pas plate au moyen âge mais elle est en train de le redevenir

podcast médiéval

Sujet : terre plate, terre ronde, science, histoire médiévale, idées reçues, préjugés, actualité.
Période : Moyen Âge.
Média  : podcast décembre 2021
Titre : La terre était-elle plate au Moyen âge ?
Intervenants : Christophe Dickès, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony.

Bonjour à tous,

ous avions été contacté, il y a quelques années, par un auteur illustrateur. Assez sympathique, il nous avait dit faire des petits cahiers ludiques pour les enfants et pour une petite maison d’édition. L’un deux, déjà paru, portait sur le Moyen Âge. Il espérait que nous soyons intéressés et puissions en parler dans nos pages. Très honnêtement, l’idée nous a ravi. Hélas, en consultant le document, assez bien illustré, nous avons trouvé de nombreuses idées fausses sur le monde médiéval entre lesquelles la suivante, énoncée laconiquement : « Au Moyen Âge, l’Eglise et les gens pensaient que la terre était plate « . La messe était dite…

Actualité de la terre plate

Aujourd’hui encore, ce préjugé est, sans doute, celui qui résume le mieux les idées reçues sur le monde médiéval et ses mentalités. Il fait encore sourire, voir pouffer, d’un air entendu. « La Terre était considérée comme plate au Moyen Âge« . Si les médiévistes ne pouffent pas, de nouveaux publics se joignent, désormais, à eux pour des raisons différentes. À l’heure d’internet, tout devient possible et depuis quelque temps, les affirmations autour de la terre plate reviennent, en effet, au goût du jour. Cela fait lever les yeux au ciel à tous les astronomes, scientifiques, physiciens, astronomes amateurs, de la terre entière et même quelques milliards d’autres personnes. Pourtant, en janvier 2018, un sondage de l’IFOP établissait que près de 9% des français pensaient cette théorie possible : 2% en étaient totalement convaincus, 7% la jugeaient probables. C’est un peu plus qu’une sorte de « pourquoi pas ? » face à l’idée. Beaucoup de regards se sont alors tournés vers l’éducation et certains ont pu avoir une pensée émue pour la crédibilité accordée aux enseignements scolaires, autant que pour l’éducation scientifique.

À date, une brève requête faite sur google en langue française vous fera apparaître près de 46 200 000 résultats sur « terre plate ». Si vous la tentez en anglais (« flat earth »), le nombre vertigineux de 1 230 000 000 résultats s’affichera. Sur youtube, les vidéos sur le sujet sont également innombrables même si (rappelons-le) pour y poster, il ne faut pas nécessairement un doctorat en physique, ni même des études poussées en Astronomie ; une webcam et un soft de montage vidéo suffisent. En dehors de quelques pédagogues qui s’escriment à réhabiliter le bon vieux globe terrestre, si le courage vous en dit (personnellement, j’ai un peu passé mon tour), vous assisterez aux échafaudages les plus hardis visant à démontrer la platitude de notre bonne vieille « Plan-ète » .

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est deco-terre-plate-.jpg.

La plupart ne tiendrait sans doute pas 5 minutes face à un Hubert Reeves. Ils n’auraient pas, non plus, été approuvés par un regretté Haroun Tazieff ni un Albert Einstein et même votre prof de physique de collège pourrait les démonter, mais qui sont tous ces prétendus experts après tout ? Quelle légitimité réelle pourraient-ils bien avoir face à des millions d’opinions et de bouches grandes ouvertes en ligne ? Deux ou trois voix de plus dans l’arène, d’où qu’elles viennent, ne font pas une vérité, pas vrai ? Je plaisante à demi. La nouvelle barbarie dont Alessandro Baricco nous avait dit un mot est dans la place. À chacun sa vérité et sa panoplie d’experts. Le plus étonnant reste, sans doute, le niveau d’élaboration de certains de ces contenus et les efforts qui peuvent y être portés. Au final, tout ça viendra allégrement alimenter la définition de la complosphère et jeter le discrédit sur tout ce qu’on peut trouver en ligne. Les vrais lanceurs d’alerte noyés dans une mer où surnagent toutes les vérités et leur exact contraire. Pas terrible…

Points de vue et motivations

Illustration d'une théorie de la terre plate

Pour revenir à la terre plate, nous aurait-on menti ? Vivons-nous, sans le savoir sur un plan, un monde plus plat que la Belgique de la chanson de Brel ? Une sorte de théâtre à la Trueman show ? Certains se posent la question, d’autres s’en laissent convaincre. Nous n’allons pas passer en revue ici toutes les théories qui mettent du baume au cœur des « platistes », ni même nous aventurer à juger ces derniers. Pourtant, il est permis de se demander comment des allégations venues contredire des siècles, et même des millénaires de cosmologie, peuvent parvenir à se propager au XXIe siècle ? (même si cela reste très relativement, n’exagérons rien). À l’heure des stations spatiales, des satellites, de Hubble, des exoplanètes, de l’exploration martienne, comment le niveau de connaissances que nous avons atteint sur l’univers peut-il laisser la place à de telles affirmations ?

S’il y a de quoi se frotter les mains pour ceux qui voient un complotiste derrière chaque arbre, on se demande sur quel terrain ces croyances peuvent bien faire leur nid. Au delà des certitudes qu’a pu nous laisser (ou non, la preuve !) l’éducation scientifique, faut-il simplement y voir un besoin de poésie, d’excitation, de rêve ? Le philosophe physicien Etienne Klein bondirait peut-être sur sa chaise en lisant ces lignes, lui qui prêche « le goût du vrai » et ne cache pas ses inquiétudes sur le peu de place fait à la science dans l’information. Si vous avez eu l’occasion de voir certaines de ses conférences sur youtube (justement), notamment celle sur la définition d’ultracrépidarianisme, vous savez déjà qu’il plaide pour un retour des véritables experts scientifiques dans le champ médiatique. Quant au goût du rêve, les amoureux de science ne sont pas souvent pas obtus, ni même scientistes. Certains d’entre eux vous affirmeront que l’univers et le cosmos tels que la science actuelle conservent, même ainsi, leur charge de mystère et de poésie.

Croire, ne pas croire ? Débattre ou non ? Dans un autre registre, interrogé, il y a quelques années, sur un complot possible au sujet de l’alunissage des américains en 1969, Alexandre Astier auteur du spectacle l’Exoconférence (2014) répondait simplement : « je n’ai pas besoin de ça« . En un mot, s’il faisait le constat que ce type de choses parlait à certains et pouvait même, peut-être, correspondre à un certain besoin pour eux, il n’entrait simplement pas dans le débat. « Je n’ai pas besoin de ça ». Pas de jugement, juste un constat pour lui-même. C’est sans doute la meilleure attitude. On ne peut pas être en croisade sur tous les sujets et laisser justement cela aux experts et enseignants des domaines concernés. Connaissant la goût de l’auteur de Kaamelott pour l’astronomie, il serait, toutefois, intéressant de connaître sa position au sujet de cette théorie de la terre plate qui demeure, quand de même, d’un autre niveau que l’alunissage américain.

Tout cela étant dit, la question des causes et des motivations reste ouverte. Nous n’avons pas, ici, la prétention de la trancher. Au moment de ces lignes et en regardant de près ce résultat google, une chose demeure troublante, pourtant. Certains défenseurs de cette théorie de la terre plate sont en train d’acheter de la publicité sur le moteur de recherche pour la propager. La publicité redirige sur un site qui parle uniquement de ce sujet. On y plaide même la renaissance d’une certaine foi « contre les mensonges de la laïcité ». Plutôt étonnant comme croisade. On se demande franchement à qui elle profite et qui peut investir ses deniers pour la mener.

L’homme médiéval face à la terre plate

Ces quelques réflexions posées sur cette étrange théorie de la terre plate au XXIe siècle, revenons sur la croyance supposée que cette idée était commune et admise durant le Moyen Âge. Précisons que nous avions déjà abordé ce sujet, il y a quelques années, avec le support d’une conférence de Jean-Marc Mandosio, enseignant à l’École pratique des hautes études (EPHE). Ce dernier établissait clairement que ce préjugé de terre plane aux temps médiévaux avait été faussement colporté durant des siècles.

un podcast de Storia Voce

Livre : La terre plate par une scientifique et une médiéviste

Preuve que ce thème est encore d’actualité, tout récemment encore, deux éminentes chercheuses et enseignantes universitaires, l’une historienne, Violaine Giacomotto-Charra, l’autre physicienne Sylvie Nony se sont penchées, elles-aussi, sur le sujet. Leur collaboration a donné lieu à l’ouvrage « La terre plate, généalogie d’une idée fausse » paru aux Belles Lettres en 2021.

À cette occasion, les deux auteurs ont été également les invitées d’un podcast de StoriaVoce. Cela va nous fournir enfin l’opportunité de vous dire un mot de cette excellente radio web. Très orientée sur l’histoire et son enseignement, ce média est présenté et animé par l’historien et journaliste Christophe Dickès. Depuis sa création en 2016, il y passe en revue de nombreux sujets historiques entourés de nombreux et prestigieux invités. Les programmes de Storia Voce couvrent toutes les périodes et sont d’un niveau soutenu. Ils sont aussi très variés avec une fréquence de 6 à 8 podcasts mensuels depuis 5 ans,

Comme on le verra dans ce très complet programme audio, non seulement le Moyen Âge ne croyait pas en la terre plate mais la science et les grecs avaient affirmé, bien longtemps avant lui, que la terre était ronde. On la pensait immobile et statique, au centre de l’univers, mais elle était déjà considérée comme un globe. On y découvrira encore qu’après Voltaire, elle a même continué d’être propagée dans certains manuels scolaires jusqu’après le milieu du XXe siècle ! C’est dire toute la considération des éditeurs de manuel d’histoire pour le Moyen Âge et toute la rigueur de certains rédacteurs d’alors.

En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée.
Fred F
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À la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une gravure publiée en 1888 par Camille Flammarion. Cette illustration du XIXe siècle représente un homme regardant par delà le bord du ciel ou l’atmosphère pour essayer d’y découvrir l’espace profond. Ouvrage de référence : L’atmosphère: météorologie populaire.

Idées reçues : des sorcières au Moyen Âge avec Martin Blais

Martin Blais, médiéviste et philosophe

Sujet : citations, Moyen Âge, idées reçues, barbarie, modernité, révolution, technologie, Moyen Âge, préjugés, sorcellerie, sorcières, livres.
Période : renaissance, XVIIe siècle, XVIIIe
Auteur : Martin Blais
Ouvrage : Sacré Moyen Âge (1997)

Bonjour à tous,

omme nous l’avons mentionné à l’occasion de l’actuelle exposition sur les sorcières du KBR Museum, s’il existe un préjugé qui a la vie dure au sujet du Moyen Âge, c’est bien cette vision de centaines, quand ce n’est de milliers, de femmes exécutées par l’Eglise, sous l’accusation abusive de sorcellerie. Bûchers à perte de vue et leurs feux meurtriers, justice ecclésiastique arbitraire, en réalité, tous ceux qui s’intéressent de plus près au monde médiéval savent que tout est faux dans ce type d’affirmation. La période n’est pas la bonne, l’exécuteur non plus, comme nous allons le voir dans l’extrait du jour.

Sorcières, bûchers et bras séculier

Une fois de plus, c’est à Martin Blais (1924-2018) et son ouvrage Sacré Moyen Âge que nous emprunterons ce passage. Cet écrivain, philosophe et enseignant canadien très prolifique, est loin d’être le seul à avoir écrit sur les idées reçues à l’encontre du Moyen Âge. De nombreux médiévistes s’y sont attelés, mais son ouvrage a l’avantage d’être digeste et accessible. Si ces questions vous interpellent mais que vous n’avez pas envie de lire une encyclopédie, ce petit bouquin pourrait donc être un bon point de départ.

Avant de partager cet extrait et pour ceux qui penseraient que si le Moyen Âge n’a pas brûlé de sorcières, il a, tout de même, connu une inquisition massivement meurtrière, à l’encontre des hérétiques ou contradicteurs de toutes sortes. Ajoutons qu’il s’agit, là encore, d’une affirmation à nuancer. Contre toute attente, le film Le Nom de la Rose n’est pas vraiment représentatif des temps médiévaux et, jusqu’à très récemment, des historiens très sérieux se sont même évertués à déconstruire l’inquisition médiévale et sa légende noire.

Citation illustrée de Martin Blais sur les préjugés sur le Moyen Âge

« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est de 1580 à 1640 que la chasse aux sorcières connut sa plus forte intensité : 1580, c’est le XVI e siècle, c’est la Renaissance ; 1640, c’est le XVII e siècle. On reste songeur. Eût-il été plus juste que mon encyclopédie note : « À la Renaissance et au XVII e siècle, on brûlait les sorcières » ? Quel choc ! Toutes les horreurs du passé ne doivent-elles pas s’entasser dans la grande poubelle de l’histoire, le Moyen Âge ? Stupéfiant, mais le prestigieux XVII e siècle appartient à l’époque qui s’est le plus tristement signalée par sa lutte barbare contre les sorciers et les sorcières. Même le XVIII e en a été entaché.

Enluminure sorcière manuscrit médiéval
 » Des Vaudoises » enluminure du XVe (1)

Une autre surprise nous attend. Les pays qui se livrèrent avec le plus de sévérité à la chasse aux sorcières furent tout d’abord l’Allemagne, puis la Suisse et l’Écosse. Pour une population de quatre millions d’habitants, l’Angleterre a allumé mille bûchers ; la France n’en a pas allumé davantage pour une population cinq fois supérieure. Pour une population comparable à celle de l’Angleterre, la Scandinavie a allumé deux mille bûchers. La persécution a été à peu près inexistante en Italie, en Espagne et au Portugal.

À partir de la Renaissance, c’est le « bras séculier » qui poursuit les sorciers et les sorcières. Le « bras séculier », c’est-à-dire l’autorité civile et non pas l’Église et son Inquisition, tristement célèbre. Quelques exemples. En Lorraine sévit un redoutable chasseur de sorcières, Nicolas Rémy, grand juge et procureur général de 1576 à 1591. Cet homme abominable a envoyé au bûcher environ trois mille sorciers et sorcières. En 15 ans, trois fois plus de victimes, à lui seul, que pendant tout le millénaire du Moyen Âge. »

Martin BlaisSacré Moyen Âge (1997)

(1) Cette enluminure est tirée de l’ouvrage, « Le Champion des dames », de Martin Le Franc, Prévost de l’église de Lausanne. Ce manuscrit médiéval, daté du milieu du XVe siècle, est conservé à la BnF sous la référence MS Français 12476 . En marge du Feuillet 105v, cette femme volant sur son balais a pour légende « Des Vaudoises », autrement dit « des sorcières », « des adoratrice de Satan ». On utilisait cette appellation en référence à l’hérésie vaudoise. Sur le feuillet, cette illustration est accompagnée d’un autre du même type.


Voilà donc une idée reçue de plus sur le Moyen Âge à évacuer ! Pour compléter voici quelques articles utiles :

couverture livre Fréderic Effe - Roman d'aventure médiévale

Si la sorcellerie et le monde médiéval vous intéressent, vous pouvez aussi découvrir notre roman d’aventure. Il a pour cadre le XIIIe siècle et raconte l’histoire d’un médecin alchimiste en prise à d’étranges phénomènes. Pour les fêtes de fin d’année, le format ebook reste encore en promotion à moins de 2.99€ . Si vous appréciez notre site et nos contenus, c’est un excellent moyen de nous montrer votre soutien, tout en plongeant dans une histoire inédite.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’impressionnante enluminure utilisée pour l’image d’en-tête est tirée du manuscrit médiéval Les Grandes Chroniques de France. Cet ouvrage, daté du milieu du XIVe siècle, est actuellement conservé à la bibliothèque du British Museum sous la référence Royal MS 16 G V (voir en ligne). L’illustration raconte l’histoire de la reine mérovingienne Frédégonde (545-597) et quelques-unes de ses « frasques ». Cette souveraine ambitieuse et impitoyable du haut Moyen Âge n’eut guère de chance avec ses héritiers mais elle réussit tout de même à mettre Clotaire II sur le trône après bien des stratagèmes et des assassinats.

D’après les grandes Chroniques de France, Frédégonde fit condamner le préfet Mummol (Mammolus) en utilisant un stratagème assez semblable à celui qu’elle aurait utilisé pour faire condamner Clovis : l’accusation de magie ou de sorcellerie. Pour Mummol, elle aurait même choisi un groupe de femmes vraisemblablement innocentes, qu’elle força à avouer leur méfait. Les malheureuses furent brûlées, torturées et décapitées. Mammolus fut exécuté lui aussi. L’enluminure représente ces infortunées victimes et sorcières de circonstance » ainsi que la pendaison de Mammolus sous le regard de la reine. Dans sa troisième partie, on voit Frédégonde faire fondre tout l’or et tout l’argent de son défunt fils Théodoric afin qu’il ne resta nulle trace de ses possessions qui put attiser l’immense douleur de sa perte. L’histoire conte qu’elle avait fait de même pour la garde-robe de ce dernier et pour les mêmes raisons.