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Une chanson d’amour et de croisade de Thibaut de Champagne

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Sujet :  chanson, médiévale, roi troubadour, roi poète, trouvère, vieux-français, langue d’oïl,  amour courtois, chant de croisade.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Thibaut de Champagne (1201-1253)
Titre :  « Dame, einsi est qu’il m’en couvient aler » 
Interprète : Modo Antiquo, Bettina Hoffmann
Album : Secular Songs & Dances From The Middle Ages (2006)

Bonjour à tous,

u Moyen Âge central, Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre s’adonne à la poésie et à l’art des trouvères. Le talentueux roi compositeur qu’on surnommera, bientôt, Thibaut le Chansonnier, léguera une œuvre abondante encore reconnue, de nos jours, parmi les fleurons de la lyrique courtoisie de la première moitié du XIIIe siècle. Aujourd’hui, nous vous entraînons à la découverte d’une nouvelle pièce tirée du legs du noble champenois avec, à l’appui, sources, commentaires, traduction et une interprétation par une formation de musiques médiévales contemporaine, l’ensemble Modo Antiquo dirigé par Bettina Hoffman.

La douleur du partir au moment des croisades

La pièce du jour est souvent classée dans les chants de croisade même si sa thématique est double et qu’elle traite aussi de la « dure départie », autrement dit la douleur de la séparation, en l’occurrence, au moment de prendre la croix pour se rendre en terre lointaine.

On se souvient de deux autres chansons de Thibaut sur le thème de la croisade. Il y eu d’abord Au tans plein de félonie écrit une dizaine d’années auparavant. On n’y sentait le noble assez tiède et critique vis à vis de l’expédition en terre sainte. et il s’y montrait déjà réticent de s’engager pour tout laisser, y compris sa belle. Nous avions eu également l’occasion d’étudier la célèbre chanson « Seigneurs sachiez qui or ne s’en ira » écrite plus près de celle du jour et dans laquelle Thibaut de Champagne exhortera, cette fois, de manière énergique et autoritaire, ses contemporains à prendre la croix.

Sur le fond, la pièce que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, est un peu entre les deux. Nous nous situons autour de 1238-1239, Thibaut s’est, cette fois, résolu à partir en expédition mais la séparation reste dure. Il lui coûte toujours de laisser la dame de son cœur et, de ce point de vue, le texte se tient dans le registre courtois et amoureux. En revanche, il n’est plus question de reculer et s’il est triste, le roi de Navarre se dit aussi joyeux de servir Dieu. Il acceptera même de trouver refuge auprès du culte marial en troquant ses amours temporelles contre une dame plus spirituelle.

"Dame, einsi est qu'il m'en couvient aler" dans le chansonnier de Cangé, manuscrit médiéval ms Français 846 de la BnF

Sources manuscrites d’époque

On retrouve cette pièce dans un certain nombre de manuscrits anciens. Pour l’illustration d’aujourd’hui et pour la notation musicale, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’elle apparaît dans le Chansonnier Cangé. Le roi de Navarre y côtoie de nombreux autres trouvères qui lui sont contemporains ou antérieurs : Blondel de Nesle, le Chastelain de Coucy, Gace Brûlé, et quelques autres.

Ce célèbre ouvrage médiéval, daté de la dernière partie du XIIIe siècle, est conservé sous la référence ms Français 846 au département des manuscrits de la BnF et également consultable en ligne sur Gallica. Pour la graphie moderne de ce texte, nous avons fait appel à l’ouvrage « Les Chansons de Croisade » de Joseph Bédier et Pierre Aubry, sorti en 1909 aux éditions Honoré Champion. Pour son interprétation, nous vous entraînons du côté de l’Italie et de Florence avec l’ensemble Modo Antiquo sous la direction de Bettina Hoffmann.

L’ensemble médiéval italien Modo Antiquo

Bettinna Hoffmann, passion musiques médiévales

Fondé en 1984, à Florence, par Federico Maria Sardelli, la formation Modo Antiquo exerça d’abord ses talents dans un répertoire qui s’étendait du Moyen Âge à la renaissance et au baroque. Quelques années plus tard, son directeur le fera évoluer vers un brillant orchestre de 25 musiciens qui se fera connaître et même récompensé pour ses interprétations dans le domaine de la musique classique et baroque.

C’est à cette période de transition que sera formé l’ensemble médiéval Modo Antiquo, formation plus réduite dirigée par la violoncelliste, joueuse de viole de gambe et musicologue allemande Bettina Hoffman, elle-même épouse du directeur et musicologue italien. En près de 25 ans de carrière, cette formation spécialisée dans les musiques du Moyen Âge, a déjà eu l’occasion d’explorer de nombreuses thématiques : de Carmina Burana et des chants de goliards jusqu’à des chants de croisades, des danses italiennes des XIIIe et XIVe siècles ou encore les plus belles pièces des maître de musique de l’école Florentine et de Francesco Landini.

Secular Songs & Dances from the Middle Ages,
un coffret complet de musique médiévale

En 2006, la formation médiévale faisait paraître un coffret de pas moins de 6 CDs dédié aux chants et danses profanes du Moyen Âge. Avec plus de 6 heures d’écoute, il comprend 2 Cds sur les Carmina Burana, 2 sur les musiques et les chants de croisade et enfin deux autres sur les danses de la France, l’Italie et l’Angleterre médiévale : estampie royale, trotto, saltarello et « tutti quanti ». Autrement dit, une belle somme d’œuvre majeures du Moyen Âge.

Pochette de l'Album de musiques médiévales de Modo Antiquo et Bettina Hoffman

Notre pièce du jour trouve sa place sur le premier CD dédié aux musiques et chants de croisade et sur la deuxième partie de celui- ci, dédié justement à « la dure départie ». La première partie de ce même CD porte sur « l’appel à la croisade ». Le deuxième CD aborde, quant à lui, la difficulté des expéditions et leur conséquences, dans une première partie, et les récompenses du chevalier à l’arrivée dans la Jérusalem céleste, dans une deuxième.

Avec 27 pièces dédiées aux musiques des croisades, ces deux opus nous gratifient d’un bon nombre de compositions familières (voir nos articles sur les chants de croisade). La plupart sont en vieux français et en oïl, mais on en trouve, également, un certain nombre en latin, et même une en allemand. Les deux chansons de croisade de Thibaut de Champagne susmentionnée s’y trouvent en compagnie de celle du jour et, du point de vue des autres signatures, le noble est bien entouré : le Chastellain de Couci, Huon d’Oisi, Richard Cœur de Lion, Guiot de Dijon, … et encore de nombreuses auteurs d’époque demeurés anonyme.

Cet impressionnant coffret de l’ensemble italien, est toujours disponible à la vente. Il est édité chez Brillant Classics et on le trouve même au format digitalisé. Voici un lien utile pour plus d’informations : Chants et danses profanes du Moyen Âge de Modo Antiquo.

Musiciens présents sur ces albums

Elena Cecchi Fedi, soprano – Santina Tomasello, soprano – Lucia Sciannimanico, mezzo-soprano – Paolo Fanciullacci, tenor,  jeux d’anche, cornemuse, olifant – Marco Scavazza, bariton, contre-tenor – Federico Maria Sardelli, flûtes, chalémie, voix – Ugo Salasso, flûtes, cornemuse, chalemie, harpe – Mauro Morini, trompette a coulisse – Piero Callegari, trompette a coulisse, olifant – Bettina Hoffmann, violon, rebec, trompette marine – Gian Luca Lastraioli, citole, luth, dulcimer – Daniele Poli, harpe, luth, dulcimer – Annaberta Conti, organetto – Anna Clemente, organetto – Luca Brunelli Felicetti, percussions, tambours, cloches, dulcimer – Massimo Risaliti, cymbale, triangle, grelots.


« Dame, einsi est qu’il m’en couvient aler« 
en vieux-français et sa traduction

Dame, ensi est qu’il m’en couvient aler
Et departir de la douce contree
Ou tant ai maus apris a endurer;
Quant je vous lais, droiz est que je m’en hee.
Deus! pour quoi fu la terre d’Outremer,
Qui tant amant avra fait dessevrer
Dont puis ne fu l’amors reconfortee,
Ne n’en porent leur joie remenbrer !

Dame, c’est ainsi qu’il me faut m’en aller
Et me séparer de la douce contrée
Où j’ai tant appris à endurer de maux ;
Et comme je vous laisse, il est juste que je me haïsse.
Dieu ! pourquoi avoir fait la terre d’outre-mer,
Qui aura séparé tant d’amants,
Qui, ensuite, n’eurent le réconfort d’amour
Ni ne purent s’en remémorer leur joie ?

Ja sans amor ne porroie durer,
Tant par i truis fermement ma pensee !
Ne mes fins cuers ne m’en lait retorner,
Ainz sui a lui la ou il veut et bee.
Trop ai apris durement a amer,
Pour ce ne voi conment puisse durer
Sanz joie avoir de la plus desirree
C’onques nus hons osast plus desirrer.

Jamais sans amour, je ne pourrais tenir,
Tant en lui, j’ai mis fermement ma pensée,
Pas d’avantage que mon cœur loyal ne me laisse m’en détourner,
Mais je suis avec lui là où il veut et aspire.
J’ai trop pris coutume d’aimer ;
Aussi je ne vois pas comment je pourrais continuer de vivre,
Sans avoir joie de la plus désirée
Qu’aucun homme n’osa jamais désirer.

Je ne voi pas, quant de li sui partiz,
Que puisse avoir bien ne solas ne joie,
Car onques riens ne fis si a envis
Con vos laissier, se je ja mès vous voie;
Trop par en sui dolens et esbahis.
Par maintes foiz m’en serai repentiz,
Quant j’onques voil aler en ceste voie
Et je recort voz debonaires diz.

Je ne vois pas, une fois séparé d’elle
Que je puisse avoir ni consolation, ni joie,
Car jamais je n’ai rien fait de si mauvais gré
Que vous quitter, si je ne devais jamais vous revoir
(1)
Par quoi j’en suis trop affligé et ému ;
Par maintes fois je m’en serai repenti,

Quand jamais je ne voulus emprunter cette voie (2)
et que je me souviens de vos aimables paroles.

Biaus sire Dex, vers vous me sui ganchis;
Tout lais pour vous ce que je tant amoie.
Li guerredons en doit estre floris,
Quant pour vos pert et mon cuer et ma joie.
De vous servir sui touz prez et garnis;
A vous me rent, biaus pere Jhesu Cris !
Si bon seigneur avoir je ne porroie:
Cil qui vous sert ne puet estre traïz.

Beau seigneur Dieu, c’est vers vous que je me suis tourné ;
Pour vous je laisse tout ce que j’aimais tant ;
La récompense devra en être belle,
Quand pour vous, je perds mon cœur et ma joie.

Pour vous servir, je suis tout prêt et garni (de garnison, équipé) :
Je m’en remets à vous, beau père Jésus-Christ ;
(3)
Si bon Seigneur, je ne pourrais avoir :
Celui qui vous sert ne peut être trahi.

Bien doit mes cuers estre liez et dolanz:
Dolanz de ce que je part de ma dame,
Et liez de ce que je sui desirrans
De servir Dieu cui est mes cors et m’ame.
Iceste amors est trop fine et puissans,
Par la covient venir les plus sachans;
C’est li rubiz, l’esmeraude et la jame
Qui touz guerist des vius pechiez puans.

Mon cœur doit bien être joyeux et affligé :
Affligé de ce que je me sépare de ma dame,
Et joyeux de ce que je suis désireux
De servir Dieu, à qui appartient mon corps et mon âme.
Cet amour là est chose trop fine et puissante ;
Par là il convient que viennent les plus instruits
(4) :
C’est le rubis, l’émeraude et la gemme
Qui guérit tous les hommes des vils péchés puants.

Dame des cieus, granz roïne puissanz,
Au grant besoing me soiez secorranz !
De vous amer puisse avoir droite flame !
Quant dame pert, dame me soit aidanz !

Dame des cieux, grande reine puissante,
En mon grand besoin soyez-moi secourable !

¨Puissé-je vous aimer avec la juste flamme (5)
Quand je perds une dame, qu’une dame vienne à mon aide !


Notes

(1) se je ja mès vous voie. J. Bédier traduit : j’en jure sur mes chances de vous revoir un jour. Il ajoute : « J’interprète ces mots comme une application à la dame de la formule de serment : se je ja mes Dieu voie« .
(2) aler en ceste voie : entrer dans ce pèlerinage (J Bédier).
(3) A vous me rent, biaus pere Jhesu Cris : je me rends à vous comme votre vassal, beau père Jésus-Christ (J Bédier).
(4) Notes de Bédier sur ces plus sachants : sont-ils les plus savants (au sens spéculatif),
ou plutôt ceux que l’expérience de la vie a rendus les plus sages ?
(5) De vous amer puisse avoir droite flame ! Puisse m’éprendre la bonne flamme de l’amour de vous ! (J Bédier)

En vous souhaitant une  fort belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

En Normandie, le Festival Cidre & Dragon, 11eme édition, enfin !

Sujet : festival médiéval-fantastique, univers fantasy, Moyen Âge imaginaire, médiéval fantaisie, steampunk, animations médiévales, mondes imaginaires.
Lieu : Merville-Franceville-Plage, Normandie
Evénement  : Cidre & Dragon 2022
Date :  17 &  18 septembre 2022

Bonjour à tous,

our les amateurs d’animations médiévales, septembre n’est pas un mois à écarter, loin de là. En cette période de rentrée, de nombreuses célébrations ont même lieu, ici ou là, sur les terres de France et notre sélection du week-end nous entraîne, cette fois-ci du côté de la Normandie pour le retour attendu d’un grand événement dédié au Moyen Âge fantastique : le festival Cidre & Dragon.

Le retour du festival Cidre & Dragon
et sa formule interactive unique

Affiche du festival Cidre & Dragon 2022

Ce festival ayant vu ses deux dernières éditions annulées, pour raisons sanitaires, on finissait par craindre que des hordes enragées de gobelins et de trolls, issues des plus sombres tréfonds, ne décident de combler le vide à leur manière, en venant envahir les terres de Merville-Franceville-Plage. Que les gentes dames et damoiseaux férus de Moyen Âge fantastique se rassurent, toutefois, le sort sera conjuré et le pire évité puisque Cidre & dragon fera renaître la cité imaginaire de Merravilla, pour deux jours de grande fête interactive, les 17 &  18 septembre prochains.

Avant d’entre dans le détail du programme 2020, disons un mot sur le fond. Ce qui séduit d’abord avec Cidre et Dragon, c’est son parti-pris sans équivoque. Il n’y a, en effet, rien de tiède ici. Les choix sont clairs et la couleur est annoncée d’emblée : le positionnement va résolument à la fantasy et donc aux mondes qui lui sont associées dont le Moyen Âge sous ses formes les plus imaginaires. Mais ce n’est pas tout. En dehors du thème médiéval fantastique mis à l’honneur, la formule unique de l’événement vient de ses organisateurs : l’Association Raid Tolkien étroitement associée à la municipalité pour la mise en place de Cidre & Dragon depuis son origine. Sortis tout droit d’univers à la JRR et à la D&D, ces fondus de mondes « tolkienesques » sont aussi passionnés de de jeux de rôle et de divertissements interactifs et cela se ressent dans les moindres recoins de ce festival. C’est sans nul doute ce cocktail de fantaisie, de participatif et de ludique qui assure le succès de l’événement, à chaque nouvelle édition.

« Le Festival dont vous êtes le héros ! »

CQFD. C’est avec ce beau clin d’œil pour « les livres dont vous êtes le héros ! » que les organisateurs donne le la de cette édition 2022. A l’habitude, elle viendra donc avec son lot d’interactivité et d’immersion. Pour ce festival toujours très scénarisé, le public pourra donc compter sur des aventures et des jeux grandeur nature. Il sera même invité à revêtir un personnage de son choix, en rejoignant l’une des 4 factions imaginaires présentes. Avant de partir en quête, il ne tiendra qu’à vous d’incarner un impétueux Venguin, un sage Brasiard, un ingénieux Brumeux ou un Mystérieux Spectral. Pour le reste, si les jeux de plateaux et de figurines ont toutes vos faveurs, vous retrouverez, cette année encore, la « Rue des Jeux » et ses tables animées.


Au sujet des livres dont vous êtes le Héros

Les livres dont vous êtes le Héros - couverture de l'île du Roi lézard

Certains s’en souviennent. D’autres ont même pu les essayer récemment puisqu’ils sont encore édités, les livres dont vous êtes le héros sont des livres interactifs qui se jouent en solo, en général avec des dés comme tout bon jeu de rôle de plateau. Le genre avait littéralement explosé dans les années 80-90, avant d’être un peu en perte de vitesse sans doute du fait de l’arrivée massive des jeux vidéo et des loisirs interactifs sur écran.

Sur le principe, chaque livre de la collection contient des scénarios multiples découpés en de nombreux paragraphes. A l’issu de la lecture de chaque paragraphe, le lecteur/joueur est amené à prendre des décisions, à mener des actions et/ou à faire des tirages qui le renverront à tel ou tel autre paragraphe à l’intérieur du livre, en influençant, de manière totalement radicale, son aventure. Dès sa sortie, ce concept unique et non linéaire avait le mérite de proposer un nouveau genre de livre-jeu hybride qui invitait, d’une façon différente, à la lecture tout en proposant des jeux de rôle solo aux univers variés. En ce qui concerne votre serviteur, L’île du roi lézard et même un ou deux autres titres l’avaient occupé un moment.

Aujourd’hui, on trouve des Livres dont vous êtes le Héros, réédités chez Gallimard. Très récemment, le journaliste Pierre Ropert de France-Culture s’est plié à l’exercice non linéaire et interactif caractéristique de ces livres-jeu, pour proposer un article très complet sur le sujet que nous vous recommandons.


Une édition sous le signe du Steampunk

Pour ce cru 2022 de Cidre & Dragon, le Steampunk sera mis tout particulièrement à l’honneur. Le thème est coutumier de l’événement mais en s’y aventurant plus avant qu’à l’habitude, ce dernier rejoindra peut-être encore plus en esprit Normannia, son proche cousin de Caen. Depuis sa création, cet autre festival normand, féru de mondes imaginaires et qui se déroule en février, a assumé, lui aussi, sa parenté avec le mouvement d’origine anglo-saxon et américaine.

La Jeune Fille à la Perle de Veermer, façon Steampunk.

Pour qui l’ignorerait, le Steampunk est un mouvement artistique qui s’inspire d’un monde qui aurait évolué, en ligne droite, de la période victorienne et son esthétique, combiné avec les avancées de la révolution industrielle et ses machines à vapeur. Avec le steampunk, par une sorte de saut dans le temps, le futur technologique de l’humanité aurait zappé l’ère électrique, électronique et nucléaire pour s’épanouir dans un avenir plus chaotique et des dérivés technologiques inspirés du XIXe siècle. Pour qui a déjà joué au très culte jeu vidéo Skyrim, les ruines souterraines dwemer et leurs gardiens automates évoquent assez bien, ce mouvement. Ci-dessus, nous vous livrons aussi une retouche de la célèbre « jeune fille à la perle » de Veermer retouchée, en 2013, à la façon Steampunk.

Rétrofuturisme et retro-punk, mécanismes complexes aux destinations hasardeuses, cuivre, cuir et vapeur, optique délirante, accessoires cybernétiques ou armes à l’esthétique fabuleuse et fumeuse, le Steampunk est une source d’inspiration inépuisable et on ne doute pas qu’il sera porté au pinacle à l’occasion de cette édition de Cidre et Dragon. Un village lui sera même dédié et Arthur Morgan, un des pontes de la communauté Steampunk francophone sera même présent sur place.

Marché médiéval, conférences, concerts,…

Animations médiévales, steampunk et mondes imaginaires au festival Cidre et Dragon 2022.

Pour le reste, le programme de cette nouvelle édition ne néglige rien et, entre plage et cité, vous pourrez encore y retrouver une pléthore d »animations : campements médiéval fantasy, viking et pirate, concours de costumes, mais encore salon d’auteurs et d’illustrateurs avec une foule de conférences sur les thèmes les plus variés (jeux de rôle, roman arthurien, univers de JJR Tolkien, histoire médiévale, steampunk,…). Concerts et musiques seront aussi au rendez-vous avec cinq formations invitées pour l’occasion : Evelina Simon – Sunfire – Nataverne – Pagan Noz – Cesair.

Enfin, pas de grand festival sans un marché digne de ce nom. Vous pourrez, donc, découvrir sur place de nombreux exposants inspirés et leurs échoppes artisanales, médiévales ou fantastiques. Pour retrouver le détail du programme de Cidre & Dragon 2022, rendez vous sur le site officiel de l’organisateur.

Voir nos articles précédents sur ce festival médiéval-fantastique : Edition 2019Edition 2018Edition 2017Edition 2016

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Monde Médiéval sous toutes ses formes.

NB : l’image d’en-tête est un détail de l’affiche 2022 de Cidre & Dragon. On doit cette dernière à l’auteur-illustrateur Matthieu Coudray qui sera présent sur le festival. Quant aux photographies au format carte postale, elles sont, pour la plupart, tirées d’éditions précédentes de l’événement sur le FB de l’organisateur (crédits photo Pierre Alain Photo). Sur la rangée de vignette du bas, la deuxième en partant de la gauche provient du trio musical et festif Pagan Noz qui sera, lui aussi, présent au festival, cette année.

Un beau programme d’animations aux Médiévales de Tonnerre 2022

Armoirie, Blason ville de Tonnerre

Sujet : agenda médiéval, animations médiévales, fêtes historiques, marché artisanal, Moyen Âge festif, compagnies médiévales
Evénement : Les Médiévales de Tonnerre
Lieu :  Tonnerre, Yonne, Bourgogne-Franche-Comté
Dates : les 10 et 11 sept 2022

Bonjour à tous,

ette semaine de rentrée n’arrêtera pas les amoureux d’animations évocatrices du Moyen Âge. Ainsi, pour notre sélection du week-end, nous vous invitons du côté de la Bourgogne-Franche-Comté, à la rencontre des Médiévales de la cité de Tonnerre.

Au programme de ces médiévales 2022

Animations et fêtes médiévales de Tonnerre dans l'Yonne (affiche 2022)

La dernière édition des Médiévales de Tonnerre date de 2018. A l’image de nombreux autres événements sur le territoire, ces festivités avaient été annulées ces deux dernières années, pour cause de mesures sanitaires, mais l’année 2022 devrait les voir renaître sous de bons auspices. Sur les deux jours du week-end des 11 et 12 septembre, les visiteurs et résidents de Tonnerre pourront, en effet, profiter d’un beau programme d’animations médiévales dans différents lieux clés du centre ville.

Tournois de chevalerie, campements
et animations en continue

En plus du marché artisanal et médiéval et des déambulations festives dans les rue de la cité, on retrouvera des jeux pour grands et plus petits, ainsi que des campements d’époque animés par les troupes invités. De la fin de matinée jusqu’au soir, d’autres animations s’enchaîneront également à un rythme soutenu, tout au long des deux jours de fêtes entre spectacles équestres et tournois de chevalerie, concerts de rue mais encore saltimbanques et comédiens.

Pour compéter le tableau, on pourra encore compter sur un grand spectacle nocturne, le samedi soir. En un mot, les visiteurs devraient trouver là de quoi tourner le dos à la grisaille de la rentrée, en prolongeant un peu le plaisir des vacances, dans un bel esprit de fête.

Troupes et animations présentes à cette fête médiévale de Tonnerre

Compagnies médiévales attendues

Cie Action Equestre – Les Goliards – Prima Nocta – Les derniers trouvères – Tan Elleil – L’Aboyeur – Cie Vrehnd – Association des Médiévales de Tonnerre

Voir la page de l’organisateur (téléchargement pdf du programme)


Voir notre article sur l’édition précédente de cette fête : Edition 2018

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Monde Médiéval sous toutes ses formes.

NB : les photos sur l’illustration au format carte postale proviennent de compagnies médiévales qui seront présentes aux médiévales de Tonnerre : du haut vers la droite, au bas : Action Equestre, Tan Eilleil, les derniers trouvères, Prima Nocta et les Goliards.

L’Exemple XXIII du comte Lucanor : de ce que font les fourmis pour vivre

Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, valeurs chevaleresques, Europe médiévale, oisiveté, code de conduite, mentalités médiévales
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

ans l’Espagne des XIIIe et XIVe siècles, Don Juan Manuel est une figure marquante, au destin digne d’un personnage du Trône de Fer. D’abord, il est de sang royal par son père, Manuel de Castilla, frère d’ Alphonse X le sage et dernier des fils de Fernando III de Castille. Ensuite, Don Juan Manuel est un stratège, doublé d’un grand combattant, Sa carrière est constellée de hauts faits et on le vit guerroyer dès son plus jeune âge.

Du point de vue nobiliaire, ses titres sont tout aussi impressionnants : Duc et Prince de Villena, Seigneur d’Escalona , de Peñafiel , de Cartagena et de plus de 7 autres localités. Il a également servi comme majordome sous Ferdinand IV et sous Alphonse XI dont il fut même le tuteur. Plus tard, des complots s’ourdiront entre ce dernier devenu jeune souverain et Don Juan Manuel. Les tensions entre les deux hommes dureront pendant de longues décennies. On y trouvera tous les ingrédients d’un roman d’aventure : princesse captive (sa propre fille), pièges et tentatives d’assassinat, mensonges, trahisons, conseillers perfides,… A ce sujet, nous vous invitons à consulter notre biographie détaillée de Don Juan Manuel.

Un auteur et un lettré

Don Juan Manuel n’est pas seulement un grand seigneur de guerre et il n’est pas de la même branche familiale qu’Alphonse X le savant pour rien. Lettré et cultivé, il sut démontrer ses talents de plume à de nombreuses occasions : livre de chasse, livre du chevalier et de l’écuyer, livres des états, … D’entre tous ses écrits, celui qui a résisté le mieux à la postérité auprès du public est aussi le plus accessible. Il s’agit de l’ouvrage : Le comte Lucanor.

Le principe en est simple : seigneur et noble lui-même, le comte Lucanor, sorte de double littéraire de Don Juan Manuel, se pose des questions à tout propos : gouvernance, morale, stratégie, alliance, amitié, conduite de vie, etc… Pour l’éclairer, il peut compter, à chaque fois, sur son proche conseiller Patronio qu’il ne manque jamais de questionner. Sollicité par le noble, ce dernier use de métaphores, de paraboles et d’exemples pour guider, du mieux qu’il le peut, son seigneur ; ce dernier finit toujours par se ranger aux arguments du sage Patronio et cela donne lieu à une morale en vers à la fin de chaque conte.

De nos jours, cet ouvrage médiéval est encore lu et diffusé en Espagne et dans les pays de langue espagnole et ce, à l’attention de tout public. De notre côté, sur moyenagepassion, nous œuvrons modestement à mieux le faire connaître aux passionnés de littérature médiévale francophones en publiant, de temps à autre, quelques-uns de ces contes moraux. L’exercice permet de mieux appréhender les mentalités de l’Espagne médiévale autant que de faire certains liens entre les différentes cultures de l’Europe du Moyen Âge. Pour la traduction française, pour une fois elle n’est pas de notre fait. Nous nous appuyons sur les travaux d’un homme de lettres du XIXe siècle, auteur et spécialiste de littérature espagnole  Adolphe-Louis de Puibusque. Il existe des traductions plus récentes du Comte Lucanor mais nous nous servons aussi des sources anciennes et plus récentes en Espagnol pour comparer la version française de Puibusque (datée de 1854). Pour l’instant, nous nous en contentons.

Sources manuscrites et conte du jour

Le comte Lucanor, manuscrit médiéval du XVe siècle, Bibliothèque d'Espagne.

Aujourd’hui, le conte que nous vous proposons est l’Exemple XXIII du comte Lucanor. Il nous entraînera dans une parabole et une leçon sur les dangers de rester oisifs, en dilapidant ses avoirs. Comme il y sera question de fourmis industrieuses, ce texte ne manquera pas de rappeler à certains d’entre vous les fables de Jean de La Fontaine, ou plus près du Moyen Âge celles de Marie de France. Au début du XIIIe siècle et, près de cent ans avant Don Juan Manuel, cette dernière rendait déjà hommage, en effet, avec son Grillon et sa fourmi (D’un Gresillon e d’un Fromi) à la sauterelle et la fourmi du vieil Esope.

« El Conde Lucanor » est connu à travers diverses sources manuscrites anciennes. Cinq en tout. Sur l’image ci-contre, vous pourrez retrouver le feuillet correspondant à l’Exemple du jour dans le manuscrit Mss. 4236 de la Bibliothèque Nationale d’Espagne. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XVe siècle, est consultable sur le site de la Bibliothèque virtuelle Miguel Cervantes. Sur le feuillet, on peut voir apparaître la fin du conte XXII que nous avions déjà étudié, par ailleurs, et sa morale (voir Amitié contre mauvais conseillers, l’exemple XXII du Comte Lucanor). Au passage, c’est le même feuillet que nous avons utilisée sur l’image en-tête d’article, en arrière plan de la fourmi.

Exemple XXIII, « de ce que font les fourmis… »
du Comte Lucanor de Don Juan Manuel

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller : « Patronio, lui dit-il, grâce à Dieu je suis passablement riche : aussi, de plusieurs côtés, on m’invite à me donner du temps : « Puisque vous le pouvez, me répète-t-on sans cesse, ne pensez qu’à mener joyeuse vie, buvez, mangez, dormez, amusez-vous tout à votre aise ; qu’avez-vous à craindre ? N’êtes-vous pas toujours sûr de laisser à vos enfants un bel héritage ? » En vérité, cela me sourit beaucoup ; avant, toutefois, de suivre le conseil qu’on me donne, je veux avoir votre avis.

— Seigneur comte, répondit Patronio, c’est une douce chose très certainement que l’oisiveté et le plaisir, mais souffrez que je vous fasse connaître toutes les peines que prend la fourmi pour assurer sa subsistance et vous saurez ensuite ce que vous devez faire.
— Volontiers, dit le comte et Patronio poursuivit ainsi :
— Quand on considère combien la fourmi est chétive, on ne se douterait pas qu’il pût loger une grande prévoyance dans une si petite tête, et pourtant voyez : dès que le temps de la moisson arrive, cette ménagère diligente se rend aux aires, en rapporte autant de grains qu’elle peut en traîner et les emmagasine. Ce n’est pas tout : la première fois qu’il pleut, le blé est mis dehors ; on dit que c’est pour qu’il sèche, mais c’est là une erreur que repousse le bon sens : s’il fallait exposer ainsi le froment chaque fois qu’il est mouillé, le pauvre insecte aurait une rude besogne, et d’ailleurs où pourrait-il le faire sécher ? Le soleil luit rarement pendant l’hiver. Un autre motif explique la conduite de la fourmi : après avoir déposé dans ses greniers tout le blé qu’elle a ramassé et avoir grossi ses approvisionnements autant qu’il lui est possible, elle profite de la première pluie pour sortir une partie de son blé, parce que s’il germait dans l’intérieur de la fourmilière, il se gâterait, et pourrait même l’étouffer au lieu de la nourrir ; les grains mis dehors ne sont pas perdus, la fourmi mange ceux qui sont sains, et attend, pour faire usage des autres, qu’ils aient cessé de germer, car cette fermentation n’a qu’un temps limité, et il n’y a plus rien à craindre ensuite.

La fourmi pousse la prévoyance encore plus loin ; lors même qu’elle a des provisions suffisantes, elle ne manque pas, chaque fois qu’il fait beau, de charrier tout ce qu’elle rencontre, soit de peur de n’avoir pas assez, soit pour ne pas rester oisive ou pour ne rien perdre des dons du bon Dieu. Et vous seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous instruise ! Quoi ! Une si frêle créature que la fourmi montre tant de prudence, tant d’activité, tant d’économie, uniquement pour pourvoir à ses propres besoins, et un seigneur tel que vous, maître d’un grand Etat et chargé de gouverner tant de monde, ne songerait qu’à manger son bien ! Je dis manger, et c’est le mot, car, soyez-en convaincu, on a beau être riche, un trésor ne dure guère lorsqu’on dépense chaque jour sans amasser jamais. Et d’ailleurs ne serait-il pas honteux de vivre dans la dissipation et dans la fainéantise ! Pour moi, je n’ai qu’un conseil à vous donner et le voici : prenez du repos et amusez-vous, si tel est votre bon plaisir, vous en avez le droit et le pouvoir, mais que ce ne soit aux dépens, ni de votre honneur, ni de votre état, ni de votre bien. Quelques que soient vos richesses, vous n’en aurez jamais trop si vous saisissez toutes les occasions qui pourront s’offrir d’ajouter à l’éclat de votre renommée et au bonheur de vos vassaux. »

Le comte Lucanor goûta beaucoup le conseil. Il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan, estimant aussi que l’exemple était bon à retenir, le fit écrire dans ce livre et composa deux vers qui disent ceci :

« Ne dissipe jamais ce que le ciel te donne,
Vis, quel que soit ton bien, en honnête personne. »


A propos de la morale et de sa traduction

Comme nous l’avons vu à l’occasion de nos articles précédents, concernant la traduction du XIXe siècle, son auteur prend, parfois, quelques libertés, en particulier sur les morales versifiées qui interviennent toujours à la fin des contes de Don Juan Manuel. On ne peut guère lui en vouloir. Il n’en contredit pas nécessairement l’esprit, mais il prend souvent plus de libertés d’adaptation à ce niveau là que pour le reste de ses traductions, assez fidèles par ailleurs. Pour cet exemple XXIII, en allant chercher dans les versions originales du Comte Lucanor, dans l’espagnol ancien de son auteur, on trouve la morale suivante :

« Non comas sienpre lo que as ganado;
bive tal vida que mueras onrado. »


Autrement dit :
Ne mange jamais tout de que tu as gagné
Vis de telle façon, que tu meures honoré »

Les versions espagnoles récentes nous donnent cette traduction, également, assez proche de l’original :

No comas siempre de lo ganado
Pues en penuria no moriras honrado.

Ne mange jamais tout ce que tu as gagné
Sans quoi dans la difficulté, tu ne mourras pas honoré
.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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